5 janvier 2022
Cour de cassation
Pourvoi n°
20-18.211
SOC.
CDS
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 5 janvier 2022
Rejet non spécialement motivé
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Décision n° 10021 F
Pourvoi n° G 20-18.211
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
DÉCISION DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 5 JANVIER 2022
M. [P] [H], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° G 20-18.211 contre l’arrêt rendu le 20 mai 2020 par la cour d’appel de Paris (pôle 6, chambre 9), dans le litige l’opposant au Comité social et économique d’établissement central RATP (CSEC RATP), dont le siège est [Adresse 1], anciennement Comité régie d’entreprise RATP, défendeur à la cassation.
Le Comité social et économique d’établissement central RATP a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Marguerite, conseiller référendaire, les observations écrites de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de M. [H], de Me Le Prado, avocat du Comité social et économique d’établissement central Ratp, après débats en l’audience publique du 9 novembre 2021 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Marguerite, conseiller référendaire rapporteur, M. Pietton, conseiller, et Mme Lavigne, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu la présente décision.
1. Le moyen de cassation annexé au pourvoi principal et celui annexé au pourvoi incident, qui sont invoqués à l’encontre de la décision attaquée, ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
2. En application de l’article 1014, alinéa 1er, du code de procédure civile, il n’y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces pourvoi.
EN CONSÉQUENCE, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du cinq janvier deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES à la présente décision
Moyen produit par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour M. [H], demandeur au pourvoi principal
Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR fixé le salaire mensuel de M. [H] à la somme de seulement 5.978,86 euros ;
AUX MOTIFS QUE le salarié, dont le licenciement a été annulé pour violation des règles protectrices de sa liberté d’expression, qu constitue une atteinte à une liberté ou un droit fondamental de valeur constitutionnelle, est en droit de prétendre au titre de son éviction au versement du rappel de salaires dû entre la date du licenciement et la date effective de la réintégration, sans déduction des sommes perçues au titre de revenus de remplacement durant cette période ; au titre de l’indemnité d’éviction, M. [H] estime qu’il doit percevoir un montant équivalent au salaire de son successeur Mme [K], sur le principe à travail égal, embauchée après son licenciement en qualité de directrice générale, laquelle a bénéficié d’un différentiel de 1.695,25 euros par mois, portant son salaire à la somme mensuelle de 9.547,48 euros en incluant le 13ème mois ; or, la CSEC RATP établit, sans contestation utile, que les attributions de Mme [K] étaient différentes des siennes puisqu’il était intégré, dans sa sphère d’activité, des directions techniques que n’avait pas en charge M. [H], telles que le démontrent les deux organigrammes produits, étant rappelé qu’il n’avait pas exercé la direction financière à titre d’intérim ; elle établit en outre que Mme [K] avait une expérience supérieure dans le poste que celle de M. [H] puisqu’il est justifié de ses précédentes fonctions en qualité de directeur technique du CER SNCF PARIS SUD EST ; il s’en déduit que M. [H] ne peut se prévaloir d’un différentiel de salaire sur le fondement de l’inégalité salariale ; de même, M. [H] fait valoir qu’une modification de la convention d’entreprise applicable, portant effet au 1er mai 2014, a été signée le 2 octobre 2014, et que sur ce fondement, son salaire conventionnel minimal aurait dû être de 7.140,53 euros par mois, or, il n’est pas justifié, contrairement à ce qu’il soutient, sur le fondement de la nouvelle grille de rémunération entrée en vigueur le 1er janvier 2015 produite, de l’augmentation de salaire sollicitée, sa demande de ce chef est également rejetée ; au regard des pièces produites et non utilement contredites, M. [H] justifie d’une rémunération mensuelle moyenne de 5.978,86 euros sur les trois derniers mois qui sera retenue comme base de l’indemnité d’éviction ; par infirmation du jugement qui avait retenu une somme de 5272,88 euros mensuels, il est donc en droit de percevoir, sur le fondement d’une rémunération mensuelle de 5978,86 euros, au titre de l’indemnité d’éviction, une somme équivalente au rappel de salaires dû entre la date du licenciement et la date effective de la réintégration, sans déduction des sommes perçues à titre de revenus de remplacement durant cette période ;
1) ALORS QUE le salarié victime d’un licenciement nul pour atteinte à une liberté fondamentale et qui sollicite sa réintégration a droit au paiement d’une indemnité égale au montant de la rémunération qu’il aurait dû percevoir entre son éviction de l’entreprise et sa réintégration ; qu’il résulte de l’accord collectif relatif à la grille de classification du 2 octobre 2014, auquel est annexée la grille de classification et de rémunération applicable à compter du 1er janvier 2015 (pièce n° 85, page 7), que les salariés embauchés à l’emploi-repère direction générale bénéficient d’un seuil minimal de rémunération mensuelle de 7.140,53 € à compter de deux années d’ancienneté et de 7.247,63 euros à partir de quatre années d’ancienneté ; qu’en l’espèce, M. [H] faisait donc pertinemment valoir qu’ « une modification de la convention d’entreprise applicable, portants effets au 1er mai 2014 a été signée le 2 octobre 2014. L’application effective de cet avenant a eu lieu en janvier 2015 avec effet rétroactif. En conséquence de cet accord, le salaire conventionnel minimal dû à M. [H] est de : – Du 1er mai 2014 au 31 août 2015, compte-tenu des 2 années d’ancienneté acquise : 7 140,53 € par mois, soit 92 826,89 € par an en incluant le 13ème mois ; – Depuis le 1er septembre 2015, compte-tenu des 4 années d’ancienneté acquise : 7 247,63 € par mois, soit 94 219,19 € par an en incluant le 13ème mois » (conclusions de M. [H] p. 29), le salarié ayant droit à cette rémunération qu’il aurait perçue s’il n’avait pas été illicitement évincé ; qu’en limitant néanmoins le montant du salaire mensuel moyen de M. [H] à la somme de 5.978,86 euros au motif péremptoire qu’ « il n’est pas justifié, contrairement à ce qu’il soutient, sur le fondement de la nouvelle grille de rémunération entrée en vigueur le 1er janvier 2015 produite, de l’augmentation de salaire sollicitée », tandis qu’elle avait constaté que M. [H] avait été embauché le 2 août 2011 et jugé qu’il était bien-fondé à obtenir le rappel des salaires dus entre son licenciement le 5 juillet 2012, et la date effective de sa réintégration non effective à la date de l’arrêt, d’où il s’évinçait qu’il avait droit à l’application du seuil minimal de rémunération mensuelle en fonction de l’ancienneté qu’il aurait eue s’il n’avait pas été illicitement licencié, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, et a violé l’accord collectif relatif à la grille de classification du 2 octobre 2014 et la grille de classification et de rémunération applicable à compter du 1er janvier 2015 y annexée, ensemble l’article L. 1121-1 du code du travail ;
2) ALORS QU’en tout état de cause, M. [H] faisait valoir qu’ »une modification de la convention d’entreprise applicable, portants effets au 1er mai 2014 a été signée le 2 octobre 2014. L’application effective de cet avenant a eu lieu en janvier 2015 avec effet rétroactif. En conséquence de cet accord, le salaire conventionnel minimal dû à M. [H] est de : – Du 1er mai 2014 au 31 août 2015, compte-tenu des 2 années d’ancienneté acquise : 7 140,53 € par mois, soit 92 826,89 € par an en incluant le 13ème mois ; – Depuis le 1er septembre 2015, compte-tenu des 4 années d’ancienneté acquise : 7 247,63 € par mois, soit 94 219,19 € par an en incluant le 13ème mois » (conclusions de M. [H] p. 29) ; qu’en affirmant péremptoirement qu’il n’était pas justifiée de l’augmentation de salaire sur la base de la nouvelle grille, sans nullement s’expliquer sur cette affirmation tandis qu’elle avait constaté que M. [H] avait été embauché le 2 août 2011, de sorte qu’il aurait bien eu, au cours de la période d’éviction litigieuse, les années d’ancienneté requises pour bénéficier des seuils minima de rémunération mensuelle revendiqués, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’accord collectif relatif à la grille de classification du 2 octobre 2014 et de la grille de classification et de rémunération applicable à compter du 1er janvier 2015 y annexée, ensemble l’article L. 1121-1 du code du travail ;
3) ALORS QUE le salarié qui invoque une inégalité de traitement en matière de rémunération doit apporter des éléments susceptibles de laisser présumer l’inégalité de traitement invoquée, à charge pour l’employeur, en ce cas, de justifier que la différence de traitement est justifiée par des raisons objectives dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence ; qu’en l’espèce, M. [H] sollicitait, au titre de la rémunération qu’il aurait perçue s’il n’avait pas été illicitement évincé, et sur le fondement du principe d’égalité de traitement, la prise en compte de la rémunération sensiblement supérieure dont bénéficiait la directrice générale embauchée à la suite de son licenciement, Mme [K] ; qu’il soutenait de manière circonstanciée à cet égard que le CRE ne pouvait utilement opposer, à titre de justification objective et pertinente, une prétendue différence de périmètre des fonctions exercées, en s’appuyant pour ce faire sur deux organigrammes totalement dépourvus de portée, puisque celui concernant la période d’activité de M. [H] ne correspondait nullement à ses fonctions réelles mais à ce qu’elles auraient été théoriquement si la réforme du CSEC avait été conduite à son terme, et que celui concernant l’activité de Mme [K] datait de février 2014, après qu’elle se soit séparée de la moitié de l’équipe de direction, et non pas des fonctions actualisées de l’intéressée ; qu’en se bornant, pour écarter toute différence de rémunération injustifiée, à affirmer qu’il aurait été justifié de fonctions différentes sur la base des deux organigrammes litigieux, sans aucunement expliquer en quoi ces organigrammes auraient effectivement démontré une différence de fonctions et de responsabilité justifiant la différence sensible de rémunération constatée, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard du principe d’égalité de traitement, ensemble l’article L. 1121-1 du code du travail.
Moyen produit par Me Le Prado, avocat du Comité social et économique d’établissement central Ratp, demandeur au pourvoi incident
MOYEN UNIQUE DU POURVOI INCIDENT qui est préalable :
Le Comité social et économique d’établissement Central RATP fait grief à l’arrêt attaqué :
D’AVOIR dit le licenciement de M. [P] [H] nul pour violation des règles protectrices de la liberté d’expression du salarié, fixé le salaire mensuel à la somme de 5.978, 86 euros et de l’AVOIR, en conséquence, condamné à verser à M. [H], au titre de l’indemnité d’éviction, une somme équivalant au rappel de salaires dû entre la date de licenciement et la date effective de sa réintégration sans déduction des sommes perçues à titre de revenus de remplacement durant cette période et la somme de 2000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;
1°) ALORS QUE l’abus d’un salarié dans sa liberté d’expression, caractérisé par des propos ou des écrits injurieux, diffamatoires ou excessifs tenus à l’égard de ses supérieurs hiérarchiques ou collègues de travail, justifie un licenciement disciplinaire ; que le fait pour un dirigeant de critiquer ouvertement ses collègues de travail et de remettre en cause, sans fondement leur probité, constitue un abus dans la liberté d’expression ; que la cour d’appel qui a relevé les termes du courrier du 29 mai 2012 adressé par M. [H], directeur général, au secrétaire du Comité régie d’entreprise de la RATP (arrêt, p. 6), desquels il s’évinçait que le directeur général du comité avait clairement remis en cause la probité des élus du comité, avec lesquels il était censé travailler de concert, en les accusant de pratiques immorales, voire illégales, aurait dû en déduire, qu’au regard des propos tenus et des fonctions de responsabilité exercées, M. [H] avait commis un abus dans sa liberté d’expression, ce qui justifiait un licenciement pour faute grave ; qu’en décidant le contraire, la cour d’appel qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 1121-1, L. 1234-1, L. 1234-5 et l’article L. 1234-9 du code du travail dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017.
2°) Et ALORS, EN TOUTE HYPOTHESE, QUE lorsque deux libertés fondamentales, garanties par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, sont en cause, il appartient au juge, même d’office, de vérifier si concrètement, l’ingérence constatée est prévue par la loi, poursuit un but légitime et est proportionnée au but recherché en mettant en balance différents intérêts en présence ; que la cour d’appel a considéré que l’employeur avait porté atteinte à la liberté d’expression du salarié dans l’entreprise et l’a, dès lors, condamné à lui verser, à titre d’indemnité d’éviction une somme équivalente au rappel des salaires dû entre la date de licenciement et la date effective de la réintégration, sans déduction des sommes perçues à titre de revenus de remplacement durant cette période ; que la cour d’appel n’a pas concrètement vérifié si cette sanction était proportionnée au but poursuivi en mettant en balance différents intérêts en présence tirés d’une part, de la protection de la liberté d’expression et d’autre part de la protection de la liberté d’entreprendre et des intérêts légitimes de l’entreprise ; qu’en s’abstenant de rechercher concrètement si la sanction prononcée ne portait pas une atteinte excessive à la liberté d’entreprendre et à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise au regard de l’atteinte à la liberté d’expression effectivement subie par le salarié, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1er du protocole n° 1 additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales.