30 novembre 2022
Cour d’appel de Paris
RG n°
20/04086
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 3
ARRÊT DU 30 NOVEMBRE 2022
(n° , 10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/04086 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CBSDI
Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Février 2018 -Tribunal de Grande Instance de PARIS CEDEX 17 RG n° 13/10765
APPELANTE
SARL EDITIONS CARACTERES
Ayant son siège : [Adresse 2]
N° SIRET : 308 280 361
Prise en qualité de représentant légal
Représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480
Représentée par Me Isabelle GABRIEL de la SELARL G 2 & H, avocat au barreau de PARIS, toque : U0004
INTIMES
Maître [P] [E]
Ayant son étude : [Adresse 1]
né le 28 Octobre 1964 à [Localité 4]
Prise en sa qualité d’Administrateur Provisoire de la SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE L’ARBALETE,
S.C.I. L’ARBALETE
Ayant son siège : [Adresse 2]
N° SIRET : 343 281 549
Représentée par Me Alain RAPAPORT, avocat au barreau de PARIS, toque : K0122
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 18 Octobre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Gilles BALAY, Président de chambre
Madame Emmanuelle LEBEE, Présidente honoraire de chambre
Monseiur Douglas BERTHE, Conseiller chambre 5-3
qui en ont délibéré
Un rapport a été présenté à l’audience par Monsieur Douglas BERTHE Conseiller dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Sylvie MOLLÉ
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Gilles BALAY, Président de chambre et par Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE
Depuis le 27 mai 1982, la société Éditions Caractères était preneuse de locaux situés [Adresse 2] et appartenant à la SCI d’Arbalète.
Par exploit du 05 mars 2012, la bailleresse a refusé le renouvellement du bail sollicité par la preneuse et a offert le paiement d’une indemnité d’éviction.
Par exploit du 12 juillet 2013, la preneuse a fait assigner à comparaître sa bailleresse devant le tribunal de grande instance de Paris en paiement d’une indemnité d’éviction et de dommages et intérêts.
Par exploit du 09 octobre 2013, la preneuse a fait assigner à comparaître en intervention forcée Me [P] [E], administrateur judiciaire provisoire de la SCI d’Arbalète.
Par jugement du 06 janvier 2015, M. [F] a été désigné en qualité d’expert aux fins essentielles de déterminer le montant des indemnités d’éviction et d’occupation et de donner son avis sur le trouble de jouissance allégué. Le rapport a été déposé le 04 décembre 2015.
Par jugement du 27 février 2018, le tribunal de grande instance de Paris a dit que par l’effet du refus de renouvellement signifié le 06 mars 2012, le bail a pris fin le 31 mars 2012 ; dit que l’éviction entraîne la perte du fonds exploité par la société Éditions Caractères ; fixé à la somme de 59 525 € l’indemnité d’éviction, toutes causes confondues due par la société Editions Caractères à la SCI d’Arbalète ; dit que les frais éventuels de licenciement seront réglés sur justificatifs ; dit que la société Editions Caractères est redevable d’une indemnité d’occupation à l’égard de la SCI d’Arbalète à compter du 1er avril 2012 ; fixé le montant de cette indemnité d’occupation à la somme annuelle de 7 455 € outre les taxes et les charges ; condamné la SCI d’Arbalète à payer à la société Editions Caractères la somme de 15 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation résultant du dégât des eaux ; l’a condamnée à payer à la société Éditions Caractères la somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts pour défaut de délivrance de la cave ; l’a condamnée à lui payer la somme de 3 000 € à titre de dommages et intérêts pour le défaut d’accès aux WC communs ; dit que la compensation entre les sommes dues par la société Éditions Caractères et la SCI d’Arbalète s’opérera de plein droit ; dit n’y avoir lieu à prononcer l’exécution provisoire ; condamné la SCI d’Arbalète à payer à la société Éditions Caractères la somme de 5 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ; rejeté les autres demandes ; condamné la SCI d’Arbalète aux dépens comprenant les frais d’expertise conformément aux dispositions de l’article 699 du même code.
Par déclaration du 24 février 2020, la société Éditions Caractères a interjeté appel partiel du jugement. Par conclusions déposées le 08 septembre 2020, maître [E], ès-qualité d’administrateur provisoire de la SCI l’Arbalète et cette dernière ont interjeté appel incident partiel du jugement.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 07 septembre 2022.
MOYENS ET PRÉTENTIONS
Vu les dernières conclusions déposées le 07 décembre 2020, par lesquelles la société Editions Caractères, appelante à titre principal et intimée à titre incident, demande à la Cour de réformer le jugement en ce qu’il a limité à la somme de 59 525 € l’indemnité d’éviction, toutes causes confondues due par la société Éditions Caractères à la SCI l’Arbalète représentée par maître [E], administrateur judiciaire ; fixé le montant de l’indemnité d’occupation due à compter du 1er avril 2012 à la somme annuelle de 7 455 € outre les taxes et les charges ; limité le montant des dommages et intérêts dus par la SCI l’Arbalète pour défaut de délivrance de la cave à la somme de 5 000 € ; confirmer le jugement rendu en ce qu’il a condamné la SCI d’Arbalète représentée par maître [P] [E], administrateur judiciaire à payer à la société Editions Caractères la somme de 15 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation résultant du dégât des eaux ; condamné la SCI d’Arbalète à lui payer la somme de 3 000 € à titre de dommages et intérêts pour le défaut d’accès aux WC communs ; statuant à nouveau, à titre principal, fixer le montant de l’indemnité d’éviction, hors frais de licenciement éventuels qui seront payés sur justificatifs, à la somme de 236 080 € ; à titre subsidiaire, fixer le montant de l’indemnité d’éviction, hors frais de licenciement éventuels qui seront payés sur justificatifs, à la somme de 99 000,70 € ; en tout état de cause, débouter purement et simplement la SCI d’Arbalète en toutes ses demandes, fins et prétentions ; fixer à 532,50 € par mois l’indemnité d’occupation due par la société Éditions Caractères ; condamner la SCI d’Arbalète à lui payer une somme de 30 000 € pour défaut de délivrance de la cave ; la condamner à lui payer la somme de 7 000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ; la condamner en tous les dépens dont le montant pourra être recouvré directement par maître Frédéric Lallement, conformément aux dispositions de l’article 699 du même code.
Vu les dernières conclusions déposées le 08 septembre 2020, par lesquelles maître [E], ès-qualité d’administrateur provisoire de la SCI l’Arbalète et cette dernière, intimées à titre principal et appelantes à titre incident, demandent à la Cour de déclarer l’appel de la Société EDITIONS CARACTERES irrecevable, d’infirmer le jugement en ce qu’il a fixé à la somme de 59 525 € le montant de l’indemnité d’éviction ; l’amendant sur le quantum, voir fixer le montant de l’indemnité d’éviction à la somme de 51 000 € ; confirmer le jugement en ce qu’il a fixé le montant de l’indemnité d’occupation à compter du 1er avril 2012 à la somme de 7 455 € outre les taxes et les charges ; infirmer le jugement en ce qu’il a fixé le montant des dommages et intérêts pour trouble de jouissance à la somme de 15 000 € ; dire et juger que le trouble de jouissance n’est pas démontré et que la société Editions Caractères ne saurait prétendre à aucune somme à ce titre ; infirmer le jugement en ce qu’il a fixé le montant des dommages et intérêts pour privation de la cave à la somme de 5 000 € ; voir fixer le montant du préjudice résultant de la privation de la cave à la somme de 2 500 € ; infirmer le jugement en ce qu’il a fixé à la somme de 3 000 € le montant des dommages et intérêts pour le défaut d’accès aux WC communs ; dire et juger qu’aucun préjudice n’a été subi à ce titre par la société Éditions Caractères ; condamner la société Éditions Caractères à payer à la SCI l’Arbalète la somme de 5 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, relative à la procédure d’appel ; condamner la société Éditions Caractères aux entiers dépens dont le recouvrement s’opérera au profit de maître Alain Rapaport, avocat à la cour, dans les conditions de l’article 699 du même code.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties. Cependant, pour une meilleure compréhension du présent arrêt, leur position sera synthétisée.
La société Éditions Caractères invoque le rayonnement de la société compte tenu de son histoire, soulignant le lien intrinsèque entre celle-ci et son emplacement au [Adresse 2] dans le 5ème arrondissement de [Localité 3]. Elle ajoute que la valeur du fonds de commerce ne dépend donc pas de son chiffre d’affaires mais du rayonnement international de cette librairie et de son âme, attachés à aux locaux loués, dont la perte conduirait à celle de son identité et de son patrimoine. Elle se fonde sur ces éléments pour valoriser le montant de son indemnité principale d’éviction au montant de 200 000 €.
Elle estime les indemnités accessoires de la façon suivante :
– frais de remploi (10 % de 200.000,00 €) à 20.000 €,
– frais de déménagement à 4.680 € T.T.C,
– transfert des machines ; 3000 € suivant devis,
– perte sur stock : 5400 €
– trouble commercial : 3000 €
– éventuellement les frais de licenciement sur justificatifs.
Soit une indemnité d’éviction d’un montant total de 236.080 €.
À titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la Cour considérait que le patrimoine intellectuel et culturel de la librairie litigieuse n’aurait pas de valeur intrinsèque, elle sollicite la révision du calcul par l’expert de la valeur locative de marché en soulignant que la moyenne des deux références de locations nouvelles citées par l’expert doit être effectuée, aboutissant à la somme de 548,50 € par m²b et en infère une valeur locative de marché de 19 471,75 € pour un loyer plafonné révisé de 6908 €. Elle ajoute qu’un coefficient de situation de 6 doit être appliquée en ce que le local se situe dans un quartier historique de la capitale, même si la rue n’est pas d’une grande commercialité au regard des normes habituelles. Elle en infère donc une valeur de droit au bail de 75.382,50 €, ce qui modifierait le montant des frais de remploi qu’elle sollicite à 7.538,20 €, soit une indemnité d’éviction d’un montant total de 99.000,70 €.
Sur la fixation de l’indemnité d’occupation, elle reproche à l’expert d’avoir retenu un abattement de 30 % au lieu de 40 % eu égard à des conditions d’exercice dans la boutique particulièrement précaires à raison de l’état dégradé du local, à de très graves défauts de solidité des planchers, à plusieurs dégâts des eaux, à l’absence de délivrance de la cave pourtant prévue au contrat, de l’absence de WC communs également prévus au contrat de bail commercial et au refus systématique du bailleur d’effectuer tous les travaux.
Elle fait valoir que l’usage d’une cave prévue au bail aurait été arbitrairement retiré depuis 1986, occasionnant ainsi un préjudice qu’elle évalue à la somme forfaitaire de 30 000 € dont elle sollicite le paiement.
Elle affirme que le local a subi de graves défauts de solidité de planchers et des dégâts des eaux, ajoutant que le bailleur a tardé à effectuer les travaux de réparation pendant quatre ans, ce qui ne lui a pas permis de poursuivre une activité normale ni de réaliser le chiffre d’affaire escompté. Elle évalue son au préjudice à ce titre à la somme de 15 000 €.
La SCI l’arbalète, représentée par son administrateur judiciaire, fait valoir que la valeur du droit au bail est supérieure à la valeur du fonds de commerce à raison de l’absence de rentabilité intrinsèque du commerce et de la faiblesse de son chiffre d’affaires, qu’il s’agit d’un commerce et qu’il convient de l’évaluer conformément à la méthodologie objective applicable à la matière des baux commerciaux, que l’estimation subjective de la valeur du fonds de commerce à 200 000 € résulte de pure allégations sans fondement qui aboutiraient à des frais de remploi de 10% de l’indemnité principale tout aussi infondés d’un point de vue économique.
En ce qui concerne la fixation de la valeur du droit au bail, elle estime que la valeur locative de marché est de 14 200 € fondé un prix au m² de 400 € à juste titre retenu par l’expert dans la mesure où les moyennes de références ne sont pas admises par la jurisprudence, que c’est l’activité considérée et l’environnement commercial du quartier qu’il convient en effet d’apprécier. Le loyer plafonné révisé étant de 6 908 €, le différentiel est de 7 292 €, comme l’a retenu l’expert. Ce dernier a préconisé à juste titre un coefficient de situation de 5 alors que le tribunal a retenu un coefficient de 6, soit une valeur du droit au bail de 36 000 €.
Sur les indemnités accessoires, elle fait valoir que le stock de livre du locataire ne se trouve pas dans les locaux loués et ne justifie donc pas les frais de déménagement qu’il prétend.
Elle estime les indemnités accessoires de la façon suivante :
– frais de remploi (10 % de 36 000 €) à 3 600 €,
– transfert des machines ; 3 000 €,
– perte sur stock : 5 400 €
– trouble commercial : 3 000 €
Soit une indemnité d’éviction d’un montant total de 51 000 €.
En ce qui concerne l’indemnité d’occupation, elle expose que indemnité d’éviction et l’abattement pour précarité de 30% retenu par l’expert et le tribunal, soit 621 € d’indemnité d’occupation par mois est très raisonnable.
Elle soutient que le calcul effectué par l’expert au titre du défaut de délivrance de la cave est conforme aux règles qui s’appliquent en la matière, soit la stricte valeur locative du local sur 9 années, que cette cave n’étant pas nécessaire au commerce exercé, qu’en revanche le préjudice financier résultant des infiltrations d’eau n’est nullement démontré, le chiffre d’affaire de la locataire ayant crû sur la période.
Elle considère donc que la somme de 15 000 € accordée par le Tribunal apparaît disproportionnée par rapport au préjudice réellement subi et démontré.
MOTIFS DE L’ARRÊT
Sur l’irrecevabilité de l’appel :
La SCI L’ARBALETE, dans le dispositif de ses conclusions , soulève l’irrecevabilité de l’appel de la S.A.R.L. EDITIONS CARACTERES à son encontre, sans en expliquer les motifs dans le corps de ses conclusions. La cour constate que l’appel est régulier en sa forme et ses délais. Dès lors, il n’y a pas lieu de déclarer irrecevable l’appel de la S.A.R.L. EDITIONS CARACTERES.
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Le refus de renouvellement signifié par le bailleur a ouvert droit au profit du locataire, d’une part, en vertu de l’article L 145-14 du code de commerce à une indemnité d’éviction et d’autre part selon l’article L 145-28 du même code au maintien dans les lieux jusqu’au paiement de cette indemnité.
En outre, le maintien dans les lieux justifie, d’après l’article précité, le versement au propriétaire d’une indemnité d’occupation à compter du 1er avril 2012.
Sur la fixation de l’indemnité d’éviction :
Aux termes de l’article L 145-14 du code de commerce, en cas de congé avec refus de renouvellement, le bailleur doit payer au locataire évincé une indemnité dite d’éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement, l’indemnité d’éviction est destinée à permettre au locataire évincé de voir réparer l’entier préjudice résultant du défaut de renouvellement. Elle comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.
Il est par ailleurs usuel de mesurer les conséquence de l’éviction sur l’activité exercée afin de déterminer si cette dernière peut être déplacée sans perte importante de clientèle auquel cas l’indemnité d’éviction prend le caractère d’une indemnité de transfert ou si l’éviction entraînera la perte du fonds, ce qui confère alors à l’indemnité d’éviction une valeur de remplacement.
Il est admis que l’indemnité d’éviction s’évalue à la date la plus proche de l’éviction et que la valeur du fonds de commerce est au moins égale à celle du droit au bail qui s’y trouve incluse.
Sur la valeur du droit au bail :
La valeur du droit au bail se déduit par la différence entre la valeur locative de marché et la valeur du loyer si celui-ci avait été renouvelé, à laquelle il est d’usage d’appliquer un coefficient de situation en fonction de l’attractivité commerciale de la zone où sont situés les locaux.
Les locaux présentent une surface de 35,50 m²p qui n’est pas contestée par les parties. Ils sont en mauvais état en raison notamment de dégâts des eaux provenant de l’appartement situé au-dessus de la boutique et appartenant a la SCI L’ARBALETE.
Pour établir la valeur locative de marché, l’expert judiciaire produit six références de nouveaux loyers, trois références de renouvellement et une référence de fixation judiciaire. Il en infère une valeur locative de marché annuelle de 14 200 € HT/HC, soit 35,50 m²p x 400 €/m²b. L’expert judiciaire relève que la boutique possède un emplacement correct mais sur une section comprenant très peu de commerces au sein d’un quartier d’habitation et que l’état du marché locatif des boutiques est en baisse.
Pour contester cette appréciation, la société Éditions Caractères s’appuie uniquement sur deux références citées indépendamment par l’expert judiciaire en ce qu’elle ne se trouvent pas à proximité de la boutique considérée et concernent des activités très distinctes de restauration et de prêt-à-porter.
La cour prendra en considération la situation de la boutique sur une voie secondaire, la nature de l’activité exercée, la faible surface des locaux, la répartition sur deux niveaux non reliés, l’état du marché locatif des boutiques qui s’inscrivaient en baisse mi-2015 pour fixer la valeur locative de marché annuelle à 14 200 € HT/HC, soit 35,50 m²p x 400 €/m²b.
L’expert ne retient aucun motif de déplafonnement du loyer, ce qui n’est pas contesté par les parties, et considère que le loyer déplafonné et révisé est d’un montant de 6 908 € au 1er avril 2012, ce qui n’est pas non plus contesté. Il en résulte donc un différentiel de 7 292 € entre la valeur locative de marché et la valeur locative de renouvellement.
La librairie est située dans un quartier de chercheurs et d’étudiants, clientèle en lien étroit avec son activité. Dès lors, il apparaît cohérent de retenir un coefficient de situation de 6, comme l’a fait à juste titre le premier juge. La valeur du droit au bail doit donc être estimée à 43 752 €, arrondis par commodité à 43 750 € soit (7 292 € x 6).
Sur la valeur du fonds de commerce :
La société Éditions Caractères ne peut soutenir qu’il n’y a pas lieu de prendre en compte son excédent brut d’exploitation ni son chiffre d’affaire pour procéder à l’évaluation de son fond de commerce. Par ailleurs, elle n’apporte pas la démonstration de la valorisation à hauteur de 200 000 € de son patrimoine intellectuel et moral.
La société Éditions Caractères ne fournit pas ses bilans, comptes de résultats et soldes intermédiaire de gestion relatifs à l’exercice 2011. Les derniers chiffres comptables connus sont ceux communiqués à l’expert et correspondant à l’exercice 2013.
La quote-part de rentabilité provenant du droit au bail est de 7 292 €, soit la différence entre la valeur locative de marché et la valeur locative de renouvellement alors que le dernier excédent brut d’exploitation connu s’élevait à 1 226 €. Sur cette base, il convient de constater que la rentabilité intrinsèque de l’exploitation est négative à hauteur de – 6066 € (1226 € – 7 292 €) par an, que cette rentabilité intrinsèque de l’exploitation est très insuffisante à supporter la valeur locative de marché de 14 200 € HT/HC et qu’il convient de constater que la rentabilité résiduelle du commerce provient entièrement du droit au bail et non de l’exploitation.
Le dernier chiffre d’affaire connu de la société Éditions Caractères s’élève à la somme de 44 910 €. L’expert estime qu’il est admissible d’y ajouter la subvention d’exploitation de 16 450 € dont bénéficie le locataire en ce que ce produit présente un caractère habituel et récurrent, ce qui conduit à un volume d’activité ainsi rectifié de 61 360 €. L’expert préconise d’appliquer à ce montant le pourcentage de 50% qui correspond aux usages pour l’activité de librairie. Ce pourcentage se justifie eu égard à l’activité exercée, à la situation de la boutique et à la faible surface des locaux. Il en résulte que le fond de commerce se valorise selon la méthode du chiffre d’affaire à la somme de 30 680 € (61 360 €/2), montant inférieur à valeur ci-dessus déterminée du droit au bail qui s’élève à 43 750 €. La valeur du fonds de commerce étant inférieure à la valeur du droit au bail, cette dernière sera retenue. L’indemnité principale sera donc fixée à la somme de 43 750 €.
Sur les indemnités accessoires :
Frais de remploi ou d’agence :
Ces frais comprennent les frais et droits que doit supporter le locataire évincé pour retrouver notamment un nouveau local.
Les parties s’accordent avec 1’expert pour les estimer, conformément aux usages, à 10% de l’indemnité principale d’éviction, soit : 4 375 € (43 750 €/10).
Frais de déménagement :
Cette indemnité a pour objet d’indemniser1e preneur des frais exposés pour libérer les locaux dont i1 est évincé. Au soutien de sa demande de 4 680 € T.T.C pour ce poste, la société Éditions Caractères ne produit aucun devis. Même si l’essentiel du stock de livres du preneur est déjà localisé dans un entrepôt à [Localité 5], soit en dehors du local qui fait l’objet du présent litige, il résulte des constatations de l’expert la présence d’effets sur place qui devront faire l’objet d’un déménagement. Il y aura donc lieu de fixer l’indemnité pour frais de déménagement à la somme forfaitaire de 1 500 €.
Frais de transfert des machines :
Les parties ne conteste pas la somme de 3000 € proposée par l’expert et justifiée par devis qui sera donc retenue.
Perte sur stock :
Les parties ne conteste pas la somme de 5400 € évaluée par l’expert et justifiée qui sera donc retenue.
Trouble commercial :
Cette indemnité compense la perte de temps générée par l’éviction, soit le moindre investissement dans le commerce et le temps de la recherche d’un nouvel emplacement.
Les parties s’accordent avec 1’expert pour les estimer à 3000 €, somme qui qui sera donc retenue.
Frais de licenciement :
Les parties s’accordent pour considérer que les frais éventuels de licenciement seront remboursés sur présentation de justificatifs.
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Il ressort de1’ensemble des éléments ci-dessus exposés que l’indemnité d’éviction totale due à la société Éditions Caractères s’élève à la somme de :
– indemnité principale : 43 750 €,
– frais de remploi : 4 375 €,
– frais de déménagement : 1 500 €,
– frais de transfert des machines : 3000 €,
– perte sur stock : 5400 €,
– trouble commercial : 3000 €,
TOTAL : 61 025 €, outre les frais de licenciement qui seront payés sur justificatifs.
Sur l’indemnité d’occupation :
En application de l’article L 145-28 du code de commerce, le locataire évincé, qui se maintient dans les lieux, est redevable d’une indemnité d’occupation devant correspondre à la valeur locative en renouvellement.
La valeur locative en renouvellement a ci-dessus été déterminée à la somme annuelle de 6 908 € HT/HC à compter du 1er avril 2012. Les parties ne contestent pas la légitimité du principe d’un abattement pour précarité. L’abattement de précarité d’usage est de 10%.
Cet abattement appliqué à la valeur locative de renouvellement conduirait à l’application d’une indemnité d’occupation annuelle de 6 217 € selon l’usage courant. Mais dès lors que les parties sollicitent la fixation d’une l’indemnité d’occupation annuelle d’un montant supérieur à ce dernier montant et s’élevant au moins à la somme annuelle de 6 390 HT/HC, la cour appliquera par conséquent l’ abattement de précarité correspondant de 7,5%.
Il convient ainsi de fixer l’indemnité d’occupation à la somme annuelle de 6 390 €, soit 532,50 € par mois outre les taxes et charges à compter du 1er avril 2012. En outre, il y aura lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit que cette indemnité d’occupation se compensera de plein droit avec le montant de l’indemnité d’éviction.
Sur le défaut de délivrance de la cave :
Aux termes de l’article 1719 code civil Le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière de délivrer au preneur la chose louée.
Il n’est pas contesté que la société EDITIONS CARACTERES n’a pas eu l’accès à la cave mentionnée dans le bail malgré ses demandes auprès du bailleur depuis l’année 1986. La société EDITIONS CARACTERES, qui réclame une somme forfaitaire 30 000 € au titre de ce poste ne justifie pas d’éléments objectifs au soutien de cette évaluation. Le bailleur ne conteste pas ce manquement à son obligation de délivrance mais évalue le préjudice en résultant à la somme de 2 500 €. L’expert judiciaire retient à juste titre que la cave présente une surface d’1m²B, soit 10m² au coefficient de pondération de 0,10. Il estime que le préjudice soit s’évaluer sur la durée contractuelle du bail et à la valeur locative annuelle du m²B retenu. Il résulte des éléments produit que leloyer initial s’élevait à 92 € du m²B à l’année et le dernier loyer à 189 € du m²B à l’année, soit une moyenne de 140 € du m²B à l’année sur la période de location. Le défaut de délivrance de la cave d’une superficie de 1m²B pendant 26 années sera donc indemnisé à la somme de 3 651 € (140 x 1 x 26).
Sur les dégâts des eaux :
Aux termes de l’article 1719 code civil Le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière d’en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail.
Il n’est pas contesté que la société EDITIONS CARACTERES a subi de graves désordres provenant de défauts de solidité des planchers suivis au titre du péril par la Préfecture de Police ainsi que trois dégâts des eaux successifs depuis 2011 en provenance de l’appartement situé au-dessus du local commercial et appartenant également à la SCI L’ARBALÈTE. Il a été posé dans l’arrière-boutique de la librairie 9 étais qui étaient toujours en place lors de la visite sur place de l’expert le 9 mars 2015. Dès lors, il est établi qu’il a été porté atteinte à la jouissance paisible des lieux par la SCI L’ARBALETE . Le préjudice du preneur n’a pas à être justifié par l’évolution de son chiffre d’affaire mais résulte directement du trouble de jouissance – dont le principe n’est pas contesté – portant sur la partie du local considéré. Ainsi, la société EDITIONS CARACTERES a été privée de la jouissance de l’arrière-boutique pendant 4 ans, ce local présentent une superficie de 23,5 m²B selon les constatations de l’expert judiciaire et fait l’objet d’un loyer de 189 € du m²B à l’année. Dès lors le préjudice doit être évalué à la privation de jouissance de ce local ainsi valorisée. Cependant, la demande de la société EDITIONS CARACTERES est limitée à la somme de 15 000 €, c’est ce montant qui lui sera alloué en réparation de son préjudice au titre du trouble de jouissance.
Sur le défaut d’accès aux toilettes :
Aux termes de l’article 1719 code civil Le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière de délivrer au preneur la chose louée.
Dans le dispositif de ses conclusions, la SCI L’ARBALETE sollicite l’infirmation du jugement entrepris en ce qu’il a fixé à la somme de 3.000 € le montant des dommages-intérêts pour le défaut d’accès aux WC communs, sans en expliquer les motifs dans le corps de ses conclusions.
Il est établi notamment par le rapport d’expertise que les WC communs prévus par le bail sont inutilisables. En dépit des demandes par courriers de la société EDITIONS CARACTERES, il n’est pas contesté que la SCI D’ARBALETE n’a pas fait le nécessaire pour que sa locataire puisse avoir accès à ces toilettes prévues par le bail et ce faisant a manqué à son obligation de délivrance. Dès lors, il y a lieu de confirmer la décision entreprise sur ce point.
Sur les frais irrépétibles et les dépens :
L’instance ayant eu pour cause la délivrance par la SCI L’ARBALETE d’un congé refusant le renouvellement, il lui appartient d’en assumer les dépens. Le jugement de première instance sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles. En ce qui concerne les dépens et frais irrépétibles de l’appel et pour les mêmes motifs, SCI L’ARBALETE sera condamnée aux dépens de l’appel avec distraction au profit de Maître Fréderic LALLEMENT, avocat à la cour, par application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ainsi qu’à payer à la société EDITIONS CARACTERES la somme de 5 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Déclare les parties recevables en leurs appels,
Infirme partiellement le jugement du 27 février 2018 du tribunal de grande instance de Paris en ses dispositions sur la fixation des montants des frais de déménagement, l’indemnité d’occupation et les dommages-intérêts pour défaut de délivrance de la cave,
Le confirme pour le surplus,
et statuant de nouveau sur ces chefs,
Fixe à la somme globale de 61 025 € l’indemnité d’éviction dont est redevable la SCI L’ARBALETE à l’égard de la S.A.R.L. EDITIONS CARACTERES qui se décompose ainsi :
– indemnité principale : 43 750 €,
– frais de remploi : 4 375 €,
– frais de déménagement : 1 500 €,
– frais de transfert des machines : 3000 €,
– perte sur stock : 5400 €,
– trouble commercial : 3000 €,
outre les frais de licenciement qui seront payés sur justificatifs.
Fixe le montant de l’indemnité d’occupation dont est redevable la S.A.R.L. EDITIONS CARACTERES à l’égard de la SCI L’ARBALETE à la somme annuelle de 6 390 € outre les taxes et les charges prévues au bail à compter du 1er avril 2012,
Condamne la SCI L’ARBALETE, représentée par Maitre [P] [E], administratrice judiciaire, à payer à la S.A.R.L. EDITIONS CARACTERES la somme de 3 651 € à titre de dommages-intérêts pour défaut de délivrance de la cave,
Condamne la SCI L’ARBALETE, représentée par Maitre [P] [E], administratrice judiciaire, à payer à la S.A.R.L. EDITIONS CARACTERES la somme de 5 000€ en indemnisation de ses frais irrépétibles d’appel,
Condamne la SCI L’ARBALETE, représentée par Maitre [P] [E], administratrice judiciaire, aux dépens de l’appel et autorise Maître Fréderic LALLEMENT, avocat à la cour, à recouvrer directement ceux dont elle a fait l’avance sans recevoir de provision en application de l’article 699 du code de procédure civile.
Rejette toute autre demande.
Le greffier, Le Président,