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6 juillet 2023
Cour d’appel de Grenoble
RG n°
21/02043
N° RG 21/02043 – N° Portalis DBVM-V-B7F-K3NU
C1
Minute :
Copie exécutoire
délivrée le :
la SELARL CDMF AVOCATS
la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE COMMERCIALE
ARRÊT DU JEUDI 06 JUILLET 2023
Appel d’une décision (N° RG 20/00132)
rendue par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de GAP
en date du 12 avril 2021
suivant déclaration d’appel du 03 mai 2021
APPELANTS :
Mme [M] [P] [U] épouse [E]
née le 28 Juin 1965 à [Localité 6]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 1]
M. [K] [E]
né le 08 Juin 1965 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 1]
représentés par Me BANDOSZ de la SELARL CDMF AVOCATS, avocat au barreau de GRENOBLE
INTIMÉE :
S.C.I. DU CHEVAL BLANC au capital de 152,45 euros, inscrite au Registre du Commerce et des Sociétés de GAP, sous le numéro 342 595 055, agissant poursuites et diligences de son représentant légal en exercice, domicilié ès qualités audit siège
[Adresse 2]
[Localité 1]
représentée par Me Josette DAUPHIN de la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant et par Me Jean-Michel RAYNAUD, avoct au barreau de LYON
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Marie-Pierre FIGUET, Présidente de Chambre,
Mme Marie Pascale BLANCHARD, Conseillère,
M. Lionel BRUNO, Conseiller,
DÉBATS :
A l’audience publique du 12 janvier 2023, Mme Marie Pascale BLANCHARD, Conseillère qui a fait rapport assistée de Alice RICHET, Greffière, a entendu les avocats en leurs conclusions, les parties ne s’y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile. Il en a été rendu compte à la Cour dans son délibéré et l’arrêt a été rendu ce jour, après prorogation du délibéré.
EXPOSE DU LITIGE :
Mme [M] [U] épouse [E] et M. [K] [E] exploitent un fonds de commerce de café-bar au [Adresse 4].
Suivant acte sous seing privé du 27 octobre 2020, la SCI du Cheval Blanc leur a donné à bail commercial, à compter du 1er octobre 2020 et pour neuf années, un local accessoire situé dans un immeuble contigu situé [Adresse 3] et constitué de deux pièces à usage de réserves et de sanitaires.
Le bail a été renouvelé à compter du 1er octobre 2009 moyennant un loyer mensuel fixé judiciairement à 377, 45 euros ht/ hc que les parties sont convenues de porter à 1000 euros par mois à compter du 28 septembre 2014.
Par acte d’huissier du 30 mars 2018, M et Mme [E] ont sollicité le renouvellement du bail pour neuf ans à compter du 1er octobre 2018.
Par acte d’huissier du 27 juin 2018, la SCI Le Cheval Blanc leur a donné congé avec refus de renouvellement en offrant de payer une indemnité d’éviction.
Sur la requête des époux [E] et par ordonnance du 6 novembre suivant, le juge des référés du tribunal de grande instance de Gap a ordonné une mesure d’expertise judiciaire confiée à M. [C] [R].
L’expert a déposé son rapport le 13 septembre 2019 évaluant l’indemnité d’éviction globale à 209.000 euros en cas de perte de l’activité, à 68.000 euros avec maintien de l’activité, et l’indemnité d’occupation à 2300 euros ht/hc par an.
Le 16 janvier 2020, les époux [E] ont fait assigner la Sci du Cheval Blanc en fixation de l’indemnité d’éviction et par jugement du 12 avril 2021, le tribunal judiciaire de Gap a :
– fixé l’indemnité d’éviction due par la SCI du Cheval Blanc à la somme de 62.600 euros,
– rappelé que celle-ci sera exigible dans les formes et délais prévus par l’article L 145-30 du code de commerce,
– fixé le montant de l’indemnité d’occupation annuelle due par les époux [E] à compter du 18 octobre 2018 à la somme de 2.300 euros hors taxes et hors charges, payable mensuellement,
– condamné la SCI du Cheval Blanc aux entiers dépens de l’instance, comprenant ceux du référé-expertise,
– débouté les parties de toutes demandes plus amples ou contraires,
– écarté l’exécution provisoire de droit du jugement pour la totalité de ses dispositions.
Suivant déclaration au greffe du 3 mai 2021, M. et Mme [E] ont relevé appel de cette décision, en ce qu’elle a :
– fixé l’indemnité d’éviction due par la SCI du Cheval Blanc à la somme de 62.600 euros,
– fixé le montant de l’indemnité d’occupation annuelle due par les époux [E] à compter du 18 octobre 2018 à la somme de 2.300 euros hors taxes et hors charges, payable mensuellement,
– débouté M et Mme [E] de leur demande de condamnation de la SCI du Cheval Blanc au paiement de la somme de 270.211 euros, outre indemnités de licenciement pour mémoire, outre intérêts au taux légal à compter de la signification de l’assignation et jusqu’à parfait paiement,
– débouté M et Mme [E] de leur demande de condamnation de la SCI du Cheval Blanc au paiement de la somme de 338.499 euros, outre intérêts au taux légal à compter de la signification de l’assignation et jusqu’à parfait paiement,
– débouté M et Mme [E] de leur demande de condamnation de la SCI du Cheval Blanc au paiement de la somme de 5000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.
Prétentions et moyens des époux [E] :
Au terme de ses dernières écritures notifiées par voie électronique le 13 décembre 2021, les époux [E] demandent à la cour de :
– dire recevables et bien-fondés Mme [M] [U] épouse [E] et M. [K] [E] en leurs demandes ;
– rejeter toutes les demandes de la société SCI du Cheval Blanc puisqu’elles sont mal-fondées ;
– confirmer le jugement en ce qu’il a :
. fixé le montant de l’indemnité d’occupation annuelle due par les époux [E] à compter du 1er octobre 2018 à la somme de 2.300 euros hors taxes et hors charges, payables mensuellement ;
. condamné la société SCI du Cheval Blanc aux entiers dépens de l’instance, comprenant ceux du référé-expertise ;
– réformer le jugement pour le surplus ;
– statuant à nouveau,
à titre principal,
– prendre acte que conformément au bail commercial en date du 27 octobre 2000 les parties ont expressément convenu que le local commercial objet de l’éviction constitue l’accessoire nécessaire à l’exploitation du fonds de commerce de Mme [M] [U] épouse [E] et M. [K] [E] ;
– dire que l’éviction de ce local commercial entraînerait la perte de l’exploitation du fonds de commerce de Mme [M] [U] épouse [E] et M. [K] [E] ;
– condamner la société SCI du Cheval Blanc à payer à Mme [M] [U] épouse [E] et M.[K] [E] la somme de 270.211 euros, outre indemnités de licenciements pour mémoire, et outre intérêts au taux légal à compter de la signification de l’assignation et jusqu’à parfait paiement ;
– à titre subsidiaire,
– condamner la société SCI du Cheval Blanc à payer à Mme [M] [U] épouse [E] et M. [K] [E] la somme de 380.499 euros, outre intérêts au taux légal à compter de la signification de l’assignation et jusqu’à parfait paiement ;
– en tout état de cause,
– ordonner la capitalisation des intérêts conformément à l’article 1343-2 du code civil ;
– condamner la société SCI du Cheval Blanc à payer à Mme [M] [U] épouse [E] et M. [K] [E] la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner conformément à l’article 696 du code de procédure civile, la même aux entiers dépens de l’instance, dont distraction sera faite au profit de la SELARL CDMF-Avocat, Maître Jean-Luc Medina conformément à l’article 699 du code de procédure civile.
Les époux [E] soutiennent que le refus de renouvellement du bail entraîne la perte totale de leur fonds de commerce aux motifs que :
– le bail contient une clause par laquelle les parties sont convenues que les locaux étaient indispensables à l’exploitation de leur fonds,
– l’expert a relevé que la suppression de ces locaux accessoires entraînait l’absence de sanitaires essentiels à l’exploitation, la perte d’un tiers de la
surface de réserve, celle d’un accès livraison indépendant et l’impossibilité d’accéder à deux caves situés sous leur établissement,
– la création de toilettes dans la surface de vente exigüe de leur commerce compromet sa viabilité.
Il font valoir que le tribunal a dénaturé la clause du bail en considérant que les locaux n’étaient pas indispensables, alors que les termes clairs du contrat doivent recevoir application.
Ils contestent les calculs par lesquels l’expert est parvenu à ses évaluations, estimant qu’il s’est trompé dans le calcul de la capacité d’accueil de leur commerce en se basant sur un plan datant de 2002, faisant état de 70 places assises alors qu’il s’agissait d’un projet qui n’a pu se réaliser en raison du manque de place, que l’établissement est classé en 5ème catégorie, permettant l’accueil de 67 personnes dont 2 au titre du personnel et que les règles d’urbanisme, comme de sécurité, ne permettent de retenir qu’une capacité de 46 à 62 personnes.
Ils soutiennent que pour permettre la création de sanitaires, leur fonds de commerce va perdre 30 % de sa surface de vente, sans que leur droit de terrasse de 35 m² ne puisse être pris en compte dans l’appréciation de sa viabilité s’agissant d’une utilisation saisonnière soumise aux aléas climatiques et conditionnée à une autorisation municipale annuelle, ni que la proposition de locaux de stockage de substitution puisse produire de conséquence juridique sur leur droit à indemnité, à défaut d’obligation légale pesant sur la bailleresse.
Ils contestent d’une part les coefficients de valorisation du fonds retenus par l’expert, revendiquant un taux de 110 à 140 % ; d’autre part, l’assiette de calcul, se prévalant d’un chiffre d’affaires de 625 euros ttc par jour, ainsi que d’un EBE de 245.000 euros.
Ils font état de frais de licenciement à hauteur de 9211 euros.
Ils considèrent que le calcul par l’expert de la perte de clientèle est erroné puisque basé sur une capacité d’accueil surévaluée, qu’il en est de même pour l’évaluation des travaux et que les contraintes d’exploitation de l’établissement induites par l’éloignement de la réserve rendront nécessaire l’embauche d’un salarié supplémentaire.
Ils soutiennent que la baisse du chiffre d’affaires entraînera une perte de revenus pour Mme [E] qu’il convient de capitaliser jusqu’à l’âge légal de départ à la retraite.
Ils s’opposent à l’augmentation du montant de l’indemnité d’occupation sollicitée par la bailleresse en rappelant qu’il est d’usage de la minorer pour précarité et qu’un abattement est justifié pour défaut de mise aux normes d’accessibilité aux personnes à mobilité réduite, la dérogation obtenue à ce titre étant liée aux caractéristiques de leur propre local et n’étant pas nécessairement reconductible en cas de rattachement des locaux loués à une autre surface d’exploitation.
Prétentions et moyens de la SCI du Cheval Blanc :
Selon ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 21 septembre 2021, la SCI du Cheval Blanc entend voir :
– à titre principal,
– confirmer le jugement sauf en ce qu’il a fixé le montant de l’indemnité d’éviction due par la SCI du Cheval Blanc à la somme de 62.600 euros, fixé le montant de l’indemnité d’occupation annuelle due par les époux [E] à
compter du 1er octobre 2018 à la somme de 2.300 euros ht et hors charges, payable mensuellement et débouté les parties de toutes demandes plus amples ou contraires,
– y ajoutant,
– juger que le montant de l’indemnité globale d’éviction, tous postes de préjudices confondus, pouvant être due par la SCI du Cheval Blanc à Mme [M] [U] épouse [E] et à M. [K] [E] doit être fixée à la somme globale de 53.000 euros,
– juger que le montant de l’indemnité d’occupation due par M. [K] [E] et Mme [M] [U] épouse [E] à compter du 1er octobre 2018 et jusqu’au départ effectif de M. [K] [E] et Mme [M] [U] épouse [E] du local sis au [Adresse 3] est fixé à la somme annuelle de 2.625 euros hors taxes et hors charges, soit 218,75 euros ht/hc par mois,
– en tout état de cause,
– débouter Mme [M] [U] épouse [E] et M. [K] [E] de l’ensemble de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions à l’encontre de la SCI du Cheval Blanc,
– condamner Mme [M] [U] épouse [E] et M. [K] [E] au paiement à la SCI du Cheval Blanc de la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner Mme [M] [U] épouse [E] et M. [K] [E] au paiement des entiers dépens de la présente instance dont distraction au profit de Maître Dejean Mihajlovic, avocat au barreau de Grenoble.
La SCI du Cheval Blanc soutient que la reprise des locaux n’entraîne pas la perte du fonds de commerce, qu’elle peut être compensée par la réalisation de travaux d’aménagement des locaux appartenant aux preneurs et que si ces travaux amputeront de 10 à 15% la capacité d’accueil de l’établissement, la viabilité du fonds de commerce ne sera pas compromise.
Elle relève que le fonds de commerce exploité par les époux [E] n’est pas un restaurant, mais un débit de boissons et fait valoir que la capacité d’accueil maximale de 70 places résulte du plan communiqué par les preneurs eux-mêmes et ne peut être fixée à 53 places assises sans être en contradiction avec l’effectif de 67 personnes retenu par la sous-commission départementale de sécurité et la commission départementale d’accessibilité, que l’ensemble des surfaces susceptibles de générer des recettes doit être pris en compte et notamment les places debout au comptoir, comme la capacité d’accueil de la terrasse.
Elle ajoute que l’architecte qu’elle a mandaté considère qu’il est possible de conserver 52 places assises, ce qui permet le maintien de l’activité du bar, et qu’il a été contradictoirement décompté 58 places lors d’une réunion d’expertise.
Elle fait valoir que les locaux sont situés au c’ur du centre-ville piétonnier et commerçant de [Localité 1], dans un secteur de commercialité moyenne, que l’expert a retenu une valeur locative de 2625 euros ht, intégrant un abattement pour absence d’accessibilité PMR, que l’indemnité d’occupation doit correspondre à cette valeur locative, que l’abattement pour précarité n’est pas justifié alors que les preneurs continuent à disposer de la pleine jouissance des lieux.
Elle considère que le chiffre d’affaires servant au calcul de l’indemnité d’éviction en cas de perte du fonds doit être pris hors taxes conformément à la pratique expertale, et relève que les époux [E] n’ont pas fourni à l’expert
ni la répartition de leur chiffre d’affaires entre les espaces de vente, ni la marge brute réalisée.
Elle conteste la nécessité d’embauche d’un second salarié, alléguée par les époux [E], comme l’indemnisation de frais de déménagement et de réinstallation en l’absence de tout justificatif produit.
Elle fait valoir que le maintien de l’activité est possible, que les projets d’aménagement établis par les conseils techniques des parties permettent de maintenir un nombre de places assises supérieur à 52 places et de fixer la perte de surface à 10/15%, qu’il convient de tenir compte du droit de terrasse de 35m² pour apprécier la capacité de l’établissement à générer des recettes, ainsi que de la réalité de la fréquentation moyenne, que les travaux d’aménagement pourront être réalisés en période creuse ou de fermeture annuelle sans préjudice pour les exploitants.
Il convient en application de l’article 455 du code de procédure civile de se référer aux conclusions susvisées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 5 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DECISION :
1°) sur l’indemnité d’éviction :
L’article L.145-14 du code de commerce dispose qu’en cas de refus de renouvellement du bail commercial, le bailleur est tenu de payer au locataire évincé une indemnité d’éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement et que cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.
Il résulte de la description des locaux loués dans le bail et par l’expert qu’ils consistent dans deux pièces en rez de chaussée d’une surface utile de 31,15 m² accessibles d’une part depuis la salle du bar en contrebas de cinq marches, d’autre part directement depuis la rue pour les livraisons.
Selon leur destination inscrite au bail, les locaux sont affectés à un usage de réserve et de sanitaires, «comme consistant en des locaux accessoires indispensables au fonds de commerce appartenant à M et Mme [E] et exploité dans l’immeuble contigu».
Nonobstant leur caractère indispensable à l’exploitation du fonds de commerce contractuellement reconnu par les parties et destiné à assurer au preneur le bénéfice du statut, la question posée par l’éviction est celle de la disparition ou non du fonds de commerce.
L’indemnité devant assurer la réparation de tout le préjudice, mais uniquement du préjudice, c’est sans dénaturer la clause du bail que le premier juge a estimé que le caractère indispensable des locaux objets de l’éviction ne le liait pas dans son appréciation du préjudice.
Au cas particulier, le fonds de commerce n’est pas exploité à titre principal dans les locaux litigieux qui n’en sont, selon la définition qu’en ont elles-mêmes donnée les parties dans leur contrat, que l’accessoire.
Les preneurs ont eux-mêmes soumis à l’expert un projet d’architecte, réalisé en mars 2019, de création de sanitaires au sein des locaux principaux dont ils sont propriétaires ainsi que de restauration de l’accès aux caves de l’immeuble, assuré jusque là par les locaux loués à la SCI du Cheval Blanc.
Cette étude est corroborée par celle réalisée à la même période pour le compte de la bailleresse aux fins d’évaluer la faisabilité et le coût de ces travaux.
Par ailleurs, la SCI du Cheval Blanc propose deux locaux à usage de stockage situés dans un périmètre allant de 80 à 140 m du local principal, lequel dispose en outre de deux caves d’une surface totale de 37,25 m² pouvant être utilisées à usage de réserves, moyennant des aménagements.
Ces éléments démontrent que si le non renouvellement du bail impose au preneur d’aménager ses locaux principaux pour y réintégrer les fonctionnalités des locaux accessoires indispensables à l’exploitation du fonds de commerce, notamment les sanitaires, il n’emporte pas la perte totale du fonds, les aménagements étant réalisables, y compris dans une configuration incluant un sas séparant les sanitaires de la salle de bar, en conformité avec les prescriptions de l’article 67 du Règlement Sanitaire Départemental des Hautes Alpes.
Il résulte cependant des deux études que ces aménagements vont réduire la capacité d’accueil de l’établissement, générant une perte partielle de sa surface de vente et conséquemment des recettes d’exploitation.
Il résulte du projet de travaux élaboré par l’architecte des époux [E] et soumis à l’expert, que l’aménagement de sanitaires et d’un escalier permettant l’accès aux caves génère une perte de surface de vente de 10, 57 % à 14, 39 %, représentant 14 à 16 places assises en intérieur.
Si le projet conçu par l’architecte consulté par la bailleresse permet de limiter cette perte à 12,24%, il ne prévoit l’accès aux caves depuis la salle de bar qu’au moyen d’une trappe ce qui ne permet pas de maintenir des conditions d’exploitation correctes.
La capacité administrative d’accueil de l’établissement telle qu’elle résulte de la décision de la commission de sécurité du 20 novembre 2002 est de 67 personnes dont 65 clients.
Ainsi qu’il l’a lui même relevé dans sa réponse au dire des époux [E], l’expert [R] a indiqué avoir contradictoirement dénombré 58 places assises en intérieur, lors de sa réunion d’expertise du 9 janvier 2019.
Le plan d’étude de mars 2019 intitulé «état actuel et aménagement», reproduit en pages 18 et 31 de son rapport, matérialise bien, en tenant compte des 18 places de banquette auxquelles s’ajoutent 52 chaises et tabourets, 70 places assises.
S’agissant d’un établissement de café-bar, il doit être pris en compte l’usage de consommation debout au comptoir, ainsi que l’existence d’un droit de terrasse de 35 m² qui, s’il est annuel, précaire et révocable, a été systématiquement renouvelé depuis 2018 et dont l’expert a constaté l’exploitation tout au long de l’année, hiver compris.
Si le 13 juin 2019, Me [Z], commissaire de justice, a constaté l’existence de 53 places assises, ce constat ponctuel, réalisé à la requête des époux [E] ne peut à lui seul refléter la capacité d’accueil objective et habituelle de leur établissement.
Les analyses par l’expert comptable des époux [E], des conséquences économiques de la réduction de la surface de vente reposent sur un nombre de places assises erroné, puisque considérant un nombre de 52 places réduites à 37, et sont ainsi dénuées de pertinence.
C’est donc avec raison que l’expert a pu retenir une capacité d’accueil intérieur de 70 places, décompter une perte de surface de vente de l’ordre de 10 à 15 % et considérer que compte tenu du maintien d’un nombre de places assises en intérieur supérieur à 52 et de l’exploitation d’une terrasse d’une capacité de 24 à 44 places assises, la viabilité du fonds de commerce n’était pas mise en péril, la cour observant que la clientèle est essentiellement constituée d’habitués habitant ou travaillant dans le quartier.
En conséquence, le préjudice des preneurs ne peut conduire à indemniser la perte de leur fonds dont l’exploitation peut être poursuivie, mais correspond d’une part à l’ensemble des coûts induits par les travaux et frais nécessaires à la réintégration dans le local principal des sanitaires et des réserves, d’autre part, aux pertes financières résultant de la réduction de la capacité d’accueil de l’établissement.
En l’absence de perte du fonds, il n’y a pas lieu de prévoir des frais de licenciement de la salariée.
le coût des travaux :
Chacun des architectes consultés par les parties ayant établi un estimatif des travaux, l’expert [R] les a estimé à 25.000 euros ht sur la base du chiffrage mieux disant proposé par les époux [E].
Ces derniers se prévalent d’une note de leur architecte en date du 30 juin 2021 dont les nouvelles évaluations à hauteur de 62.923,12 et 71.033,12 euros ttc, résultent d’un estimatif plus précis basé sur des devis.
La cour relèvera que le propre conseil technique de la Sci du Cheval Blanc avait établi un descriptif quantitatif détaillé des travaux pour un total de 42.477,38 euros ttc, hors frais de maîtrise d’oeuvre, après consultation d’entreprises.
L’estimation proposée par l’expert [R] qui n’est pas architecte, sur la base d’un estimatif réalisé sans aucun devis préalable ne pourra être retenue comme ne correspondant manifestement pas à la réalité de l’étendue du préjudice dont l’indemnisation sera fixée à concurrence de 47.000 euros en incluant 10 % de l’enveloppe des travaux au titre des frais de maîtrise d’oeuvre.
sur le trouble commercial :
L’exécution des travaux va nécessiter la fermeture temporaire de l’établissement qui ne peut, de surcroît, être exploité en l’absence de sanitaires.
Ainsi, contrairement à ce que soutient la bailleresse, les époux [E] n’auront pas le choix de la période de réalisation des aménagements de leur local qui ne pourra qu’être concomitante à la restitution des locaux objets de l’éviction, elle-même commandée par le paiement de l’indemnité par la bailleresse.
C’est à juste titre que l’expert a considéré qu’outre la perte de revenus durant cette fermeture évaluée à 15 jours, il devait être tenu compte du trouble apporté aux conditions d’exploitation, la fermeture pouvant conduire la clientèle à modifier ses habitudes de fréquentation, à se déporter temporairement sur un autre établissement et les travaux générant également des contraintes dans la gestion de l’établissement.
En conséquence de leur éviction, les preneurs supporteront bien un trouble dans l’exploitation de leur fonds de commerce qui doit être indemnisé.
L’expert a évalué ce préjudice à trois mois d’excédent brut d’exploitation moyen, soit la somme de 10.000 euros.
Le jugement qui a retenu la somme de 5000 euros en n’envisageant que la seule perte de revenus sera infirmé et la cour fera sienne l’estimation de l’expert.
sur les frais de déménagement et de réinstallation:
Si le déménagement du mobilier ou des stocks entreposés dans les locaux repris peut donner lieu à indemnisation, les preneurs ne justifient d’aucun devis de déménagement et leur demande à ce titre ne peut prospérer.
Il en est de même des frais d’assainissement et d’équipement des caves dont ils n’ont pas fait réaliser le chiffrage ainsi que les y invitait l’expert au point 10.3.5 de son rapport.
Le jugement qui a retenu ces postes de préjudice sera réformé.
sur les conséquences financières :
La réduction de la capacité d’accueil est de nature à entraîner celle des recettes générées par le fonds.
L’expert a basé ses calculs sur les bénéfices réalisés par le fonds de commerce rapportés au nombre de places perdues et valorisé par l’application d’un multiplicateur.
La valorisation ainsi calculée à la somme de 28.000 euros ne souffre d’aucune contestation sérieuse et c’est avec raison que le premier juge l’a retenue.
Sa décision devra être confirmée.
Ainsi que l’a parfaitement relevé le tribunal, l’indemnisation de la perte de recettes consécutive à la réduction de la surface de vente du fonds de commerce reconstitue l’assiette des revenus de l’exploitante et fait donc obstacle à ce que Mme [U] puisse obtenir une indemnisation d’une perte future de revenus, sauf à indemniser deux fois le même préjudice.
En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu’il a fixé à la somme de 62.600 euros l’indemnité d’éviction due par la Sci du Cheval Blanc que la cour fixera à 85.000 euros.
2°) sur l’indemnité d’occupation :
L’expert [R] a déterminé cette indemnité conformément aux dispositions de l’article L.145-33 du code de commerce et en appliquant un abattement de précarité de 10%.
Si les preneurs continuent à bénéficier de la jouissance des locaux repris jusqu’au paiement de l’indemnité d’éviction, la valeur locative de ces derniers se trouve amoindrie par le caractère précaire de leur jouissance résultant du refus de renouvellement, à l’égard d’un preneur qui pouvait compter sur la stabilité conférée par le statut.
Cet abattement est usuellement fixé à 10 % et il n’y a pas lieu en l’espèce, ni de le supprimer, ni de le réduire.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a fixé l’indemnité d’occupation à la somme annuelle de 2300 euros hors taxes et hors charges à compter du 1er octobre 2018.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,
INFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Gap en date du 12 avril 2021 en ce qu’il a fixé l’indemnité d’éviction due par la SCI du Cheval Blanc à la somme de 62.600 euros,
statuant à nouveau,
FIXE l’indemnité d’éviction due par la SCI du Cheval Blanc à Mme [M] [U] épouse [E] et M. [K] [E] à la somme de 85.000 euros,
CONFIRME le jugement pour le surplus de ses dispositions soumises à la cour,
y ajoutant,
CONDAMNE la SCI du Cheval Blanc à verser à M et Mme [E] la somme complémentaire en cause d’appel de 3000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la SCI du Cheval Blanc aux dépens de l’instance d’appel.
SIGNÉ par Mme Marie-Pierre FIGUET, Présidente et par Mme Alice RICHET, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente