5 janvier 2023
Cour d’appel de Pau
RG n°
20/01827
PhD/ND
Numéro 23/25
COUR D’APPEL DE PAU
2ème CH – Section 1
ARRET DU 05/01/2023
Dossier : N° RG 20/01827 – N° Portalis DBVV-V-B7E-HTSE
Nature affaire :
Demande en paiement des loyers et charges et/ou tendant à la résiliation du bail et/ou à l’expulsion
Affaire :
S.A. OPEN SUD GESTION
C/
[W] [D]
Grosse délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R E T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 05 Janvier 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l’audience publique tenue le 07 Novembre 2022, devant :
Monsieur Philippe DARRACQ, Conseiller faisant fonction de Président
Monsieur Marc MAGNON, Conseiller
Madame Joëlle GUIROY, Conseillère
assistés de Madame SAYOUS, Greffier, présent à l’appel des causes.
Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.
dans l’affaire opposant :
APPELANTE :
S.A. OPEN SUD GESTION
immatriculée au RCS de Chambéry sous le n° 395 090 87
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Sophie CREPIN de la SELARL LEXAVOUE PAU-TOULOUSE, avocat au barreau de PAU
Assistée de Me Philippe-Francis BERNARD, avocat au barreau de PARIS
INTIME :
Monsieur [W] [D]
né le 19 Août 1942 à BUSSUM (Pays-Bas)
de nationalité Néerlandaise
[Adresse 5]
[Localité 4] PAYS-BAS
Représenté par Me Pierre-Olivier DILHAC de la SELARL ASTREA, avocat au barreau de DAX
Assisté de Me Laurence BORNENS, avocat au barreau d’ANNECY
sur appel de la décision
en date du 29 JUILLET 2020
rendue par le TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE DAX
FAITS – PROCEDURE – PRETENTIONS et MOYENS DES PARTIES
La société anonyme Open sud gestion exploite un fonds de commerce d’hébergements en résidence de tourisme, comprenant des villas et des appartements meublés, dépendant de plusieurs ensembles immobiliers sis à [Adresse 3] (40), pris à bail commercial dans le cadre d’un investissement défiscalisé réalisé les propriétaires.
Par acte sous seing privé du 2 avril 2000, M. [W] [D] a ainsi donné à bail commercial à la société Open sud gestion un lot n°954, dépendant de l’ensemble immobilier Club royal océan, constitué d’une villa de 6 pièces avec terrain de 2057 m², terrasse et piscine.
Par acte sous seing privé du 26 juillet 2010, les parties ont régularisé un nouveau bail, portant sur les mêmes locaux, expirant le 1er avril 2018, moyennant un loyer annuel de 12.979,95 euros TTC la première année, puis de 13.500 euros TTC.
Par un avenant du même jour, les parties sont convenues, notamment, de fixer le montant de l’indemnité d’éviction due au locataire en cas de congé donné par le bailleur.
Par acte d’huissier du 29 septembre 2017, M. [D] a donné congé pour le 1er avril 2018.
Par courrier du 26 avril 2018, la société Open sud gestion a subordonné la libération des lieux au versement d’une indemnité d’éviction.
Par acte d’huissier du 6 février 2019, M. [D] a donné un nouveau congé au 30 septembre 2019, sans indemnité d’éviction, à titre conservatoire, en raison de la contestation en justice de la validité du premier congé.
Suivant exploit du 18 juin 2018, M. [D] a fait assigner la société Open sud gestion par devant le tribunal de grande instance de Dax en expulsion des lieux loués.
La société Open sud gestion a contesté la validité des congés et, subsidiairement, a demandé le paiement d’une indemnité d’éviction de 125.300 euros.
Par jugement contradictoire du 29 juillet 2020, le tribunal judiciaire de Dax a :
– validé le congé délivré le 29 septembre 2017
– ordonné l’expulsion de la société Open sud gestion ainsi que de celle de tout autre occupant de son chef et la restitution des clés à M. [D] sans délai, à compter de la signification du présent jugement et, si nécessaire, avec l’assistance de la force publique, des lieux loués, sous astreinte de 300 euros par jour de retard à l’expiration d’une semaine à compter de la signification du présent jugement durant une période de 30 jours
– dit que la société Open sud gestion occupe sans droit ni titre les lieux depuis le 1er avril 2018
– condamne la société Open sud gestion à verser à M. [D] une indemnité d’occupation mensuelle de 800 euros au titre de l’indemnité d’occupation due à compter du 1er avril 2018 et jusqu’à la délivrance effective des lieux et la remise des clés
– condamné M. [D] à payer à la société Open sud gestion la somme de 35.736,83 euros au titre de l’indemnité d’éviction
– débouté M. [D] de sa demande de paiement des intérêts au taux des créances des particuliers sur la somme de 550.000 euros
– débouté M. [D] de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive
– condamné la société Open sud gestion à verser à M. [D] la somme de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
– condamné la société Open sud gestion aux dépens, avec faculté de distraction au profit de Me Dilhac
– ordonné l’exécution provisoire du jugement.
Par déclaration faite au greffe de la cour le 11 août 2020, la société Open sud gestion a relevé appel de ce jugement.
Par ordonnance du 23 septembre 2020, le premier président a rejeté la demande d’arrêt de l’exécution provisoire du jugement.
M. [D] a réglé les causes du jugement assorti de l’exécution provisoire.
Le 8 décembre 2020, la société Open sud gestion a restitué les lieux loués.
Le 8 juin 2021, M. [D] a vendu les locaux.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 12 octobre 2022.
***
Vu les dernières conclusions notifiées le 10 octobre 2022 par la société Open sud gestion qui a demandé à la cour, au visa des articles L145-1, L145-9, L145-14, L145-28, L145-29 du code de commerce, 1134 et 1156 anciens du code civil, de :
– confirmer le jugement entrepris sur le droit au paiement d’une indemnité d’éviction à son profit
– déclarer non-écrites toutes les stipulations de l’avenant au bail signé le 26 juillet 2010 exonérant M. [D] de toute indemnité d’éviction à l’issue de la 9ème année, cette convention faisant échec aux dispositions d’ordre public sur le droit au renouvellement du preneur
– débouter M. [D] de son appel incident sur le principe de l’indemnité d’éviction
– infirmer le jugement pour le surplus, et statuant à nouveau :
– débouter M. [D] de ses demandes et de son appel incident sur l’indemnité d’éviction
– condamner M. [D] au paiement de la somme de 130.000 euros de ce chef
– si la cour ne s’estimait pas suffisamment informée sur le montant de l’indemnité d’éviction, ordonner une expertise, aux frais avancés du bailleur, aux fins de chiffrer l’indemnité d’éviction
– y ajoutant, condamner M. [D] à indemniser le préjudice qu’elle a subi du fait de la dépossession des lieux de la date de l’exécution du jugement entrepris, soit le 8 décembre 2020 à celle de la perception effective et intégrale de l’indemnité d’éviction qui lui est due
– condamner M. [D] à payer à ce titre une somme de 40.864 euros au titre du préjudice subi entre le 1er janvier 2020 et le 31 décembre 2022, du fait de la privation de jouissance et la dépossession des lieux et des pertes d’exploitation qui en découlent
– condamner M. [D] à payer, à compter du 1er janvier 2023 et jusqu’au paiement de l’indemnité d’éviction, une somme de 1.700 euros par mois en réparation du préjudice du fait de la privation de jouissance et la dépossession des lieux et des pertes d’exploitation qui en découlent
– en cas d’expertise sur les pertes d’exploitation, ordonnée par la cour, condamner alors M. [D] à lui payer une provision de 35.000 euros à titre de dommages et intérêts en application de l’article L145-28 du code de commerce et surseoir à statuer sur le surplus
– en cas de recours à l’expertise, surseoir à statuer sur la liquidation définitive du préjudice de la société Open sud gestion et de l’indemnité d’éviction dans l’attente du dépôt du rapport d’expertise.
*
Vu les dernières conclusions notifiées le 11 février 2021 par M. [D] qui a demandé à la cour, au visa des articles L145-9, L145-15 et L145-28 du code de commerce, de :
A titre principal :
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a validé le congé du 29 septembre 2017 et prononcé la résiliation du bail au 1er avril 2018.
– infirmer le jugement sur le principe de l’indemnité d’éviction et le montant de l’indemnité d’occupation et statuant à nouveau de ces chefs :
– condamner la société Open sud gestion au paiement d’une indemnité d’occupation mensuelle au titre du maintien dans les lieux de 1.250 euros par mois et ce à compter du 1er avril 2018 jusqu’au 8 décembre 2020.
A titre subsidiaire :
sur le congé signifié le 29 septembre 2017, la cour jugera que le second congé a régulièrement mis un terme au bail en cours et empêché son renouvellement à compter du 30 septembre 2019
– infirmer le jugement sur le montant de l’indemnité d’occupation et, statuant à nouveau de ce chef, condamner la société Open sud gestion au paiement d’une indemnité d’occupation mensuelle au titre du maintien dans les lieux de 1.250 euros par mois et ce à compter du 1er avril 2018 jusqu’au 8 décembre 2020
– rejeter la demande d’expertise
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a fixé le montant de l’indemnité d’éviction à 35.736,83 euros.
En toutes hypothèses :
– condamner la société Open sud gestion au paiement des intérêts au taux d’intérêt légal sur la somme de 555.000 euros à compter du 23 septembre 2018
– condamner la société Open sud gestion à verser la somme de 15.000 euros à M. [D]
– condamner la société Open sud gestion à payer la somme de 6.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS
sur la déchéance du droit au paiement d’une indemnité d’éviction
La disposition du jugement ayant validé le congé délivré le 29 septembre 2017 par M. [D] n’est pas remise en cause par l’appelante, tandis que, à hauteur d’appel, M. [D] n’a pas repris son moyen, rejeté par le jugement, tiré de la dénégation du statut des baux commerciaux pour défaut d’immatriculation du locataire au registre du commerce et des sociétés.
La société Open sud gestion fait justement valoir que c’est à tort que le jugement, après avoir reconnu son droit à indemnité d’éviction, a ordonné son expulsion en violation de son droit statutaire au maintien dans les lieux jusqu’au paiement de l’indemnité d’éviction conformément aux dispositions de l’article L. 145-28 du code de commerce.
A hauteur d’appel, M. [D] a conclu à l’infirmation du jugement « en ce qu’il l’a condamné à verser une indemnité d’éviction » en déniant à la société Open sud gestion le droit au paiement d’une indemnité d’éviction aux motifs pris, d’une part, du non-paiement fautif de l’indemnité d’occupation due à compter du 1er avril, et, d’autre part, de la renonciation conventionnelle au droit de percevoir une indemnité d’éviction, telle que stipulée dans l’avenant au bail renouvelé du 26 juillet 2010.
Mais, en droit, il résulte des dispositions de l’article 954 alinéas 1 et 2 du code de procédure civile que les conclusions d’appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée. […]. La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.
Il s’ensuit que les conclusions d’appel principal, ou d’appel incident, doivent comporter, en vue de l’infirmation ou de l’annulation du jugement frappé d’appel, des prétentions sur le litige sans lesquelles la cour ne peut que confirmer le jugement frappé d’appel.
En l’espèce, M. [D] s’est borné, dans le dispositif de ses conclusions d’appel incident, de conclure à l’infirmation du jugement en ce qu’il l’a condamné au paiement d’une indemnité d’éviction mais sans former une quelconque prétention sur le fond du litige, notamment en ne sollicitant pas le débouté de la société Open sud gestion en sa demande d’indemnité d’éviction, sinon même en ne demandant pas la déchéance du droit au paiement de l’indemnité d’éviction réclamée par la société Open sud gestion.
Pour sa part, la société Open sud gestion a demandé la confirmation du jugement sur le principe du droit au paiement d’une indemnité d’évaluation.
Par conséquent, M. [D] n’ayant pas saisi la cour d’une prétention en défense à cette demande, la cour ne peut que confirmer le jugement entrepris sur la reconnaissance du droit au paiement d’une indemnité d’éviction au profit de la société Open sud gestion, ce qui rend sans objet la demande complémentaire faite par l’appelante tendant à voir déclarer réputée non-écrite la clause de renonciation au droit à indemnité d’éviction stipulée dans l’avenant du 26 juillet 2010.
Et, par voie de conséquence, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a déclaré la société Open sud gestion occupant sans droit ni titre à compter du 1er avril 2018 et ordonné son expulsion des lieux loués.
sur l’indemnité d’occupation
Sur son appel incident, M. [D] fait grief au jugement entrepris d’avoir limité à la somme mensuelle de 800 euros alors que la société Open sud gestion n’a subi aucune précarité, exploitant librement les lieux jusqu’à la restitution des clés le 8 décembre 2020. M. [D] en déduit qu’il y a lieu de fixer l’indemnité d’occupation au montant du loyer du bail expiré, soit 1/12ème x 15.000 euros = 1.250 euros à compter du 1er avril 2018.
La société Open sud gestion a conclu à la confirmation du jugement de ce chef tenant compte de la précarité liée à l’incertitude que fait peser le congé avec refus de renouvellement sur les droits du locataire.
En droit, l’article L. 145-28 du code de commerce dispose qu’aucun locataire pouvant prétendre à une indemnité d’éviction ne peut être obligé de quitter les lieux avant de l’avoir reçue. Jusqu’au paiement de cette indemnité, il a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat de bail expiré. Toutefois, l’indemnité d’occupation est déterminée conformément aux dispositions des sections 6 et 7, compte tenu de tous éléments d’appréciation.
En application de ce texte, et en l’absence de convention contraire, l’indemnité d’occupation doit correspondre à la valeur locative des locaux loués.
Cependant, elle est réputée fixée à la valeur du dernier loyer payé en l’absence de fixation, conventionnelle ou judiciaire, en application de l’article L. 145-28 et, le droit au maintien dans les lieux s’exerçant aux clauses et conditions du bail expiré, le locataire reste tenu de régler l’indemnité d’occupation, qui se substitue de plein droit au loyer, sans que le bailleur soit tenu d’en faire la demande.
En l’espèce, le débat est limité à la question d’un abattement de précarité sur le loyer du bail expiré à compter du 1er avril 2018.
En l’espèce, le congé délivré par M. [D] n’a eu aucune incidence sur l’exploitation du fonds de commerce, la société Open sud gestion ayant poursuivi la commercialisation des séjours de la villa louée, sans aucune altération de ses moyens de production ni charges indues, jusqu’à son départ des lieux en décembre 2020.
Par conséquent, infirmant le jugement de ce chef, il conviendra de condamner la société Open sud gestion à payer à M. [D] une indemnité d’occupation mensuelle de 1.250 euros à compter du 1er avril 2018 et jusqu’au 8 décembre 2020, date de la restitution des locaux loués.
sur l’indemnité d’éviction
L’article L. 145-14 du code de commerce dispose que le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d’éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement. Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait preuve que le préjudice est moindre.
En l’espèce, la société Open sud gestion fait grief au jugement d’avoir évalué l’indemnité d’occupation sur la base d’un coefficient de 1 appliqué au chiffre d’affaires réalisé par l’exploitation de la villa louée alors que, selon la méthode hôtelière, retenue par le tribunal, le coefficient se situe dans une fourchette de 2,5 à 5 fois le chiffre d’affaires annuel, en fonction de la zone de chalandise et de la qualité de l’emplacement pour le commerce considéré, et des usages professionnels.
L’appelante précise que la méthode hôtelière est idoine en l’espèce dès lors que la revente du fonds d’hébergements dépend effectivement et principalement de sa capacité à générer du chiffre d’affaires même si l’exploitation actuelle dégage des pertes.
Sur la base d’un chiffre d’affaires moyen de 3.916.000 euros TTC, généré par l’ensemble de son activité à Moliets, et d’un coefficient de 3, l’indemnité d’éviction pour perte du fonds est égale à 11.748.000 euros.
A cette indemnité principale, l’appelante ajoute les indemnités accessoires suivantes calculées en pourcentage de l’indemnité principale :
– frais de déménagement 1 % : 117.740 euros
– préjudice commercial 5 % : 587.400 euros
– indemnité de remploi 10 % : 1.174.800 euros
Soit un total de 13.627.940 euros.
Et, le lot de M. [D] représentant 1 unité sur les 126 lots qui composent la partie hébergement du fonds de commerce et encore 12 lits sur les 1.074 exploités, l’appelante propose deux méthodes d’évaluation de l’indemnité d’éviction :
-13.627.940/126 x 1 = 108.158 euros
-13.627.940/1074 x 12 = 152.256 euros
soit une indemnité d’éviction de 130.000 euros arrondis.
Cela posé, pour la fixation de l’indemnité d’éviction, la détermination de la valeur marchande du fonds de commerce s’effectue selon les usages et modalités retenus dans la profession ou le secteur d’activité commerciale concernés.
Lorsque le fonds n’est pas transférable, l’indemnité principale correspond à la valeur du fonds et est dite de remplacement. Dans ce cas, la consistance du fonds indemnisable est appréciée à la date d’effet du congé tandis que la valeur de l’indemnité d’éviction doit être appréciée, lorsque le locataire est encore dans les lieux, à la date la plus proche possible de l’éviction, c’est-à-dire à la date où le juge statue, et, sinon, à la date du départ du locataire.
Ensuite, il ressort de la propre documentation versée aux débats par l’appelante que le coefficient en méthode hôtelière peut être inférieur à 1, notamment en province, tandis que le chiffre d’affaires théorique peut également faire l’objet d’un retraitement, tenant compte des spécificités de l’exploitation, avant application du coefficient multiplicateur.
En l’espèce, si l’exploitation du fonds d’hébergement de Moliets avec des prestations de services para-hôtelières présente des analogies avec l’activité hôtelière pour laquelle les usages de la profession en matière d’évaluation du fonds de commerce font application d’un coefficient sur le chiffre d’affaires, la détermination de ces paramètres doit tenir compte des spécificités du mode d’exploitation en résidence de tourisme et du potentiel économique du fonds.
En effet, en l’espèce, à la date d’effet du congé, l’activité de la société Open sud gestion s’exerce sur 126 unités composant un portefeuille de baux commerciaux hétérogènes, concédés au fur et à mesure des acquisitions des lots, ne présentant aucune indivisibilité juridique entre eux, facteurs de potentiels risques de litiges démultipliés par le nombre de bailleurs et la teneur de chaque bail, conférant au fonds de commerce une précarité propre à ce type d’exploitation que ne connaît pas un fonds de commerce d’hôtel à bail unique.
Au demeurant, la société Open sud gestion n’a produit aucune transaction concernant la cession d’un fonds de commerce d’hébergement en résidence de tourisme.
Par ailleurs, les bilans et comptes de résultats clos au 31 octobre, versés aux débats montrent une relative stabilité du chiffre d’affaires, mais sur une trajectoire baissière entre 2013 et 2018, puis entre 2018 et 2021 (pièces 11 à 16 et pièces 48).
L’excédent brut d’exploitation (EBE) est structurellement négatif :
– 2017 : – 98.761,97 euros
– 2018 : – 177.372,59 euros
– 2019 : – 261.076,99 euros
– 2020 : – 180.244,67 euros (pandémie)
Le résultat d’exploitation est également structurellement déficitaire :
– 2017 : – 41.894,57 euros
– 2018 : – 35.717,32 euros
– 2019 : – 297.286,79 euros
– 2020 : – 176.981,85 euros (pandémie)
Le compte de résultat clos pour l’année 2021 fait état d’un EBE de + 599.763,55 euros et d’un résultat de + 677.344,96 euros mais qui tient compte précisément du versement des aides liées à la pandémie.
S’il est exact que l’appréciation du potentiel d’exploitation est prépondérante par rapport à la perte comptable, l’exploitation du fonds de commerce d’hébergement de Moliets, grevé de charges d’exploitation importantes, ne se caractérise pas par un potentiel économique attractif pour un repreneur.
A cela s’ajoute, la saisonnalité de l’exploitation du fonds de commerce, un emplacement de qualité mais sans être exceptionnel sur une petite commune du littoral atlantique largement dominé par la côte basque et la pointe sud des Landes, ainsi que la segmentation de la clientèle, comme en témoigne le catalogue des tarifs versés aux débats.
La cour considère, sous le bénéfice des considérations qui précèdent, qu’elle est en mesure de fixer l’indemnité d’éviction sans ordonner une mesure d’expertise judiciaire.
Compte tenu de la qualité de l’emplacement et des caractéristiques des locaux loués avec terrain et piscine privative, mais aussi des aléas juridiques et économiques d’un mode d’exploitation tributaire d’un portefeuille de baux commerciaux hétérogènes conjugué à un potentiel économique peu attractif pour un repreneur, il y a lieu d’évaluer l’indemnité principale sur la base du chiffre d’affaires moyen rapporté au nombre d’unités exploitées, sans retraitement mais affublé d’un coefficient multiplicateur de 1.
En l’espèce, il y a lieu de fixer l’indemnité d’éviction principale sur la base d’un chiffre d’affaires moyen de 3.916.000 euros TTC, tel que chiffré par l’appelante, rapporté à 126 unités exploitées, soit une indemnité de 31.079,36 euros.
M.[D] a accepté la fixation de l’indemnité à la somme supérieure de 35.736,83 euros.
S’agissant des indemnités accessoires, la société Open sud gestion n’a pas engagé de frais de déménagement.
La société Open sud gestion ne peut prétendre à l’indemnisation d’un trouble commercial, non démontré, et justement contesté par le bailleur dès lors que le congé n’a eu aucune incidence sur l’organisation opérationnelle du locataire qui s’est borné à se défendre en justice.
Enfin, la société Open sud gestion ne peut prétendre à une indemnité de remploi dès lors qu’il n’existe pas de locaux de même nature à louer dans les ensembles résidentiels exploités à Moliets, étant observé que le fonds de commerce d’hébergement avec prestations para-hôtelières de Moliets ne peut être exploité sur des locaux, au demeurant pas plus disponibles, qui seraient situés à l’extérieur de cette unité d’exploitation économique, et, alors que le locataire ne justifie d’aucun frais lors de la signature du bail.
En définitive, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné M. [D] à payer à la société Open sud gestion la somme de 35.736,83 euros à titre d’indemnité d’éviction couvrant l’intégralité du préjudice du locataire évincé.
sur le préjudice de dépossession des lieux loués
La société Open sud gestion sollicite l’indemnisation du préjudice subi du fait de la dépossession des lieux de la date de l’exécution du jugement entrepris, soit le 8 décembre 2020, à celle de la perception effective et intégrale de l’indemnité d’éviction qui lui est due.
Mais, s’il est exact que M. [D] a poursuivi l’exécution du jugement assorti de l’exécution provisoire à ses risques et périls en obtenant la restitution des locaux, non pas en exécution de la décision d’expulsion mais après paiement de l’indemnité d’éviction mise à sa charge, déduction faite des frais de justice, sans attendre sa fixation définitive, la confirmation du jugement au titre de l’indemnité d’éviction rend sans objet cette demande indemnitaire puisqu’il en résulte que la société Open sud gestion n’a pas fait l’objet d’une éviction prématurée en violation de l’article L. 145-28 du code de commerce, peu important même l’éventuelle remise en cause du paiement partiel par voie de compensation.
La société Open sud gestion sera déboutée de cette demande.
sur le préjudice pour retard de libération du local
M. [D] fait grief à sa locataire de n’avoir pas restitué les lieux dès la date d’effet du congé alors qu’elle avait renoncé à son droit à indemnité d’éviction, rendant indisponible son bien pour lequel il avait reçu une offre d’achat de 555.000 euros en date du 23 septembre 2018. M. [D] réclame en conséquence le paiement des intérêts au taux légal des créances des particuliers sur la somme de 555.000 euros à compter du 23 septembre 2018.
Mais, cette demande ne peut prospérer dès lors que le droit à indemnité d’éviction a été reconnu au profit de la société Open sud gestion et que, au surplus, M. [D] a vendu son bien le 8 juin 2021 au prix de 610.000 euros, de sorte que l’écoulement du temps lui a été profitable.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu’il a débouté M. [D] de ce chef de demande.
sur la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive
Aucune faute dans l’exécution de ses obligations n’étant établie à l’égard de la société Open sud gestion, le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté M. [D] de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive.
sur les dispositions accessoires
Le jugement sera infirmé sur les dépens et les frais irrépétibles.
Il sera fait masse des dépens de première instance qui seront partagés par moitié entre les parties, lesquelles seront déboutées de leur demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile en première instance.
Succombant pour l’essentiel en son appel, la société Open sud gestion sera condamnée aux dépens d’appel et à payer une indemnité de 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d’appel.
PAR CES MOTIFS
la cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
DEBOUTE la société Open sud gestion de sa demande d’expertise judiciaire sur la détermination de l’indemnité d’éviction,
INFIRME le jugement entrepris en ce qu’il a :
– déclaré la société Open sud gestion occupante sans droit ni titre depuis le 1er octobre 2018 et ordonné l’expulsion de la société Open sud gestion
– condamné la société Open sud gestion au paiement d’une indemnité d’occupation mensuelle de 800 euros à compter du 1er avril 2018
– condamné la société Open sud gestion aux dépens et au paiement d’une indemnité de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
et statuant à nouveau de ces chefs,
DEBOUTE M. [D] de sa demande d’expulsion de la société Open sud gestion,
CONDAMNE la société Open sud gestion à payer à M. [D] une indemnité d’occupation mensuelle de 1.250 euros à compter du 1er avril 2018 jusqu’au 8 décembre 2020,
FAIT masse des dépens de première instance et dit qu’ils seront partagés par moitié entre les parties, sans distraction au profit de Me Dilhac,
DEBOUTE les parties de leurs demandes formées en première instance sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
CONFIRME le jugement pour le surplus de ses dispositions en ce qu’il a :
– condamné la société Open sud gestion à payer à M. [D] une indemnité d’éviction de 35.736,83 euros
– débouté M. [D] de sa demande de paiement des intérêts au taux légal des particuliers sur la somme de 550.000 euros
– débouté M. [D] de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive
y ajoutant,
DEBOUTE la société Open sud gestion de sa demande d’indemnisation pour dépossession des lieux loués,
CONDAMNE la société Open sud gestion aux dépens d’appel,
CONDAMNE la société Open sud gestion à payer à M. [D] une indemnité de 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
AUTORISE Me Dilhac, avocat, à procéder au recouvrement direct des dépens d’appel, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Philippe DARRACQ, conseiller faisant fonction de Président et par Madame Nathalène DENIS, greffière suivant les dispositions de l’article 456 du Code de Procédure Civile.
La Greffière, Le Président,