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30 juin 2023
Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion
RG n°
21/01409
ARRÊT N°23/
SP
R.G : N° RG 21/01409 – N° Portalis DBWB-V-B7F-FTEF
[C]
C/
Commune COMMUNE DE [Localité 6]
S.A.R.L. BOURBON CONCEPT
S.A.R.L. CHOKDEE
RG 1ERE INSTANCE : 18/02878
COUR D’APPEL DE SAINT – DENIS
ARRÊT DU 30 JUIN 2023
Chambre commerciale
Appel d’une décision rendue par le TRIBUNAL JUDICIAIRE DE SAINT PIERRE en date du 16 JUILLET 2021 RG n° 18/02878 suivant déclaration d’appel en date du 28 JUILLET 2021
APPELANT :
Monsieur [J] [G] [I] [C]
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentant : Me Iqbal AKHOUN de la SELARL IAVOCATS & PARTNERS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION
INTIMEES :
COMMUNE DE [Localité 6]
[Adresse 5]
[Localité 6]
Représentant : Me Eric DUGOUJON de la SELARL DUGOUJON & ASSOCIES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION
S.A.R.L. BOURBON CONCEPT
[Adresse 3]
[Localité 6]
S.A.R.L. CHOKDEE
[Adresse 2]
[Localité 6]
CLOTURE LE : 31/10/2022
DÉBATS : En application des dispositions de l’article 785 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 05 Avril 2023 devant la cour composée de :
Président : Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre
Conseiller : Madame Sophie PIEDAGNEL, Conseillère
Conseiller : Monsieur Franck ALZINGRE, Conseiller
Qui en ont délibéré après avoir entendu les avocats en leurs plaidoiries.
A l’issue des débats, le président a indiqué que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition le 14 juin 2023 prorogé par avis au 30 juin 2023.
Greffiere lors des débats et de la mise à disposition : Madame Nathalie BEBEAU, Greffière.
ARRÊT : prononcé publiquement par sa mise à disposition des parties le 30 Juin 2023.
* * *
LA COUR
Par acte du 2 juillet 1986, M. [S] [V] a donné à bail commercial à M. [J] [G] [I] [C] un local situé [Adresse 7]. Par avenant en date du 31 mars 1987, M. [C] a été autorisé à sous-louer partiellement ou en totalité, les lieux loués. En vertu de l’autorisation figurant au bail, M. [C] a réalisé d’importants travaux, a sous loué le local à plusieurs entreprises.
Par acte des 5, 6 et 7 septembre 1991, la commune de [Localité 6] a acquis des consorts [V] la propriété de la parcelle cadastrée section AV n° [Cadastre 4], avec mention de l’existence du bail commercial consenti à M. [C].
Le 23 janvier 2012 la commune de [Localité 6] a donné congé sans offre de renouvellement à M. [C].
Par jugement mixte rendu le 31 janvier 2020, le tribunal judiciaire de Saint Pierre de la Réunion a, notamment :
-dit que M. [C] a droit à l’indemnité d’éviction consécutive à l’expiration de son bail commercial en date du 30/06/2013 ;
-condamné M. [C] à payer à la commune de [Localité 6] une indemnité d’occupation à compter du 30/06/2013 dont le montant sera égal à celui du dernier loyer versé par lui et dont il devra justifier à son bailleur ;
-ordonné une expertise avec pour mission de :
. Déterminer en la justifiant l’indemnité d’éviction due à M. [C] par la commune de [Localité 6], à la suite du congé avec refus de renouvellement à effet du 30/06/2013,
. Fournir au tribunal tous les éléments indispensables pour lui permettre de fixer le montant de l’indemnité compensatrice du préjudice résultant de la perte du fonds de commerce, et ce notamment compte tenu de la valeur marchande du fonds déterminée suivant les usages de la profession, après consultation des documents comptables et fiscaux,
. Fournir, le cas échéant, tous les éléments permettant de déterminer dans quelle mesure M. [C] aurait la possibilité de transférer l’exploitation dans un autre local et dans l’affirmative quel serait le coût d’un tel transfert,
. Répondre à tous dires utiles des parties après les avoir annexés à son rapport ;
L’ensemble des parties ont interjeté appel de cette décision (RG n° 20-402)
L’expert a déposé son rapport en l’état le 9 février 2021, faisant le constat de l’impossibilité de remplir sa mission, faute d’avoir reçu de M. [C] les documents comptables et fiscaux des cinq dernières années précédant la fin du bail.
C’est dans ces conditions que, par jugement rendu le 16 juillet 2021, le tribunal judiciaire de Saint Pierre de la Réunion a :
-débouté M. [C] de sa demande de désignation d’un nouvel expert ;
-ordonné son expulsion des locaux situés à [Adresse 7], donnés à bail le 2 juillet 1986 et celle de tous occupants de son chef, avec, si nécessaire l’assistance de la force publique et d’un serrurier ;
-autorisé, passé un mois à compter de la signification du présent jugement, l’enlèvement des biens se trouvant dans les locaux donnés à bail et leur dépôt dans un lieu approprié, aux frais, risques et périls de M. [C] ;
-dit que l’obligation de quitter les lieux donnés à bail imposée à M. [C] est assortie, au profit de la commune de [Localité 6], d’une astreinte d’un montant de 400 euros par jour de retard, limitée à 90 jours, passé un mois à compter de la signification du présent jugement ;
-condamné M. [C] à payer la somme de 3.000 euros à la commune de [Localité 6] en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
-débouté les parties du surplus de leurs prétentions ;
-condamné M. [C] aux entiers dépens de l’instance.
Par déclaration au greffe en date du 28 juillet 2021, M. [C] a interjeté appel de cette décision.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 31 octobre 2022 et l’affaire a reçu fixation pour être plaidée à l’audience collégiale du 5 avril 2023.
* * *
Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 27 janvier 2021, M. [C] demande à la cour de :
Vu les articles L145-14 alinéa 2 et L145-8 du code de commerce
-dire l’appel recevable et bien fondé
-infirmer le jugement querellé dans toutes ses dispositions en ce qu’il a :
. Débouté M. [C] de sa demande de désignation d’un nouvel expert et ordonné son expulsion.
Et statuant à nouveau
-dire que M. [C] a bien droit à une indemnité d’éviction qui sera calculée au vu de la désignation d’un nouvel expert qui aura pour mission de quantifier le montant de l’éviction qui se décompose en l’espèce en :
. Une indemnité principale, en l’occurrence le calcul du droit au bail par référence aux locaux loués dans le voisinage et au regard de l’emplacement auquel s’inscrit l’indemnité de déplacement et l’indemnité de réinstallation,
. Une indemnité accessoire
-ordonner une expertise judiciaire
-condamner la commune de [Localité 6] à payer à M. [C] la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens en cause d’appel.
* * *
Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 27 janvier 2021, la commune de [Localité 6] demande à la cour de :
Vu le jugement du tribunal judiciaire de Saint Pierre en date du 31 janvier 2020
Vu le rapport d’expertise judiciaire déposé le 9 février 2021
-constater que M. [C] n’a jamais produit les documents comptables et fiscaux requis par l’expert judiciaire pour accomplir sa mission
-constater que le « fonds de commerce » dont M. [C] se prétend propriétaire n’a aucune valeur marchande
En conséquence
-confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions
-condamner M. [C] à payer la somme de 7.000 euros à la commune de [Localité 6] en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens
* * *
Les sociétés Chokdee et Bourbon Concept n’ont pas constitué avocat.
* * *
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux conclusions des parties, visées ci-dessus, pour l’exposé de leurs prétentions et moyens.
MOTIFS
A titre liminaire
Il convient de rappeler qu’en application de l’article 954 du code de procédure civile, la cour ne doit statuer que sur les prétentions énoncées au dispositif.
Par ailleurs, les dispositions suivantes ne sont pas discutées en cause d’appel par les intéressés en ce que le tribunal a :
-ordonné l’expulsion de M. [C] des locaux situés à [Adresse 7], donnés à bail le 2 juillet 1986 et celle de tous occupants de son chef, avec, si nécessaire l’assistance de la force publique et d’un serrurier ;
-autorisé, passé un mois à compter de la signification du présent jugement, l’enlèvement des biens se trouvant dans les locaux donnés à bail et leur dépôt dans un lieu approprié, aux frais, risques et périls de M. [C] ;
-dit que l’obligation de quitter les lieux donnés à bail imposée à M. [C] est assortie, au profit de la commune de [Localité 6], d’une astreinte d’un montant de 400 euros par jour de retard, limitée à 90 jours, passé un mois à compter de la signification du présent jugement.
Il s’ensuit que le litige porte uniquement sur la demande d’expertise judiciaire formée par M. [C].
Sur la mesure d’instruction
M. [C] demande à la cour d’ordonner une expertise judiciaire pour évaluer son indemnité d’éviction, estimant que l’expert désigné était tout à fait en mesure de remplir sa mission dès lors que cette indemnité de déplacement ne s’évalue pas en considération des résultats du preneur. Il soutient en substance que les parties se sont volontairement soumises au statuts des baux commerciaux ce qui lui permet de prétendre au versement d’une indemnité d’éviction. Il précise que l’indemnité principale à laquelle il a droit n’est pas égale à la valeur du fonds de commerce mais à celle du droit au bail compte tenu qu’il n’exploite pas de fonds de commerce et que les indemnités accessoires doivent être cantonnées à une indemnité de remploi fixée généralement à hauteur de 10% de l’indemnité principale.
Pour rappel, après avoir sollicité dans une précédente instance (RG n° 20-402) un complément d’expertise soutenant que l’assiette de calcul de l’indemnité d’éviction devait intégrer la partie de terrain amputée illégalement par la commune de [Localité 6] ainsi que les travaux qu’il avait effectués sur le bien, M. [C] sollicite désormais une nouvelle expertise judiciaire arguant cette fois que l’expert désigné était tout à fait en mesure de remplir sa mission dès lors que cette indemnité de déplacement ne s’évalue pas en considération des résultats du preneur, s’agissant d’une indemnité de transfert.
La commune de [Localité 6] fait valoir pour l’essentiel que l’expert a été mis dans l’impossibilité d’accomplir sa mission et que M. [C] est seul responsable du dépôt du rapport « en l’état » faute d’avoir produit les documents comptables et fiscaux, malgré les demandes réitérées de l’expert et prévu expressément dans la mission de celui-ci.
Sur ce,
En vertu des dispositions des articles 9 à 10 du code civil, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. Le juge a le pouvoir d’ordonner d’office toutes les mesures d’instruction légalement admissibles. Les parties sont tenues d’apporter leur concours aux mesures d’instruction sauf au juge à tirer toute conséquence d’une abstention ou d’un refus.
Le code de procédure civile dispose en son article 146 que :
« Une mesure d’instruction ne peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l’allègue ne dispose pas d’éléments suffisants pour le prouver.
En aucun cas une mesure d’instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l’administration de la preuve. »
Aux termes de l’article 275 du même code :
« Les parties doivent remettre sans délai à l’expert tous les documents que celui-ci estime nécessaires à l’accomplissement de sa mission.
En cas de carence des parties, l’expert en informe le juge qui peut ordonner la production des documents, s’il y a lieu sous astreinte, ou bien, le cas échéant, l’autoriser à passer outre ou à déposer son rapport en l’état. La juridiction de jugement peut tirer toute conséquence de droit du défaut de communication des documents à l’expert. »
D’autre part,
Aux termes de l’article L145-14 du code de commerce :
« Le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d’éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.
Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre. »
Ainsi, l’article L145-14 édicte donc une présomption de perte du fonds de commerce, laquelle peut cependant être combattue, si le bailleur rapporte la preuve, que le préjudice que va subir le locataire du fait de l’éviction “est moindre”.
L’éviction entraînant la perte du fonds de commerce, l’indemnité principale d’éviction est égale à la valeur du fonds de commerce.
En revanche, si le fonds peut être déplacé sans perte importante de clientèle, le bailleur n’aura à régler qu’une indemnité, dite de déplacement ou de transfert, qui aura pour assiette la valeur du droit au bail, majorée des indemnités accessoires liées au transfert.
En cas de sous-location totale, le preneur subit un préjudice direct et personnel du fait de l’éviction qui est limité en principe à la valeur du droit au bail.
En l’espèce, le rapport d’expertise judiciaire a été remis au greffe « en l’état » le 9 février 2021.
Dans son paragraphe « 2. Démarche suivie pour exécuter la mission », l’expert écrit qu’après avoir convoqué les parties à une première réunion d’expertise le 6 juillet 2020 à laquelle les parties ont participé et au cours de laquelle il a tenté « de comprendre à quelle entreprise individuelle ou société était rattachée le bail commercial en vigueur au 30/06/2013, comment le bail était exploité (personnellement), à travers une location gérance, s’il existait un droit au bail… », il a fait le constat que les pièces produites par l’avocat de M. [C] était constituées des seules pièces de plaidoirie et qu’elles étaient insuffisante pour réaliser sa mission et a demandé à M. [C] qu’il lui fournisse les documents comptables et fiscaux des cinq dernières années précédant la fin du bail fixée au 30/06/2013 et sur lesquels il entendait s’appuyer pour déterminer l’indemnité d’éviction et le préjudice lié à la perte du fonds de commerce.
Il a également demandé à l’avocat de M. [C] de lui expliquer dans un dire comment son client avait effectué l’exploitation du bail commercial sur les 5 dernières années et comment et sur quelles bases il entendait déterminer l’indemnité d’éviction, et ce, dans le délai fixé au 31 juillet 2020, précisant qu’il avait déjà sollicité ces pièces lors de la convocation d’expertise.
S’agissant des documents comptables et fiscaux, ils n’ont jamais été produit, ni devant l’expert, ni devant le tribunal judiciaire ni à hauteur de cour.
Aucun dire n’a jamais été adressé à l’expert ni aucune demande concernant un changement d’expert ou un complément de mission auprès du juge chargé du contrôle des expertises.
Enfin, ce n’est qu’en appel que M. [C] donne quelques précisions sur la façon dont il entend que l’indemnité d’éviction soit calculée.
Il résulte de ce qui précède que M. [C] n’a jamais mis l’expert en mesure de procéder à sa mission, celui-ci ayant à déterminer, notamment, si l’éviction avait ou non entraîné la perte du fonds de commerce, étant précisé que rien ne permet de déterminer si les locaux ont été sous-loué en totalité ou partiellement, à qui, et sur quelles périodes.
C’est donc à bon droit que les premiers juges ont considéré que l’expert n’avait fait que tirer les conséquences de la carence de M. [C] dans la production des documents précisés par la juridiction sans émettre un avis juridique critiquable et qu’il n’y avait en conséquence pas lieu d’ordonner la désignation d’un nouvel expert.
Le jugement sera par conséquent confirmé en ce qu’il a débouté M. [C] de sa demande de désignation d’un nouvel expert.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
M. [C] succombant, il convient de :
-le condamner aux dépens d’appel ;
-le débouter de sa demande au titre des frais irrépétibles pour la procédure d’appel ;
-confirmer le jugement en ce qu’il l’a condamné aux dépens de première instance ;
-confirmer le jugement en ce qu’il l’a débouté de sa demande au titre des frais irrépétibles pour la procédure de première instance.
L’équité commandant de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en faveur de la commune de [Localité 6], il convient de lui accorder de ce chef la somme de 5.000 euros pour la procédure d’appel et de confirmer le jugement en ce qu’il lui a alloué à ce titre la somme de 3.000 euros.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort, en matière commerciale, par mise à disposition au greffe conformément à l’article 451 alinéa 2 du code de procédure civile ;
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 16 juillet 2021 par le tribunal judiciaire de Saint Pierre de la Réunion ;
Y ajoutant
DEBOUTE M. [J] [G] [I] [C] de sa demande au titre des frais irrépétibles ;
CONDAMNE M. [J] [G] [I] [C] à payer à la commune de [Localité 6] la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
LE CONDAMNE aux dépens d’appel.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre, et par Madame Nathalie BEBEAU, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT