31 janvier 2024
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/05624
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 6
ARRET DU 31 JANVIER 2024
(n° 2024/ , 9 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/05624 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CD5AI
Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 Décembre 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° F 18/06093
APPELANTE
Madame [T] [G]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Sandra OHANA, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050
INTIMÉE
E.P.I.C. REGIE AUTONOME DES TRANSPORTS PARISIENS
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Thomas ANDRE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0920
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 05 décembre 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre, Président de formation
Monsieur Didier LE CORRE, Président de chambre
Monsieur Stéphane THERME, Conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Monsieur Stéphane THERME, Conseiller, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats
ARRÊT :
– contradictoire,
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
– signé par Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre et par Madame Julie CORFMAT, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :
La société Régie Autonome des Transports Parisiens, ci-après la RATP, a employé Mme [T] [G], née en 1976, à compter du 17 mai 1999.
Les relations contractuelles sont soumises au statut de la RATP.
Le 3 octobre 2009, Mme [G] a été victime d’un accident de travail : une agression par un usager.
Du 3 octobre 2009 au 22 février 2010, Mme [G] a été placée en arrêt de travail.
Le 23 février 2010, le médecin du travail a conclu à une inaptitude temporaire à son poste. Cet avis a été confirmé le 12 avril 2010.
Le 13 juillet 2010, Mme [G] a repris son poste à mi-temps thérapeutique avec la réserve qu’elle ne devait pas se retrouver sur un poste agent unique ou isolé.
Le 27 octobre 2010, Mme [G] a été victime d’un malaise sur son lieu de travail.
Du 27 octobre 2010 au 27 janvier 2011, Mme [G] a été placée en arrêt de travail.
Mme [G] a déclaré un accident du travail le 02 février 2011 et a été placée en arrêt de travail jusqu’au 31 octobre 2011.
Le 2 novembre 2011, le médecin du travail a déclaré Mme [G] inapte temporairement.
Le 3 novembre 2011, Mme [G] a été conduite aux urgences par les pompiers.
Du 3 novembre 2011 au 12 septembre 2012, Mme [G] a été placée en arrêt de travail.
Par courrier recommandé en date du 21 novembre 2011, Mme [G] a dénoncé des faits subis le 3 novembre, indiquant avoir eu un entretien au cours duquel un poste devait lui être proposé mais qu’il n’avait eu pour objet que de lui faire des reproches sur ses absences, ce qui avait occasionné une crise d’angoisse.
Le 18 décembre 2012, le médecin du travail a déclaré Mme [G] inapte temporairement indiquant les restrictions suivantes : « pas de contact clientèle, pas de port de charges de plus de 2kg, pas d’éloignement excessif de son domicile, horaires type administratif, poste à me soumettre, doit être en permanence accompagnée dans ses démarches ».
Mme [G] a fait l’objet de plusieurs arrêts maladie au cours de l’année 2013.
Le 17 octobre 2013, Mme [G] a été affectée sur un autre poste administratif, que le médecin du travail a estimé adapté à son état de santé.
Le 27 novembre 2013, Mme [G] a déclaré un accident du travail et a été placée en arrêt de travail.
Le 3 avril 2014, la RATP a notifié un avertissement à Mme [G], au motif qu’elle aurait prévenu de son absence pour maladie après l’heure de sa prise de service.
Le 14 avril 2014, le médecin du travail a conclu à une inaptitude définitive à l’emploi statutaire.
Le 30 mai 2014, la société RATP a proposé deux postes à Mme [G], qu’elle a refusés en indiquant qu’ils ne respectaient pas les prescriptions du médecin du travail. La société RATP l’a autorisée à rester chez elle, en lui demandant de téléphoner chaque matin au secrétariat de l’unité.
Par lettre notifiée le 10 juin 2014, Mme [G] a été convoquée à un entretien préalable à une sanction disciplinaire fixé au 18 juin 2014. Le 11 juillet 2014, une disponibilité d’office lui a été notifiée. Mme [G] a contesté cette sanction.
Le 8 août 2014, la RATP a notifié un avertissement à Mme [G].
Le 24 septembre 2014, le médecin du travail a maintenu son avis d’inaptitude définitive à l’emploi statutaire et a indiqué que les postes qui avaient été proposés à Mme [G] n’étaient pas compatibles avec son état de santé. Le 25 septembre 2014, la RATP a maintenu l’autorisation donnée à Mme [G] qu’elle reste chez elle.
Par lettre du 1er décembre 2014, Mme [G] a été convoquée à un entretien fixé au 16 décembre 2014.
Par lettre notifiée le 23 décembre 2014 la RATP a prononcé la réforme de Mme [G] pour impossibilité de reclassement à la suite de l’inaptitude définitive à son emploi statutaire ; elle a été dispensée d’effectuer son préavis de deux mois.
Mme [G] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris le 19 mai 2015 pour former les demandes suivantes :
« Dire et juger que la salarié a été victime harcèlement moral
Dire et juger que la RATP a manqué à son obligation de sécurité de résultat.
Dire et juger nulle la rupture du contrat de travail par mise à la retraite par réforme à titre principal et s’analysant en un licenciement sans cause réelle et sérieuse à titre subsidiaire
Dire et juger la procédure irrégulière
Réintégration dans l’entreprise sous astreinte de 1 000,00 € par jour de retard
Se réserver la liquidation de l’astreinte
Salaires à compter du 27 février 2015 jusqu’à la date de réintégration effective et à minima jusqu’à celle du prononcé du jugement, soit durant au moins 4 années : 107 340,00 € Brut à parfaire
Congés payés afférents à parfaire : 10 734,00 €
Dommages et intérêts pour harcèlement moral : 100 000,00 €
Dommages et intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat : 50 000,00 €
Dommages et intérêts pour non respect de la procédure interne de mise à la retraite pour réforme : 20 000,00 €
Perte de chance de voir évoluer sa carrière en l’absence d’entretien individuel : 20 000,00 €
Intérêt au taux légal
Annuler les sanctions prises à l’encontre de la salariée des 11 juillet au 8 août 2014
Article 700 du Code de procédure civile : 8 000,00 €
Dépens. »
L’affaire a été radiée le 14 novembre 2016 ; elle a été ré-inscrite le 3 août 2018.
Par jugement du 2 décembre 2020, auquel la cour se réfère pour l’exposé de la procédure antérieure, le conseil de prud’hommes a rendu la décision suivante :
« Déboute Madame [T] [G] de ses demandes.
Déboute la régie autonome des transports parisiens (RATP) de sa demande reconventionnelle. »
Mme [G] a relevé appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique le 23 juin 2021.
La constitution d’intimée de la société RATP a été transmise par voie électronique le 31 août 2021.
Par dernières conclusions communiquées par voie électronique le 2 octobre 2023, auxquelles la cour fait expressément référence pour l’exposé des moyens, Mme [G] demande à la cour de :
« Déclarer Madame [G] recevable et bien fondée en son appel ;
Infirmer le jugement du Conseil de Prud’hommes de PARIS du 2 décembre 2020 en ce qu’il a débouté Madame [G] de ses demandes ;
Statuant de nouveau :
Déclarer que Madame [G] a été victime d’actes de harcèlement moral ;
Déclarer que la RATP a manqué à son obligation de sécurité de résultat ;
Prononcer la nullité de la rupture du contrat de travail de Madame [G] par mise à la retraite par réforme à titre principal ;
Prononcer et déclarer que la rupture du contrat de travail de Madame [G] par mise à la retraite par réforme s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse à titre subsidiaire ;
Dire et juger la procédure interne irrégulière ;
En conséquence :
Condamner la RATP à payer à Madame [G] :
– La somme de 100.000 euros pour harcèlement moral ;
– La somme de 50.000 euros pour violation de l’obligation de sécurité de résultat ;
– La somme de 20.000 euros pour non respect de la procédure interne de mise à la retraite par réforme ;
– La somme de 20.000 euros au titre de la perte de chance de voir évoluer sa carrière en l’absence d’entretien annuel,
Le tout avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du Conseil de Prud’hommes,
Ordonner sous astreinte de 1.000 € par jour de retard à compter de la notification du jugement à intervenir, la réintégration de Madame [G] au sein de la RATP, Avec toutes les conséquences de droit en matière de salaire et avantages, retraite, congés payés et droit aux congés de formation,
Condamner la RATP à verser à Madame [G] les salaires échus sur la période du 27 février 2015 jusqu’à la date de sa réintégration effective et à minima, pendant une durée de 4 années, représentant la somme de 104.260,80 € bruts à parfaire.
A titre subsidiaire, pour le cas où la Cour n’ordonnerait pas la réintégration de Madame [G] au sein de la RATP, condamner la RATP à payer à Madame [G] :
– La somme de 15.526,71 euros à titre d’indemnité légale de licenciement ;
– La somme de 51.600 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Annuler les sanctions prises à l’encontre de Madame [G] en date des 11 juillet 2014 et 8 août 2014,
Débouter la RATP de toutes ses demandes, fins et conclusions,
Condamner la RATP à payer à Madame [G] la somme de 8.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamner la RATP aux entiers dépens de la présente instance. »
Par dernières conclusions communiquées par voie électronique le 6 novembre 2023, auxquelles la cour fait expressément référence pour l’exposé des moyens, la RATP demande à la cour de :
« RECEVOIR la RATP en ses conclusions.
CONFIRMER le jugement rendu le 2 décembre 2020 par le Conseil de Prud’hommes de PARIS en toutes ses dispositions.
Y faisant droit,
CONSTATER l’absence de harcèlement moral à l’égard de Madame [G].
CONSTATER l’absence de manquement à l’obligation de sécurité de la RATP.
CONSTATER l’absence d’irrégularité de la procédure de reclassement menée par la RATP.
CONSTATER la régularité et le bien-fondé de la rupture du contrat de travail consistant en une réforme pour impossibilité de reclassement.
CONSTATER l’absence d’irrégularité dans le déroulement de carrière de Madame [G].
En conséquence :
DEBOUTER Madame [G] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions.
CONDAMNER Madame [G] à payer à la RATP la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
CONDAMNER Madame [G] aux entiers dépens de première instance et d’appel. »
L’ordonnance de clôture a été rendue à la date du 21 novembre 2023.
L’affaire a été appelée à l’audience du 5 décembre 2023.
MOTIFS
Sur le harcèlement moral
L’article 1152-1 du code du travail dispose que :
‘Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.’
Selon l’article L. 1154-1 du code du travail, alors applicable, il incombe au salarié qui l’invoque d’établir des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. Dans cette hypothèse, il incombera à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Mme [G] expose avoir fait l’objet d’un harcèlement moral de la RATP par le CCAS qui lui a imposé un suivi médical encadré et a refusé toutes les sorties libres qui étaient autorisées par les médecins prescripteurs des arrêts de travail.
Le courrier du 05 février 2010 de la CCAS a mis en place un suivi médical renforcé, ce qui avait pour conséquence que Mme [G] devait se présenter systématiquement au médecin conseil du CCAS le premier jour suivant la délivrance de tout arrêt de travail, le non- respect entraînant la suspension des prestations.
La CCAS a refusé les possibilités de sorties libres ou élargies dans le cadre des arrêts de travail par courriers des 28 décembre 2010 et 09 décembre 2011.
Mme [G] indique que malgré l’avis du médecin du travail elle est restée affectée sur la ligne 4, celle sur laquelle elle avait subi une agression. Elle dépendait de cette ligne de métro, jusqu’à la rupture de son contrat de travail, et n’a été affectée qu’à deux reprises dans d’autres structures, la ligne 10 pour une durée ponctuelle de quelques jours à la fin du mois d’octobre 2013, puis aux ateliers de [Localité 5] à compter du 28 octobre 2013, pour une durée d’un mois, renouvelable.
Le 03 novembre 2011 Mme [G] a eu un entretien avec deux personnes en charge des ressources humaines et explique qu’elles lui ont reproché sa situation. Elle a fait un malaise à l’issue de l’entretien puis a été en arrêt de travail et a écrit à son employeur pour faire état du comportement malveillant de ses deux interlocuteurs.
Mme [G] explique avoir été traitée avec mépris lors de sa mission à [Localité 5], avec des consignes contraires et des propos durs qui ont nécessité un entretien avec un cadre en présence de deux délégués syndicaux. Ces derniers attestent des pleurs, de l’état psychologique de Mme [G] et de la confirmation par le cadre d’une difficulté concernant le lieu d’activité de la salariée.
Mme [G] a fait l’objet de plusieurs sanctions disciplinaires :
– un avertissement le 3 avril 2014, qui a été contesté,
– une mise en disponibilité d’office d’une journée pour ne pas s’être présentée à un entretien le 28 avril 2014 pour une présentation de mission, d’avoir quitté l’entreprise, puis le 30 mai 2014 d’avoir refusé de se rendre à deux entretiens pour envisager des missions,
– un avertissement a été prononcé le 08 août 2014 pour s’être déclarée gréviste le 09 juillet 2014 sans avoir respecté le délai de prévenance de 48h.
Mme [G] explique avoir été sans affectation et contrainte de rester chez elle à compter du 30 mai 2014 et d’avoir dû appeler chaque jour le secrétariat de l’unité à 8h30 pour s’enquérir de sa situation, ce qui résulte expressément du courrier qui lui a été adressé par le responsable RH de la ligne 4. Elle expose que la RATP a tenté de contourner les avis du médecin du travail, ce qui résulte des propositions de reclassement qui ont été faites sur des postes que ce praticien a estimé inadaptés, conformément aux avis antérieurs.
Le médecin du travail a émis une décision d’inaptitude définitive de Mme [G] à son poste les 14 et 28 avril 2014, ce qui a entraîné la décision de mise à la réforme, faute de possibilité de reclassement dans l’entreprise.
Mme [G] a fait l’objet d’une réforme et soutient que c’était de manière injustifiée, faisant valoir que les règles statutaires n’ont pas été respectées en ce que la décision a été prise en l’absence d’avis de la commission médicale et qu’elle n’a pas été prononcée par le président directeur général de la RATP.
Mme [G] a fait l’objet de nombreux arrêts de travail, était suivie par un psychiatre qui a établi plusieurs courriers dans lesquels il soulignait les conséquences importantes des différents comportements de son employeur sur son état de santé.
Pris dans leur ensemble, ces éléments permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral.
La RATP ne produit pas d’élément relatif au comportement qui a été imputé à Mme [G] le 27 mars 2014 dans le cadre de la sanction du 03 avril suivant.
Mme [G] n’a pas contesté ne pas s’être rendue aux entretiens prévus les 28 avril et 30 mai 2014. Cependant, il ne peut qu’être constaté que les missions proposées devaient se dérouler dans des sites éloignés du domicile de la salariée, ce qui imposait ainsi des trajets et n’était pas conforme aux prescriptions du médecin du travail qui avaient déjà été faites, ce dont l’appelante avait avisé son responsable. Le compte rendu d’entretien préalable à la sanction indique que Mme [G] avait déjà été mise en garde à plusieurs reprises, ce qui n’est pas établi par les éléments produits. Dans ces conditions, la sanction d’une disponibilité sans traitement n’était pas proportionnée.
Mme [G] n’a pas contesté avoir avisé le secrétariat de son responsable le jour même où elle était en grève alors qu’un délai de prévenance de 48 heures était nécessaire. Elle a contesté cette sanction, soulignant avoir déjà procédé ainsi, sans difficulté. La salariée était sans affectation au moment de l’exercice du droit de grève et devait seulement appeler le secrétariat de son unité à 8h30, de sorte que le non-respect du délai de prévenance n’a eu aucune conséquence sur le déroulement de l’activité de l’entreprise. En l’absence de démonstration d’un comportement fautif de la part de Mme [G], la sanction n’était pas justifiée.
La RATP produit plusieurs attestations de personnes qui étaient présentes le 27 novembre 2023 sur le site de [Localité 5] et expliquent qu’aucun propos déplacé n’a été tenu par la responsable de Mme [G], que c’est cette dernière qui a monté le ton, a hurlé plusieurs fois, puis qu’elle était en pleurs. Ces éléments contredisent la version d’un comportement inadapté de la responsable à l’égard de la salariée.
La RATP justifie que les décisions concernant Mme [G] ont été prises après avis du médecin conseil de la CCAS, qui intervient en qualité d’organisme de sécurité sociale et non comme employeur.
La RATP justifie des différentes affectations de Mme [G], y compris par le biais de missions ponctuelles, pour respecter les préconisations du médecin du travail, y compris sur d’autres structures que la ligne 4.
La RATP explique qu’après l’avis d’inaptitude définitive à son emploi statutaire rendu par le médecin du travail le 28 avril 2014, des recherches ont été effectuées puis les trois postes proposés ont été refusés par Mme [G], ce qui a justifié qu’elle soit dispensée de travailler en restant à la disposition de l’entreprise. Pour autant, la demande spécifique qui a été formée par le responsable des ressources humaines que Mme [G] contacte chaque jour le secrétariat de son unité à 8h30 n’était pas justifiée par cette situation.
La RATP justifie par son statut que l’avis de la commission médicale est prévu pour la réforme pour inaptitude à tout emploi à la RATP, dans le cadre d’une procédure distincte de celle de la réforme pour impossibilité de reclassement suite à inaptitude à l’emploi statutaire. Cette dernière procédure dont Mme [G] a fait l’objet prévoit des démarches de reclassement préalables, auxquelles il a été procédé, sans imposer la saisine de la commission médicale.
La RATP justifie que le président directeur général de la RATP a donné une délégation de pouvoir au sein de l’entreprise le 10 octobre 2012 pour la fonction de président de la commission de reclassement, et à ce titre pour prononcer la réforme des agents reconnus inaptes définitifs à leur emploi statutaire et qui n’ont pas pu être reclassés dans un autre emploi.
La RATP justifie ainsi que les demandes formées par la CCAS concernant le suivi médical de Mme [G] étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, de l’absence de comportement spécifique survenu à l’encontre de la salariée le 27 novembre 2013 et avoir accompli plusieurs démarches destinées à permettre une affectation adaptée à son état de santé. Cependant, elle ne produit pas d’élément concernant le comportement du 3 novembre 2011 signalé par la salariée, qui a été à l’origine d’un arrêt de travail. Les sanctions prononcées à l’égard de Mme [G] ne sont pas justifiées par les éléments produits et étaient disproportionnées. Les propositions de reclassement qui ont été faites concernaient des postes éloignés du domicile de la salariée, ce qui les rendait manifestement inadaptées aux avis antérieurs du médecin du travail, ce que ce praticien a ensuite confirmé. La demande spécifique faite à Mme [G] d’appeler chaque jour le secrétariat n’est non plus justifiée par aucun élément objectif étranger à tout harcèlement. En conséquence, le harcèlement moral de Mme [G] est établi.
La RATP sera condamnée à payer à Mme [G] la somme de 10 000 euros à titre de dommage-intérêts.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur la nullité du licenciement
L’article L. 1152-3 du code du travail dispose que : ‘Toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.’
La décision de réforme est intervenue dans le contexte de harcèlement moral de Mme [G]. L’inaptitude définitive de Mme [G] à son emploi statutaire est contemporaine des sanctions injustifiées qui ont été prononcées à son encontre et des propositions d’affectation à des postes qui ne respectaient pas les préconisations antérieures du médecin du travail. Le harcèlement moral a ainsi participé à la dégradation de l’état de santé de Mme [G] et a conduit à la décision de réforme la concernant, qui doit en conséquence être annulée.
Les sanctions disciplinaires des 11 juillet et 08 août 2014 s’inscrivent également dans le cadre du harcèlement moral et doivent dès lors être annulées.
Le jugement sera infirmé de ces chefs.
Mme [G] demande sa réintégration et la condamnation de l’intimée à lui payer un rappel de salaires et de congés payés afférents.
La RATP s’oppose à ces demandes en contestant le harcèlement moral, sans développer d’autre moyen sur celles-ci.
La réintégration de Mme [G] doit ainsi être ordonnée. Il n’y a pas lieu à astreinte en l’état des éléments produits.
Mme [G] a droit à une indemnité égale aux salaires qui auraient été perçus de la date de l’effectivité de la réforme, le 27 février 2015, jusqu’à sa réintégration effective.
Le salaire mensuel de 2 172,10 euros qui résulte des conclusions de l’appelante n’est pas discuté par l’intimée, qui sera condamnée au paiement de cette indemnité en prenant en compte ce montant.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur le manquement à l’obligation de sécurité
L’article L. 4121-1 du code du travail dispose que ‘L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels ;
2° Des actions d’information et de formation ;
3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adéquation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.’
L’article L.4121-2 du contrat de travail, dans sa rédaction issue de la loi n°2012-954 du 6 août 2012, dispose que:
« L’employeur met en oeuvre les mesures prévues à l’article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
1° Eviter les risques ;
2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
3° Combattre les risques à la source ;
4° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
5° Tenir compte de l’état d’évolution de la technique ;
6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu’ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1 ;
8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs. »
Il résulte de ces textes que l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité envers les salariés, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Toutefois, l’employeur ne méconnaît pas cette obligation légale s’il justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et qui, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un manquement à son obligation de sécurité, a pris les mesures immédiates propres à les faire cesser.
Mme [G] fait valoir que l’employeur a manqué à son obligation de sécurité en ne prenant pas de mesure après les signalements qu’elle a effectués, en ne procédant pas à une enquête et en ne mettant pas en place dans l’entreprise les documents d’évaluation des risques.
La RATP explique que les courriers adressés par Mme [G] ne mentionnaient pas qu’elle était victime de harcèlement moral et que les dispositifs de prévention existaient.
Mme [G] a adressé plusieurs courriers à ses responsables, ou à la CCAS.
Le courrier dans lequel elle signale son accident du travail du 27 novembre 2013 et fait état des propos tenus par des salariés du site de [Localité 5] a fait l’objet d’une enquête de la RATP, qui a procédé à des auditions. Il en est résulté que les témoins n’ont pas confirmé le comportement des salariés tel que décrits par Mme [G].
Mme [G] a adressé de nombreux courriers à son responsable dans lesquels elle fait expressément état des difficultés qu’elle rencontrait. Dans celui du 22 mai 2014 elle indique expressément informer son responsable de son désarroi, face à des méthodes de travail non professionnelles, irrespectueuses, intimidantes et très fatigantes. Elle y décrit sur plusieurs pages les sanctions, les difficultés d’exercice, l’absence de réelle mesure, ainsi que des menaces formulées si elle ne donnait pas suite aux propositions de reclassement. Dans le courrier du 22 août 2014 contestant la sanction reçue le 18 août elle fait état d’un acharnement hiérarchique et irresponsable. Le 16 septembre 2014 elle a de nouveau décrit ses difficultés.
Ces courriers signalent un mal-être important et font état des différents faits retenus dans le cadre du harcèlement moral. Les responsables de la RATP ont apporté des réponses pour confirmer les sanctions, ou proposer des postes qui ne correspondaient pas aux préconisations du médecin du travail, sans réelle mesure prise par l’employeur pour appréhender la situation de souffrance qui était décrite par la salariée, dont les arrêts de travail se renouvelaient et dont l’ampleur de l’inaptitude était de plus en plus importante.
Si la RATP justifie avoir mis en place une procédure de prévention au sein de l’entreprise et différents documents d’évaluation des risques professionnels, en s’abstenant de toute mesure effective et pertinente concernant la situation de Mme [G] elle a en revanche manqué à son obligation de sécurité.
La RATP sera condamnée à lui verser la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur la violation de la procédure interne de mise à la réforme
Mme [G] demande des dommages-intérêts pour le non-respect des règles de mise à la réforme invoquant le fait que la décision n’a pas été signée par le président directeur général de la RATP et l’absence d’avis de la commission médicale.
Le président directeur général avait donné une délégation de pouvoir portant sur cette compétence, de sorte que c’est valablement qu’il n’est pas le signataire de la lettre de mise à la réforme.
Le statut de la RATP ne prévoit l’avis de la commission médicale que pour l’hypothèse d’une réforme pour inaptitude à tout emploi dans l’entreprise, ce qui n’était pas la situation de Mme [G].
Mme [G] doit être déboutée de sa demande.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur l’absence d’entretien d’évaluation
Mme [G] expose que l’employeur n’a pas procédé à l’entretien d’appréciation et de progrès prévu par l’article 122 du statut du personnel, qui aux termes du statut est un préalable à toute évolution de carrière. Elle explique que cela s’analyse en une discrimination et une rupture d’égalité salariale, et constitue également un manquement de l’employeur à ses obligations.
L’appelante n’explique pas quel serait le motif de discrimination invoqué et ne se compare pas avec d’autres salariés.
La RATP fait vainement valoir que l’entretien est prévu ‘dans la mesure du possible’ à un rythme annuel, dès lors qu’il n’est pas même établi qu’ils aient eu lieu à une autre périodicité. Elle justifie en revanche que Mme [G] a bénéficié des passages de niveaux professionnels dans le cadre de la fourchette prévue par les protocoles de l’entreprise, à un rythme proche de la moyenne des salariés.
Si l’employeur a manqué à son obligation, aucun préjudice consécutif n’est démontré par la salariée.
Mme [G] sera déboutée de sa demande.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur les intérêts
Conformément aux dispositions de l’article 1231-7 du code civil, les dommages-intérêts sont assortis d’intérêts au taux légal à compter de la présente décision.
Sur les dépens et frais irrépétibles
La RATP qui succombe supportera les dépens et sera condamnée à verser à Mme [G] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement du conseil de prud’hommes, sauf en ce qu’il a débouté Mme [G] de ses demandes de dommages-intérêts pour violation de la procédure interne de mise à la réforme et pour absence d’entretien d’évaluation,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,
Prononce la nullité de la mise à la réforme de Mme [G],
Ordonne la réintégration de Mme [G] au sein de la RATP et dit n’y avoir lieu à astreinte,
Condamne la RATP à verser à Mme [G] :
– une indemnité d’éviction égale aux salaires qui auraient été perçus entre le 27 février 2015 et la date de réintégration effective dans l’entreprise sur la base d’une rémunération mensuelle de 2 172,10 euros,
– la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,
– la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,
Dit que les dommages-intérêts alloués portent intérêts au taux légal à compter de la présente décision,
Annule les sanctions des 11 juillet et 08 août 2014,
Condamne la RATP aux dépens,
Condamne la RATP à payer à Mme [G] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT