30 janvier 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG n°
21/13831
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Copies exécutoires
délivrées le :
■
18° chambre
1ère section
N° RG 21/13831
N° Portalis 352J-W-B7F-CVQCU
N° MINUTE : 2
Assignation du :
12 Octobre 2020
contradictoire
ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 30 Janvier 2024
DEMANDERESSES
S.A.R.L. JSA DIFFUSION
[Adresse 3]
[Localité 9]
S.E.L.A.R.L. AJ ASSOCIES
en la personne de Maître [G] [V], ès qualité de commisaire à l’exécution du plan de la société JSA DIFFUSION
[Adresse 7]
[Localité 10]
S.E.L.A.R.L. ATHENA
en la personne de Maître [Y] [J], ès-qualité de commissaire à l’exécution du plan de la société JSA DIFFUSION
[Adresse 14]
[Localité 11]
Toutes trois représentées par Maître Rochfelaire IBARA de la SELASU RFI AVOCAT, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #B0923
DEFENDERESSES
S.C.I. [Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 9]
Madame [Z] [X]
[Adresse 4]
[Localité 13]
Madame [A] [X]
[Adresse 6]
[Localité 8]
Madame [D] [X]
[Adresse 1]
[Localité 12]
Madame [I] [C] épouse [X]
[Adresse 2]
[Localité 16]
Madame [W] [X] épouse [U]
[Adresse 5]
[Localité 15]
Toutes représentées par Maître Amélie VATIER de l’AARPI VATIER, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #R0280
MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT
Madame Pauline LESTERLIN, Juge,
assistée de Monsieur Christian GUINAND, Greffier principal,
DEBATS
A l’audience du 7 septembre 2023, avis a été donné aux avocats que l’ordonnance serait rendue par mise à disposition au greffe le 16 novembre 2023
Puis, le délibéré a été prorogé jusqu’au 30 Janvier 2024.
ORDONNANCE
Rendue par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte sous seing privé du 15 novembre 2004, la société [Adresse 3] a donné à bail à la société JSA DIFFUSION, un local dépendant d’un immeuble situé [Adresse 3], à [Localité 9], pour une durée de neuf ans à compter du 15 novembre 2004, moyennant un loyer de 55 000 euros par an, hors taxes et hors charges, payable trimestriellement à terme d’avance. Les parties ne contestent pas que ledit bail s’est poursuivi par tacite prolongation à compter du 15 novembre 2013.
Par jugement du 26 mars 2018, le tribunal de commerce de Paris a ouvert au bénéfice de la société JSA DIFFUSION une procédure de sauvegarde, dont le plan a été arrêté par jugement du 8 octobre 2019.
Par acte extrajudiciaire du 1ermars 2016, la société JSA DIFFUSION a fait signifier à la société [Adresse 3] une demande de renouvellement du bail unissant les parties pour une durée de neuf ans à compter du 1eravril 2016.
Par acte extrajudiciaire du 31 mai 2016, la société [Adresse 3] a fait signifier à la société JSA DIFFUSION un refus de renouvellement sans offre d’indemnité d’éviction, donnant congé à la preneuse pour le 31 décembre 2016.
Par acte du 29 mai 2018, la société JSA DIFFUSION a fait assigner la société [Adresse 3] devant le tribunal de grande instance de Paris, aux fins notamment de voir condamner la bailleresse au paiement d’une indemnité d’éviction en raison du caractère injustifié du refus de renouvellement. L’affaire est actuellement pendante devant le tribunal judiciaire de Paris sous le numéro RG 18/06075.
Par acte du 12 octobre 2020, la société JSA DIFFUSION, la société AJ ASSOCIES en qualité de commissaire à l’exécution du plan et la société ATHENA en qualité de mandataire judiciaire ont fait assigner devant le tribunal judiciaire de Paris la société [Adresse 3] et Mme [I] [C] et Mmes [Z], [A], [D] et [W] [X], ci-après les consorts [X], aux fins notamment de voir annuler le bail unissant les parties. L’affaire a été enregistrée sous le numéro RG 20/09788.
Par ordonnance rendue le 21 octobre 2021, l’instance inscrite sous le numéro RG 20/09788 a été radiée en raison du défaut de diligence des demandeurs relativement à la proposition de médiation faite aux parties.
Par un courrier du 25 octobre 2021, les demandeurs ont sollicité le rétablissement de l’affaire au rôle.
L’affaire a été rétablie sous le numéro RG 21/13831.
Par conclusions signifiées par voie électronique le 8 avril 2022, les consorts [X] et la SCI [Adresse 3] ont saisi le juge de la mise en état de conclusions d’incident.
Aux termes de leurs dernières conclusions d’incident, notifiées par voie électronique le 18 octobre 2022, ils demandent au juge de la mise en état, au visa des articles 122 et 789 du Code de procédure civile et de l’article 1858 du Code civil, de :
« JUGER irrecevables la société JSA DIFFUSION et la SELARL AJ ASSOCIES, ès qualité, en leurs demandes formulées contre Mesdames [Z] [X], [A] [X], [D] [X], [W] [X] épouse [U] et [I] [C] épouse [X]
JUGER irrecevables la société JSA DIFFUSION et la SELARL AJ ASSOCIES, ès qualité en toutes leurs demandes, tirées de la prétendue nullité du bail commercial
DEBOUTER société JSA DIFFUSION et la SELARL AJ ASSOCIES, ès qualité, de leurs demandes tant principales que subsidiaires
CONDAMNER JSA DIFFUSION à verser à la SCI [Adresse 3] la somme de 10.000 € et à Madame [Z] [X], Madame [A] [X], Madame [D] [X], Madame [I] [C] épouse [X] Madame [W] [X] épouse [U] la somme de 3.000 €, chacun, sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ».
Aux termes de leurs conclusions en réplique sur incident, notifiées électroniquement le 7 mars 2023, les sociétés JSA DIFFUSION et AJ ASSOCIES demandent au juge de la mise en état, au visa des articles 122 et 789 du Code de procédure civile, des articles L. 145-1 à L. 145-41 et R. 145-1 à R. 145-41 du Code de commerce et des articles L. 631-7 et L. 631-7-1 du Code la construction et de l’habitation, de :
« I-STATUANT A TITRE PRINCIPAL SUR L’INCIDENT
RECEVOIR JSA DIFFUSION en ses demandes reconventionnelles fins et conclusions.
JUGER ET DIRE en application du principe de la concentration des fins de non-recevoir et de l’interdiction de se contredire que la demande incidente de [Adresse 3] SCI et des consorts [X] est irrecevable devant le juge de la mise en état pour avoir déjà été soumise à la formation de jugement du tribunal de céans aux termes des conclusions récapitulatives n°2 notifiées par RPVA le 7 avril 2021.
JUGER ET DIRE que [Adresse 3] SCI et des consorts [X] à qui incombe la charge de la preuve ne justifient pas que toutes les conditions jurisprudentielles d’application de la fin de non-recevoir d’interdiction de se contredire au détriment d’autrui, de l’estoppel sont réunies faute d’avoir relevé et caractérisé de manière convaincante l’existence uniquement dans le cadre de l’instance enrôlée RG : 21/13831 de la moindre contradiction des demandes en annulation formulées par JSA DIFFUSION.
JUGER ET DIRE que [Adresse 3] SCI et des consorts [X] sont irrecevables à exciper d’un motif de contradiction relevé dans le cadre de l’instance enrôlée RG : 18/06075 dont l’instruction est irrévocablement close afin d’étayer et caractériser l’existence de la fin de non-recevoir d’estoppel qu’ils opposent à JSA DIFFUSION Sarl dans le cadre de l’instance enrôlée RG : 21/13831.
PRONONCER en conséquence l’irrecevabilité de la demande incidente de [Adresse 3] SCI et des consorts [X].
JUGER ET DIRE qu’il subsiste entre la fin de non-recevoir soulevée par [Adresse 3] SCI et les consorts [X] devant la formation de jugement du tribunal de céans et celles invoquées dans le cadre de la présente instance devant le juge de la mise en état une situation de litispendance qui en raison de sa connexité matérielle et juridique commande au juge de la mise en état de décliner sa compétence à en contraire au profit de la formation de jugement.
DONNER ACTE à JSA DIFFUSION Sarl en son opposition à ce que le juge de la mise en état statue sur la validité du bail commercial du 15 novembre 2004 et les fins de non-recevoir soulevées en demande.
RENVOYER en conséquence par application de l’article 789 6°1er alinéa du code de procédure civile société [Adresse 3] SCI ainsi que mesdames [Z], [T], [D], [I] [W] [X] épouse [U] à mieux se pourvoir devant la formation de jugement du tribunal de céans avec injonction de conclure au fond à la première audience utile de mise en état.
II-STATUANT A TITRE SUBSIDIAIRE SUR LE FOND DU DROIT en application de l’article 789 6° du code de procédure civil
PRONONCER la nullité du bail commercial du 15 novembre 2004 pour violation des dispositions d’ordre public de l’article L631-7 du Code de la construction et de l’habitation
PRONONCER en conséquence, la nullité des commandements de payer du 15 juillet 2015 et du 20 janvier 2022 pour violation des dispositions combinées des articles l’article L631-7 du Code de la construction et de l’habitation L145-45 du Code de commerce.
PRONONCER la nullité du cautionnement solidaire de monsieur [H] [F] en le jugeant sans objet.
ORDONNER, la compensation entre la créance de restitutions des dépôts de garantie, loyers et charges de la société JSA DIFFUSION avec la créance de paiement de l’indemnité d’occupation de la société [Adresse 3] SCI à due concurrence d’un montant total de SOIXANT DEUX MILLE CENT EUROS (62.100€) ;
CONDAMNER [Adresse 3] SCI in solidum avec Mesdames [Z], [T], [D], [I] [W] [X] épouse [U] à payer avec capitalisation des intérêts au taux légal à la société JSA DIFFUSION la somme résiduelle TTC d’UN MILLION TROIS CENT DIX-NEUF MILLE NEUF CENT QUATRE-VINGT DIX EUROS (1.319 990.00€) soit 1 151 741.60€ Hors TVA à titre de restitution de dépôt de garantie, loyers et charges consécutivement à l’annulation du bail commercial du 15 novembre 2004 et de l’ensemble des actes subséquents ;
CONDAMNER la société [Adresse 3] SCI in solidum avec Mesdames [Z], [T], [D], [I] [W] [X] épouse [U] à payer avec capitalisation des intérêts au taux légal à la société JSA DIFFUSION la somme à parfaire de CENT CINQUANTE QUATRE MILLE TROIS CENT SOIXANTE QUINZE EUROS (154.375.00€) à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice économique inhérent à la dépréciation irrévocable de son fonds commercial de prêt-à porter et à la perte de chance de pourvoir en tirer toutes les utilités économiques auxquelles JSA DIFFUSION pouvait raisonnablement
CONDAMNER la Société [Adresse 3] SCI in solidum avec Mesdames [Z], [T], [D], [I] [W] [X] épouse [U] à payer à la société JSA DIFFUSION avec capitalisation des intérêts au taux légal la somme à parfaire de 15 000€) à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice économique inhérent au coût du transfert de son activité ainsi décomposé :
▪ Frais de déménagement (transfert des marchandises et mobiliers suivant devis) : 10.000€
▪ Frais de transfert des abonnements téléphoniques et de modification des mentions du RCS de PARIS : 5000€
DECLARER commun et pleinement opposable à Mesdames [Z], [T], [D], [I] [W] [X] épouse [U] le jugement à intervenir.
ENJOINDRE à la société [Adresse 3] SCI sous astreinte de 500 Euros par jour de retard de procéder à la publication du jugement à intervenir au fichier immobilier en marge des mentions relatives à l’immeuble sis à [Adresse 3] lui appartenant dans son ensemble constitué par les lots 1 et 7 de l’état descriptif de division.
JUGER ET DIRE que toutes les condamnations pécuniaires de [Adresse 3] SCI des consorts [X] [Z], [T], [D], [I] [W] [X] épouse [U] produiront intérêt au taux légal avec capitalisation à compter de leur date d’exigibilité respective.
III-STATUANT EN TOUT ETAT DE CAUSE,
DEBOUTER la société [Adresse 3] SCI, Mesdames [Z], [T], [D], [I] [W] [X] épouse [U] de l’ensemble de leur demande fins et conclusions et les jugeant mal fondées.
CONDAMNER la société [Adresse 3] SCI in solidum avec Mesdames [Z], [T], [D], [I] [W] [X] épouse [U] aux entiers dépens d’instance et à payer à la JSA DIFFUSION la somme de 15 000 Euros au titre des frais irrépétibles de l’article 700 du code de procédure civil avec distraction au bénéfice de Maître Rochfelaire IBARA qui pourra les recouvrer en application de l’article 699 du code de procédure civil. »
Il est expressément renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé des moyens de fait et de droit développés au soutien de leurs prétentions.
L’affaire a été plaidée à l’audience du 7 septembre 2023 et mise en délibéré ce jour.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité des demandes de la SCI [Adresse 3] et des consorts [X]
La société JSA DIFFUSION expose que les fins de non-recevoir soulevées par les consorts [X] ont déjà été soumises à la formation de jugement du tribunal de céans aux termes de leurs conclusions récapitulatives notifiées le 7 avril 2021 et qu’elles sont donc irrecevables devant le juge de la mise en état, en application du principe de la concentration des fins de non-recevoir et de l’interdiction de se contredire.
L’article 789 du Code de procédure civile prévoit que les fins de non-recevoir survenues et révélées avant le dessaisissement du juge de la mise en état doivent nécessairement être soulevées devant ce dernier et sont en revanche irrecevables devant la formation de jugement.
La société JSA DIFFUSION fait donc grief aux consorts [X] de présenter devant le juge de la mise en état une demande ayant déjà été soumise à la formation de jugement de la présente juridiction.
Le juge de la mise en état relève que la demande litigieuse ne présente aucune contradiction avec une demande antérieure mais constitue une simple réitération de cette dernière.
Par ailleurs, les consorts [X] et la SCI [Adresse 3] ont soulevé l’irrecevabilité des demandes formulées contre Mmes [Z], [A], [D], [I] et [W] [X] pour défaut de qualité dans leurs conclusions du 18 octobre 2022, spécialement adressées au juge de la mise en état en application de l’article 791 du Code de procédure civile, et ce avant son dessaisissement.
En conséquence, la fin de non-recevoir invoquée par les consorts [X] et la SCI [Adresse 3] est recevable devant le juge de la mise en état au regard de l’article 789 du Code de procédure civile, peu important qu’elle ait été préalablement soulevée au sein de conclusions au fond antérieures.
Sur la demande de renvoi à la formation de jugement
La société JSA DIFFUSION fait valoir que la fin de non-recevoir soulevée par les consorts [X] et la SCI [Adresse 3] devant la formation de jugement du tribunal de céans et celles invoquées dans le cadre de la présente instance devant le juge de la mise en état constituent une situation de litispendance qui en raison de sa connexité matérielle et juridique commande au juge de la mise en état de décliner sa compétence au profit de la formation de jugement. Elle sollicite en conséquence le renvoi de la procédure devant la formation de jugement du tribunal de céans par application de l’article 789 6° du Code de procédure civile, la fin de non-recevoir soulevée par les consorts [X] nécessitant en outre de trancher une question de fond du droit relative à la nullité absolue d’un bail commercial.
Les consorts [X] et la SCI [Adresse 3] font valoir qu’il n’est en aucun cas demandé d’examiner le fond, qu’il est donc inopérant de soutenir que la fin de non-recevoir nécessite que soit tranchée au préalable une question de fond, que les fins de non-recevoir sont de la compétence exclusive du juge de la mise en état, qu’ils sont par conséquent recevables en leur incident.
À titre liminaire, il sera observé qu’en application de l’article 780 du Code de procédure civile le juge de la mise en état est un magistrat de la chambre saisie désigné aux fins de contrôler l’instruction de l’affaire, que le juge de la mise en état et la formation de jugement ne constituent donc pas deux juridictions de même degré également compétentes pour connaître du même litige, qu’aucune litispendance ne saurait donc être caractérisée en l’espèce.
L’article 789 du Code de procédure civile dispose que « lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour: […]6° Statuer sur les fins de non-recevoir. »
Aux termes de l’article 122 du Code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
En l’espèce, les consorts [X] et la SCI [Adresse 3] ont saisi le juge de la mise en état, sur le fondement d’un défaut de qualité, d’une violation du principe de non-contradiction au détriment d’autrui et de la prescription, aux fins de voir « juger irrecevables la société JSA DIFFUSION et la SELARL AJ ASSOCIES ». Ils se prévalent de ce fait de fins de non-recevoir au sens de l’article 122 du Code de procédure civile, pour faire obstacle aux demandes des sociétés JSA DIFFUSION et AJ ASSOCIES, et ce postérieurement à la désignation du juge de la mise en état.
Par conséquent, en application de l’article 789, 6° du Code de procédure civile, le juge de la mise en état est compétent pour connaître d’une telle demande.
Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la société JSA DIFFUSION, la recevabilité de la mise en cause des associés de la société [Adresse 3] ne suppose pas de vérifier au préalable que le principe de la créance à leur égard soit bien fondé ni d’examiner la question de la nullité du bail commercial, et la recevabilité de la fin de non-recevoir alléguée sur le fondement de l’interdiction de se contredire au détriment d’autrui ne nécessite pas de purger la question de l’irrévocabilité de l’ordonnance de clôture de l’instance en contestation du refus de renouvellement.
Il n’y a donc pas lieu d’ordonner le renvoi de la procédure devant la formation de jugement.
Sur la recevabilité des demandes formées contre les associés de la société [Adresse 3]
Les consorts [X] et la SCI [Adresse 3] font valoir que les associés de la société [Adresse 3] ne sont pas parties au bail conclu avec la société JSA DIFFUSION, qu’ils ne sont par ailleurs plus associés depuis le 23 décembre 2019, soit avant l’introduction de la présente instance, qu’en outre la responsabilité des associés d’une SCI est subsidiaire à celle de la société, et qu’enfin la responsabilité des associés d’une SCI n’est pas solidaire mais dépend de leur participation, de sorte que la demande de la société JSA DIFFUSION formée contre les anciens associés de la société [Adresse 3] est irrecevable.
Si le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties, il est établi aux termes de l’article 1857 du Code civil qu’à l’égard des tiers les associés répondent indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social à la date de l’exigibilité ou au jour de la cessation des paiements.
En conséquence, il a lieu d’écarter le moyen soulevé par les associés de la société [Adresse 3] en raison de leur non participation en leur nom propre à l’acte de bail conclu entre la société [Adresse 3] et la société JSA DIFFUSION.
En application de l’article 1857 du Code civil, seuls les associés à la date à laquelle les paiements sont exigibles peuvent être poursuivis par les créanciers. Or, la société JSA DIFFUSION produit un extrait Kbis de la société [Adresse 3] daté du 14 septembre 2020 faisant état de la qualité d’associé de Mme [I] [C] et Mmes [Z], [A], [D] et [W] [X], alors que les consorts [X] procèdent par affirmation en soutenant que ces dernières ne sont plus associées depuis le 23 décembre 2019 sans démontrer la perte de cette qualité. En l’état des éléments de preuve, il y a donc lieu d’écarter le moyen soulevé par les associés de la société [Adresse 3] en raison de la perte de leur qualité d’associé.
Cependant, l’article 1858 du Code civil prévoit que les créanciers ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé qu’après avoir préalablement et vainement poursuivi la personne morale. En l’espèce, les sociétés JSA DIFFUSION et AJ ASSOCIES, qui se sont contentées d’assigner la société [Adresse 3] en même temps que ses associés, ne justifient d’aucune mesure d’exécution contre la société antérieurement à l’action dirigée contre les associés, ni n’établissent l’insolvabilité de la société face à cette mesure d’exécution.
Dès lors, en l’absence de poursuites préalables et infructueuses contre la société défenderesse, il y a lieu de déclarer la société JSA DIFFUSION irrecevable à agir contre Mme [I] [C] et Mmes [Z], [A], [D] et [W] [X].
Sur l’irrecevabilité tirée du principe de non-contradiction
Les consorts [X] et la SCI [Adresse 3] font valoir que le principe de l’estoppel, qui interdit à une partie de se contredire au détriment d’autrui, constitue une fin de non-recevoir, qu’en l’espèce la société JSA DIFFUSION a assigné la société [Adresse 3] devant le tribunal de grande instance de Paris par acte du 29 mai 2018 aux fins de voir juger que le motif de refus de renouvellement présenté par la société [Adresse 3] est injustifié et la voir condamner au paiement d’une indemnité d’éviction, qu’une telle demande tendant à tirer bénéfice de l’existence du bail liant les parties est contradictoire avec la demande de nullité du bail formée dans la présente instance, que cette dernière est donc irrecevable.
Il convient de rappeler qu’il est établi que nul ne peut se contredire au détriment d’autrui, toutefois, la seule circonstance qu’une partie se contredise au détriment d’autrui n’emporte pas nécessairement une fin de non-recevoir.
Par ailleurs, la jurisprudence définit la fin de non-recevoir fondée sur le principe de non-contradiction comme suit : « la fin de non-recevoir tirée du principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d’autrui sanctionne l’attitude procédurale consistant pour une partie, au cours d’une même instance, à adopter des positions contraires ou incompatibles entre elles dans des conditions qui induisent en erreur son adversaire sur ses intentions ».
En l’espèce, il sera relevé que les consorts [X] et la SCI [Adresse 3] se prévalent de contradictions entre des prétentions formulées par la société JSA DIFFUSION au sein deux instance distinctes, l’une étant la présente instance et l’autre l’instance en contestation du congé. Dans ces conditions, la fin de non-recevoir soulevée n’apparaît pas fondée.
En conséquence, il y a lieu de rejeter l’irrecevabilité soulevée par les consorts [X] et la SCI [Adresse 3] sur le fondement du principe de non-contradiction au détriment d’autrui.
Sur l’irrecevabilité tirée de la prescription
Les consorts [X] et la SCI [Adresse 3] font valoir que le délai de prescription de l’action en nullité de l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation est de cinq ans, que le bail a été conclu en 2004, que l’action en nullité est donc prescrite, sans que les sociétés JSA DIFFUSION et AJ ASSOCIES ne puissent exciper du caractère perpétuel de l’exception de nullité, le contrat ayant reçu une exécution volontaire de la part de la preneuse.
La société JSA DIFFUSION expose que l’exception de nullité est perpétuelle, de sorte que leur demande en nullité du bail du 15 novembre 2004 n’est pas prescrite.
En premier lieu, il convient de rappeler que la règle selon laquelle l’exception de nullité est perpétuelle ne peut être invoquée qu’en tant que moyen de défense opposé à une demande d’exécution d’un acte irrégulièrement passé et non par la demanderesse qui agit par voie d’action.
Par conséquent, la société JSA DIFFUSION, demanderesse à la présente instance, ne peut exciper le principe selon lequel l’exception de nullité est perpétuelle et son moyen sera écarté.
En second lieu, il est constant que toute action en nullité du bail commercial fondée sur l’article L.631-7 du code de la construction et de l’habitation se prescrit selon les règles du droit commun. Il convient cependant de rappeler que la prescription de droit commun a connu des évolutions significatives par l’effet de la la loi n°2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, la réduction de la prescription s’appliquant aux prescriptions à compter du jour de l’entrée en vigueur de la loi, soit le 19 juin 2008.
En l’espèce, le bail litigieux a été conclu le 15 novembre 2004 et tacitement prolongé le 15 novembre 2013.
La SCI [Adresse 3] retient comme point de départ du délai de prescription la date de conclusion du bail le 15 novembre 2004 et la société JSA DIFFUSION ne discute pas ce point.
En l’espèce, la société JSA DIFFUSION ayant introduit son action en nullité du bail par assignation du 12 octobre 2020, cette dernière est prescrite quelque soit le point de départ du délai de prescription retenu et sans qu’il soit nécessaire de discuter de l’éventuelle novation du contrat de bail intervenue par l’effet de la tacite prolongation et dès lors son incidence sur le point de départ de la prescription.
Dès lors, il y a lieu de constater que la demande de nullité du bail liant la SCI [Adresse 3] et la société JSA DIFFUSION, formée par la société JSA DIFFUSION est prescrite.
Sur les autres demandes
Il sera observé que les demandes formées à titre subsidiaire par la société JSA DIFFUSION sont des demandes au fond excédant la compétence du juge de la mise en état en application des articles 780 et suivants du Code de procédure civile.
La société JSA DIFFUSION, partie succombante, est condamnée aux entiers dépens de l’instance et à payer à la SCI [Adresse 3] et à chacun des consorts [X] la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La société JSA DIFFUSION est déboutée de sa demande sur ce même fondement.
PAR CES MOTIFS
Le juge de la mise en état, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, et par ordonnance contradictoire, susceptible de recours dans les conditions de l’article 795 du Code de procédure civile,
Déclare recevables les fins de non-recevoir soulevées par la société [Adresse 3], Mme [I] [C] et Mmes [Z], [A], [D] et [W] [X],
Rejette la demande de la société JSA DIFFUSION tendant à renvoyer l’ensemble de la procédure devant la formation de jugement,
Déclare la société JSA DIFFUSION irrecevable à agir contre Mme [I] [C] et Mmes [Z], [A], [D] et [W] [X],
Rejette la fin de non-recevoir tirée du principe de non-contradiction soulevée par la société [Adresse 3], Mme [I] [C] et Mmes [Z], [A], [D] et [W] [X],
Déclare irrecevable la demande de nullité du bail du 15 novembre 2004, tacitement prolongé le 15 novembre 2013, unissant les parties, formée par la société JSA DIFFUSION,
Dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le surplus des demandes de la société JSA DIFFUSION,
CONDAMNE la société JSA DIFFUSION à verser à la SCI [Adresse 3] la somme de 3.000 € et à Madame [Z] [X], Madame [A] [X], Madame [D] [X], Madame [I] [C] épouse [X] et Madame [W] [X] épouse [U] la somme de 3.000 €, chacune, sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,
Déboute la société JSA DIFFUSION de sa demande sur le même fondement,
Condamne la société JSA DIFFUSION aux entiers dépens de l’instance.
Faite et rendue à Paris le 30 Janvier 2024.
Le GreffierLe Juge de la mise en état
Christian GUINANDPauline LESTERLIN