Indemnité d’éviction : 31 août 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 19/11692

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Indemnité d’éviction : 31 août 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 19/11692

31 août 2022
Cour d’appel de Paris
RG
19/11692

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 4

ARRET DU 31 AOUT 2022

(n° , 6 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/11692 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CBARB

Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 Juillet 2019 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° F15/14828

APPELANTE

Madame [E] [P]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Sabine GUEROULT, avocat au barreau de PARIS, toque : D1491

INTIMEE

SASU WOLTERS KLUWER FRANCE prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Lorelei GANNAT, avocat au barreau de PARIS, toque : P010

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 17 Mai 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Bruno BLANC, Président, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Monsieur Bruno BLANC, président

Madame Anne-Ga’l BLANC, conseillère

Madame Florence MARQUES, conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Victoria RENARD

ARRET :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Bruno BLANC, Président et par Victoria RENARD, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

EXPOSÉ DU LITIGE :

La société Wolters Kluwer France est une société française d’édition et d’information professionnelle.

Madame [E] [P] a été embauchée au sein de la Société à compter du 26 août 2013 en qualité de Directrice de l’activité logiciel, cadre niveau 14 de la convention collective de la presse d’information spécialisée.

Le 18 mai 2015, Madame [E] [P] a été désignée en qualité de « représentante de section syndicale » (RSS) de la CFE-CGC au sein de la SAS WKF.

Un courrier d’information de la nomination de Madame [E] [P] en qualité de RSS, daté du 18 mai 2015, a été envoyé par le syndicat à la SAS WKF le 19 mai 2015 et réceptionné le 21 mai suivant par la société.

La SAS WKF convoquait Madame [E] [P] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 4 juin 2015, par un courrier daté du 20 mai 2015 mais expédié le 22 mai 2015 .

Par jugement du 24 juin 2015, le Tribunal d’instance de Puteaux a annulé la désignation en qualité de RSS de Madame [E] [P] .

La SAS WKF notifiait à Madame [E] [P] , par courrier du 25 juin 2015, son licenciement pour insuffisance professionnelle. Madame [P] était dispensée d’exécuter son préavis d’une durée de 3 mois et son contrat de travail prenait définitivement fin le 26 septembre 2015, date à laquelle ses documents de fin de contrat lui étaient remis.

Contestant le motif de son licenciement, Madame [E] [P] a saisi le Conseil de prud’hommes le 24 décembre 2015.

La cour statue sur l’appel interjeté par madame [E] [P] du jugement rendu par le Conseil de Prud’Hommes de Paris le 29 juillet 2019 qui l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes et l’a condamnée aux dépens.

Par conclusions notifiées sur le RPVA le 17 mars 2022, madame [E] [P] demande à la cour de :

– DÉCLARER Madame [P] recevable et bien fondée en ses demandes ;

– INFIRMER le jugement entrepris ;

Statuant à nouveau,

‘ Sur les demandes relatives à l’exécution du contrat de travail :

1/

A titre principal :

– JUGER que la SAS WKF a commis des faits constitutifs de discrimination syndicale à l’encontre de Madame [P] ;

A titre subsidiaire :

– JUGER que la SAS WKF n’a pas exécuté loyalement le contrat de travail de Madame [P] ;

En tout état de cause :

– CONDAMNER la SAS WKF à verser à Madame [P] la somme de 126.000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi ;

2/

– CONDAMNER la SAS WKF à verser à Madame [P] la somme de 11.000 € au titre du Bonus sur Objectifs (BSO) 2015 non versé outre 1.100 € de congés payés afférents.

– ORDONNER à la SAS WKF la remise d’un bulletin de salaire et d’une attestation Pôle Emploi rectifiée, et conformes à la décision à intervenir ;

‘ Sur les demandes relatives à la rupture du contrat de travail :

A titre principal :

– JUGER que le licenciement de Madame [P] est nul ;

En conséquence,

– ORDONNER la réintégration de Madame [P] au sein des effectifs de la SAS WKF ;

– CONDAMNER la SAS WKF à verser à Madame [P] une indemnité dont le montant est à parfaire (en fonction de la date du délibéré) et correspondant aux salaires, congés payés et RTT qu’elle aurait dû percevoir entre le 27 septembre 2015 et la date à laquelle le délibéré de la présente affaire sera prononcé, ce, sur la base d’une rémunération mensuelle de 10.491 €, au minimum égale à 923.208 € (calcul arrêté à la date de plaidoirie du 17 mai 2022) ;

A titre subsidiaire :

– JUGER que le licenciement de Madame [P] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

En conséquence,

– CONDAMNER la SAS WKF à verser à Madame [P] la somme de 150.000 € nets de CSG-CRDS et de charges sociales à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

‘ Sur les autres demandes :

– FIXER la moyenne des salaires à la somme de 10.491 € ;

– CONDAMNER la SAS WKF à verser à Madame [P] la somme de 6.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

– DIRE que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la saisine du ConseiPrud’hommes en application des articles 1231-6 et 1231-7 du Code civil ;

– CONDAMNER la SAS WKF aux entiers dépens y compris les frais d’exécution de la décision à intervenir.

Par conclusions notifiées sur le RPVA le 21 mars 2022, la société WOLTERS KLUWER FRANCE demande à la cour de :

1 – A titre principal :

‘ Recevoir la Société en ses fins et conclusions,

Et y faisant droit,

‘ Déclarer irrecevable comme prescrite la demande nouvelle et formulée à titre principale par Madame [P] visant à reconnaître la nullité de son licenciement et ordonner sa réintégration au sein de la Société ainsi que la condamnation de la Société au paiement de l’indemnité dont le montant est à parfaire et correspondant aux salaires, congés payés et RTT qu’elle aurait dû percevoir entre le 27 septembre 2015 et la date à laquelle le délibéré de la présente affaire sera prononcé, ce, sur la base d’une rémunération mensuelle de 10.491 € ;

‘ Confirmer par ailleurs le jugement du Conseil de prud’hommes de Paris en ce qu’il a débouté Madame [P] de :

– Sa demande de rappel de Bonus sur Objectifs (BSO) 2015 ainsi que les congés payés afférents ;

– Sa demande de requalification de son licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– Sa demande d’indemnisation au titre d’une exécution déloyale du contrat de travail ;

Ce faisant :

‘ Débouter Madame [P] de l’intégralité de ses demandes.

2 – A titre subsidiaire :

Sur les demandes relatives au licenciement de Madame [P] :

‘ Constater l’absence de tout élément pouvant laisser supposer l’existence d’une discrimination syndicale à l’encontre de Madame [P] ;

‘ Débouter Madame [P] de sa demande visant à reconnaître la nullité de son licenciement et ordonner sa réintégration au sein de la Société ainsi que la condamnation de la Société au paiement de l’indemnité dont le montant est à parfaire et correspondant aux salaires, congés payés et RTT qu’elle aurait dû percevoir entre le 27 septembre 2015 et la date à laquelle le délibéré de la présente affaire sera prononcé, ce, sur la base d’une rémunération mensuelle de 10.491 € ;

‘ Confirmer par ailleurs le jugement du Conseil de prud’hommes de Paris en ce qu’il a débouté Madame [P] de sa demande de requalification de son licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Ce faisant :

‘ Débouter Madame [P] de ses demandes visant à reconnaître la nullité de son licenciement et, à défaut, l’absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement.

Sur la demande de rappel de Bonus sur Objectifs (BSO) 2015 ainsi que les congés payés afférents :

‘ Fixer le montant du rappel de salaire à la somme de 2.772€ bruts, à l’exclusion de toute indemnité compensatrice de congés payés afférente.

3 – A titre très subsidiaire :

Sur les demandes relatives au licenciement de Madame [P] s’il était, par extraordinaire, considéré comme nul :

‘ Constater l’impossibilité matérielle de réintégration de Madame [P] ;

‘ Débouter Madame [P] de sa demande visant à ordonner sa réintégration au sein de la Société ainsi que la condamnation de la Société au paiement de l’indemnité dont le montant est à parfaire et correspondant aux salaires, congés payés et RTT qu’elle aurait dû percevoir entre le 27 septembre 2015 et la date à laquelle le délibéré de la présente affaire sera prononcé, ce, sur la base d’une rémunération mensuelle de 10.491 € ;

Ce faisant :

– Limiter les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à hauteur de 2 mois de salaire, soit 20.982 € bruts.

4 – A titre encore plus subsidiaire :

Sur les demandes relatives au licenciement de Madame [P], si par extraordinaire, il était considéré comme nul et que la réintégration était considérée comme matériellement possible :

‘ Fixer l’indemnité d’éviction consécutif à la réintégration de Madame [P] à une somme correspondant à un rappel de salaire :

– Sur la période comprise entre le 17 février 2020 et la date de la décision à intervenir sur la base d’une rémunération mensuelle de 10.491€ bruts ;

– A l’exclusion de toute indemnité compensatrice de congés payés et RTT ;

– Après déduction des sommes perçues au titre de la rupture de son contrat de travail, à savoir l’indemnité compensatrice de préavis ainsi que l’indemnité conventionnelle de licenciement.

5 ‘ A titre infiniment subsidiaire :

Sur les demandes relatives au licenciement de Madame [P], si par extraordinaire, il était considéré comme injustifié :

– Limiter les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à hauteur de 2 mois de salaire, soit 20.982 € bruts.

En tout état de cause :

‘ Débouter Madame [P] de sa demande de fixation des intérêts à la date de saisine du Conseil de prud’hommes ;

‘ Débouter Madame [P] de sa demande relative aux dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;

‘ Condamner Madame [P] à verser à la Société la somme de 6.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;

‘ Condamner Madame [P] aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 22 mars 2022.

Par application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément fait référence aux conclusions sus visées.

Les parties, présentes à l’audience, ont été informées que l’affaire était mise en délibéré et que l’arrêt serait rendu le 31 août 2022 par mise à disposition au greffe de la cour.

La cour, lors de l’audience de plaidoiries a invité les parties à rencontrer un médiateur. Elles n’ont pas entendu donner suite à la proposition de médiation.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la demande tendant à voir reconnu l’existence d’une discrimination syndicale :

Il résulte des dispositions de l’article L 1471-1 du Code du Travail (dans sa version applicable au présent litige) que « Toute action portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit. »

Or la demande formulée le 17 février 2020, soit plus de deux ans après l’avoir abandonnée en première instance, est irrecevable en application des dispositions des articles L. 1471-1 du Code du travail susvisé et 2243 du Code civil.

Sur la rupture du contrat de travail :

En substance, il résulte de la lettre de licenciement du 25 juin 2015 que madame [E] [P] – engagée le 26 août 2013 -a été licenciée pour insuffisance professionnelle ,soit 18 mois après son embauche et alors qu’un contentieux s’est élevé entre les parties dans un contexte d’engagement syndical.

En application de l’article L 1235-1 du code du travail, il appartient au juge d’apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur et de former sa conviction au vu des éléments fournis par les parties.

Si l’appréciation des aptitudes professionnelles à l’emploi incombe à l’employeur, l’insuffisance professionnelle et l’insuffisance de résultat dés lors qu’elles sont soutenues doivent reposer sur des éléments concrets et des griefs suffisamment pertinents pour justifier le licenciement.

Force est de constater que la société WOLTERS KLUWER FRANCE aucun document pour la période considérée démontrant que l’attention de madame [E] [P] a été appelée sur des insuffisances de sa part .

L’évaluation 2013-2014 en date du 21.03.2014 ,produite par la salariée, fait apparaître l’appréciation du manager suivante :

‘ [E] a fait une excellente prise de poste en s’impliquant très fortement sur le terrain (rencontres avec chacun de ses collaborateurs, travail très collaboratif avec l’équipe commerciale & ESDO, rencontres clients et suivi personnalisés pour clients VIP) afin de faire son bilan de notre activité logiciels, définir des objectifs de progrès et plan d’actions associé. Ses compétences en terme de support client et de construction de process efficaces afin de gagner davantage de clients sur des dossiers sécurisés et aussi d’assurer une satisfaction clients de bout en bout font énormément progresser notre organisation.

[E] a hérité d’une équipe de management qu’il faut remanier tout en sécurisant le business qui est en croissance mais avec une très mauvaise rentabilité. [E] a une véritable finesse de compréhension des leviers de motivation individuels de ses collaborateurs. Elle sait s’adapter aux situations et remettre les équipes au travail ou s’adapter en leur faisant comprendre les impacts de leurs actions.

[E] avance proactivement sur les sujets et c’est un plaisir de travailler avec elle. Elle est extrêmement impliquée dans son rôle et doit juste s’assurer de garder son équilibre personnel et rester sereine face à certaines situations de provocation que nous gèrons.’.

L’appréciation 2014-2015 en date du 16 mars 2015 – soit 2 mois avant le licenciement , si elle constate des résultats décevants mentionne : ‘ je compte sur sylvie pour redresser cette situation en 2015 et suis comme toujours à sa disposition pour affiner et appuyer des plans d’actions concrets qu’elle proposerait’.

Il apparaît que le licenciement prématuré de la salariée ne pouvait pas lui permettre de faire ses preuves dans un contexte relationnel par ailleurs extrêmement tendu.

Le licenciement de madame [E] [P] est donc dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Madame [E] [P] sera indemnisée sur le fondement de l’article L 1235-5 du code du travail dans sa version applicable au litige et compte tenu , notamment se son ancienneté, de son age au moment de la rupture ( 54 ans ) et de la perte importante de revenus au regard de sa situation actuelle.

Il sera alloué à madame [E] [P] la somme de 126.000 euros. La salarié ne rapporte pas la preuve de l’existence d’un préjudice moral distinct ou encore l’existence de circonstances vexatoires ayant présidées à la rupture du contrat de travail.

Il n’apparaît pas équitable que madame [E] [P] conserve la charge de ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS :

La Cour statuant par mise à disposition et contradictoirement,

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau :

Juge le licenciement de madame [E] [P] dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

Condamne la société WOLTERS KLUWER FRANCE à payer à madame [E] [P] la somme de 126.000 euros en application des dispositions de l’article L 1235-5 du code du travail;

Condamne la société WOLTERS KLUWER FRANCE à payer à madame [E] [P] la somme de 6.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société WOLTERS KLUWER FRANCE aux dépens de première instance et d’appel.

LA GREFFI’RE LE PR »SIDENT

 


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