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30 mai 2023
Cour d’appel de Poitiers
RG n°
20/02668
ARRET N°244
FV/KP
N° RG 20/02668 – N° Portalis DBV5-V-B7E-GD4H
[B]
[K]
C/
[T]
S.C.P. SCP [D]-[E]-[H] RAGEY NOTAIRES ASSOCIES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE POITIERS
2ème Chambre Civile
ARRÊT DU 30 MAI 2023
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/02668 – N° Portalis DBV5-V-B7E-GD4H
Décision déférée à la Cour : jugement du 20 octobre 2020 rendu par le Tribunal Judiciaire de LA ROCHELLE.
APPELANTS :
Monsieur [Y] [B]
né le 02 Juillet 1965 à [Localité 7] (17)
[Adresse 2]
[Localité 1]
Ayant pour avocat postulant Me Bruno MAZAUDON de la SELARL JURICA, avocat au barreau de POITIERS
Ayant pour avocat plaidant Me François DRAGEON de la SELARL DRAGEON & ASSOCIES, avocat au barreau de LA ROCHELLE-ROCHEFORT,
Madame [P] [K] épouse [B]
née le 05 Février 1968 à [Localité 6] (54)
[Adresse 2]
[Localité 1]
Ayant pour avocat postulant Me Bruno MAZAUDON de la SELARL JURICA, avocat au barreau de POITIERS.
Ayant pour avocat plaidant Me François DRAGEON de la SELARL DRAGEON & ASSOCIES, avocat au barreau de LA ROCHELLE-ROCHEFORT.
INTIMES :
Monsieur [G] [T]
né le 22 Mai 1955 à [Localité 4]
[Adresse 8]
[Localité 10]
Ayant pour avocat plaidant Me Vincent LAGRAVE de la SCP LAGRAVE – JOUTEUX, avocat au barreau de LA ROCHELLE-ROCHEFORT
S.C.P. [D]-[E]-[H] RAGEY NOTAIRES ASSOCIES
[Adresse 3]
[Localité 10]
Ayant pour avocat plaidant Me Frédéric MADY de la SELARL MADY-GILLET-BRIAND-PETILLION, avocat au barreau de POITIERS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des articles 907 et 786 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 27 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant :
Monsieur Claude PASCOT, Président
Monsieur Fabrice VETU, Conseiller
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Claude PASCOT, Président
Monsieur Fabrice VETU, Conseiller
Monsieur Cédric LECLER, Conseiller
GREFFIER, lors des débats : Madame Véronique DEDIEU,
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
– Signé par Monsieur Claude PASCOT, Président, et par Madame Elodie TISSERAUD, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
En 2005, M. [G] [T] a acheté un ensemble immobilier à usage de commerce, édifié sur des parcelles situées dans le périmètre de la concession du port de [Localité 5] (17), et dans lequel la SARL Le Bon Coin, dont il est associé, a exploité un fonds de commerce de bar-café-restaurant.
Par arrêté en date du 09 janvier 2006, le maire de la commune a accordé à M. [T] une autorisation d’occupation temporaire du domaine public pour une durée de cinq années à compter du 1er janvier 2006.
Par deux actes authentiques en date du 18 septembre 2009, reçus par Maître [S] [D], notaire à [Localité 10] (17) :
-la SARL Le Bon Coin a cédé son fonds de commerce à M. [Y] [B] et à Mme [P] [K] épouse [B] (ci-après désignés les époux [B]) ;
-M. [T] a donné l’ensemble immobilier à bail commercial aux époux [B] pour une durée de 9 ans devant se terminer le 17 septembre 2018, moyennant le paiement d’un loyer annuel de 10200 € HT, payable en 12 termes mensuels modulables. Il a été en outre convenu à l’acte que les preneurs prenaient à leur charge le remboursement des redevances annuelles dues à la commune pour l’amodiation des terrains sur lesquels sont édifiées les constructions données à bail.
Il a été également précisé au premier de ces actes que le maire avait, pour la commune de [Localité 9], accordé une prolongation de l’amodiation au profit de M. [T] pour une durée de dix ans, en l’autorisant en outre à donner à bail commercial les constructions implantées sur les parcelles concédées.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 10 juin 2016, les époux [B] ont demandé au maire de la commune de [Localité 5] une autorisation d’occupation temporaire du domaine public maritime à leur profit.
En l’absence de réponse, ils ont engagé le 19 août 2016 un recours devant le tribunal administratif de Poitiers, à l’encontre :
-de la décision implicite de rejet de leur demande d’autorisation d’occupation temporaire du domaine public maritime,
-de la décision d’autorisation d’occupation temporaire du domaine public maritime donnée à M.[G] [T] en date du 9 janvier 2006.
Par jugement en date du 27 février 2019, le tribunal administratif a annulé la décision d’autorisation d’occupation temporaire du domaine public maritime consentie le 09 juin 2006 au profit de M. [T] et a annulé le rejet implicite d’autorisation d’occupation temporaire du domaine public maritime par les époux [B], considérant que :
– d’une part, en raison du caractère précaire et personnel des titres d’occupation du domaine public, un bail commercial ne pouvait être conclu sur le domaine public ;
– d’autre part et pour les mêmes motifs, qu’une autorisation d’occupation du domaine public ne pouvait donner lieu à la constitution d’un fonds de commerce dont l’occupant serait propriétaire.
Par acte d’huissier en date du 30 janvier 2018, les époux [B] ont fait assigner M. [G] [T] devant le tribunal de grande instance de la Rochelle en constatation de l’inexistence du contrat de bail et du contrat de cession de fonds de commerce, et restitution des loyers commerciaux payés depuis le 18 septembre 2009.
Par acte d’huissier en date du 15 mai 2018, M. [G] [T] a fait assigner en intervention forcée la SCP Bourgoin Piquet Fauchereau.
Par demande additionnelle, les époux [B] ont en outre sollicité le remboursement du prix de vente du fonds de commerce (156.575 €), la capitalisation des intérêts par année entière, et la condamnation solidaire de M. [T] et de la SCP de notaires au paiement de toutes les sommes.
Par jugement en date du 20 octobre 2020, le tribunal judiciaire de La Rochelle a :
– dit que l’impossibilité de donner à bail des locaux se trouvant sur le domaine public du fait du caractère précaire et personnel des titres d’occupations a pour conséquence la nullité du contrat pour défaut d’objet et non son inexistence,
– déclaré irrecevable, pour cause de prescription quinquennale, les demandes de [P] et [Y] [B] relatives à la nullité du bail commercial, restitution des loyers payés et remboursement du prix de vente du fonds de commerce,
– condamné [Y] et [P] [B] aux dépens de l’instance.
Par déclaration en date du 20 novembre 2020 les époux [B] ont fait appel de cette décision en visant les chefs expressément critiqués.
Par arrêt mixte daté du 10 mai 2022, la deuxième chambre civile de la Cour d’appel de Poitiers a statué ainsi :
– Statuant dans les limites de l’appel,
– Confirme le jugement en ce qu’il a déclaré irrecevables, pour cause de prescription quinquennale, les demandes de [P] et [Y] [B] relatives à la nullité du bail commercial du 18 septembre 2009,
– Confirme le jugement, en ce qu’il a déclaré irrecevable, pour cause de prescription quinquennale, la demande des époux [B] en restitution des loyers, en ce qu’elle porte sur les loyers échus avant le 30 janvier 2013,
– Infirme le jugement, en ce qu’il a déclaré irrecevable, pour cause de prescription quinquennale, la demande des époux [B] en restitution des loyers, en ce qu’elle porte sur les loyers échus après le 30 janvier 2013,
Statuant à nouveau de ce chef,
– Déclare recevable la demande des époux [B] en restitution des loyers, en ce qu’elle porte sur les loyers échus après le 30 janvier 2013,
– La déclare mal fondée,
– Rejette en conséquence la demande des époux [B] en restitution des loyers, en ce qu’elle porte sur les loyers échus après le 30 janvier 2013,
– Rectifie le jugement, en ce qu’au dispositif, il a déclaré irrecevable, pour cause de prescription quinquennale, la demande de [P] et [Y] [B] en remboursement du prix de vente du fonds de commerce,
– Dit qu’il convient de lire : ‘Déclare irrecevable, pour défaut de qualité à défendre, la demande en remboursement du prix de vente du fonds de commerce formée par les époux [B] à l’encontre de M. [G] [T]’,
– Confirme de ce chef le jugement, ainsi rectifié,
– Rectifiant l’omission de statuer sur les demandes d’indemnisation dirigées contre la SCP [D]-[E]-[H], notaires associés,
– Dit que Maître [D], notaire associée de la la SCP [D]-[E]-[H], a commis une faute par manquement à son devoir de conseil lors de rédaction des actes authentiques du 18 septembre 2009,
Avant dire droit sur les autres demandes,
Vu l’article 16 du code de procédure civile,
– Ordonne la réouverture des débats, le rabat de l’ordonnance de clôture et le renvoi devant le conseiller de la mise en état,
– Invite les parties à conclure sur le moyen soulevé en cours de délibéré, tiré de l’éventuelle perte de chance de M. et Mme [B] d’éviter de conclure les actes authentiques du 18 septembre 2009 (bail commercial et cession de fonds de commerce), de payer des loyers commerciaux et de payer le prix de cession, s’ils avaient été mieux informés par le notaire des conséquences juridiques du caractère temporaire, personnel, révocable et incessible des autorisations d’occupation temporaire du domaine public,
– Dit que l’affaire sera rappelée à l’audience du conseiller de la mise en état en cabinet du 5 septembre 2022 à 9 heures,
– Sursoit à statuer sur les autres demandes,
Réserve les dépens.
Les époux [B], par dernières conclusions RPVA du 27 février 2023, demandent à la cour de:
– Dire et juger recevables les demandes des époux [B],
– Condamner la SCP [D]-[E]-[H] au paiement de la somme de 100.890,00 € à titre de dommages et intérêts en réparation des loyers commerciaux indûment payés,
– Condamner la SCP [D]-[E]-[H] au paiement de la somme de 156.575,00 € à titre de dommages et intérêts en réparation du prix du fonds de commerce payé sans cause,
– Condamner la SCP [D]-[E]-[H] au paiement de la somme de 100.000,00 € au titre du préjudice moral,
– Dire et juger que ces sommes intérêts au taux légal à compter du jour de la saisine,
– Ordonner la capitalisation des intérêts de l’article 1154 du Code civil,
– Condamner solidairement, la SCP [D]-[E]-[H] au paiement d’une somme de 15.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
M. [T], par dernières conclusions transmises par voie électronique en date du 10 août 2022, demande à la cour de :
A titre principal,
– Confirmer le jugement du 20 octobre 2020 ;
– Condamner les époux [B] au paiement de la somme de 15.000 € au titre de l’article 700 du code de procédue civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance ;
A titre subsidiaire,
– Déclarer irrecevable la demande de condamnation des époux [B] à l’encontre de M. [T] concernant le fonds de commerce,
– Condamner les époux [B] au versement d’une indemnité d’occupation à M. [T] dont le montant sera de 108.855 € et en tout état de cause égal au montant de loyer dus du 18 septembre 2009 au 24 décembre 2019 ;
– Rejeter l’ensemble des autres demandes ;
– Condamner les époux [B] au paiement de la somme de 15.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance ;
A titre infiniment subsidiaire,
– Condamner la SCP [D]-[E]-[H]-[E]-[H] à relever indemne M. [T] des sommes qui pourraient être laissées à sa charge ;
– Condamner la SCP [D]-[E]-[H]-[E]-[H] au paiement de la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du CPC ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance ;
La SCP [D]-[E]-Fauchereau, par dernières conclusions RPVA du 23 septembre 2022, sollicite de la cour de :
– Déclarer irrecevables, comme prescrites, les prétentions des époux [B] à l’encontre de la SCP [D]-[E]-[H]-[E]-Fauchereau,
Subsidiairement,
– Dire et juger que le préjudice allégué par les époux [B] se trouve compensé intégralement par les avantages financiers que leur ont procurés l’occupation des lieux et l’exploitation du fonds de commerce objet des actes du 18 septembre 2009,
– En tant que de besoin, ordonner aux époux [B] la communication de l’intégralité de leurs bilans et pièces et comptes de résultats, sur la période d’exploitation courant du 18 septembre 2009, au 30 septembre 2022,
– Dire et juger en conséquence que les époux [B] ne justifient en l’état d’aucun préjudice indemnisable,
– Débouter en conséquence les époux [B] de leurs demandes visant à obtenir la condamnation de la SCP [D]-[E]-[H]-[E]-[H] à leur payer les sommes de :
– 100.890 € à titre de dommages et intérêts en réparation des loyers commerciaux indûment payés ;
– 156.575 € à titre de dommages-intérêts en réparation du prix de cession de commerce payé sans cause,
– 100.000 € au titre du prix juste moral.
– 15.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens.
Subsidiairement,
– Fixer à 15% la perte de chance des époux [B], de ne pas contracter le bail commercial, l’acte de cession de fonds de commerce du 18 septembre 2009,
– Dire et juger que le préjudice des époux [B], au titre des dommages-intérêts en réparation des loyers commerciaux indûment payés, s’élève à 15% x 100 890 €, soit la somme de 15.133,50€,
– Dire et juger que le préjudice des époux [B], au titre de dommages intérêts en réparation du prix de cession de commerce payé sans cause, s’élève à 15% x 156.575 €, soit la somme de 23 486.25 €,
– Dire et juger que les époux [B] ne justifient, ni dans son principe, ni dans son montant, leur préjudice moral,
– Les débouter en conséquence de leurs demandes de condamnation à l’encontre de la SCP [D]-[E]-[H] visant à obtenir sa condamnation à leur payer la somme de 100.000€ au titre du préjudice moral,
– Débouter les époux [B] de leurs demandes fondées sur les dispositions de l’article 700 du Code de procédure civil, ainsi que celles concernant les dépens,
En tout état de cause,
– Condamner les époux [B] à payer à la SCP [D]-[E]-Fauchereau la somme de 5.000 € sur le fondement l’article 700 du code de procédure civile,
– Les condamner également en tous les frais et dépens de l’instance, dont distraction au profit de la SELARL MADY GILLET BRIAND PETILLION, avocat, qui sera autorisée à les recouvrer dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément aux dernières conclusions précitées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.
La clôture de l’instruction de l’affaire a été prononcée par la cour à l’audience du 27 mars 2023 où elle a été plaidée puis, mise en délibéré à ce jour.
MOTIFS
1. A titre liminaire, la cour rappelle qu’elle reste devoir seulement statuer sur les frais de procès et la responsabilité civile du notaire découlant :
– de la méconnaissance du devoir d’information et de conseil en matière de cession d’un bail commercial dès lors qu’aux termes de l’arrêt mixte précité du 10 mai 2022, bien qu’ayant porté à la connaissance de M. et Mme [B] dans les mêmes termes, du caractère personnel, précaire, révocable et incessible de ces autorisations d’occupation temporaire du domaine public, il n’en demeure pas moins que le notaire ne démontre pas avoir informé les acquéreurs que la valeur du droit au bail et celle du fonds pouvait être considérablement diminuée, voire réduite à néant, compte tenu de la précarité du titre d’occupation du domaine public ;
– de la méconnaissance des obligations professionnelles des notaires en tant que garants de la validité et de l’efficacité des actes auxquelles ils concourent dès lors que, selon le même arrêt, à la date où ce notaire a instrumenté, soit le 18 septembre 2009, il résultait clairement des dispositions d’ordre public de l’article L. 145-2 du Code de commerce comme d’une jurisprudence constante de la cour de cassation que les parties ne pouvaient choisir de soumettre leurs relations locatives au statut des baux commerciaux lorsqu’elles portaient sur des biens appartenant au domaine public, cette location, en dépit de sa référence au statut des baux commerciaux, n’ouvrant aucunement droit au preneur au renouvellement du bail à l’indemnité d’éviction et n’offrant en outre aucune garantie sur la durée de jouissance.
Sur la demande indemnitaire formée contre le notaire
Sur la prescription de cette demande
2. L’article 2224 du code civil prévoit sur ce point que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
En vertu de ce texte, la prescription de l’action en responsabilité ne court qu’à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu’elle n’en avait pas eu précédemment connaissance.
3. La SCP [D]-[E]-[H] rappelle que la cour dans son arrêt avant dire droit du 10 mai 2022 a considéré que les époux [B] étaient, dès le 18 septembre 2009, en mesure lors de la signature de l’acte du bail commercial, d’en solliciter l’annulation et conclut alors que ceux-ci ne peuvent prétendre avoir ignoré qu’ils disposaient, parallèlement à la même date, d’une action à son encontre au titre des manquements à ses obligations professionnelles qu’ils lui reprochent (manquements à l’obligation de conseil et d’assurer l’efficacité de l’acte).
Ce principe s’appliquant à l’acte de cession, la SCP [D]-[E]-[H] explique que la prescription a couru à compter du 18 septembre 2009 et qu’en vertu de l’article 2224 du Code civil, cette demande est irrecevable.
4. M. [T] ne conclut pas sur ce point.
5. Les époux [B] expliquent qu’à la date de signature de l’acte notarié le 18 septembre 2009, ils pensaient, de bonne foi et à juste titre, que le bail commercial qu’ils concluaient était valable.
Selon eux, ce n’est qu’en 2014, alarmés par des voisins vivant une situation semblable et ayant engagé une procédure contentieuse qu’ils ont pris connaissance de l’illégalité de l’acte litigieux et ont engagé, le 30 janvier 2018, une procédure devant le tribunal de grande instance de La Rochelle. De la sorte, l’action ne serait pas prescrite.
6. La cour rappelle que le notaire n’a jamais démontré avoir informé les acquéreurs que la valeur du droit au bail et celle du fonds pouvait être considérablement diminuée, voire réduite à néant, compte tenu de la précarité du titre d’occupation du domaine public alors que la délivrance de cette information lui incombait.
7. Dans ces conditions, la prescription n’a pu commencer à courir à compter de la rédaction de l’acte, étant rappelé qu’ils ne pouvaient seuls déceler, ceci quelque soit l’information délivrée, que le notaire commettait une faute en acceptant de dresser un acte authentique dont il ne pouvait ignorer le caractère inefficace et impropre à assurer aux preneurs les droits reconnus par le statut du bail commercial (point 30 de l’arrêt précité).
8. Au regard des pièces produites aux débats, la cour considère que les époux [B] n’ont eu connaissance du caractère inefficace de l’acte qu’à compter du 27 février 2019, c’est-à-dire au moment où le tribunal administratif a annulé la décision d’autorisation d’occupation temporaire du domaine public maritime consentie le 09 juin 2006 au profit de M. [T] et a annulé le rejet implicite d’autorisation d’occupation temporaire du domaine public maritime par les époux [B].
9. La cour ajoute au surplus que cette date marque en outre l’apparition de leur dommage puisque les époux [B], qui avaient saisi l’autorité administrative pour faire valoir les droits qu’ils tiraient de l’application du statut des baux commerciaux, ont dû admettre qu’ils ne pouvaient s’en prévaloir.
10. La cour observe à la suite que les parties ne contestent pas que les époux [B] ont saisi le tribunal de grande instance de la Rochelle par exploit de Maître [W], huissier de justice, le 30 janvier 2018, c’est-à-dire, avant que le délai de prescription ne court, de sorte que la demande indemnitaire qu’ils forment à l’encontre du notaire ne peut être prescrite.
11. Cette fin de non-recevoir sera consécutivement rejetée par le cour.
Sur le fond
12. Il est constant que la perte de chance, qui implique la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable, ouvre droit à réparation de l’ensemble des préjudices directs, et non hypothétiques subis, à mesure de la chance perdue, qui ne peut égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée.
13. La SCP [D]-[E]-[H] fait valoir que l’éventuel préjudice que les époux [B] pourraient revendiquer, lié au paiement de loyer commerciaux et au paiement du prix de cession à raison de la conclusion des actes techniques du 18 septembre 2009, est nécessairement compensé par l’ensemble des avantages qu’ils ont retirés de l’exploitation du fonds de commerce litigieux.
Selon cette étude notariale, cet éventuel préjudice lié au paiement des loyers commerciaux et du prix de cession du fonds de commerce, devrait prendre en compte l’intégralité des bénéfices que les époux [B] ont engrangés depuis le 18 septembre 2009, lesquels viennent nécessairement en compensation.
14. L’étude soutient à titre principal que les époux [B] ne justifient pas de la réalité de leur préjudice et qu’il leur appartenait, pour y parvenir, de verser au débat la totalité de leurs bilans et comptes de résultats portant sur l’exploitation, par leur soin, du fonds de commerce litigieux, sur la période du 18 septembre 2009 au 30 septembre 2022, ce qu’ils ne font pas en l’espèce.
A titre subsidiaire, la SCP [D]-[E]-[H] explique que les appelants sollicitent sa condamnation à les indemniser de l’intégralité des préjudices qu’ils prétendent avoir subis alors que cela est rigoureusement impossible, la perte de chance n’autorisant pas ce procédé.
15. Selon le notaire, les époux [B] ne pouvant, au regard des informations fournies par elle dans le cadre du bail commercial et du fait que ce genre d’opération est fréquemment pratiquée par la municipalité de l’île d’Oléron pour les besoins de l’activité touristique, ignorer la ‘fragilité’ de leur acquisition, au titre du fonds de commerce. Elle conclut en conséquence à une perte de chance ne pouvant dépasser le taux de 15%.
16. M. [T] indique que si le notaire a informé les preneurs du bail et de la cession de la nature du terrain d’assiette il n’en demeure pas moins responsable de l’efficacité de ses actes et conclut que ledit acte n’est pas efficace. Consécutivement, la responsabilité de l’étude notariale serait engagée.
17. Les époux [B] font valoir que leur préjudice est constitué par la perte de la propriété commerciale de l’établissement, d’une part et par la perte de chance de ne pas conclure un contrat valable, d’autre part. Par ailleurs, les époux [B] soutiennent avoir subi un préjudice moral causé par la brutalité de la rupture du contrat.
18. Sur le préjudice lié à l’impossibilité de se prévaloir des bénéfices de la propriété commerciale, ils expliquent avoir subi un préjudice financier dès lors qu’ils ont engagé des sommes non négligeables les contraignant à souscrire un emprunt et rappellent que ce préjudice est actuel, car il se poursuit dans le temps, mais aussi certain, leur fonds de commerce étant invendable.
19. En deuxième lieu, expliquent-ils, leur préjudice consisterait en la perte de chance de ne pas s’engager s’ils avaient été informés par le notaire, en application de son devoir de conseil, du statut du local donné à bail. Informés de cette impossibilité, ils n’auraient pas, selon eux, conclu le contrat litigieux et, in fine, ils n’auraient ni payé le prix de cession du fonds de commerce ni les loyers commerciaux.
20. Enfin, selon les époux [B], ils auraient subi un préjudice moral distinct, causé par le brutalité de la rupture, cette brutalité étant issue de la violence avec laquelle ils avaient reçu en son temps l’information selon laquelle ils avaient acheté ‘du vent’, ceci, alors même qu’ils travaillaient et remboursaient l’emprunt depuis plusieurs ces années, sans se constituer de patrimoine.
21. La cour observe de manière liminaire qu’il est inopérant pour l’office notarial, qui reconnaît que le préjudice des époux [B] s’analyserait en une perte de chance, d’indiquer que ceux-ci doivent produire l’ensemble des éléments financiers permettant de mesurer le gain acquis par l’exploitation du fonds de commerce de bar-café-restaurant pour justifier de leur préjudice réel, cette démarche revenant à éluder le mécanisme de la perte de chance.
22. La cour rappelle à la suite, qu’aux termes de l’arrêt mixte de la présente chambre en date du 10 mai 2022, il a été jugé que le préjudice des époux [B] est susceptible d’être constitué par la perte de chance d’éviter de conclure les actes authentiques du 18 septembre 2009 (bail commercial et cession de fonds de commerce), et donc de payer des loyers commerciaux et le prix d’achat du fonds de commerce, s’ils avaient été complètement et précisément informés, par le notaire rédacteur, non seulement des caractéristiques des autorisations d’occupation temporaire du domaine public (caractère temporaire, personnel, révocable et incessible des autorisations d’occupation temporaire du domaine public), mais également de leurs conséquences juridiques sur la validité des conventions (il ne peut s’agir d’un bail commercial, avec toutes les conséquences de droit que cela emporte).
23. Au regard des éléments produits aux débats et des explications des parties à la suite de la réouverture des débats, la probabilité raisonnable pour les époux [B] de ne pas s’engager dans la signature des deux actes authentiques en date du 18 septembre 2009 (bail commercial et cession de fonds de commerce), ou encore d’obtenir des vendeurs (M. [T] et la SARL Le Bon Coin) une réduction du prix compte tenu que le statut des baux commerciaux ne pouvaient s’appliquer en l’espèce, le caractère précaire et révocable commun à toutes les occupations du domaine public excluant en effet tout droit à renouvellement et toute application du statut des baux commerciaux, la cour est en mesure d’allouer aux appelants, pour les manquements de la SCP [D]-[E]-[H] à ses obligation de conseil et d’assurer l’efficacité de ces actes, une indemnité de 70.000 € sans recourir à l’anatocisme.
24. S’agissant du préjudice moral, la cour rappelle que dans le point 8 de son arrêt avant dire-droit en date du 10 mai 2022, elle avait indiqué, pour déclarer irrecevable la demande en nullité du bail commercial, que sans attendre l’issue d’un litige engagé par un tiers, dans la même situation qu’eux, les époux [B] étaient en mesure, lors de la signature de l’acte authentique, de constater qu’ils allaient payer des loyers en contrepartie de la mise à disposition d’un bâtiment à usage commercial implanté sur le domaine public, alors que seul M. [T] demeurait titulaire de l’amodiation, et que le droit d’occupation temporaire du domaine public était incessible.
24. Partant la preuve de ‘la brutalité’ alléguée par les époux [B] pour solliciter des dommages et intérêts distincts de ceux dus au titre de la perte de chance, n’est pas en l’espèce rapportée.
25. Cette demande indemnitaire sera consécutivement rejetée.
Sur les frais de procès
26. Il apparaît équitable de condamner la SCP [D]-[E]-[H] à payer aux époux [B] une indemnité de 3.000 € en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile et de rejeter la demande formée au même titre par les autres parties.
27. La SCP [D]-[E]-Fauchereau qui échoue en ses prétentions supportera la charge des dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Vu l’arrêt mixte de la deuxième chambre de la Cour d’appel de Poitiers daté du 10 mai 2022,
Dit que la SCP [D]-[E]-[H] a manqué à son obligation de conseil et d’assurer l’efficacité des actes datés du 18 septembre 2009,
Condamne la SCP [D]-[E]-[H] à payer à Monsieur [Y] [B] et à Madame [P] [K] épouse [B] une indemnité de 70.000 € au titre de la perte de chance d’éviter de conclure les actes authentiques du 18 septembre 2009 (bail commercial et cession de fonds de commerce), de payer des loyers commerciaux et de payer le prix de cession,
Condamne la SCP [D]-[E]-[H] à payer à Monsieur [Y] [B] et à Madame [P] [K] épouse [B] une indemnité de 3.000 € en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile,
Rejette toute autre demande,
Condamne la SCP [D]-[E]-[H] aux dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,