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6 juillet 2023
Cour d’appel de Rennes
RG n°
20/03399
7ème Ch Prud’homale
ARRÊT N°
N° RG 20/03399 – N° Portalis DBVL-V-B7E-QZFF
M. [M] [K]
C/
Société SOCIETE D ECONOMIE MIXTE POUR LA CONSTRUCTION ET L A GESTION DU MARCHE D INTERET NATIONAL DE [Localité 5]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 06 JUILLET 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,
Assesseur : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère,
Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 04 Avril 2023 devant Monsieur Hervé BALLEREAU, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
En présence de Monsieur [P], médiateur judicciaire
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 06 Juillet 2023 par mise à disposition, date à laquelle a été prorogé le délibéré initialement fixé au 29 juin 2023.
****
APPELANT :
Monsieur [M] [K]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Comparant en personne, assisté de par Me Jean-Christophe DAVID, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NANTES
INTIMÉE :
Société SOCIETE D ECONOMIE MIXTE POUR LA CONSTRUCTION ET L A GESTION DU MARCHE D INTERET NATIONAL DE [Localité 5] Société Anonyme d’Economie Mixte immatriculée au RCS de NANTES sous le n°8660 800 168, prise en la personne de son représentant légal domicilié audit siège,
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Benoît BOMMELAER de la SELARL CVS, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Benoit MICHEL, Plaidant, avocat au barrreau de NANTES substituant Me Bertrand SALMON, avocat au barreau de NANTES
EXPOSÉ DU LITIGE
La Société d’économie mixte pour la construction et la gestion du marché d’intérêt national de [Localité 5] (SEMMINN) est une société d’économie mixte portant une mission d’intérêt général d’organisation et de gestion du marché d’intérêt national de [Localité 5] dans les secteurs de l’alimentaire et de l’horticulture.
M. [M] [K] a été engagé en qualité de directeur par la Société centrale pour l’équipement (SCET) selon un contrat à durée indéterminée en date du 1er avril 1980. Son contrat de travail a fait l’objet d’un transfert avec reprise d’ancienneté vers la SEMMINN, le 1er juillet 1993.
Le contrat de M. [K] incluait une clause relative à la rupture de son contrat de travail selon laquelle le salarié aura droit à une indemnité de licenciement ainsi qu’une indemnité complémentaire en cas de rupture à l’initiative de l’employeur et pour ‘quelque cause que ce soit’.
À compter du 17 janvier 2006, M. [K], nommé directeur général de la SEMMINN, bénéficiait d’un mandat social d’une durée de six ans entraînant la suspension de son contrat de travail.
Parallèlement, en 2008, il était ré-élu conseiller prud’homal collège employeur.
Le 07 décembre 2011, suite à la fusion des postes de directeur général et de président, le mandat social de M. [K] n’a pas été renouvelé et s’est achevé le 16 janvier 2012.
M. [K] a vainement contesté cette décision auprès du directeur général de la SEMMINN.
Le 11 avril 2012, M. [K] a saisi la formation de référé du conseil de prud’hommes de Rennes afin d’obtenir sa réintégration. Par ordonnance en date du 24 avril 2012, le conseil de prud’hommes l’a débouté de l’ensemble de ses demandes, considérant qu’il existait une contestation sérieuse relative à la qualification du contrat l’ayant lié à la SEMMINN. Le salarié a interjeté appel de la décision.
Parallèlement à la procédure prud’homale, le 16 août 2012, la SEMMINN a déposé plainte pour abus de biens sociaux à hauteur de 81 833,18 euros résultant de notes de frais de M. [K].
Par arrêt en date du 20 mars 2013, la cour d’appel de Rennes a réformé la décision susmentionnée et ordonné la réintégration de M. [K] assortie d’une astreinte de 40 euros par jour.
M. [K] a été réintégré en qualité de directeur salarié de la SEMMINN le 08 avril 2013.
Par courrier en date du 17 mai 2013, la SEMMINN a convoqué M. [K] à un entretien préalable au licenciement fixé au 28 mai suivant.
Le 12 juin 2013, l’employeur sollicitait de l’inspection du travail une autorisation de licenciement de M. [K]. Par décision notifiée le 08 août 2013, l’inspection du travail a autorisé le licenciement du salarié.
Par courrier en date du 16 août 2013, M. [K] s’est vu notifier son licenciement pour faute grave résultant de violations graves et répétées de l’obligation de loyauté à savoir :
– Utilisation abusive des biens de la SEMMINN à son profit et celui de son épouse dans des conditions causant préjudice à son employeur,
– Destruction de matériel appartenant à la SEMMINN,
– Détournement et usage abusif du matériel et des moyens de la SEMMINN,
– Gestion d’affaires incompatible avec l’exercice normal et loyal de ses missions,
– Détournement et subtilisation de documents confidentiels après intrusion dans le bureau du président.
Le 17 septembre 2013, M. [K] a saisi le tribunal administratif de Nantes d’une requête en annulation de la décision d’autorisation de licenciement. Parallèlement, le 27 janvier 2014, il a saisi le conseil de prud’hommes de Rennes de diverses demandes indemnitaires liées à son licenciement. Le conseil a prononcé un sursis à statuer dans l’attente des procédures pénale et administrative.
Le 21 mai 2014, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par la SEMMINN contre l’arrêt rendu le 20 mars 2013 par la cour d’appel de Rennes qui avait considéré que l’existence du contrat de travail liant M. [K] à la SEMMINN n’était pas sérieusement contestable.
Par décision en date du 25 août 2015, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de M. [K] tendant à l’annulation de l’autorisation de licenciement par l’inspection du travail.
Par arrêt en date du 20 octobre 2017, la cour administrative d’appel de Nantes a confirmé le jugement du tribunal administratif.
M. [K] a formé un pourvoi contre cette décision et suivant arrêt rendu le 19 décembre 2018, le Conseil d’Etat a rejeté le pourvoi.
Parallèlement, par arrêt en date du 05 novembre 2015, la chambre correctionnelle de la cour d’appel de Rennes a condamné M. [K] pour des faits d’abus de biens sociaux à l’encontre de la SEMMINN.
***
Au dernier état de ses demandes devant le conseil de prud’hommes, M. [K] demandait:
– Au titre de la période d`éviction : 19 862,87 Euros Brut
– Rémunération liée à l`avantage en nature pour la période du 9 mars 2012 au 17 août 2013 : 9 730,58 Euros Brut
– Congés payés afférents 973,05 Euros Brut
– Indemnité contractuelle de licenciement : 389 733,12 Euros Net
– Indemnité contractuelle de dédommagement : 292 299,34 euros Net
– Remise des bulletins de salaire, mois par mois, année par année, d’un certificat de travail et d’une attestation Pôle Emploi rectifiés, conformes à la décision sous astreinte de 100 euros par jour de retard, le conseil de prud’hommes se réservant compétence pour liquider cette astreinte
– Article 700 du code de procédure civile : 5 000,00 Euros
– Ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir.
– Fixer la moyenne des douze derniers mois de salaire à la somme de 12 179,16 €.
– Intérêts de droit à compter de l`introduction de l’instance pour les sommes ayant le caractère de salaire et a compter de la décision à intervenir pour les autres sommes.
– Capitalisation des intérêts en application de l’artic1e 1154 du code civil
– Dire qu’à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées et en cas d’exécution par voie extrajudiciaire, les sommes retenues par l’huissier instrumentaire devront être supportées par la défenderesse
– Condamner la société SEMMINN en tous les dépens.
La SEMMINN demandait au conseil de prud’hommes de :
– Dire et juger que la clause pénale ne peut produire ses effets du fait de l’existence d’un licenciement pour faute grave non contesté
– A titre subsidiaire, juger que cette clause ne peut produire ses effets du fait des manquements de M. [K] à son obligation de loyauté
– A titre infiniment subsidiaire, dire et juger que la clause pénale prévue à l’article 6 du contrat prenant effet au 1er juillet 1993 est nulle et de nul effet, qu’elle est manifestement excessive et réduire en de notables proportions les sommes qui seraient allouées à M. [K]
– Article 700 du code de procédure civile : 5 000,00 Euros.
Par jugement en date du 13 juillet 2020 , le conseil de prud’hommes de Rennes a :
– Condamné la société SEMMINN à payer à M. [K] les sommes suivantes :
– 3 987,98 euros au titre de la période d’éviction,
– 9 730,58 euros au titre de la rémunération de l’avantage en nature outre 973,05 euros au titre des congés payés afférent,
– Ordonné la remise du bulletin de salaire dûment rectifié ainsi que l’attestation Pôle emploi,
– Fixé la moyenne des 12 derniers mois de salaire à 12 125,46 euros brut,
– Condamné la société SEMMINN à payer à M. [K] la somme de
1 000,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamné la société SEMMINN aux intérêts de droit et ordonné la capitalisation des intérêts,
– Ordonné l’exécution provisoire sur les salaires uniquement,
– Débouté M. [K] du surplus de ses demandes,
– Condamné la société SEMMINN aux entiers dépens y compris les frais éventuels d’exécution.
***
M. [K] et la SEMMINN ont interjeté appel de cette décision par déclarations au greffe en dates respectives des 27 juillet 2020 (RG n°20/3399) et 29 juillet 2020 (RG n°03446).
En l’état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 27 octobre 2020, la SEMMINN demande à la cour d’appel de :
– Joindre les recours enrôlés sous les numéros RG 20/03446 et RG 20/03399.
– Confirmer le jugement déféré en ce qu’il a débouté Monsieur [M] [K] de ses demandes d’indemnité contractuelle de licenciement et d’indemnité contractuelle de dédommagement dont le montant sollicité est :
– 389 733,12euros net de CSG/RDS au titre de l’indemnité contractuelle de licenciement,
– 292 299,84euros net de CSG/RDS au titre de l’indemnité contractuelle de dédommagement.
– Infirmer pour le surplus le jugement entrepris ;
– Débouter Monsieur [K] de toute demande excessive ou infondée relative au paiement du solde de « salaires »
– Débouter Monsieur [K] de sa demande de rappel de salaire au titre de l’avantage en nature
– Dire et juger que le licenciement pour faute grave de Monsieur [K] est fondé,
– Débouter Monsieur [K] de ses demandes indemnitaires relatives au licenciement pour faute grave,
– Dire et juger que la clause pénale ne peut produire ses effets du fait de l’existence d’un licenciement pour faute grave non contesté ;
À titre subsidiaire,
– Dire et juger que la clause pénale ne peut produire ses effets du fait des manquements de Monsieur [K] à son obligation de loyauté ;
À titre infiniment subsidiaire,
– Dire et juger que la clause pénale prévue à l’article 6 du contrat prenant effet au 1er juillet 1993, entre Monsieur [K] et la SEMMINN, est nulle et de nul effet ;
À titre infiniment infiniment subsidiaire,
– Dire et juger que la clause pénale est manifestement excessive et réduire en de notables proportions les sommes qui seraient allouées à Monsieur [K] ;
En tout état de cause,
– Condamner Monsieur [K] aux entiers dépens ainsi qu’à verser à la SEMMINN :
– 5 000euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance ;
– 5 000euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile au titre de l’instance d’appel.
– Débouter Monsieur [K] du surplus de ses demandes.
La société SEMMINN développe en substance l’argumentation suivante:
– M. [K] a commis des erreurs de calcul dans ses demandes ; son salaire de référence doit être fixé à 10.680,89 euros ; il n’y a pas 12 mois mais 11 mois entre le 1er avril 2012 et le 1er mars 2013 ; le rappel de salaire dû est de 132.087 euros brut ;
– L’indemnité octroyée dans le cadre de la réintégration du salarié protégé a un caractère forfaitaire ; le salarié ne peut prétendre à 10% de l’indemnité à titre de congés payés ; M. [K] doit être débouté de sa demande de congés payés sur rappel de salaire ; il n’a pas acquis de droit à congés payés entre le 9 mars 2012 et le 20 mars 2013 et la somme de 10.845,29 euros qui lui a été versée à ce titre est indue ;
– Aucune disposition contractuelle ne prévoyait la mise à disposition d’un véhicule ; aucun usage n’est démontré ; en outre le calcul de l’avantage en nature sollicité est erroné puisqu’il représenterait 6.857,32 euros brut et non 9.730,58 euros brut ;
– Compte-tenu des sommes déjà versées (103.746,85 euros brut en avril 2013 et 35.033,06 euros brut) M. [K] a été intégralement rempli de ses droits ;
– M. [K] ne conteste pas les motifs du licenciement pour faute grave ; la clause contractuelle prévoyant une indemnité de licenciement majorée et une indemnité de licenciement complémentaire est nulle ; son application reviendrait à verser à M. [K] 56 mois de salaire ; dès lors que le licenciement pour faute grave n’ouvre pas droit à l’indemnité légale de licenciement, les indemnités de licenciement majorée et complémentaire ne sont pas dues ;
– M. [K] a gravement manqué à son obligation de loyauté et il a été reconnu coupable d’abus de biens sociaux; une clause pénale peut être annulée par le juge lorsqu’elle rend impossible, par son montant excessif, la faculté de rompre le contrat pour l’employeur, faisant échec à une liberté d’ordre public ; le paiement demandé à la SEMMINN représente avec les charges sociales plus d’un million d’euros et conduirait à la liquidation judiciaire de la société ; depuis la date de rédaction du contrat de travail , le traitement social et fiscal des indemnités de rupture a considérablement évolué ;
– La jurisprudence reconnaît le principe de la réduction de la clause dite ‘golden parachute’ lorsque son montant est excessif ; c’est le cas en l’espèce, eu égard à la rédaction de la clause particulièrement favorable au salarié qui a fait en sorte que soit prise en compte l’ancienneté acquise au titre de son mandat social et eu égard à la nature des fonctions de M. [K] qui ne permettent pas de justifier le montant prévu ;
– L’indemnité prévue au contrat n’a pas la nature d’une clause de garantie d’emploi ; il en va de même de l’indemnité dite de ‘dédommagement’ prévue à la lettre d’embauche du 18 mars 1992 ; la clause doit être réduite à 0 euro.
En l’état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 26 janvier 2021, M. [K] demande à la cour d’appel d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a débouté de ses demandes relatives à l’indemnité contractuelle de licenciement et à l’indemnité contractuelle de dédommagement et jugeant de nouveau :
– Condamner la société SEMMINN à lui payer les sommes suivantes :
– 389 733,12 euros net de CSG/RDS au titre de l’indemnité contractuelle de licenciement ;
– 292 299,84 euros net de CSG/RDS au titre de l’indemnité contractuelle de dédommagement.
– Confirmer pour le surplus le jugement entrepris ;
Y additant,
– Condamner la société SEMMINN à lui payer la somme de 3 000 euros, à titre d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du Nouveau code de procédure civile ;
– Condamner la société SEMMINN aux entiers dépens de la présente instance.
M. [K] développe en substance l’argumentation suivante:
– Il lui est dû 132.305,21 euros à titre de rappel de salaire du 9 mars 2012 au 20 mars 2013, soit un solde dû de 3.987,98 euros brut compte tenu des sommes versées à ce jour ;
– L’indemnité d’éviction intègre l’indemnité compensatrice de congés payés dont le salarié aurait bénéficié s’il avait continué à travailler entre son éviction et sa réintégration ; l’employeur qui a décidé d’accorder des congés ne peut opérer de déduction de salaire à ce titre, sauf congés sans solde ; en outre, l’employeur ne peut se prévaloir d’une rupture illégale pour solliciter une répétition de salaire;
– Depuis l’embauche, il a bénéficié d’un avantage en nature constitué de la mise à disposition d’un véhicule pour l’exercice de ses fonctions et à des fins privées; il s’agissait d’un élément de rémunération ; il a été privé de cet avantage en nature entre le 9 mars 2012 et sa réintégration du 8 avril 2013 et est donc bien fondé à solliciter le paiement de la somme correspondante de 9.730,58 euros brut ; aucune modification du contrat ni changement des conditions de travail ne peuvent être imposés à un salarié protégé ; si c’était un usage, la SEMINN ne l’a pas régulièrement dénoncé ;
– C’est en contrepartie de la perte du statut dont il bénéficiait au sein de la SCET que M. [K] a obtenu des garanties quant à une éventuelle rupture de son contrat de travail ; la cour de cassation a rejeté dans un arrêt du 11 décembre 2019 l’argument selon lequel l’indemnité de licenciement contractuelle serait une clause pénale susceptible de réduction par le juge ; la clause avait pour objet de permettre au salarié de retrouver un emploi et il s’agit donc d’une clause de garantie d’emploi qui n’a pas la nature d’une clause pénale ; la nature de la rupture est totalement indifférente à l’attribution de l’indemnité contractuelle ;
– La clause ne faisait pas obstacle à la faculté de l’employeur de rompre le contrat de travail puisqu’il l’a fait à deux reprises ; elle trouve en outre sa justification dans l’abandon par le salarié d’une carrière stable dans une filiale de la Caisse des dépôts et consignations ; la clause n’est pas manifestement excessive ; son montant est lié à l’ancienneté de M. [K] et au niveau de rémunération de ce dernier ; la SEMINN n’a rien mis en oeuvre pour lui permettre de retrouver un emploi ; l’indemnisation contractuellement prévue compense le préjudice réel qu’il a subi.
***
La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état le 28 février 2023 avec fixation de la présente affaire à l’audience du 04 avril 2023.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs dernières conclusions régulièrement signifiées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1- Sur la demande de jonction:
En vertu de l’article 367 alinéa 1er du code de procédure civile, le juge peut, à la demande des parties ou d’office, ordonner la jonction de plusieurs instances pendantes devant lui s’il existe entre les litiges un lien tel qu’il soit de l’intérêt d’une bonne justice de les faire instruire ou juger ensemble.
En l’espèce, les appels respectivement interjetés par M. [K] et par la société SEMMINN sont dirigés à l’encontre du même jugement et il est manifestement de bonne justice de les instruire et juger ensemble.
Il convient donc d’ordonner la jonction des instances n°20/3399 et 20/3446 sous le seul numéro 20/3399.
2- Sur les rappels de salaires:
2-1: Au titre de la période d’éviction:
Il est constant que le licenciement d’un salarié protégé prononcé sans autorisation est irrégulier et entaché de nullité. En conséquence, dès lors qu’un licenciement a été prononcé dans de telles conditions, l’employeur est tenu de réintégrer le salarié qui en fait la demande et ce dernier est fondé à demander une indemnisation pour perte de salaire, couvrant la période comprise entre le licenciement et la date effective de réintégration.
En l’espèce, il est constant que par un arrêt rendu le 20 mars 2013, la cour de céans a ordonné la réintégration sous astreinte de M. [K] dans les effectifs de la SEMMINN, après avoir constaté que la lettre qui lui avait été adressée par le président directeur général le 9 mars 2012 devait s’analyser comme une rupture du contrat de travail notifiée alors que le salarié occupait les fonctions de conseiller prud’homme à Nantes.
En application de cette décision, la SEMMINN a notifié par courrier du 5 avril 2013 à M. [K] sa réintégration à effet du 8 avril 2013 ainsi que le paiement du salaire pour la période du 20 au 31 mars 2013.
Il n’est pas contesté que le salarié est dès lors fondé à demander l’indemnisation de la perte de salaire subie entre le 9 mars 2012 et le 8 avril 2013.
Les parties s’accordent sur le montant du salaire de référence qui s’élève à 10.680,89 euros.
La société SEMMINN soutient qu’il est dû à M. [K] la somme de 132.087 euros brut.
Or, ce montant est inexact puisque le calcul opéré sur la période du 9 mars 2012 au 20 avril 2013 aboutit à un total de 132.305,21 euros (et non 132.087 euros comme le soutient l’employeur).
Il n’est par ailleurs pas contesté que doit être prise en compte l’incidence du 13ème mois stipulé à l’article 3 du contrat de travail.
Le compte est donc le suivant:
– du 9 au 31 mars 2012: 10.680,89 euros/31 x 23 = 7.924,53 euros
– du 1er avril 2012 au 28 février 2013:10.680,89 euros x 11 = 117.489,79 euros
– du 1er mars au 20 mars 2013:10.680,89 euros/31 x 20 = 6.890,89 euros.
Sous-total 132.305,21 euros
– 13ème mois 10.680,89 euros
TOTAL 142.986,10 euros
Compte-tenu des acomptes versés par la société SEMMINN les 10 avril 2013 et 20 janvier 2015, il est donc dû à M. [K], comme l’ont exactement retenu les premiers juges, un solde de 3.987,98 euros au titre de la période d’éviction.
L’argumentation de la société SEMMINN suivant laquelle M. [K] aurait perçu de façon indue une somme de 10.845,29 euros brut à titre des congés payés entre la date de sa réintégration et la date de son licenciement au mois d’août 2013, somme qui devrait dès lors venir en déduction de l’indemnisation due, est dénuée de portée puisqu’il n’est formé aux termes du dispositif des conclusions de la dite société aucune demande reconventionnelle en paiement d’un indu.
Au demeurant, si en principe l’employeur ne peut pas imposer de congés au salarié, il est en droit de le faire si l’entreprise ferme au cours de l’année, l’employeur ne répondant pas à l’objection soulevée sur ce point par M. [K].
Enfin, la société SEMMINN ne peut utilement soutenir que M. [K] aurait usurpé un droit à congés payés alors qu’elle a librement octroyé à l’intéressé 23 jours de congés payés et qu’elle ne justifie d’aucune opposition expresse manifestée en temps et en heure à ce que l’intéressé prenne des congés dont il a donc bénéficié avec l’assentiment à tout le moins tacite de l’employeur qui ne le conteste pas.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu’il a condamné la société SEMINN à payer à M. [K] la somme de 3.987,98 euros correspondant au solde dû au titre de la période d’éviction.
2-2: Au titre de l’avantage en nature:
Dès lors que la rémunération constitue par nature un élément du contrat de travail, l’employeur ne peut modifier son montant sans l’accord du salarié, qu’il s’agisse du salaire de base ou des avantages en nature.
M. [K] soutient qu’il s’était vu attribuer un véhicule qu’il pouvait utiliser aussi bien dans le cadre de ses fonctions qu’à des fins privées.
S’il est constant que le contrat de travail ne mentionne pas une telle attribution, il est non moins constant que les bulletins de paie antérieurs à la rupture du 9 mars 2012 mentionnent un ‘avantage en nature voiture’, de telle sorte qu’indépendamment des dispositions contractuelles invoquées par l’employeur, il est établi que la société SEMMINN avait fourni au salarié un véhicule qui n’était pas utilisé que pour les seuls besoins professionnels de l’intéressé, sans quoi l’avantage en nature n’aurait pas été mentionné.
La lettre du 5 avril 2013 notifiant à M. [K] sa réintégration, indique: ‘Un véhicule de société sera tenu à votre disposition pour les seuls besoins de votre activité professionnelle. Vos frais de carburant seront remboursés sur justificatifs’.
Il était ainsi prévu la seule mise à disposition d’un véhicule de service et non d’un véhicule de fonction, entraînant donc une perte de l’avantage en nature antérieurement consenti, ce qui constitue une modification du contrat de travail qui ne pouvait être imposée au salarié.
Sur la base du montant non contesté de 554,50 euros par mois, il est donc dû à M. [K] au titre de l’avantage en nature dont il a été privé entre la date du licenciement intervenu sans autorisation administrative, le 9 mars 2012 et la date du licenciement pour faute grave intervenu le 16 août 2013 après autorisation administrative, la somme de 9.730,58 euros correspondant au décompte suivant:
– Mars 2012 à mars 2013: 554,50 x 13 mois = 7.208,50 euros
– Avril 2013 à juillet 2013: 554,50 x 4 mois = 2.218,00 euros
– 1er au 17 août 2013: 554,50 x17/31 = 304,08 euros
Total 9.730,58 euros
Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
3- Sur les indemnités contractuelles de licenciement et de dédommagement:
Les parties au contrat de travail sont libres de convenir du versement d’une indemnité de licenciement plus élevée que l’indemnité légale ou, si elle est plus favorable, conventionnelle de licenciement.
Lorsqu’une indemnité contractuelle de licenciement est prévue, son montant ne doit pas interdire à l’employeur d’user du droit de rompre le contrat de travail qu’il tient de l’article L 1231-1 du code du travail.
A défaut, une telle clause encourt la nullité.
L’indemnité contractuelle forfaitaire de licenciement, qui ne dépend ni de l’ancienneté ni du motif de la rupture, a le caractère d’une clause pénale et elle peut donc être réduite d’office par le juge si elle est manifestement excessive.
En l’espèce, l’article 6 du contrat de travail est ainsi rédigé: ‘En cas de rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur et pour quelque cause que ce soit, M. [K] aura droit:
– à une indemnité de licenciement d’un mois de salaire brut par année d’ancienneté (y compris d’année d’ancienneté en qualité de salarié de la SCET)
– à une indemnité complémentaire en réparation du préjudice subi de deux années de salaire brut.
Le salaire de référence sera celui des douze derniers mois et comprendra l’ensemble des primes éventuellement perçues’.
3-1: Sur la nature des clauses relatives à l’indemnisation du licenciement:
L’indemnité contractuelle de licenciement qui est forfaitaire et détachée de toute considération relative à l’ancienneté du salarié et au motif de la rupture, puisqu’il est prévu qu’elle soit versée en cas de rupture ‘pour quelque cause que ce soit’, présente les caractéristiques d’une clause pénale.
Se fondant sur les termes de la lettre d’embauche, M. [K] soutient que la clause relative à l’indemnité complémentaire doit s’analyser comme une clause de garantie d’emploi.
La lettre d’embauche du 18 mars 1992 vise cette indemnité ‘de dédommagement de deux années complètes de salaire, indemnités de primes comprises’ comme ‘devant vous permettre la recherche d’un autre emploi équivalent’.
Toutefois, la mention dans la lettre d’embauche de ce qu’il sera versé en cas de licenciement ‘pour quelle que raison que ce soit’, outre une indemnité de licenciement d’un mois de salaire brut par année d’ancienneté sans plafonnement, une indemnité de dédommagement de deux années complètes de salaire devant permettre la recherche d’un autre emploi équivalent, ne permet pas d’analyser la clause insérée au contrat de travail comme une clause de garantie d’emploi, dès lors que les parties l’ont entendue d’une indemnité complémentaire de l’indemnité contractuelle de licenciement et qu’il ne s’agit nullement d’une stipulation aux termes de laquelle l’employeur s’interdirait de licencier le salarié pendant une certaine période, sauf à lui verser des dommages et intérêts.
Dès lors, tant l’indemnité contractuelle de licenciement que l’indemnité complémentaire, qui en est le corollaire, ont la nature juridique d’une clause pénale susceptible de réduction par le juge.
3-2: Sur la demande en nullité de la clause:
Le conseil de prud’hommes a omis de statuer sur cette demande incidente dont il avait été saisi par la SEMMINN.
La société SEMMINN soutient que la clause est entachée de nullité dans la mesure où elle prive l’employeur de la liberté de rompre le contrat de travail de par son montant manifestement excessif, faisant ainsi obstacle à l’exercice d’une liberté d’ordre public.
Qu’il s’agisse des objectifs assignés à une société d’économie mixte chargée de la gestion d’un marché d’intérêt national ou encore du coût social prévisible à l’époque de la conclusion du contrat de travail de M. [K] par rapport à l’évolution contemporaine du droit de la sécurité sociale qui rend l’indemnisation assujettie à cotisations au-delà de 75.096 euros, la société SEMMINN ne caractérise pas par des éléments pertinents en quoi la clause litigieuse est de nature à annihiler son droit de rupture unilatérale du contrat de travail, alors qu’elle a précisément usé de celui-ci à deux reprises, d’abord sans autorisation administrative, le 9 mars 2012, puis dans un second temps et après autorisation, par l’effet du licenciement de M. [K] pour faute grave intervenu le 16 août 2013.
Il convient dans ces conditions de débouter la société SEMMINN de sa demande en nullité de la clause pénale.
3-3: Sur l’incidence du motif de la rupture:
Dès lors que le motif de la rupture est parfaitement indifférent à l’application de la clause, les parties ayant expressément prévu son application en cas de licenciement ‘pour quelle que raison que ce soit’, c’est vainement que la société SEMMINN vient soutenir que la clause doit être privée d’effet du fait du manquement du salarié à son obligation de loyauté, quand bien même la violation de cette obligation a été visée dans la décision d’autorisation administrative de licenciement et que le salarié a fait l’objet d’une condamnation au plan pénal pour le délit d’abus de biens sociaux.
De même, le fait que le licenciement pour faute grave n’ouvre pas droit au paiement d’une indemnité légale ou conventionnelle de licenciement, n’interdit pas aux parties, comme c’est le cas en l’espèce, dans le cadre du consensualisme propre à la matière contractuelle, de convenir du versement d’une indemnisation forfaitaire sans égard pour la cause de la rupture qui n’exclut en l’espèce ni la faute grave, ni même l’hypothèse de la faute lourde.
La prétention de la société SEMINN tendant à ce qu’il soit jugé que la clause pénale ‘ne peut produire effet’ est donc mal fondée.
3-4: Sur la demande de réduction de la clause pénale:
En vertu de l’article 1152 ancien devenu l’article 1231-5 du code civil, lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l’exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l’autre partie une somme plus forte ni moindre.
Néanmoins, le juge peut, même d’office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire.
Au cas d’espèce, eu égard:
– à la finalité de l’indemnité de licenciement qui consiste à réparer le préjudice causé au salarié du fait de la rupture en fonction de l’ancienneté acquise ;
– au montant cumulé de l’indemnité principale et de l’indemnité complémentaire prévues à l’article 6 du contrat, représentant un montant supérieur à 682.000 euros ;
– aux circonstances dans lesquelles la rupture du contrat de travail est intervenue, M. [K] ne contestant pas la faute grave qui a été retenue par l’employeur et l’intéressé ayant fait l’objet d’une condamnation pénale définitive pour des faits d’abus de biens sociaux commis au préjudice de la société qui l’employait en qualité de directeur ;
– à l’absence d’élément objectif de nature à justifier, qu’il s’agisse de la nature des fonctions exercées, de difficultés de réinsertion sur le marché de l’emploi ou de toute autre considération, que le préjudice subi par M. [K] corresponde au montant prévu par la clause litigieuse représentant 4 ans et 8 mois de salaire,
la pénalité convenue, qu’il s’agisse de l’indemnité contractuelle de licenciement ou de l’indemnité complémentaire, est manifestement excessive et doit être réduite à:
– 15.000 euros au titre de l’indemnité contractuelle de licenciement
– 11.000 euros au titre de l’indemnité complémentaire.
Dès lors et par voie d’infirmation du jugement entrepris, la société SEMMINN sera condamnée à payer les dites sommes à M. [K].
4- Sur les dépens et frais irrépétibles:
La société SEMMINN, partie perdante, sera condamnée aux dépens d’appel, par application des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile.
Elle sera donc déboutée de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.
Il n’est pas inéquitable de laisser M. [K] supporter la charge de ses frais irrépétibles et il convient donc de le débouter de sa demande fondée sur les mêmes dispositions.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Ordonne la jonction des instances n°20/3399 et 20/3446 sous le seul numéro 20/3399 ;
Infirme le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [K] de ses demandes liées aux indemnités contractuelles ;
Statuant à nouveau de ce chef et réparant l’omission de statuer du conseil de prud’hommes de Rennes,
Déboute la Société d’économie mixte pour la construction et la gestion du marché d’intérêt national de [Localité 5] de sa demande en nullité de la clause pénale;
Dit y avoir lieu à réduction de la clause pénale convenue à l’article 6 du contrat de travail conclu entre la Société d’économie mixte pour la construction et la gestion du marché d’intérêt national de [Localité 5] et M. [K] ;
Condamne la Société d’économie mixte pour la construction et la gestion du marché d’intérêt national de [Localité 5] à payer à M. [K] les sommes suivantes:
– 15.000 euros au titre de l’indemnité contractuelle de licenciement
– 11.000 euros au titre de l’indemnité complémentaire ;
Confirme pour le surplus le jugement entrepris ;
Y ajoutant,
Déboute la Société d’économie mixte pour la construction et la gestion du marché d’intérêt national de [Localité 5] et M. [K] de leurs demandes respectives fondées sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la Société d’économie mixte pour la construction et la gestion du marché d’intérêt national de [Localité 5] aux dépens d’appel.
La greffière Le président