Indemnité d’éviction : 3 janvier 2024 Cour d’appel de Colmar RG n° 22/02345

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Indemnité d’éviction : 3 janvier 2024 Cour d’appel de Colmar RG n° 22/02345
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3 janvier 2024
Cour d’appel de Colmar
RG n°
22/02345

MINUTE N° 5/24

Copie exécutoire à

– Me Mathilde SEILLE

– Me Laurence FRICK

Le 03.01.2024

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE COLMAR

PREMIERE CHAMBRE CIVILE – SECTION A

ARRET DU 03 Janvier 2024

Numéro d’inscription au répertoire général : 1 A N° RG 22/02345 – N° Portalis DBVW-V-B7G-H3QX

Décision déférée à la Cour : 25 Mars 2022 par le Tribunal judiciaire de SAVERNE – Chambre civile

APPELANTE – INTIMEE INCIDEMMENT :

Madame [Y] [P] épouse [I]

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Mathilde SEILLE, avocat à la Cour

INTIMEE – APPELANTE INCIDEMMENT :

S.C.I. JJS

prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Laurence FRICK, avocat à la Cour

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 modifié du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 08 Novembre 2023, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant M. WALGENWITZ, Président de chambre.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. WALGENWITZ, Président de chambre

M. ROUBLOT, Conseiller

Mme RHODE, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE

ARRET :

– Contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.

– signé par M. Franck WALGENWITZ, président et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE :

En vertu d’un acte sous seing privé du 17 janvier 2009, venant à expiration le 1er janvier 2017, l’association ZAZI – ZONE ARTISTIQUE EN ZONE INDUSTRIELLE, était titulaire d’un bail de 9 ans consenti par les propriétaires, M. [K] et Mme [Z], portant sur un immeuble à usage industriel et artisanal et d’habitation sur trois niveaux, dépendant d’un terrain de 36,31 ares, situé [Adresse 1] à [Localité 2].

Selon une convention de sous-location commerciale reçue par Maître [E] [B], Notaire à [Localité 2] le 12 mars 2014, l’association ZAZI a donné en sous-location à Mme [Y] [P] épouse [I] une partie des locaux, à savoir un terrain de 3,96 ares comprenant 5 places de parking et un chalet. L’acte authentique prévoyait rétroactivement, à compter du 1er janvier 2014, l’exercice d’une activité de restauration rapide moyennant le paiement d’un loyer annuel de 3 600 euros et une provision annuelle sur charges de 360 euros.

La SCI JJS est devenue propriétaire de l’immeuble à usage industriel et artisanal et situé [Adresse 1] à [Localité 2] – dont dépend le terrain de 3,96 ares sous loué à Madame [I] – par l’Association ZAZI le 23 juin 2017.

L’acte de vente établi entre Monsieur et Madame [K] et la SCI JJS faisait état de ce qu’il a été donné congé au sous-locataire, avec demande de libération des lieux pour le 30 avril 2017, par courrier recommandé du 11 février 2017, et qu’en suite le conseil de Madame [Y] [I] a écrit le 25 avril 2017 demandant le versement d’une indemnité d’éviction préalablement à l’évacuation des lieux.

Mme [Y] [P] épouse [I] s’est maintenue dans les lieux et en y exploitant son activité de restauration rapide, continuant à régler une somme de 330 euros par mois à la nouvelle propriétaire.

Le chalet servant à l’exploitation du snack subissait les effets de la tempête Ciara au mois de février 2020, notamment au niveau de sa couverture. La compagnie d’assurance de la SCI JJS, propriétaire, prenait en charge les travaux de réparations après le passage des experts.

Par lettre recommandée du 17 novembre 2021, la SCI JJS écrivait à Mme [Y] [P] épouse [I] pour :

– se plaindre du fait de l’existence d’un solde impayé de 4 620 euros au titre des indemnités d’occupation dues pour la période d’octobre 2020 à novembre 2021, la sommant de procéder au paiement de cette somme,

– lui intimer de ‘libérer spontanément les lieux dans un délai de que les circonstances m’imposent de fixer à 5 jours’.

Madame [Y] [I] ne s’étant pas exécutée, la SCI JJS a introduit une procédure en expulsion le 16 décembre 2021 devant le Tribunal Judiciaire de SAVERNE, en se prévalant de la fin du sous-bail par l’effet de la résiliation du contrat de bail principal intervenu dès le 30 avril 2017.

Par jugement réputé contradictoire du 25 mars 2022, le Tribunal judiciaire de SAVERNE a fait droit aux conclusions de la SCI JJS, en condamnant Madame [I] née [P] ainsi que tous ses occupants à libérer les lieux et ce sans délais, en fixant le montant de l’indemnité d’occupation à la somme de 330 euros mensuels à compter du 1er mai 2017, en condamnant Madame [I] née [P] à payer à la SCI JJS la somme de 4 620 euros, à titre principal et la somme de 330 euros à compter du mois de décembre 2021 et ce, jusqu’à parfaite libération des lieux, outre l’allocation d’une indemnité de 2 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, a ordonné l’exécution provisoire et condamné Madame [I] née [P] aux dépens.

Madame [I] a interjeté appel de cette décision le 17 juin 2022.

La SCI JJS s’est constituée intimée le 1er juillet 2022.

PRETENTIONS DES PARTIES :

Aux termes de ses dernières écritures datées du 4 juillet 2023, transmises par voie électronique le même jour, auxquelles était joint un bordereau de communication de pièces qui n’a fait l’objet d’aucune contestation, Mme [Y] [P] épouse [I] demande à la cour de :

DECLARER l’appel formé par Mme [I] recevable et bien fondé ;

Y faisant droit,

INFIRMER le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de SAVERNE le 25 mars 2022 en toutes ses dispositions.

ET STATUANT A NOUVEAU,

JUGER que le délai de congé délivré le 11 février 2017 à Mme [I] avec effet au 30 avril 2017 est extrêmement bref ;

JUGER irrégulier le congé ;

En conséquence,

PRONONCER l’annulation du congé délivré le 11 février 2017 à Mme [I] à l’initiative de M. et Mme [K] ;

JUGER inopposable ledit congé à Mme [I] ;

JUGER n’y avoir lieu à la condamnation de Mme [I] au profit de la SCI JJS, d’une indemnité d’occupation pour la période du 30 avril 2017 jusqu’à complète libération des lieux ;

DEBOUTER la SCI JJS de toutes ses demandes.

Subsidiairement, pour le cas où le congé ne devait pas être invalidé

JUGER que le bail de Mme [I] s’est poursuivi normalement au-delà de la résiliation du bail principal ;

En tout état de cause, JUGER qu’un nouveau bail a été conclu entre la SCI JJS et Mme [I] ;

En conséquence, DEBOUTER la SCI JJS de ses demandes d’expulsion et de condamnation au paiement d’une demande d’occupation.

En tout état de cause,

ACCORDER à Mme [I] un délai de paiement, pour s’acquitter des loyers et charges arriérés ;

En conséquence,

L’AUTORISER à s’acquitter de sa dette en 24 mensualités égales ;

DEBOUTER la SCI JJS de ses fins, moyens et conclusions.

Plus subsidiairement encore, pour le cas où la Cour considérait que le bail avait valablement pris fin au 30 avril 2017

JUGER que la fin des relations contractuelles a été brutale ;

JUGER que l’attitude du bailleur ouvre droit au profit de Mme [I] à indemnisation ;

En conséquence, AUTORISER Mme [I] à ne régler aucune redevance jusqu’à son complet départ ;

CONDAMNER la SCI JJS au paiement de la somme de 12 600 euros à titre de dommages et intérêts.

En tout état de cause,

DEBOUTER la partie adverse de son appel incident

La CONDAMNER à la somme de 4.000,00 euros sur le fondement de l’article 700 du CPC, ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel.

La partie appelante considère que les conditions dans lesquelles le préavis lui a été notifié seraient telles – notamment du fait du délai octroyé bien trop court de 30 jours – que le préavis devrait être annulé. Cet argument portant sur la validité du congé ne saurait être déclaré irrecevable, au motif qu’il constituerait un moyen nouveau, alors qu’elle n’avait pas été présente devant la juridiction de premier degré.

Il conviendrait, en tout état de cause, de considérer que les parties ont été liées par un nouveau bail, au regard du fait que la SCI JJS a laissé Mme [Y] [P] épouse [I], continuer à exercer son activité tout en acceptant en contrepartie le règlement des loyers.

Les incidents de loyers seraient apparus pour des raisons extérieures à sa volonté, car pendant près de deux années elle n’avait plus été en capacité d’exploiter son activité, d’une part suite aux intempéries de la tempête de février 2020, qui avait touché la toiture qui n’a été réparée que de nombreux mois plus tard, puis du fait de la fermeture du commerce suite à l’interdiction de recevoir du public durant la période de la COVID. Dans ces conditions, les retards de loyers ne pourraient être appréhendés comme une faute suffisamment grave pour permettre la résiliation du bail.

Enfin, elle se plaignait de l’intervention de la SCI JJS en 2022, en ce qu’elle avait réalisé des travaux d’aménagement rendant plus difficile l’accès à son commerce, et notamment en condamnant des places de parkings qui lui étaient affectées, puis en lui coupant l’alimentation en eau au mois de mars 2022.

Enfin, outre des délais de paiement qu’elle réclame, elle sollicite subsidiairement une indemnisation de son préjudice moral subi à hauteur du montant des loyers de retard qui lui sont réclamés.

Aux termes de ses dernières écritures datées du 11 septembre 2023, transmises par voie électronique le même jour, auxquelles était joint un bordereau de communication de pièces qui n’a fait l’objet d’aucune contestation, la SCI JJS, a formé un appel incident et demande à la cour de :

A TITRE PRINCIPAL

DECLARER irrecevable la demande de Madame [I] tendant à voir prononcer l’annulation du congé qui lui a été délivré le 11 février 2017 à l’initiative de Monsieur et Madame [K]

DECLARER l’appel interjeté mal fondé,

En conséquence,

CONFIRMER en toutes ses dispositions le jugement de 1ère instance,

DECLARER les prétentions de Madame [I] irrecevables en tout cas mal fondées.

DEBOUTER Madame [I] de l’intégralité de ses fins et conclusions

A TITRE SUBSIDIAIRE : dans l’hypothèse où la Cour viendrait à considérer que Madame [I] est titulaire d’un contrat de bail de la part de la SCI JJS,

DECLARER l’appel incident recevable et bien fondé,

CONFIRMER le jugement de 1ère instance en tant qu’il a prononcé l’évacuation de Madame [I] ainsi que tous les occupants de son chef au besoin avec le concours de la force publique et FIXER le montant de l’indemnité d’occupation mensuelle à la somme de 330 €,

INFIRMER la décision de 1ère instance pour le surplus et STATUANT à nouveau,

PRONONCER la résiliation judiciaire du contrat de bail liant les parties,

FIXER le montant de l’indemnité d’occupation due par Madame [I] à la date de résiliation du contrat de bail prononcé par la Cour d’Appel,

CONDAMNER Madame [I] à la SCI JJS la somme de 7200 € au titre des arriérés de loyer du pour la période du mois de novembre 2020 au mois d’octobre 2022,

CONDAMNER en denier et quittance valable Madame [I] à payer à la SCI JJS la somme de 330 € au titre de loyer et d’avance sur charges pour la période allant du mois de décembre 2022 jusqu’à la date de l’arrêt de la Cour prononçant la résiliation du contrat de bail,

En tout état de cause,

CONDAMNER Madame [I] à verser à la SCI JJS la somme de 3000 € par application des dispositions de l’article 700 du CPC,

La CONDAMNER en tous les frais et dépens de la procédure d’appel,

DECLARER toutes prétentions plus amples ou contraires de Madame [I] mal fondées.

La société intimée se réfère aux développements du premier juge, qui a tenu compte de la résiliation du contrat de bail principal liant l’association ZAZI et Monsieur [S] [K], avec effet au 30 avril 2017, du congé délivré par Monsieur [K] à Madame [I] pour le 30 avril 2017 et de l’absence de demande de renouvellement du contrat de bail commercial émanant de Madame [I] à l’égard de la SCI JJS, pour demander la confirmation du jugement.

Elle estime également que l’argumentation de l’appelante, tendant à obtenir la nullité du congé, serait irrecevable, comme n’ayant pas été soutenue dans l’acte d’appel.

La Cour se référera aux dernières écritures des parties pour plus ample exposé des faits de la procédure et de leurs prétentions, en application de l’article 455 du code de procédure civile.

La procédure a été clôturée par une ordonnance du magistrat de la mise en état du 11 octobre 2023 et renvoyée à l’audience du 08 novembre 2023, lors de laquelle l’affaire a été retenue.

SUR CE :

1) Sur la validité du congé :

La résiliation du contrat de bail principal conclu entre le précédent propriétaire des murs et l’association ZAZI, opérait automatiquement résiliation du contrat de sous-location conclu entre l’association ZAZI et Mme [Y] [P] épouse [I]. Le sous-bail dont bénéficiait Mme [Y] [P] épouse [I] a dès lors ‘de facto’ pris fin avec celle du bail principal.

Mme [Y] [P] épouse [I] ne saurait dès lors soutenir utilement, que le congé qui lui a été délivré le 11 février 2017 par M. [K] serait nul, au motif qu’il ne respecterait pas le formalisme de l’article L 145-9 du Code de commerce et qu’il aurait été trop bref.

Le tribunal a logiquement pu décider que le congé était valable et que Mme [Y] [P] épouse [I] est devenue occupante sans titre à la date du 30 avril 2017, date à laquelle prenait fin le bail principal dont bénéficiait l’association ZAZI.

Il résulte en outre des pièces au dossier, que Mme [Y] [P] épouse [I] était parfaitement au courant du projet de vente de l’immeuble entre le propriétaire précédent et la SCI intimée et de la volonté de l’acquéreur de récupérer la partie du terrain qui lui avait été sous-louée, sans quoi Mme [Y] [P] épouse [I] n’aurait pas manifesté son souhait d’obtenir une indemnité d’éviction, tel que mentionné dans l’acte de vente. Elle ne peut alors prétendre avoir été surprise par la délivrance du congé et se plaindre de la date à laquelle il lui était demandé dans le congé de

quitter les lieux, date jugée trop rapprochée, étant rappelé que le mobilier dont elle était éventuellement propriétaire était limité au regard de la taille réduite du chalet qui lui était sous-loué. Dans ces conditions, elle ne rapporte pas la preuve d’avoir subi un quelconque préjudice découlant de ‘la brièveté du préavis’ de sorte que sa demande de dommages-intérêts doit être écartée.

2) Sur la situation depuis le 30 avril 2017 et la question de l’existence d’un accord des parties pour la mise en place d’un nouveau bail verbal :

Mme [Y] [P] épouse [I] soutient que, suite à la fin du bail ayant lié le précédent propriétaire et l’association ZAZI, elle aurait bénéficié d’un nouveau bail verbal contracté avec le nouveau propriétaire.

L’article 1709 du code civil prévoit la possibilité d’un bail verbal, sous condition de rapporter la preuve de l’existence d’un accord des parties sur la chose louée, le prix et aussi la durée de la jouissance.

La cour de cassation a précisé dans un arrêt de sa troisième Chambre Civile du 6 Juillet 2017 (N°16-17.817), que le simple maintien dans les lieux du preneur après le congé délivré par le précédent bailleur, et la perception des loyers par le nouveau preneur, ne suffit pas à établir l’existence d’un bail verbal né de cette situation ; le juge doit rechercher en quoi le paiement par le preneur, qui a droit au maintien dans les lieux aux clauses et conditions du bail expiré jusqu’au paiement de l’indemnité d’éviction, d’un loyer transformé en indemnité d’occupation depuis l’expiration du bail et l’acceptation par le bailleur de ce loyer, caractérise la volonté des parties de conclure un bail verbal soumis au statut des baux commerciaux, le statut des baux commerciaux étant un régime spécial, les parties devant, pour s’y soumettre, le prévoir expressément.

En l’espèce, en premier lieu la cour observe qu’après la fin du bail principal en avril 2017 :

– Mme [Y] [P] épouse [I] a formulé une demande pour obtenir une indemnité d’éviction qui a été rappelée dans l’acte de vente du 23 juin 2017 portant sur l’immeuble,

– puis elle s’est maintenue dans les lieux et a perpétué son activité commerciale de petite restauration,

– elle a versé régulièrement, tous les mois une somme dont le montant correspond à son loyer précédent, à la SCI JJS qui l’a encaissée,

– suite à la tempête de 2020, la SCI JJS a fait prendre en charge les travaux de réparation du chalet par son assureur ‘propriétaire’ et n’a pas mis à profit la longue instruction de l’assureur pour contester tout droit à maintien dans les lieux de Mme [Y] [P] épouse [I].

Le contexte rappelé, en deuxième lieu, force est de constater que dans les développements des parties, à aucun moment il n’est fait état d’un quelconque différend portant sur l’assiette du droit débattu ; il est identique à celui qui avait été visé dans le sous bail qu’avaient signé Mme [Y] [P] épouse [I] et l’association ZAZI (soit 3,96 ares comprenant une annexe de 5 places de parking surmonté d’un chalet).

En troisième lieu, il y a lieu de remarquer que Mme [Y] [P] épouse [I] – qui avait formulé une demande en vue d’obtenir une indemnité d’éviction au moment où l’acte de vente avait lieu entre les anciens et les nouveaux propriétaires – n’a jamais assigné l’acquéreur dans ce but, ce qui laisse à penser qu’un accord entre les parties a été trouvé.

Dans ces conditions, la cour ne peut que constater que les parties en présence se sont, en pratique, accordées pendant plusieurs années sur ‘la chose’ – le fait que la SCI JJS continuerait à mettre à disposition de Mme [Y] [P] épouse [I] une portion de son terrain de 3,96 ares, comprenant une annexe de 5 places de parking et surmontée d’un chalet à fin d’exploitation à fin de restauration rapide – et ce qu’en contrepartie une somme de 330 euros lui serait versée par cette dernière (‘le prix’).

Il y a bien eu accord sur le périmètre du bien loué et les obligations respectives principales des parties, de sorte qu’il y a lieu de considérer qu’il y a bien eu un nouveau bail entre la partie.

La persistance de cette situation (de 2017 à 2022, soit 5 années), le fait qu’à la lecture des pièces, il apparaît que la décision de la SCI JJS de vouloir mettre un terme à la présence de Mme [Y] [P] épouse [I], ne découle nullement du ‘non-respect du congé’ délivré en 2017, mais bien de la survenue d’un phénomène d’impayés récurrents, constituent un faisceau d’indices qui est de nature à démontrer que le propriétaire a accepté de s’engager pour une durée longue.

A partir du moment où la SCI JJS a admis la mise en place d’un bail verbal, portant sur un immeuble dans lequel est exploité un fonds de commerce dans le cadre d’une activité immatriculée, il y a lieu de considérer que la SCI a implicitement admis que le bail verbal conclu serait soumis au statut des baux commerciaux.

Il y a par conséquent lieu de considérer que les parties étaient liées par un bail commercial, imposant à la SCI JJS une mise à disposition de locaux et d’un terrain, et à Mme [Y] [P] épouse [I] le règlement d’un loyer mensuel de 330 euros.

3) Sur la résiliation judiciaire du bail réclamée par la SCI JJS :

La résiliation judiciaire d’un contrat peut toujours être sollicitée en justice en cas de manquement grave d’une des obligations à la charge de la partie défaillante ; l’article 1224 du Code civil édicte que la résolution résulte, soit de l’application d’une clause résolutoire, soit en cas d’inexécution suffisamment grave, d’une notification du créancier au débiteur ou d’une décision de justice.

L’article 1728 du Code civil prévoit que le preneur est tenu de deux obligations principales, d’une part d’user de la chose louée raisonnablement, et suivant la destination qui lui a été donnée par le bail, ou suivant celle présumée d’après les circonstances, à défaut de convention, d’autre part de payer le prix du bail aux termes convenus.

Il est constant que Mme [Y] [P] épouse [I] ne procède plus à aucun règlement de loyer depuis le mois d’octobre 2020, tel que cela ressort de la lecture des justificatifs de paiement, que cette dernière a versés aux débats (annexe 4 de l’appelante).

Or il ressort des éléments du dossier, que les travaux de réparation de la toiture du chalet ont été réalisés à la fin de l’année 2020, de sorte que l’appelante ne saurait affirmer être dans l’impossibilité de jouir des lieux depuis cette date.

De surcroît, la Cour de cassation ayant clairement indiqué qu’un preneur ne pouvait se délivrer de son obligation d’honorer ses loyers commerciaux, même en cas de fermeture des locaux pendant la période de confinement (Cass. 30 juin 2022 – Civ. 3ème, 30 juin 2022, n° 21-20.127, 21-20.190 et 21-19.889), l’appelante ne saurait tirer argument de la fermeture de son établissement pour cause de survenue de la pandémie, pour échapper à son obligation de régler les loyers dus.

Mme [Y] [P] épouse [I] a réceptionné une lettre de mise en demeure datée du 17 novembre 2021, l’informant de son obligation de procéder à la régularisation de l’arriéré de loyer sous peine de résiliation du contrat (annexe 3 de la SCI), valant notification au sens de l’article 1224 du code civil.

Elle n’a pas régularisé la situation depuis.

Dans ces conditions, il y a lieu de prononcer la résiliation judiciaire du bail et de confirmer la décision de première instance, qui a condamné Mme [Y] [P] épouse [I] à libérer les lieux et a fixé le montant de l’indemnité d’occupation due jusqu’à complète libération des lieux à 330 euros mensuels.

Il est à noter que, contrairement à ce qu’indique l’intimée dans ses écritures, et notamment dans son dispositif (page 17), cette condamnation n’était pas accompagnée de la possibilité ‘d’avoir recours à la force publique’, qui n’avait au demeurant pas été réclamée en première instance.

A hauteur d’appel, en réponse à la demande de l’intimée tendant à obtenir le recours à la force publique, il y a lieu de préciser que, dès lors que le code des procédures civiles d’exécution prévoit expressément dans ses articles L.153-1 ainsi que L.153-2, d’une part que l’État est tenu de prêter son concours à l’exécution des jugements et des autres titres exécutoires et d’autre part que l’huissier de justice, chargé de l’exécution, peut requérir le concours de la force publique, il y a lieu de considérer que la présente décision, en ce qu’elle ordonne l’expulsion de l’appelante, peut parfaitement être exécutée par la société bailleresse avec le concours de la force publique, sans qu’il soit nécessaire de le préciser dans le dispositif.

La décision sera donc uniquement infirmée sur le fait qu’il y était précisé que l’indemnité d’occupation de 330 euros était due à compter du 1er mai 2017 ; en effet la résiliation judiciaire étant prononcée par la présente décision, les montants dus au titre de l’occupation passée des locaux – avant ce jour – le sont au titre de loyers.

Enfin, il convient de faire droit à la demande de la SCI JJS, qui réclame la réactualisation de la somme que lui doit Mme [Y] [P] épouse [I] au titre des loyers passés, et de condamner Mme [Y] [P] épouse [I] à lui verser une somme de 12 540 euros (somme qui correspond aux 7200 euros réclamés au titre des arriérés de loyer dus pour la période du 2 novembre 2020 à octobre 2022, puis de décembre 2022 jusqu’à la date de l’arrêt de la cour prononçant la résiliation judiciaire du bail, soit 14 mois).

4) Sur les demandes de délai et annexes :

L’article 1343-5 du Code civil permet au juge, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, de reporter ou d’échelonner dans la limite de deux années, le paiement de sommes dues.

L’appelante, qui réclame l’application de ces dispositions de faveur, justifie de sa situation en produisant :

*sa déclaration sur les revenus de 2021, de laquelle il ressort qu’elle disposait d’un revenu fiscal de 6 293 euros, son époux disposant pour sa part de 16 749 euros,

*un avis de la caisse d’assurance retraite d’Alsace Moselle du 25 mai 2022, attestant qu’à compter du 1er mai 2022 l’intéressée perçoit, avant prélèvement à la source de l’impôt, une retraite de 809 euros.

S’il ressort de la lecture de ces deux pièces que Mme [Y] [P] épouse [I] dispose de revenus très limités, en revanche elle n’apporte aucune indication quant à son éventuel patrimoine immobilier ou mobilier.

De surcroît, la longueur de la procédure ne militait pas en faveur de l’octroi de tels délais.

Dans ces conditions, sa demande de report du paiement des sommes dues ne saurait être accueillie.

Les dispositions de la décision de première instance concernant le sort des frais et dépens et de la demande formulée au titre de l’article 700 du code de procédure civile, seront confirmées.

Mme [Y] [P] épouse [I], partie succombante, sera condamnée aux dépens d’appel et à verser une somme de 1 000 euros profit de la SCI JJS, s’agissant des frais irrépétibles engagés à hauteur d’appel.

En revanche, la demande de Mme [Y] [P] épouse [I] faite sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile sera rejetée.

P A R C E S M O T I F S

LA COUR,

CONFIRME partiellement le jugement du 25 mars 2022 prononcé par le tribunal judiciaire de Saverne en ce qu’il a :

*condamné Mme [Y] [P] épouse [I] ainsi que tous ses occupants à libérer les lieux sis aux [Adresse 1] et ce, sans délai,

*condamné Mme [Y] [P] épouse [I] à payer la somme de 2 500 euros à la SCI JJS en application de l’article 700 du code de procédure civile,

*ordonné l’exécution provisoire,

*condamné Mme [Y] [P] épouse [I] aux dépens,

L’INFIRME pour le surplus,

Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

DIT que Mme [Y] [P] épouse [I] et la SCI JJS ont conclu un bail commercial verbal,

PRONONCE la résiliation judiciaire dudit bail,

RAPPELLE que le code des procédures civiles d’exécution prévoit expressément dans ses articles L.153-1 ainsi que L.153-2 d’une part, que l’État est tenu de prêter son concours à l’exécution des jugements et des autres titres exécutoires et d’autre part que l’huissier de justice chargé de l’exécution peut requérir le concours de la force publique, de sorte que la présente décision, en ce qu’elle ordonne l’expulsion de Mme [Y] [P] épouse [I] locataire, peut parfaitement être exécutée par la société bailleresse avec le concours de la force publique, sans qu’il soit nécessaire de le préciser dans le dispositif,

CONDAMNE Mme [Y] [P] épouse [I] à payer en deniers ou quittance, à la SCI JJS, la somme de 12 540 euros (douze mille cinq cent quarante euros) au titre des loyers impayés,

CONDAMNE Mme [Y] [P] épouse [I] à verser à la SCI JJS une indemnité d’occupation, due à compter du 1er février 2024, de 330 euros par mois et ce jusqu’à complète libération des lieux,

REJETTE les demandes de Mme [Y] [P] épouse [I] tendant à obtenir des dommages-intérêts et des délais de grâce,

CONDAMNE Mme [Y] [P] épouse [I] aux dépens d’appel,

CONDAMNE Mme [Y] [P] épouse [I] à payer à la SCI JJS une somme de 1 000 euros (mille) au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

REJETTE la demande de Mme [Y] [P] épouse [I] fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE : LE PRÉSIDENT :

 


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