Indemnité d’éviction : 3 novembre 2022 Cour d’appel de Grenoble RG n° 21/02631

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Indemnité d’éviction : 3 novembre 2022 Cour d’appel de Grenoble RG n° 21/02631

3 novembre 2022
Cour d’appel de Grenoble
RG
21/02631

N° RG 21/02631 – N° Portalis DBVM-V-B7F-K5KD

C1

Minute N°

Copie exécutoire

délivrée le :

la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC

la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE – CHAMBERY

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE COMMERCIALE

ARRÊT DU JEUDI 03 NOVEMBRE 2022

Appel d’un jugement (N° RG 19/02415)

rendu par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de VALENCE

en date du 03 juin 2021

suivant déclaration d’appel du 14 juin 2021

APPELANTE :

S.N.C. V.V.H. immatriculée au RCS de CANNES sous le n° 813 216 587, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 1]

représentée par Me Josette DAUPHIN de la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant et par Me Renaud GIULIERI, avocat au barreau de NICE

INTIMÉE :

S.A.S. CHAUSSURES ERAM, au capital de 54.414.000 euros, immatriculée au registre du commerce et des sociétés d’Angers sous le numéro 833 590 706, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux dûment domiciliés en cette qualité audit siège social

[Adresse 6]

[Localité 3]

représentée par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE – CHAMBERY, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant et plaidant par Me PATOUILLAUD de la SELAS LPA-CGR avocats, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Madame Marie-Pierre FIGUET, Présidente,

Mme Marie-Pascale BLANCHARD, Conseillère,

M. Lionel BRUNO, Conseiller,

Assistés lors des débats de Mme Alice RICHET, Greffière.

DÉBATS :

A l’audience publique du 08 juin 2022, Mme BLANCHARD, conseillère, a été entendue en son rapport,

Les avocats ont été entendus en leurs conclusions et Me PATOUILLAUD en sa plaidoirie,

Puis l’affaire a été mise en délibéré pour que l’arrêt soit rendu ce jour, après prorogation du délibéré

EXPOSE DU LITIGE :

Par acte sous seing privé en date du 10 mars 1993, les consorts [X], aux droits desquels vient la société VVH, ont donné à bail commercial à la société Louot & Fils, aux droits de laquelle sont venues successivement les sociétés Chaussures Eram et Sapia, cette dernière renommée Chaussures Eram, des locaux situés [Adresse 2], pour une durée de neuf années et moyennant un loyer annuel de 120.000 francs hors taxes et hors charges.

Le bail a été renouvelé une première fois par acte sous seing privé du 18 février 2003.

Par acte d’huissier signifié le 24 septembre 2014, la société Chaussures Eram a sollicité le renouvellement du bail à compter du 1er octobre 2014.

Par lettre recommandée avec avis de réception du 21 juin 2016, la société VVH a accepté le principe du renouvellement, mais a réclamé un loyer de 178.000 euros ht et hc par an.

Le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Valence l’ayant déboutée de ses prétentions par jugement du 6 juillet 2017, la société VVH a exercé son droit d’option par courrier recommandé avec avis de réception en date du 29 août 2017 notifiant au preneur son refus de renouvellement du bail avec offre de paiement d’une indemnité d’éviction.

Par décision du 31 janvier 2018, le juge des référés a ordonné une mesure d’expertise confiée à M. [B] aux fins d’évaluer les indemnités d’éviction et d’occupation.

L’expert a déposé son rapport le 28 septembre 2019.

La société Chaussures Eram a restitué les clés des locaux loués le 21 décembre 2018.

Par jugement du 3 juin 2021, le tribunal judiciaire de Valence a :

– débouté la Sas Chaussures Eram de sa demande tendant à voir écarter le rapport d’expertise amiable produit par la Snc VVH,

– condamné la Snc VVH à verser à la Sas Chaussures Eram une indemnité principale d’éviction d’un montant de 261.145, 23 euros, outre intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision,

– condamné la Snc VVH à verser à la Sas Chaussures Eram des indemnités accessoires d’un montant de 329.005,45 euros, outre intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision,

– autorisé la Snc VVH à consigner le montant des indemnités de remploi et de trouble commercial d’un montant de 29.787,52 euros, sur le compte séquestre de son conseil, dans l’attente de la justification par la société Chaussures Eram de la réinstallation effective d’un établissement dans l’agglomération de [Localité 7], dans un délai d’un an à compter de la signification du jugement,

– dit qu’à défaut de justification de cette réinstallation dans le délai susvisé, la société VVH sera définitivement libérée du paiement desdites indemnités au profit de la société Chaussures Eram,

– fixé le montant de l’indemnité d’occupation due par la Sas Chaussures Eram du 1er octobre 2014 au 21 décembre 2018 à la somme annuelle de 34.914,95 euros, outre tva et charges en sus,

– condamné la Snc VVH à rembourser à la Sas Chaussures Eram les trop-perçus d’indemnités d’occupation, à compter du 1er octobre 2014, outre intérêts au taux légal à compter de la signification de la décision qui ouvre droit à restitution,

– ordonné la capitalisation des intérêts de retard dus au moins pour une année entière s’agissant de l’indemnité d’éviction et de l’indemnité d’occupation,

– condamné la Snc VVH à verser à la Sas Chaussures Eram la somme de 9.580,09 euros au titre des frais de l’instance en fixation du loyer du bail renouvelé,

– condamné la Snc VVH à verser à la Sas Chaussures Eram une indemnité de 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– rejeté toute prétention plus ample ou contraire des parties,

– condamné la Snc VVH aux dépens comprenant les frais d’expertise,

– dit qu’ils seront distraits au profit de la Scp Durrleman Colas de Renty dans les conditions prévues par l’article 699 du code de procédure civile,

– ordonné l’exécution provisoire de la décision à hauteur de la moitié des condamnations prononcées au titre des indemnités principales et accessoires d’éviction.

Suivant déclaration au greffe du 14 juin 2021, la Snc VVH a relevé appel de cette décision en ce qu’elle a :

– condamné la Snc VVH à verser à la Sas Chaussures Eram une indemnité principale d’éviction d’un montant de 261.145, 23 euros, outre intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision,

– condamné la Snc VVH à verser à la Sas Chaussures Eram des indemnités accessoires d’un montant de 329.005,45 euros, outre intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision,

– autorisé la Snc VVH à consigner le montant des indemnités de remploi et de trouble commercial d’un montant de 29.787,52 euros, sur le compte séquestre de son conseil, dans l’attente de la justification par la société Chaussures Eram de la réinstallation effective d’un établissement dans l’agglomération de [Localité 7], dans un délai d’un an à compter de la signification du jugement,

– dit qu’à défaut de justification de cette réinstallation dans le délai susvisé, la société VVH sera définitivement libérée du paiement desdites indemnités au profit de la société Chaussures Eram,

– fixé le montant de l’indemnité d’occupation due par la Sas Chaussures Eram du 1er octobre 2014 au 21 décembre 2018 à la somme annuelle de 34.914,95 euros, outre tva et charges en sus,

– condamné la Snc VVH à rembourser à la Sas Chaussures Eram les trop-perçus d’indemnités d’occupation, à compter du 1er octobre 2014, outre intérêts au taux légal à compter de la signification de décision qui ouvre droit à restitution,

– ordonné la capitalisation des intérêts de retard dus au moins pour une année entière s’agissant de l’indemnité d’éviction et de l’indemnité d’occupation,

– condamné la Snc VVH à verser à la Sas Chaussures Eram la somme de 9.580,09 euros au titre des frais de l’instance en fixation du loyer du bail renouvelé,

– condamné la Snc VVH à verser à la Sas Chaussures Eram une indemnité de 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– rejeté toute prétention plus ample ou contraire des parties,

– condamné la Snc VVH aux dépens comprenant les frais d’expertise.

Prétentions et moyens de la société V.V.H. :

Au terme de ses écritures notifiées le 16 mai 2022, la Snc V.V.H. demande à la cour de :

– déclarer la société V.V.H. recevable en son appel,

– confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a :

. débouté la société Chaussures Eram de sa demande tendant à voir écarter le rapport d’expertise amiable produit par la société V.V.H.,

. autorisé la société V.V.H. à consigner le montant des indemnités de remploi et de trouble commercial d’un montant de 29.787,52 euros, sur le compte séquestre de son conseil, dans l’attente de la justification par la société Chaussures Eram de la réinstallation effective d’un établissement dans l’agglomération de [Localité 7], dans un délai d’un an à compter de la signification du jugement,

. dit qu’à défaut de justification de cette réinstallation dans le délai sus visé, la société V.V.H. sera définitivement libérée du paiement desdites indemnités au profit de la société Chaussures Eram,

. condamné la société V.V.H. à verser à la société Chaussures Eram la somme de 9.580,09 euros au titre des frais de l’instance en fixation du loyer du bail renouvelé,

– réformer le jugement en ce qu’il a :

. condamné la société V.V.H. à verser à la société Chaussures Eram une indemnité principale d’éviction d’un montant de 261.145,23 euros, outre intérêts au taux légal à compter du prononcé de la présente décision,

. condamné la société V.V.H. à verser à la société Chaussures Eram des indemnités accessoires d’un montant de 329.005,45 euros, outre intérêts au taux légal à compter du prononcé de la présente décision,

. fixé le montant de l’indemnité d’occupation due par la société Chaussures Eram du 1er octobre 2014 au 21 décembre 2018 à la somme annuelle de 34.914,95 euros, outre tva et charges en sus,

. condamné la société V.V.H. à rembourser à la société Chaussures Eram les trop-percus d’indemnité d’occupation, à compter du 1er octobre 2014, outre intérêts au taux légal à compter de la signification de la décision qui ouvre droit à la restitution,

. ordonné la capitalisation des intérêts de retard dus au moins pour une année entière s’agissant de l’indemnité d’éviction et de l’indemnité d’occupation,

. condamné la société V.V.H. à verser à la société Chaussures Eram une indemnité de 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

. rejeté toute prétention plus ample ou contraire des parties,

. condamné la société V.V.H. aux dépens comprenant les frais d’expertise,

. ordonné l’exécution provisoire de la présente décision à hauteur de la moitié des condamnations prononcées au titre des indemnités principale et accessoires d’éviction,

– statuant à nouveau des chefs réformés,

– débouter la société Chaussures Eram de l’ensemble de ses demandes,

– dire et juger que l’indemnité d’éviction due à la société Chaussures Eram est une indemnité de déplacement et non une indemnité de perte de fonds,

– fixer le montant de l’indemnité principale d’éviction due à la société Chaussures Eram à hauteur de la somme de 133.250 euros,

– fixer le montant de l’indemnité d’occupation annuelle due par la société Chaussures Eram à la société V.V.H. à hauteur de la somme de 59.267 euros, outre tva et charges en sus, à compter du 1er octobre 2014 jusqu’à la date du 21 décembre 2018,

– condamner la société Chaussures Eram au paiement à la société V.V.H. du différentiel ttc entre le montant des loyers acquittés et celui de l’indemnité d’occupation fixée à compter du 1er octobre 2014 et jusqu’à la date du 21 décembre 2018,

– à titre subsidiaire,

– débouter la société Chaussures Eram de l’ensemble de ses demandes,

– dire et juger que l’indemnité d’éviction due à la société Chaussures Eram est une indemnité de déplacement et non une indemnité de perte de fonds,

– fixer le montant de l’indemnité principale d’éviction due a la société Chaussures Eram à hauteur de la somme de 133.250 euros,

– fixer le montant de l’indemnité d’occupation annuelle due par la société Chaussures Eram à la société V.V.H. à hauteur de la somme de 59.267 euros, outre tva et charges en sus, à compter du 1er octobre 2014 jusqu’à la date du 21 décembre 2018,

– condamner la société Chaussures Eram au paiement à la société V.V.H. du differentiel ttc entre le montant des loyers acquittés et celui de l’indemnité d’occupation fixée à compter du 1er octobre 2014 et jusqu’à la date du 21 décembre 2018,

– ordonner la consignation du montant des frais de réinstallation sur le compte séquestre du conseil de la société V.V.H. dans l’attente de la justification par la société Chaussures Eram de la réinstallation effective d’un établissement à [Localité 7] dans un délai d’un an à compter de l’arrêt à intervenir,

– dire et juger qu’à défaut de justification de cette réinstallation dans le délai sus visé, la société V.V.H. sera définitivement libérée du paiement de ladite indemnité au profit de la société Chaussures Eram,

– en toute hypothèse,

– dire et juger que les créances réciproques des parties feront l’objet d’une compensation,

– condamner la société Chaussures Eram au paiement a la société V.V.H. de la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et des entiers dépens de l’instance, en ce compris le coût de l’expertise [B], distraits au profit de Me Ivan Flaud, avocat au Barreau, sous sa due affirmation de droit.

La société V.V.H. soutient que le rapport d’expertise amiable de M. [Y] est recevable puisqu’il a été soumis à la discussion contradictoire des parties, qu’il constitue un moyen de preuve parmi d’autres dont le rapport d’expertise judiciaire.

Concernant l’indemnité principale d’éviction, elle fait valoir que la locataire appartenant à une enseigne de réseau, son fonds de commerce est transférable sans perte significative de clientèle, qu’il existe des locaux similaires disponibles à proximité, que l’indemnité doit réparer le seul déplacement du fonds et non sa perte, que la méthode usuelle d’évaluation qu’il convient de prendre en compte est celle du «différentiel de loyer», que compte tenu de la très bonne situation des locaux et la taille moyenne de la ville de [Localité 7], un coefficient de situation de 6 peut être retenu, ce qui conduit au cas particulier à une indemnité principale de 133.250 euros.

Subsidiairement, elle conteste que l’indemnité de perte du fonds puisse être calculée sur le chiffre d’affaires ttc alors que, selon l’usage, pour les fonds de capitaux, il est pris en compte un chiffre d’affaires hors taxes.

Elle considère en outre que la fourchette moyenne des pourcentages applicables au commerce de chaussures fournis par les différents barèmes d’évaluation est de 61,5 % et non de 72, 5 % ainsi que l’a retenu le premier juge.

Elle considère que les indemnités de préavis ne peuvent être prises en compte au titre des indemnités de licenciement économique des salariés et que les indemnités de congés payés ne peuvent l’être que sur justificatifs.

Elle conteste :

– les frais de déménagements sollicités aux motifs qu’ils ne sauraient être dus en cas de perte du fonds, sauf pour le stock invendu et qu’en l’espèce, les factures produites ne sont pas exploitables,

– les frais de réinstallation alors que la locataire ne justifie ni d’une intention de réinstallation, ni d’aménagements spécifiques des locaux objets de l’éviction, devant nécessairement être réinstallés dans de nouveaux et qu’il doit être tenu compte de la vétusté, les aménagements invoqués ayant 11 ans d’ancienneté,

– les frais administratifs à défaut de justificatifs alors que les locaux ont été restitués depuis décembre 2018,

– la perte des stocks alors que la locataire n’a pas été contrainte de quitter les lieux dans l’urgence et de liquider ses stocks dans des conditions préjudiciables,

– l’indemnité de remploi et de trouble commercial alors que la locataire n’a manifestement pas l’intention de se réinstaller dans le voisinage.

A tout le moins, elle estime que l’indemnité de réinstallation comme celles de remploi et de trouble commercial doivent être consignées en l’absence de projet actuel de réinstallation.

Concernant l’indemnité d’occupation, elle critique la méthode de calcul utilisée par l’expert [B], relevant qu’il a calculé un prix moyen au m2 sur la base de surfaces réelles qu’il a appliqué à une surface pondérée, et considère qu’à défaut de pouvoir pondérer ou corriger les surfaces des locaux de comparaison, seule la surface réelle doit être prise en compte.

Prétentions et moyens de la société Chaussures Eram :

Selon ses dernières conclusions notifiées le 23 mai 2022, la société Chaussures Eram entend voir :

– juger la société Chaussures Eram recevable et bien fondée en son appel incident,

– infirmer le jugement dont appel en ce qu’il a :

. débouté la Sas Chaussures Eram de sa demande tendant à voir écarter le rapport d’expertise amiable produit par la Snc VVH,

. condamné la Snc VVH à verser à la Sas Chaussures Eram une indemnité principale d’éviction d’un montant de 261.145,23 euros, outre intérêts au taux légal à compter du prononcé de la présente décision,

. condamné la Snc VVH à verser à la Sas Chaussures Eram des indemnités accessoires d’un montant de 329.005,45 euros, outre intérêts au taux légal à compter du prononcé de la présente décision,

. autorisé la Snc VVH à consigner le montant des indemnités de remploi et de trouble commercial d’un montant de 29.787,52 euros, sur le compte séquestre de son conseil, dans l’attente de la justification par la société Chaussures Eram de la réinstallation effective d’un établissement dans l’agglomération de [Localité 7], dans un délai d’un an à compter de la signification du jugement,

. dit qu’à défaut de justification de cette réinstallation dans le délai susvisé, la société VVH sera définitivement libérée du paiement desdites indemnités au profit de la société Chaussures Eram,

. fixé le montant de l’indemnité d’occupation due par la Sas Chaussures Eram du 1er octobre 2014 au 21 décembre 2018 à la somme annuelle de 34.914,95 euros, outre tva et charges en sus,

– statuant à nouveau :

– juger au visa de l’article 6-1 de la CEDH que le loyer ne saurait être fixé sur le fondement du rapport établi amiablement à la demande d’une partie et en conséquence écarter la pièce n°6 produite par la société VVH,

– condamner la société VVH au paiement, au profit de la société Chaussures Eram, d’une indemnité d’éviction de :

. 319.000 euros à titre d’indemnité principale, sauf à parfaire,

. 349.220,93 euros au titre des indemnités accessoires, sauf à parfaire,

– juger que l’indemnité d’éviction sera productive d’intérêts au taux légal à compter de la date de l’assignation au fond, soit du 13 août 2019 et que ces intérêts seront capitalisés par application de l’article 1343-2 du code civil,

– fixer le montant de l’indemnité d’occupation à compter du 1er octobre 2014 et jusqu’au 21 décembre 2018 à la somme annuelle de 28.807 euros,

– débouter la société VVH de sa demande de consignation des indemnités de remploi, de trouble commercial et de frais de réinstallation sur le compte séquestre de son Conseil, dans l’attente de la justification par la société Chaussures Eram de la réinstallation effective d’un établissement dans l’agglomération de [Localité 7], dans un délai d’un an à compter de la signification de l’arrêt et, à titre subsidiaire,

– ordonner la consignation des indemnités de remploi et de trouble commercial sur le compte séquestre du conseil de la société VVH, dans l’attente de la justification par la société Chaussures Eram de la réinstallation effective d’un établissement, dans un délai de dix-huit mois à compter de la plus tardive des dates entre la justification par la société VVH de la consignation desdites indemnités, d’une part et le règlement de la totalité des autres sommes dues à la société Chaussures Eram en exécution de l’arrêt à intervenir, d’autre part,

– confirmer le jugement pour le surplus :

– en tout état de cause,

– écarter des débats le nouveau barème d’évaluation («Traité de l’Evaluation des biens» de Huygue, Editions le Moniteur) de 2020 visé par la société VVH,

– débouter la société VVH de toutes ses demandes, fins et prétentions,

– condamner la société VVH au paiement de la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société VVH aux entiers dépens de première instance et d’appel, en ce compris les frais d’expertise, dont distraction pour les dépens d’appel au bénéfice de Me Alexis Grimaud (Selarl Lexavoué Grenoble) conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

La société Chaussures Eram soutient que l’éviction a causé la perte de son fonds à défaut de proposition par la bailleresse de local de remplacement, que la société VVH ne justifie pas de l’existence, à la date de l’éviction, d’un local équivalent à proximité, de nature à permettre la poursuite de l’exploitation sans perte significative de clientèle.

Elle relève que dans son rapport, l’expert n’a pas pris en compte la valeur du droit au bail ce qui indique qu’il a considéré que l’activité du preneur ne pouvait être transférable sans perte de clientèle.

Elle considère que le calcul doit être basé sur le chiffre d’affaires ttc et non hors taxes comme l’a retenu le premier juge et que les magasins de chaîne offrent une rentabilité supérieure à celle des commerces indépendants et doivent en conséquence être indemnisés sur la base d’une fourchette haute qu’elle estime devoir être fixée à 72, 5 %.

Subsidiairement, elle fait valoir que :

– la valeur du droit au bail dépend du loyer de marché des locaux objets de l’éviction et du loyer qui aurait été fixé dans le cadre du renouvellement,

– le bailleur ne peut valablement retenir une valeur de marché au 1er octobre 2014 alors que l’indemnité d’éviction doit être calculée au jour le plus proche du départ du locataire,

– le loyer de base retenu par le bailleur n’est pas conforme aux dispositions de l’article L.145-34 du code de commerce alors que le loyer plafonné n’est plus déterminé en fonction de l’évolution de l’indice du coût de la construction.

Concernant les indemnités accessoires :

Elle conteste avoir cessé son activité et ne pas avoir l’intention de racheter un fonds de commerce après perception de l’indemnité, considérant qu’elle ne peut être contrainte de justifier d’une réinstallation préalable et estime que l’octroi par le tribunal d’une indemnité au titre des frais de remploi, correspondant à 10 % de l’indemnité principale est insuffisant.

Elle s’oppose à toute consignation des indemnités de remploi et de trouble commercial aux motifs que le bailleur ne rapporte pas la preuve qu’elle ne se réinstallera pas, qu’elle n’a aucune obligation de le faire sur l’agglomération de Valence mais, étant une enseigne nationale, peut le faire n’importe où, qu’elle ne saurait être contrainte de faire l’avance de ces frais dans un contexte de crise, que le délai d’un an octroyé par le tribunal est trop court et ne saurait courir qu’à compter de la plus tardive des dates de consignation et de paiement de la totalité des autres indemnités.

Elle estime justifier de ses frais de déménagements qui doivent inclure l’ensemble de ses équipements, le local devant être restitué entièrement vide, comme de ceux liés à l’aménagement d’une nouvelle boutique pour lesquels le fait qu’elle dispose d’un service interne de travaux ne saurait la priver d’indemnisation en l’absence de preuve fournie par le bailleur de la surévaluation de son estimation.

Elle expose qu’étant une enseigne nationale, elle a développé une charte d’aménagement de ses magasins qui participe à l’identification de l’enseigne par la clientèle.

Elle soutient que la fermeture de la boutique le 21 décembre 2018 a rendu nécessaire une liquidation du stock dans des conditions préjudiciables et conteste les conclusions de l’expert qui a écarté tout préjudice en retenant que la programmation de la fermeture avait permis la gestion du stock en amont.

Elle fait valoir qu’elle a été contrainte de licencier ses trois salariés, que les indemnités de préavis qui leur ont été payées doivent être prises en compte comme conséquences directes de l’éviction et conteste avoir inclus dans le calcul les indemnités de congés payés.

Elle considère que les frais engendrés par les démarches administratives ne peuvent se limiter aux seules modifications du Rcs mais englobent celles des documents sociaux, du site internet et que si ces tâches réalisées en interne n’ont pas donné lieu à facturation d’un prestataire, leur coût résulte de l’affectation des salariés qui en ont été chargés.

Au titre de l’indemnité d’occupation :

Elle considère qu’elle doit correspondre à la valeur locative de renouvellement et non de marché retenue par le bailleur, que ce dernier ne fournit pas d’éléments de nature à établir que cette valeur locative serait supérieure au loyer acquitté au 1er octobre 2014, contestant l’application faite par le bailleur du prix par m² pondéré déterminée par l’expert à des surfaces réelles, sauf à surévaluer l’indemnité d’occupation, que l’abattement pour précarité doit être majoré à 30 % en raison du comportement du bailleur qui, après lui avoir accordé le renouvellement, le lui a finalement refusé et de l’incertitude dans laquelle elle s’est trouvée durant cinq années.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 2 juin 2022

MOTIFS DE LA DECISION :

1°) sur le rapport d’expertise amiable :

L’article 6-1 de la CEDH reconnaît le droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.

L’expert [B] a déposé son rapport le 28 septembre 2019.

Postérieurement au dépôt de ce rapport, la société VVH a confié à M. [H] [Y] de la société Aixpertise Consulting une mission consistant à « procéder à toutes observations nécessaires sur le rapport d’expertise judiciaire déposé par M. [B] » et notamment sur la détermination du montant de l’indemnité d’éviction.

Le 22 avril 2020, M. [Y] a établi un compte rendu de ses dires et observations.

Si les parties à une expertise judiciaire ont la possibilité de s’y faire assister de leur propre expert ou sachant, la pratique consistant à soumettre le travail de l’expert judiciaire à l’examen d’un tiers sachant, postérieurement au dépôt de son rapport, en dehors du cadre procédural de l’expertise et notamment en ce qu’il offre la faculté de présenter des dires auxquels l’expert est tenu de répondre, conduit à éluder le principe de la contradiction en évitant tout débat sur les observations soulevées, alors même qu’elles recèlent une critique du travail de l’expert.

Le juge ne peut cependant refuser d’examiner, ni écarter des débats le document unilatéral issu de cette pratique dès lors qu’il a été régulièrement versé aux débats et à ce titre, soumis à la discussion contradictoire des parties, répondant ainsi aux exigences de l’article 6-1 de la CEDH, mais ne peut fonder sa décision exclusivement sur cette pièce, qui ne présente pas de force probatoire supérieure aux autres.

En conséquence, la cour confirmera le jugement en ce qu’il a débouté la société Chaussures Eram de sa demande visant à voir écarter des débats la pièce n° 6 produite par la société VVH et constituée des «dires et observations sur rapport d’expertise judiciaire».

2°) sur l’indemnité d’éviction :

En application de l’article L.145-14 du code de commerce, le bailleur qui refuse le renouvellement du bail doit payer au locataire évincé une indemnité égale au préjudice causé et qui comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, augmentée des éventuels frais de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.

Aucune des parties ne contestent la description des locaux loués faite par l’expert [B] qui indique que les surfaces de vente du rez de chaussée et du premier étage sont en bon état d’entretien locatif, que dans la suite des secondes et communiquant avec elles se trouve un local à usage de stockage équipé d’une cuisine avec toilettes en mauvais état servant de salle de pose, que les locaux sont complétés par des caves aménagées pour le stockage, accessibles depuis l’espace de vente du rez de chaussée.

L’expert a relevé que la commercialité du centre ville de [Localité 7] se concentre essentiellement dans la [Adresse 5] et dans la partie piétonne du centre historique, que les locaux sont situés dans la partie la plus commerciale de [Localité 7] au début de la [Adresse 5], à l’angle du boulevard Ch. de Gaulle et qu’ils se trouvent à proximité du centre commercial Victor Hugo où se trouvent implantées plusieurs enseignes nationales comme la FNAC, Mac Donalds, participant de l’attractivité commerciale du secteur.

a)- sur l’indemnité principale :

Les parties divergent sur la nature de remplacement ou de déplacement de l’indemnité, la société Eram considérant que le refus de renouvellement a entraîné la perte de son fonds de commerce alors que la bailleresse estime que ce dernier était transférable sans perte significative de clientèle.

Les dispositions de l’article L.145-14 du code de commerce posent une présomption de perte du fonds et il appartient en conséquence au bailleur de démontrer que le préjudice peut être moindre si l’activité est transférable.

La société Chaussures Eram exploitait dans les locaux loués un commerce de vente de chaussures, accessoires et maroquinerie.

L’expert [B] a retenu le caractère transférable du fonds aux motifs qu’il s’agit d’une enseigne de réseau pour des particuliers dont la clientèle est plus volatile, mais dont la renommée permet de penser que cette clientèle est en partie transférable.

Cependant, le caractère transférable du fonds de commerce s’appréciant au regard de son élément essentiel que constitue sa clientèle, il appartient au bailleur de rapporter la preuve concrète que la clientèle spécifique de son preneur n’était pas attachée au local loué et pouvait être transférée dans un autre lieu d’exploitation.

Outre les caractéristiques fortement concurrentielles du segment d’activité de la vente de chaussures à petits prix analysées avec pertinence par le premier juge, la cour relève que l’expert consulté par la société VVH indique en page 5 de son compte rendu que la société Chaussures Eram disposait d’une autre boutique dans un centre commercial à la périphérie de [Localité 7] et il s’en déduit que le local commercial exploité en centre ville avait vocation à capter une clientèle spécifique, urbaine et de proximité.

Si elle affirme que de nombreux locaux équivalents pouvaient permettre à la société Chaussures Eram de transférer son activité dans la même zone fortement commerciale du centre ville de [Localité 7], la société VVH n’en apporte aucune justification et le constat que M. [Y] soutient avoir réalisé le 22 avril 2020, sans être étayé par aucun élément tangible, est inopérant dès lors que le préjudice du preneur doit s’apprécier au jour de son éviction, soit au cas particulier à la date où il a délaissé les locaux le 21 décembre 2018.

A ce titre, les remarques imprécises formulées par l’expert [B] dans son rapport du 28 septembre 2019, sur l’existence d’un centre commercial partiellement désaffecté et situé à proximité de l’emplacement du local évincé, ne peuvent fournir la preuve de la disponibilité de locaux permettant le transfert du fonds de commerce.

C’est donc à juste titre que le premier juge a considéré que la preuve de la transférabilité du fonds de commerce n’était pas suffisamment rapportée et dit que le preneur évincé avait droit à une indemnité de remplacement.

Pour la détermination de la valeur marchande du fonds de commerce, l’expert a appliqué la méthode, couramment utilisée, fondée sur la moyenne du chiffre d’affaires des trois dernières années d’exploitation.

Seul le chiffre d’affaires hors taxes doit être retenu, la collecte de la tva étant une opération économiquement neutre pour le commerçant assujetti qui n’enregistre comptablement que des prix hors taxes.

L’expert [B] a retenu un coefficient de 72, 5 % selon le barème Lefèvre donnant, pour les commerces de chaussures, une fourchette de 50 à 95 %. Si la bailleresse produit un barème différent présentant une fourchette de 35 à 65 %, il n’est pas daté et ne correspond pas aux deux barèmes que son propre expert a pris comme références, le premier étant identique à celui de l’expert judiciaire et le second édité par les Annales des Loyers proposant une fourchette de 40 à 80 % du CA ttc.

C’est ainsi de manière adaptée que le premier juge a entériné le coefficient de 72,5 % retenu par l’expert, appliqué au chiffre d’affaires moyen hors taxes sur les années 2015 à 2017 et la cour confirmera sa décision de fixer l’indemnité principale à 261.145, 23 euros.

b)- sur les indemnités accessoires :

Les indemnités accessoires correspondent à tous les frais que le preneur peut être amené à engager du fait de la perte de son fonds et de la nécessité dans laquelle il se trouve de se réinstaller, en acquérant un fonds de même valeur, ces frais supplémentaires n’étant pas inclus dans l’indemnité principale.

– sur les frais de déménagement :

Le refus de renouvellement du bail a contraint la société Chaussures Eram a quitté les locaux et elle produit deux factures d’intervention d’un montant respectif de 10140 euros ttc au titre de travaux et de 720 euros.

Si dans le cadre de l’indemnisation de la perte du fond de commerce, la perte ou l’enlèvement des éléments mobiliers sont déjà pris en compte dans l’évaluation de l’indemnité principale, subsistent les frais d’enlèvement des effets personnels du locataire notamment les équipements informatiques, les sigles et marques qui lui sont propres. Se trouve ainsi justifiée la facture du Groupe Eram de 600 euros ht.

Par contre, le locataire qui est tenu d’une obligation d’entretien des locaux pendant toute la vie du bail, ne saurait au motif d’un refus de renouvellement faire peser sur son bailleur, les travaux de remise en état nécessités par la restitution prématurée des locaux.

Or, la facture de l’entreprise WDKO Multiservices porte sur des travaux pour fermeture du magasin comprenant une option peinture ce qui permet de considérer qu’il ne s’agit pas de frais en lien avec l’enlèvement d’effets personnels du preneur.

En conséquence, il y a lieu de faire droit à la demande d’indemnisation à concurrence de 600 euros.

– sur la perte de stock :

La société Chaussures Eram se prévaut d’une perte de marge sur son stock en raison de sa revente auprès d’un soldeur et produit un tableau faisant ressortir une perte de 6131 euros qui est corroboré par une attestation de son commissaire aux comptes.

Le refus de renouvellement du bail en la contraignant à quitter les locaux loués dans des conditions entraînant la perte de son fonds de commerce, a imposé à la locataire de disposer de son stock qu’elle était par ailleurs totalement libre de réapprovisionner afin d’assurer l’exploitation normale de son activité jusqu’au terme.

Les circonstances tenant au fait que la locataire s’est maintenue dans les lieux durant 16 mois après avoir reçu notification par la société VVH de l’exercice de son droit d’option sont à ce titre inopérantes.

La bailleresse ne rapportant pas la preuve qui lui incombe que le préjudice ainsi subi par sa locataire a été moindre ou inexistant, il y a lieu d’allouer à la société Chaussures Eram une indemnité accessoire de 6131 euros au titre de la perte de son stock.

– sur les frais de licenciement du personnel :

La société Chaussures Eram justifie par les bulletins de salaires, des sommes qu’elle a versées à ses trois employées, au titre de leurs indemnités de licenciement et de congé de reclassement.

Seuls les préjudices résultant du refus de renouvellement du bail devant être supportés par le bailleur, les sommes versées aux salariées au titre du préavis dont elles sont dispensées d’exécution par l’effet du congé de reclassement et non par la volonté de l’employeur, constituent bien un préjudice réparable en lien direct avec le refus de renouvellement et non une contrepartie résultant de l’exécution du contrat de travail.

C’est donc avec raison que le tribunal a accordé une indemnité complémentaire de 106.086,93 euros au titre des frais de licenciement.

– sur les frais administratifs :

Les frais d’état des lieux de sortie et de modifications du registre du commerce et des sociétés générées par l’arrêt de l’activité de l’établissement secondaire de la société Chaussures Eram sont justifiés par des factures pour un montant de 901,95 euros correspondant au seul montant hors taxes.

– sur les frais de remploi, de réinstallation et de trouble commercial :

Le bailleur est tenu d’indemniser le preneur évincé d’un fonds non transférable des frais de réinstallation et des droits de mutation à exposer pour l’acquisition d’un fonds de même valeur, sauf s’il est établi que le preneur ne se réinstallera pas dans un autre fonds.

Si un préjudice futur est indemnisable en ce qu’il présente un caractère de certitude, le préjudice hypothétique, qui s’en distingue par sa nature de simple éventualité, ne l’est pas.

Or, au jour où la cour statue, plus de cinq ans après l’exercice par la société VVH de son droit d’option valant refus de renouvellement du bail, la société Chaussures Eram ne s’est pas réinstallée, et ne fait état d’aucun projet, ni d’aucune démarche de réinstallation, ce qui ne confère à cette occurrence aucun degré de certitude, mais la confine au rang de simple éventualité et démontre que la question de sa réinstallation n’est pas la conséquence directe du refus de renouvellement de son bail, mais de choix et de stratégie économiques distincts.

Dans ces conditions, aucune indemnité de réinstallation et de remploi ne peuvent être mises à la charge du bailleur.

Le trouble commercial résultant de la réinstallation ne se justifie pas non plus, puisque seul subsiste celui consécutif à la perte du fonds de commerce, déjà indemnisé dans le cadre de l’indemnité principale.

En conséquence, la cour infirmant le jugement sur ce point, déboutera la société Chaussures Eram de sa demande d’indemnités accessoires au titre de sa réinstallation et de son trouble commercial.

Il en résulte que la cour devra réformer le jugement sur le montant des indemnités accessoires allouées à la société Chaussures Eram pour le fixer à la somme de 113.719, 88 euros.

3°) sur l’indemnité d’occupation :

L’article L.145-28 du code de commerce prescrit que le locataire évincé a droit au maintien dans les lieux jusqu’au paiement de son indemnité d’éviction, aux conditions et clauses du bail expiré, mais moyennant une indemnité d’occupation qui doit être fixée non pas selon le dernier loyer indexé auquel elle se substitue, mais à la valeur locative appréciée et fixée selon les dispositions de l’article L.145-33 du code de commerce, en fonction des caractéristiques des locaux, leur destination, les obligations des parties, les facteurs locaux de commercialité et les prix couramment pratiqués dans le voisinage, ces éléments s’appréciant dans les conditions énoncées par les articles R.145-3 à R.145-11 du même code et qu’elle ne se résume donc pas, ainsi que le soutient la société VVH, à la valeur locative dite de marché laquelle est libre et indépendante des critères posés par le code de commerce, pas plus qu’elle ne peut correspondre comme le prétend la société Eram Chaussures à la valeur locative de renouvellement, les règles du plafonnement du loyer énoncées par l’article L.145-34 du code de commerce ne s’appliquant pas à l’indemnité d’occupation.

Les différents éléments relatifs à la composition et la situation des locaux telles que décrites dans le rapport d’expertise et précédemment rappelés ne sont pas contestés.

L’expert a en outre indiqué en page 9 de son rapport que la commercialité sur [Localité 7] n’évoluait pas à la hausse pour les commerces de prêts à porter et d’accessoires et se déplaçait d’une part vers le centre historique proche de la mairie et d’autre part vers les zones commerciales extérieures.

Au terme de son rapport, l’expert [B] a déterminé une valeur locative annuelle de 42.960,75 euros sur la base d’une valeur de 205, 80 euros au m² appliquée à une surface pondérée de 208,75 m². Il a examiné plusieurs termes de comparaison situés sur les trois secteurs des boulevards, du centre ville et du centre historique.

Bien que l’expert [B] n’en fournisse aucun détail dans son rapport, il est de principe en matière de fixation de la valeur locative de boutiques que les caractéristiques du local s’apprécient en considération des possibilités d’utilisation et d’affectation des surfaces et que les références de prix pratiqués dans le voisinage devant porter sur des locaux équivalents, ces éléments de comparaison doivent être définis selon les mêmes critères, afin de comparer ce qui est comparable, et à défaut, être éventuellement corrigés, ainsi que l’exige l’article R.145-7 du code de commerce.

Si la société VVH reproche à l’expert d’avoir comparé des surfaces réelles avec la surface pondérée des locaux loués à la société Chaussures Eram, elle n’en rapporte pas la preuve, sa démonstration se fondant sur des éléments non versés aux débats et dont l’interprétation qu’elle en livre est contestée par la locataire.

L’indemnité d’occupation courant à compter du terme du bail dont le renouvellement est refusé, soit en l’espèce le 1er octobre 2014, la valeur locative doit être déterminée à cette date et des éléments de comparaison des prix pratiqués dans le voisinage postérieurs à cette date ne peuvent en conséquence être retenus, ce qui conduit à écarter le prix du loyer des mêmes locaux reloués à un tiers en mai 2019.

Il doit être tenu compte, ainsi que l’a fait le premier juge, de la précarité introduite par le refus de renouvellement du bail dans la situation du preneur qui, bien que maintenu dans les lieux, se trouve privé des prérogatives liées à la propriété commerciale. Au cas particulier, cette précarité a duré de juin 2016 date à laquelle la bailleresse a accepté le seul principe du renouvellement à décembre 2018, justifiant un abattement de 10 %.

En conséquence, l’indemnité d’occupation sera fixée à la somme de 38.664, 67 euros par an et la décision de première instance sera réformée en ce sens.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

INFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Valence en date du 3 juin 2021, en ce qu’il a :

– condamné la Snc VVH à verser à la Sas Chaussures Eram des indemnités accessoires d’un montant de 329.005,45 euros, outre intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision,

– autorisé la Snc VVH à consigner le montant des indemnités de remploi et de trouble commercial d’un montant de 29.787,52 euros, sur le compte séquestre de son conseil, dans l’attente de la justification par la société Chaussures Eram de la réinstallation effective d’un établissement dans l’agglomération de [Localité 7], dans un délai d’un an à compter de la signification du jugement,

– dit qu’à défaut de justification de cette réinstallation dans le délai susvisé, la société VVH sera définitivement libérée du paiement desdites indemnités au profit de la société Chaussures Eram,

– fixé le montant de l’indemnité d’occupation due par la Sas Chaussures Eram du 1er octobre 2014 au 21 décembre 2018 à la somme annuelle de 34.914,95 euros, outre tva et charges en sus,

– rejeté toute prétention plus ample ou contraire des parties,

statuant à nouveau,

DEBOUTE la Sas Chaussures Eram de sa demande d’indemnités accessoires au titre de sa réinstallation et de son trouble commercial,

CONDAMNE la Snc VVH à verser à la Sas Chaussures Eram des indemnités accessoires d’un montant de 113.719, 88 euros, outre intérêts au taux légal,

FIXE l’indemnité d’occupation due par la Sas Chaussures Eram du 1er octobre 2014 au 21 décembre 2018 à la somme annuelle de 38.664, 67 euros, outre tva et charges en sus,

CONFIRME le jugement pour le surplus de ses dispositions,

ORDONNE la compensation entre les créances réciproques,

CONDAMNE la Snc VVH à verser à la Sas Chaussures Eram la somme complémentaire en cause d’appel de 3000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la Snc VVH aux entiers dépens de l’instance d’appel et autorise Me [I] [O], de la Selarl Lexavoué Grenoble-Chambéry, à recouvrer directement ceux dont il a fait l’avance sans avoir reçu provision.

SIGNÉ par Mme FIGUET, Présidente et par Mme RICHET, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La GreffièreLa Présidente

 


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