Indemnité d’éviction : 4 janvier 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/00005

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Indemnité d’éviction : 4 janvier 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/00005

4 janvier 2023
Cour d’appel de Versailles
RG
21/00005

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

17e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 4 JANVIER 2023

N° RG 21/00005

N° Portalis DBV3-V-B7F-UHRA

AFFAIRE :

Société RESSORTS HUON DUBOIS ‘RHD’

C/

[K] [C] [E]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 7 décembre 2020 par le Conseil de Prud’hommes Formation paritaire de POISSY:

Section : I

N° RG : F 19/00167

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Jean-Claude CHEVILLER

Me Olivier BONGRAND

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUATRE JANVIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Société RESSORTS HUON DUBOIS ‘RHD’

N° SIRET : 533 019 243

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentant : Me Romain SUTRA de la SCP SUTRA CORRE ET ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0171 – Représentant : Me Jean-Claude CHEVILLER, Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D0945

APPELANTE

****************

Monsieur [K] [C] [E]

né le 1er janvier 1960 au VIETNAM

de nationalité française

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentant : Me Olivier BONGRAND de la SELARL O.B.P. Avocats, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0136

INTIME

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 4 novembre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Laurent BABY, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Aurélie PRACHE, Président,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

M. [E] a été engagé par la société Ressorts Huon Dubois, en qualité de contrôleur de fabrication, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 17 avril 2001. A compter du 1er janvier 2013, il occupait le poste d’opérateur régleur. En dernier lieu, le salarié exerçait ses fonctions au sein du secteur 8 de la société, dédié à la production de ressort pour l’industrie pharmaceutique.

Cette société est spécialisée dans la production de ressorts destinés à être intégrés aux stylos injecteurs d’insuline à destination du traitement de patients diabétiques. L’effectif de la société était, au jour de la rupture, de plus de 50 salariés. Elle applique la convention collective nationale des industries métallurgies, mécaniques et connexes de la région parisienne.

Du 30 août au 31 octobre 2018, l’activité du secteur 8 a été arrêtée en raison de l’absence de conformité des ressorts produits au cahier des charges.

Le 5 mars 2019, la société Ressorts Huon Dubois a appris que plusieurs des lots produits n’étaient pas utilisés par une société cliente du fait de la présence d’eau dans les sachets contenant les ressorts. A nouveau, la société Ressorts Huon Dubois a été contrainte de fermer le secteur 8, pour une durée indéterminée.

Par lettre du 5 avril 2019, le salarié a été convoqué à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement, fixé le 15 avril 2019.

Lors de l’entretien préalable, la société Ressorts Huon Dubois lui a proposé lors de l’entretien préalable un « reclassement » sur un autre poste. Le salarié a refusé cette proposition.

Il a été licencié par lettre du 23 avril 2019 pour faute grave dans les termes suivants :

« Dans le cadre des réclamations de notre client NEMERA du 5 mars 2019 pour la référence Wave Spring n°D18422 dont deux défauts sont apparus : un défaut de bavure et un défaut de conditionnement avec la présence d’eau dans les sachets.

Le 30 août 2018, nous avons été alertés et mis en demeure de cesser la production des ressorts cités en référence lors de l’utilisation des lots produits.

Ce premier incident avec notre nouveau client a conduit à remettre à plat notre processus, nos outils et surtout la formation à poste. Chaque salarié affecté au secteur 8 et en particulier pour cette référence a été formé et suivi individuellement pour poursuivre les commandes engagées.

Ce litige, en cours a eu pour conséquence un arrêt de production de trois mois, le reclassement du personnel et l’arrêt de mission intérimaire.

Le coût estimé de ce litige se situe à hauteur de 2,2 millions d’euros. A cela, s’ajoute la perte de 50% du marché acquis qui a été confié à une seconde source.

Le 5 mars 2019, nous apprenons qu’aucune des pièces produites n’est utilisée par le client final.

Les lots sont écartés en raison de présence d’eau dans les sachets.

La rencontre avec notre client le 04 avril 2019 révèle également que les tolérances exigées ne sont pas respectées. Une tolérance interne de 20 microns avait été mise en place afin d’absorber le risque d’une dérive par rapport à la tolérance client de 25 microns.

Le litige porte sur une bavure constatée à 50 microns. Plus du double de la tolérance exigée.

Nous avons été dans l’obligation de fermer le secteur 8, d’arrêter les missions des personnes concernées par la fabrication des lots, sujets au litige.

Vous avez demandé à prendre des congés pour réfléchir à votre situation personnelle, ne souhaitant pas travailler dans d’autres secteurs.

Vous connaissez le contexte réglementaire de production en salle blanche pour le produit en litige destiné au secteur pharmaceutique dans les seringues à insuline.

Toute dérive peut entraîner le décès du patient diabétique et entraîner pour notre client une action de « recall », de retrait de manière massive sans parler de l’affectation de l’image sur le marché de la santé.

Vous avez conscience des conséquences désastreuses dues au non-respect des exigences de fabrication.

Notre plan d’actions mis en place en novembre 2018 suite à l’arrêt d’août 2018, votre expérience et ancienneté en tant que régleur ne peuvent expliquer ces dérives.

Vos explications d’ordre organisationnel ou relationnel ne sont pas satisfaisantes.

Votre expérience de régleur, votre affectation au projet de développement depuis le début de cette production nous conduit à qualifier ces événements de faute grave.

C’est pourquoi nous avons décidé de rompre votre contrat de travail par un licenciement pour faute grave.

Votre licenciement prendra effet à la date de réception de la présente notification en AR.

Afin de prendre en compte votre expérience et ancienneté, nous avons décidé de vous dispenser de votre préavis. Celui-ci sera rémunéré. (‘) ».

Le 26 juin 2019, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Poissy afin de dire son licenciement nul, à titre principal, ou sans cause réelle et sérieuse, à titre subsidiaire, et obtenir le paiement de diverses sommes de nature indemnitaire.

Par jugement du 7 décembre 2020, le conseil de prud’hommes de Poissy (section industrie) a :

– dit que le licenciement de M. [E] n’est pas entaché de nullité au titre de la discrimination liée à l’âge,

– dit que la faute grave n’est pas avérée,

– dit que le licenciement de M. [E] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

– fixé la moyenne mensuelle des salaires en application des dispositions de l’article R. 1454-28 du code du travail à la somme de 2 403,57 euros,

– condamné la société Ressorts Huon Dubois à verser à M. [E] avec intérêts légaux à compter du 28 juin 2019, date de réception de la convocation pour le bureau de conciliation et d’orientation par la partie défenderesse, la somme suivante :

. 12 418,42 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement,

– rappelé que l’exécution est de droit à titre provisoire sur les créances visées à l’article R. 1454-14 alinéa 2 du code du travail,

– condamné la société Ressorts Huon Dubois à verser à M. [E] avec intérêts légaux à compter du prononcé du présent jugement les sommes de :

. 34 851,76 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. 10 000 euros au titre des dommages et intérêts pour abus de droit,

– condamné la société Ressorts Huon Dubois à verser à M. [E] la sommes de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la société Ressorts Huon Dubois au remboursement à Pôle emploi des prestations de services à M. [E] dans la limite de six mois d’indemnités en application de l’article L. 1235-4 du code du travail,

– débouté M. [E] du surplus de ses demandes,

– débouté la société Ressorts Huon Dubois de sa demande reconventionnelle,

– ordonné à la société Ressorts Huon Dubois de remettre à M. [E] l’attestation Pôle emploi conforme à la présente décision,

– condamné la société Ressorts Huon Dubois aux dépens y compris ceux afférents aux actes et procédure d’exécution éventuels.

Par déclaration adressée au greffe le 4 janvier 2021, la société Ressorts Huon Dubois a interjeté appel de ce jugement.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 13 septembre 2022.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 24 septembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Ressorts Huon Dubois demande à la cour de :

– confirmer le jugement en ce qu’il a dit que le licenciement de M. [E] n’était pas entaché de nullité,

– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté M. [E] de sa demande d’indemnité compensatrice de congés payés,

– réformer le jugement pour le surplus,

statuant à nouveau,

– dire que le licenciement de M. [E] pour faute grave est bien-fondé,

– dire que la demande M. [E] de dommages-intérêts pour abus de droit n’est pas fondée,

par conséquent,

– débouter M. [E] de l’intégralité de ses demandes,

– condamner M. [E] à lui verser la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 29 juin 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [E] demande à la cour de :

à titre principal,

– infirmer le jugement en ce qu’il a dit que le licenciement n’est pas entaché de nullité au titre de la discrimination liée à l’âge,

– infirmer le jugement en ce qu’il l’a débouté de sa demande d’annulation du licenciement pour violation du principe de non-discrimination en raison de l’âge, de sa demande aux fins de voir ordonner sa réintégration dans son emploi de régleur et de sa demande aux fins de condamner la société au versement d’une indemnité pour nullité du licenciement pour la période du 26 juin 2019 (terme du préavis) jusqu’à la décision à intervenir,

statuant à nouveau,

– annuler le licenciement compte tenu de la violation du principe de non-discrimination en raison de l’âge,

– ordonner sa réintégration de dans son emploi de régleur,

en conséquence,

– condamner la société Ressorts Huon Dubois à lui verser 79 317,70 euros au titre de l’indemnité pour nullité du licenciement pour la période du 26 juin 2019 (terme du préavis) au 21 décembre 2021 (somme arrêtée provisoirement au 31 décembre 2021),

à titre subsidiaire,

– confirmer le jugement en ce qu’il a dit que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et en ce qu’il a condamné la société Ressorts Huon Dubois à lui verser :

. 12 418,42 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement avec intérêts légaux à compter de la date de réception de la convocation pour le bureau de conciliation et d’orientation par la partie défenderesse,

. 34 851,76 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts légaux à compter du prononcé du jugement,

. une attestation Pôle emploi conforme au jugement,

en tout état de cause,

– confirmer le jugement en ce qu’il a :

. dit que la faute grave n’est pas avérée,

. fixé la moyenne mensuelle des salaires en application de l’article R 1454-28 du code du travail à la somme de 2 403,57 euros,

. condamné la société Ressorts Huon Dubois à lui verser :

* 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour abus de droit,

* 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

. débouté la société Ressorts Huon Dubois de sa demande reconventionnelle,

. condamné la société Ressorts Huon Dubois aux dépens y compris ceux afférents aux actes et procédure d’exécution éventuels,

– infirmer le jugement en ce qu’il l’a débouté du surplus de ses demandes et en particulier de l’indemnité compensatrice de congés payés,

statuant à nouveau,

– condamner la société Ressorts Huon Dubois à lui verser la somme de 1 311,90 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés,

– condamner la société Ressorts Huon Dubois à lui verser une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais engagés en appel et condamner la société aux entiers dépens.

MOTIFS

Sur la discrimination en raison de l’âge

Il ressort de l’article L. 1132-1 du code du travail qu’aucun salarié ne peut être licencié en raison de son âge.

Il n’appartient pas au salarié qui s’estime victime d’une discrimination d’en prouver l’existence. Suivant l’article L. 1134-1, il doit seulement présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination. Au vu de ces éléments, il incombe à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

A l’appui de la discrimination alléguée, le salarié n’invoque que le fait qu’il a été licencié à l’âge de 59 ans après 18 années de service sans reproches.

Ce fait, bien qu’établi, ne laisse pas supposer l’existence d’une discrimination en raison de l’âge. En effet, il ressort des débats que l’activité du secteur 8 ‘ secteur au sein duquel le salarié était affecté ‘ a cessé en raison de défauts de production relevés par le client. Il en est résulté que le salarié n’avait plus d’activité. Or, il ressort du « compte-rendu des entretiens », établi par le conseiller choisi par le salarié lors de la procédure de licenciement, que l’employeur avait proposé à deux reprises au salarié de travailler au sein d’un autre secteur ‘ le secteur meule ‘ ce qu’il a refusé. A ce constat s’ajoute le fait qu’il ressort de ce même compte-rendu que le salarié a fait part à l’employeur de « son désir de partir et d’obtenir un peu d’argent ».

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a « dit que le licenciement de M. [E] n’est pas entaché de nullité au titre de la discrimination liée à l’âge » et en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande de réintégration et d’indemnité d’éviction.

Sur la rupture

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits personnellement imputables au salarié, qui doivent être d’une importance telle qu’ils rendent impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.

Le licenciement pour faute grave implique néanmoins une réaction immédiate de l’employeur, la procédure de licenciement devant être engagée dans des délais restreints et le licenciement devant intervenir rapidement.

La preuve des faits constitutifs de faute grave incombe exclusivement à l’employeur et il appartient au juge du contrat de travail d’apprécier, au vu des éléments de preuve figurant au dossier, si les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont établis, imputables au salarié, à raison des fonctions qui lui sont confiées par son contrat individuel de travail, et d’une gravité suffisante pour justifier l’éviction immédiate du salarié de l’entreprise, le doute devant bénéficier au salarié.

En l’espèce, le salarié a été licencié pour faute grave. Il ressort de la lettre de licenciement que le défaut affectant des lots de ressorts produits par le secteur 8 à destination de l’industrie pharmaceutique lui est imputé.

L’employeur établit la réalité de la demande du client Nemera, formulée par courriel du 30 août 2018, visant à l’arrêt de la production et des livraisons du ressort Apollo (pièce 10 E). Le salarié ne conteste pas l’arrêt de la production pour un défaut de qualité des ressorts produits par le secteur 8.

Il conteste en revanche être à l’origine de ce défaut de qualité, exposant qu’il n’était pas le seul à travailler sur la machine qui fabriquait les ressorts litigieux.

Les défauts de qualité constatés sur les ressorts livrés à Nemera résultent d’un défaut de réglage de la machine qui les avait produits. Or, en sa qualité d’opérateur régleur, le salarié était notamment en charge de régler la machine, de contrôler les opérations, de détecter et signaler les anomalies et d’assurer des contrôles fréquents pour prévenir les problèmes (cf. fiche de poste de l’opérateur régleur).

Un premier défaut de qualité a été identifié sur le lot 180635JD85512. Ce défaut de qualité est établi par la photographie de l’extrémité d’un ressort et l’attestation de l’auteur de la photographie témoignant de ce que la bavure de coupe est supérieure à 0,025 mm. Or, il est établi que le 3 mai 2018, par une communication interne, il était donné pour instruction : « Suite à des problèmes rencontrés par le client Nemera, il faut dorénavant et impérativement effectuer la maintenance de la coupe dès que la bavure de coupe atteint le niveau maxi de 0,020 mm ». Comme il résulte de l’histogramme de production de ce lot, le lot litigieux a été produit entre le 31 juillet 2018 et le 7 août 2018, soit sur une période de 8 jours. Le salarié objecte qu’il n’était pas le seul à opérer des réglages sur la machine qui fabriquait les ressorts litigieux. A cet égard, il n’est pas contesté que la société opérait à cette époque en 3×8. Deux opérateurs régleurs étaient affectés à la machine : le salarié et M. [O]. Il ressort du planning du secteur 8 qu’entre le mardi 31 juillet et le samedi 4 août 2018, le salarié était le seul opérateur régleur à travailler sur la machine, M. [O] étant en congés, ce dont il résulte qu’une partie de la production ‘ celle réalisée entre le 31 juillet et le 4 août ‘ avait été placée sous la responsabilité du salarié. Dès lors que cette production était défectueuse dans son intégralité, le grief est ici établi, pour le mois d’août 2018.

Par suite de ce premier défaut de qualité et après que la production des ressorts a été interrompue pendant 3 mois, la société a modifié ses méthodes de production. Le secteur 8 a repris son activité de production au mois de novembre 2018. La société a affecté au secteur 8 un nouveau régleur et modifié le rythme de travail des équipes en passant en 2×8 (cf courrier de contestation du salarié en date du 10 mai 2019). La procédure mise en ‘uvre prescrivait à l’opérateur régleur un changement des outils de coupe (triangle, couteau) à chaque démarrage de nouveau lot. Le salarié avait été avisé de cette procédure pour avoir suivi une formation sanctionnée par un test de type QCM fin octobre 2018.

Courant mars 2019, le client Nemera faisait part à la société d’un deuxième défaut de qualité lié à la présence d’humidité dans des sacs de ressorts, rendant ces derniers impropres à leur utilisation. La société employeur explique qu’elle ne fait pas reproche au salarié de la présence d’humidité dans les sacs de ressorts. De fait, cette anomalie, qui intéresse le conditionnement, est étrangère aux missions du salarié. Elle explique en revanche que c’est à cette occasion qu’elle s’est avisée de ce que le salarié ne changeait que très rarement les outils de coupe. Elle indique aussi que c’est à cette occasion que le client Nemera lui a également révélé que les tolérances de bavure de coupe n’étaient pas respectées.

Cependant et en premier lieu, il n’est ni démontré ni même allégué, que la présence d’humidité dans les sacs de ressorts serait la conséquence de bavures de coupe supérieures ou égales à 0,025 mm (tolérance du client). En second lieu, s’agissant du changement des outils de coupe, la société démontre effectivement par sa pièce 23 que, sur 100 changements d’outils de coupe entre janvier et mars 2019, 98,9 étaient réalisés par les deux autres opérateurs régleurs contre seulement 1,1 par le salarié. Néanmoins, ce constat est impuissant à établir une faute du salarié car il ne démontre ni que ce dernier a constaté lors de ses contrôles des bavures supérieures ou égales à la dimension tolérée ni que le salarié était confronté au démarrage d’un nouveau lot, ces deux circonstances étant les seules qui lui auraient imposé un changement des outils de coupe. En dernier lieu, la société n’établit pas que le client Nemera lui aurait révélé que les tolérances de bavure de coupe n’étaient toujours pas respectées en mars 2019.

Dès lors, le seul grief établi consiste dans le fait qu’en août 2018, le salarié a commis une faute en s’abstenant d’effectuer la maintenance de la machine aussitôt que la bavure de coupe avait atteint une taille supérieure à 0,020 mm. Ce fait est cependant ancien et il était connu de l’employeur qui, précisément a dû, courant septembre-octobre 2018, cesser l’activité du secteur 8 pour former ses salariés et modifier son processus de production.

Aucun manquement postérieur au mois d’août 2018 ne peut être imputé au salarié comme justifiant un nouvel arrêt de la production du secteur 8.

Par conséquent, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a dit sans cause réelle et sérieuse le licenciement.

Etant observé qu’une indemnité de préavis lui a été versée en dépit de ce que le licenciement avait été prononcé pour faute grave, le salarié peut donc prétendre aux indemnités de rupture dont il a été privé , soit l’indemnité de licenciement, ainsi qu’ une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail qui, contrairement à ses prétentions, sont compatibles avec les dispositions de l’article 10 de la convention n°158 de l’OIT, celles de l’article 24 de la charte sociale européenne n’étant pas d’effet direct en droit interne.

S’agissant de l’indemnité légale de licenciement, le quantum de la demande formée par le salarié n’est pas discuté par l’employeur. Il conviendra dès lors de confirmer de ce chef le jugement, lequel a fait droit à cette demande.

S’agissant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, conformément aux prescriptions de l’article L. 1235-3 du code du travail, le salarié, qui jouissait d’une ancienneté de 18 années pleines, est éligible au bénéfice d’une indemnité comprise entre 3 et 14,5 mois de salaires bruts.

Selon l’attestation Pôle emploi versée au dossier, le salarié a perçu, au cours des 12 derniers mois de la relation contractuelle, une rémunération totale de 28 761,44 euros. Il en résulte une moyenne mensuelle brute de 2 396,79 euros.

Compte tenu de l’âge du salarié lors de son licenciement (59 ans), de son niveau de rémunération, de son ancienneté (18 années), de ce qu’il justifie avoir bénéficié de l’allocation d’aide au retour à l’emploi jusqu’au 31 octobre 2019 mais n’en justifie pas au-delà ni ne justifie d’une recherche d’emploi, il convient d’évaluer à 34 500 euros le préjudice qui résulte, pour lui, de la perte de son emploi. Le jugement sera en conséquence infirmé de ce chef et, statuant à nouveau, l’employeur sera condamné à payer au salarié une indemnité de 34 500 euros à ce titre.

Le jugement sera en revanche confirmé en ce qu’il a ‘condamné la société Ressorts Huon Dubois au remboursement à Pôle emploi des prestations de services à M. [E] dans la limite de six mois d’indemnités en application de l’article L.1235-4 du code de travail’.

Sur la demande de dommages-intérêts pour abus de droit

Le salarié expose que l’employeur l’a licencié sur la base de griefs infondés et inopposables de sorte qu’il a manqué à son obligation de bonne foi. L’employeur objecte que le salarié ne justifie pas d’un préjudice distinct de celui réparé par l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En l’espèce, même si la cour a retenu que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, l’abus, par la société, de son droit de licencier, n’est pas établi. Le salarié ne démontre pas non plus la réalité d’un préjudice qui n’aurait pas déjà été réparé par l’allocation de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu’il a condamné la société à payer au salarié la somme de 10 000 euros à ce titre et, statuant à nouveau, le salarié sera débouté de ce chef de demande.

Sur l’indemnité compensatrice de congés payés

Le salarié se fonde sur l’article L. 3141-18 du code du travail et explique qu’il lui restait à prendre 15 jours de congés payés.

La société s’oppose à cette demande expliquant avoir soldé les congés payés afférents dans le solde de tout compte.

Il résulte du bulletin de paie du mois de mars 2019 qu’il restait à prendre au salarié 20,833 jours de congés. Le bulletin de paie suivant (avril 2019) mentionne que le salarié a pris l’intégralité de ces congés et de ses congés acquis au mois précédent de sorte que le solde de ses congés est à zéro.

Il en résulte que le salarié avait, lors du licenciement, soldé tous ses congés payés de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de ce chef de demande.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Succombant, l’employeur sera condamné aux dépens d’appel et de première instance, le jugement étant confirmé de ce chef ainsi qu’en ce qu’il a condamné l’employeur en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Il conviendra de condamner l’employeur à payer au salarié une indemnité de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS:

Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, la cour :

INFIRME le jugement mais seulement en ce qu’il a condamné la société Ressorts Huon Dubois à payer à M. [E] la somme de 34 851,76 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et celle de 10 000 euros à titre des dommages et intérêts pour abus de droit,

CONFIRME le jugement pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

CONDAMNE la société Ressorts Huon Dubois à payer à M. [E] la somme de 34 500 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

DÉBOUTE M. [E] de sa demande de dommages-intérêts pour abus de droit,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples, ou contraires,

CONDAMNE la société Ressorts Huon Dubois à payer à M. [E] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais de première instance et en cause d’appel,

CONDAMNE la société Ressorts Huon Dubois aux dépens.

. prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

. signé par Madame Aurélie Prache, président et par Madame Dorothée Marcinek, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier Le président

 


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