Indemnité d’éviction : 29 novembre 2022 Cour d’appel de Poitiers RG n° 22/00688

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Indemnité d’éviction : 29 novembre 2022 Cour d’appel de Poitiers RG n° 22/00688

29 novembre 2022
Cour d’appel de Poitiers
RG
22/00688

ARRET N°522

JPF/KP

N° RG 22/00688 – N° Portalis DBV5-V-B7G-GP3C

[L]

C/

[X]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE POITIERS

2ème Chambre Civile

ARRÊT DU 29 NOVEMBRE 2022

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/00688 – N° Portalis DBV5-V-B7G-GP3C

Décision déférée à la Cour : jugement du 18 janvier 2022 rendu(e) par le Tribunal Judiciaire de LA ROCHELLE.

APPELANT :

Monsieur [C] [L]

né le 01 Janvier 1952 à [Localité 7] – Maroc

[Adresse 4]

[Localité 2]

Ayant pour avocat plaidant Me Vincent LAGRAVE de la SCP LAGRAVE – JOUTEUX, avocat au barreau de LA ROCHELLE-ROCHEFORT.

INTIMEE :

Madame [U] [X] épouse [T]

née le 08 Octobre 1945 à [Localité 5] (85)

[Adresse 3]

[Localité 1]

Ayant pour avocat plaidant Me Olivier BERTRAND de la SELARL BERTRAND, avocat au barreau de LA ROCHELLE-ROCHEFORT.

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des articles 907 et 786 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 27 Septembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant :

Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Claude PASCOT, Président

Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président

Monsieur Fabrice VETU, Conseiller

GREFFIER, lors des débats : Madame Véronique DEDIEU,

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– Signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO , Président, et par Madame Véronique DEDIEU, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE: 

Par acte sous seing privé en date du 17 novembre 2006, avec effet rétroactif au 1er juillet 2006, Mme [U] [T] née [X] a donné à bail à M. [C] [L] un local commercial situé [Adresse 4] à [Localité 2] et ce, à usage de restauration et plats à emporter, moyennant un loyer de 7200 euros HT par an, payable d’avance en 12 termes égaux, indexé annuellement sur la variation de l’indice INSEE du coût de la construction.

Le bail commercial a été renouvelé aux conditions initiales à compter du 1er octobre 2018, à la suite de la demande formée en ce sens par M. [L], par acte d’huissier du 1er octobre 2018.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 19 mars 2021, M. [L] a mis en demeure Mme [T] de rétablir le conduit d’extraction d’air vicié de son commerce, qui venait d’être supprimé.

N’ayant pas obtenu de réponse favorable, M. [L] a, par acte en date du 16 juillet 2021, fait assigner la bailleresse devant le président du tribunal judiciaire de La Rochelle statuant en référé, pour la voir condamner à remettre les lieux en état.

Par acte d’huissier en date du 28 juillet 2021, Mme [T] a fait signifier à M. [L] un commandement de payer visant la clause résolutoire du bail, en lui réclamant en principal la somme de 3115,20 euros au titre de l’arriéré de loyers, outre 1178,97 euros au titre des charges.

Par ordonnance en date du 14 septembre 2021, le juge des référés a rejeté les demandes du preneur et a fait droit à la demande reconventionnelle de la bailleresse en paiement d’un arriéré de loyers.

Par acte d’huissier en date du 21 octobre 2021, M. [L] a fait assigner Mme [T] à jour fixe devant le tribunal judiciaire de la Rochelle statuant au fond aux fins de la voir condamner :

sous astreinte de 2 000 euros par jour de retard à compter du jugement, à remettre les lieux dans leur état antérieur pour permettre l’extraction du système d’air du local commercial conforme à la réglementation ;

à lui payer la somme de 10 269 euros au titre de son préjudice commercial, entre le 17 mars et octobre 2021 ; outre une somme de 1 467 euros par mois à compter de novembre 2021 au titre de son préjudice économique et jusqu’à la remise en état ;

à lui rembourser loyer commercial depuis mars 2021 et jusqu’à la remise en état, soit 778 euros par mois ;

à lui verser la somme de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement en date du 18 janvier 2022, le tribunal judiciaire de La Rochelle a :

Débouté M. [L] de l’ensemble de ses demandes y compris celle fondée sur l’article 700 du code de procédure civile ;

Constaté la résiliation au 29 août 2021 du bail commercial consenti le 17 novembre 2006 à effet rétroactif au 1er juillet 2006, par Mme [T] à M. [L] portant sur un local situé [Adresse 4] à [Localité 2] ;

Ordonné l’expulsion de M. [L] ainsi que tout occupant de son chef, au besoin avec l’assistance de la forme publique et d’un serrurier, et sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de l’expiration du délai d’un mois suivant la signification du présent jugement ;

Condamné M. [L] à payer à Mme [T] la somme de 5 851,77 euros avant intérêts au taux légal à compter du 28 juillet 2021 sur la somme de 4 294,17 euros et du 15 novembre 2021 sur la somme de 1 557,60 euros ainsi que, à compter du 11 novembre 2021, une indemnité d’occupation mensuelle équivalente au montant du dernier loyer prévu au contrat au moment de la résiliation augmenté des charges et ce avec intérêts au taux légal à compter de la date d’échéance de chaque mensualité outre 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamné M. [L] aux dépens qui comprennent le coût du commandement de payer du 28 juillet 2021 pour la somme de 154,90 euros, et celui de la délivrance des états d’inscription du 9 novembre 2021 pour 39,65 euros ;

Autorisé Maître Bertrand à poursuivre directement M. [L] pour les dépens dont il aura fait l’avance sans en avoir reçu provision ;

Dit que M. [L] supportera intégralement le montant des sommes retenues par l’huissier de justice agissant en application des dispositions des articles A 444-10 et suivants du code de commerce issus de l’arrêt du 28 février 2020 fixant les tarifs réglementés des huissiers de justice dans l’hypothèse où Mme [T] serait contrainte de faire procéder à l’exécution forcée des condamnations prononcées.

Pour statuer comme il l’a fait, le tribunal a retenu que, selon les stipulations du bail commercial, les travaux relatifs à l’extraction des fumées incombaient uniquement au preneur en relevant par ailleurs que, selon les propres indications de M. [L], le système d’extraction mis en place s’évacuait dans un local mitoyen non inclus dans le bail commercial.

Par ailleurs, il a estimé que la clause résolutoire rappelé au commandement avait produit son effet, M. [L] ayant reconnu ne pas avoir procédé dans le délai d’un mois au règlement des loyers des mois de juin et juillet 2021 visés par un commandement délivré le 28 juillet 2021.

Le 4 février 2022, M. [L] a restitué les clés du local commercial à Mme [T], et un état des lieux de sortie a été établi par huissier en présence des parties.

Par déclaration enregistrée le 14 mars 2022, M. [C] [L] a relevé appel du jugement rendu par le tribunal judiciaire de La Rochelle le 18 janvier 2022 en ses chefs expressément critiqués.

Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 10 août 2022, il demande à la cour de :

Vu les articles 455, 564, 565 du code de procédure civile,

Vu les articles L. 145-1 et suivants et L. 145-41 du code de commerce, 1217, 1719 et suivants du code civil,

Vu l’article 53.4 du règlement sanitaire départemental,

Vu les pièces communiquées,

Infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;

En conséquence :

Condamner Mme [T] à payer à M. [L] la somme de 15 400 euros au titre de son manque à gagner (entre le 17 mars 2021 et le 31 janvier 2022) ;

Condamner Mme [T] à payer à M. [L] la somme de 99 756 euros au titre de la perte de chance totale de son préjudice commercial et économique (entre le 1er février 2022 et le 30 septembre 2027) ;

Condamner Mme [T] à payer à M. [L] une indemnité d’éviction et désigner avant dire droit pour en évaluer le montant tel expert qu’il plaira à la cour avec la mission suivante :

Convoquer les parties et recueillir leurs observations ;

Se rendre sur place, visiter les lieux et les décrire ;

Se faire remettre l’ensemble des pièces nécessaires à l’accomplissement de sa mission ;

Évaluer l’indemnité d’éviction revenant à M. [L] en toutes ses composantes, en tenant compte de la nature de l’activité autorisées par le bail, tout élément permettant de déterminer l’indemnité compensatrice du préjudice résultant pour M. [L] de la perte du fonds de commerce, indemnité comprenant notamment la valeur marchande du fonds (ou celle du droit au bail si plus favorable), augmentée des indemnités accessoires ;

Mettre la provision sur les frais d’expertise à la charge de Mme [T], demanderesse à l’expulsion.

Condamner, en cas de rejet de la demande de condamnation à l’indemnité d’éviction, Mme [T] à payer à M. [L] la somme de 17 000 euros au titre de son préjudice commercial et économique ;

Condamner Mme [T] à payer à M. [L] la somme de 1 800 euros au titre du remboursement du dépôt de garantie ;

Condamner Mme [T] à payer à M. [L] la somme de 10 000 euros au titre de son préjudice moral ;

Débouter Mme [T] de l’ensemble de ses demandes ;

Condamner Mme [T] à payer à M. [L] la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens comprenant ceux de la procédure de référé et de première instance.

Par dernières conclusions communiquées par voie électronique le 28 juillet 2022, Mme [U] [T] demande à la cour de :

Vu les article 1103, 1104, 1217, 1224, 1231-1, 1231-2, 1304-3, 1304-7, 1709 et 1719 du code civil,

Vu les article L. 145-14 et L. 145-41 du code de commerce,

Vu les articles 6969, 699 et 700 du code de procédure civile,

Confirmer le jugement en ce qu’il a :

Débouté M. [L] de l’ensemble de ses demandes y compris celle fondée sur l’article 700 du code de procédure civile ;

Constaté la résiliation au 29 août 2021 du bail commercial consenti le 17 novembre 2006 à effet rétroactif au 1er juillet 2006, par Mme [T] à M. [L] portant sur un local situé [Adresse 4] à [Localité 2] ;

Ordonné l’expulsion de M. [L] ainsi que tout occupant de son chef, au besoin avec l’assistance de la forme publique et d’un serrurier, et sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de l’expiration du délai d’un mois suivant la signification du présent jugement ;

Condamné M. [L] à payer à Mme [T] la somme de 5 851,77 euros avant intérêts au taux légal à compter du 28 juillet 2021 sur la somme de 4 294,17 euros et du 15 novembre 2021 sur la somme de 1 557,60 euros ainsi que, à compter du 11 novembre 2021, une indemnité d’occupation mensuelle équivalente au montant du dernier loyer prévu au contrat au moment de la résiliation augmenté des charges et ce avec intérêts au taux légal à compter de la date d’échéance de chaque mensualité outre 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamné M. [L] aux dépens qui comprennent le coût du commandement de payer du 28 juillet 2021 pour la somme de 154,90 euros, et celui de la délivrance des états d’inscription du 9 novembre 2021 pour 39,65 euros ;

Autorisé Maître Bertrand à poursuivre directement M. [L] pour les dépens dont il aura fait l’avance sans en avoir reçu provision ;

Dit que M. [L] supportera intégralement le montant des sommes retenues par l’huissier de justice agissant en application des dispositions des articles A 444-10 et suivants du code de commerce issus de l’arrêt du 28 février 2020 fixant les tarifs réglementés des huissiers de justice dans l’hypothèse où Mme [T] serait contrainte de faire procéder à l’exécution forcée des condamnations prononcées.

Y ajoutant,

Sur les demandes principales de M. [L],

Débouter M. [L] de ses demandes,

Sur les demandes reconventionnelles de Mme [T],

Condamner M. [L] à payer à Mme [T] la somme de 4 672,80 euros à titre de dommages-intérêts équivalent aux loyers perdus de février 2022 à juillet 2022, sauf à parfaire, outre la somme de 778, 80 euros à titre de dommages-intérêts équivalant au loyer perdu chaque mois d’août 2022 jusqu’à la date à laquelle l’arrêt à intervenir deviendra définitif, le tout avec intérêts au taux légal à compter de l’arrêt à intervenir.

En tout état de cause,

Condamner M. [L] aux dépens de l’appel ;

Autoriser Maître Olivier Bertrand, représentant la SELARL Olivier Bertrant, avocat, à la poursuivre directement pour ceux dont il aura été fait l’avance sans en avoir été reçu provision ;

Condamner M. [L] à payer Mme [T] la somme de 4 000 euros au titre des frais nécessaires à la défense de ses intérêts en justice non compris dans les dépens ;

Condamner M. [L] à supporter intégralement le montant des sommes retenues par l’huissier de justice, agissant en application des dispositions des articles A. 444-10 et suivants du code de commerce, issus de l’arrêté du 28 février 2020 fixant les tarifs réglementés des huissiers de justice, dans l’hypothèse où Mme [T] serait contrainte d’avoir à faire procéder à l’exécution forcée des condamnations prononcées à défaut de règlement spontané, et ce en sus des sommes éventuellement mises à leur charge au titre des frais nécessaires à la défense de ses intérêts en justice non compris dans les dépens.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément aux dernières conclusions précitées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 30 août 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION:

Sur les demandes de M. [L] :

Sur le principe de la garantie du bailleur:

1- Se fondant sur les dispositions de l’article 1719 du code civil, M. [L] soutient que Mme [T] a manqué à son obligation de délivrance et de garantir une jouissance paisible, et a commis une voie de fait, en prenant l’initiative, sans aucune mise en demeure, de boucher le conduit d’extraction de l’air vicié de son local (ce qui le mettait dans l’impossibilité d’exploiter son commerce en conformité avec le règlement sanitaire départemental), tout en louant à un tiers le local voisin dans lequel sortait jusqu’alors l’air vicié, sans qu’il ait la possibilité d’y accéder.

Il ajoute qu’en application de l’article 1217 du code civil, et compte tenu de l’attitude déloyale et abusive de la bailleresse, il était fondé à cesser le paiement des loyers, n’étant plus en mesure d’exploiter.

2- Mme [T] conteste tout manquement à ses obligations de bailleresse, et souligne qu’elle a simplement fait changer la porte du local voisin (utilisé comme local à vélos) et désormais donné en location à une association.

Elle nie donc toute voie de fait, terme selon elle impropre et réservé au seul contentieux administratif.

Elle précise que M. [L] avait la charge des travaux rendus nécessaires par la réglementation, concernant les normes et obligations de sécurité, salubrité et conformité des lieux, sans recours contre le bailleur, de sorte qu’il doit seul supporter les conséquences des travaux d’évacuation des fumées, qu’il a fait réaliser en contravention avec les règles de l’art et le règlement sanitaire départemental, sans tenir compte de ses nombreux rappels depuis 2006.

3- La cour rappelle qu’en en application de l’article 1719 du code civil, le bailleur est tenu d’une obligation de délivrance qui concerne aussi bien la délivrance de la chose louée au moment de la prise d’effet du bail, que son maintien en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée pendant l’exécution du contrat, de sorte que le bailleur est tenu de cette obligation pendant toute la durée du bail.

En outre, selon les dispositions de l’article 1719 -3° du code civil, le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière de faire jouir paisiblement le preneur de la chose louée pendant la durée du bail.

Enfin, selon les dispositions de l’article 1725 du code civil, le bailleur n’est pas tenu de garantir le preneur du trouble que des tiers apportent par voie de fait à sa jouissance, sans prétendre d’ailleurs aucun droit sur la chose louée; sauf au preneur à les poursuivre en son nom personnel.

4- Il est constant, en droit, que les autres locataires du bailleur ne sont pas des tiers au sens de l’article 1725 du code civil.

5- En l’espèce, par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 19 mars 2021, M. [L] a reproché à Mme [T] d’avoir bouché le conduit d’extraction d’air vicié, supprimant ainsi la sortie des fumées et odeurs émanant de son activité (ce qu’il avait découvert ‘mercredi’-soit le 17 mars 2021), et il l’a mise en demeure de remettre l’installation en son état initial, tel qu’elle existait depuis 2006.

Il résulte du constat d’huissier dressé à la requête de M. [L] le 12 août 2021 que les dégagements calorifiques et polluants des appareils de cuisson installés dans la cuisine de son restaurant traditionnel marocain sont acheminés depuis la hotte aspirante jusqu’à une fenêtre protégée par une grille.

Cette fenêtre donne sur un local contigu à la cuisine du restaurant, à usage de local à vélo, et qui appartient également à Mme [T]. Celle-ci ne conteste pas l’existence de ce dispositif d’extraction de l’air vicié, et l’a elle-même fait apparaître sur le croquis représenté à sa pièce 4 (le tuyau de sortie étant également visible sur sa pièce 7).

Il ressort également des constatations faites par l’huissier le 12 août 2021 (et des photographies figurant en pages 6 et 7 de son acte) que la fenêtre précitée est obstruée par des planches de bois, du côté du local contigu, qui est donné en location par Mme [T] à l’association Don Bosco, laquelle indique en posséder les clés, par attestation en date du 27 juillet 2021.

Mme [T] conteste avoir entrepris des travaux consistant à boucher le conduit d’extraction de l’air vicié, et indique qu’elle a seulement fait changer la porte d’accès à ce local (ce qui ressort clairement des photographies versées au débat; l’ancienne porte en bois du local, vétuste et non jointive en partie haute, étant remplacée par une porte métallique avec au dessus un ajout assurant une fermeture totale jusqu’en sous-face de la terrasse située au premier étage).

6- Toutefois, Mme [T] ne donne aucune explication à la pose, incontestable, de planches de bois à l’intérieur du local à vélo, et elle n’invoque aucune circonstance de nature à caractériser un cas de force majeure ou le fait d’un tiers.

Le colmatage du système d’extraction d’air vicié résulte soit de son propre fait, le 17 mars 2021, soit des agissements de son locataire, l’association Don Bosco, qui ne peut être considérée comme un tiers au sens de l’article 1725 précité.

7- Mme [T] ne peut valablement invoquer la non-conformité du dispositif d’extraction d’air vicié, car elle ne se fonde sur aucun avis technique ni mise en demeure de l’autorité administrative compétente en la matière. La seule mise en conformité qui a été demandée à M. [L] concerne le bac dégraisseur (pièce 9 du bailleur : courriel de Mme [M] du service assainissement de l’agglomération de [Localité 6] en date du 11 août 2021).

8- Il est par ailleurs indifférent, dans le cadre du présent litige, de déterminer si les travaux d’installation d’un système d’extraction d’air vicié, en conformité avec la réglementation, incombaient au bailleur ou au locataire, et il suffit de constater que le dispositif existant depuis 2006 a été colmaté sans qu’il soit justifié d’un préavis ou d’une mise en demeure préalable de la part du bailleur.

En outre, Mme [T] n’a pas apporté de réponse au courrier recommandé du 21 septembre 2021 aux termes duquel M. [L] la mettait en demeure de l’autoriser à percer les murs pleins via une cheminée d’évacuation, ou à lui proposer une autre solution technique.

9- Il en résulte que Mme [T] doit garantie à M. [L] pour le trouble de jouissance ainsi occasionné par son fait, ou celui de personnes dont elle devait répondre et n’ayant pas la qualité de tiers.

Sur l’indemnisation du préjudice :

10- En application des dispositions de l’article 1217 du code civil, la partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté peut demander réparation des conséquences de l’inexécution.

11- Le colmatage de la bouche d’extraction de l’air vicié de la cuisine du restaurant en place depuis 2006, et le maintien des planches sur la fenêtre, en dépit des différentes réclamations de M. [L], a empêché celui-ci de jouir paisiblement du local commercial conformément à sa destination (restauration et plats à emporter) et donc d’exploiter son fonds de commerce puisque selon l’article 53.4 du règlement sanitaire du département de Charente-Maritime (pièce 22 de l’appelant), ‘en aucun cas les dispositifs d’amenée d’air neuf et d’évacuation d’air vicié ne doivent être condamnés’.

Concernant la perte de revenus (manque à gagner):

12- Dès lors qu’elle ne justifie d’aucun cas de force majeure l’ayant empêché d’exécuter son obligation de délivrance et de jouissance paisible, au sens de l’article 1218 du code civil, Mme [T] doit être condamnée à indemniser M. [L] pour sa perte de revenus, qui s’élève, entre le 17 mars 2021 et le 31 janvier2022 (date de restitution des locaux), à 14655/12 x 10,5 = 12823,12 euros, sur la base de l’avis d’imposition 2021 au titre des revenus 2020 (pièce 19 de l’appelant).

Concernant l’indemnité d’éviction :

13 – Selon les dispositions de l’article L. 145-14 du code de commerce, le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exception prévue aux articles L. 145-17 et suivants, payées au locataire évincé une indemnité dite d’éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.

La condition initiale préalable à l’ouverture du droit à l’indemnité d’éviction est la délivrance d’un congé ou le refus de renouvellement signifié à la suite d’une demande de renouvellement.

14- En l’espèce, l’assignation délivrée par le bailleur en constatation du jeu de la clause résolutoire du bail à compter du 29 août 2021 ne peut être assimilée à la délivrance anticipée d’un congé ni à un refus de renouvellement.

15- Il en résulte que M. [L] n’est pas fondé à solliciter le bénéfice d’une indemnité d’éviction, ni la désignation d’un expert.

La demande formée de ce chef doit être rejetée.

Sur la demande de réparation du préjudice commercial et économique et de ‘perte de chance totale de préjudice commercial et économique’:

16- L’appelant sollicite l’indemnisation du préjudice commercial et économique correspondant à la perte du droit au bail et du fonds de commerce, évalué sur une base de 17’000 euros, et celle de la perte de chance totale de préjudice commercial et économique entre le 1er février 2022 et le 30 septembre 2027.

17- Il convient toutefois de relever que par lettre recommandée avec accusé de réception du 31 janvier 2021, M. [L] a demandé à Mme [T] de se présenter pour l’établissement d’un état des lieux de sortie et la restitution des clés du local commercial, ‘compte tenu de la situation à savoir la résiliation par vous même du bail’.

Il a été procédé à ces formalités le 4 février 2022, et un procès-verbal de constat d’huissier a été dressé à cette occasion.

18- Il en résulte, au vu des pièces de procédure versées au débat, que la restitution des locaux n’est pas intervenue dans les suites d’une procédure d’expulsion entreprise à la requête de Mme [T] au titre de l’exécution provisoire du jugement, après signification d’un commandement d’avoir à libérer les locaux, ainsi que prévu par l’article L.411-1 du code des procédures civiles d’exécution, mais sur l’initiative de M. [L] lui-même, sans aucune protestations et réserves, avant qu’il ne relève finalement appel du jugement, le 14 mars 2022.

19- Cette circonstance ne permet donc pas de retenir un lien de causalité certain entre le manquement contractuel de Mme [T] et les préjudices postérieurs au 31 janvier 2022 invoqués par M. [L], puisqu’à la date de son départ, le 4 février 2022, le droit au bail n’était pas définitivement perdu dès lors que le jugement constatant le jeu de la clause résolutoire n’était pas définitif.

20- Il convient dès lors de rejeter les demandes formées par M. [L], en paiement des sommes de 99756 euros et 17000 euros.

Sur la demande au titre du dépôt de garantie :

21- Mme [T] ne justifie nullement de l’existence de dégradations locatives imputables à M. [L] ni d’une créance de loyers, ainsi qu’il sera indiqué ci-après, de sorte qu’il doit être fait droit à la demande en restitution du dépôt de garantie dont le versement initial par M. [L] n’est pas contesté, pour un montant de 1800 euros.

Sur la réparation du préjudice moral :

22- La demande de paiement de dommages-intérêts pour préjudice moral est fondée non pas sur l’impossibilité soudaine d’exploiter mais ‘sur la violence de l’expulsion’ (page 9 des conclusions), alors même que la restitution des lieux s’est faite à l’initiative de M. [L], avant qu’il ait relevé appel, et sans délivrance préalable d’un commandement de libérer les lieux.

Au surplus, aucune pièce n’est produite de nature à caractériser l’existence d’un tel préjudice.

23- La demande formée sur ce point sera donc rejetée.

Sur les demandes de Mme [T] :

Il sera relevé à titre liminaire qu’en application des dispositions de l’article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif, de sorte qu’en l’espèce, la cour n’est pas saisie d’une demande subsidiaire de la part de Mme [T] tendant à voir prononcer la résiliation du bail au temps du preneur (cette prétention figurant seulement en page 15 et 16 des conclusions, et non au dispositif (pages 19 et 20).

Sur la demande en constatation du jeu la clause résolutoire :

24- Dès lors que, Mme [T] n’exécutait pas ses obligations principales de délivrance et de jouissance paisible du local, ne donnait pas suite aux demandes du locataire et rendait impossible l’exploitation de son fonds de commerce, le privant ainsi de revenus, M. [L] était fondé à opposer l’exception d’inexécution et à refuser de payer les loyers et charges, en application des articles 1217 et 1219 du code civil, du fait de cette inexécution suffisamment grave de la part du bailleur.

25- Il en résulte que Mme [T] n’a pas mis en oeuvre de bonne foi la clause résolutoire du bail en faisant délivrer un commandement de payer le 28 juillet 2021, 12 jours seulement après avoir été elle-même assignée en référé par M. [L], alors qu’elle connaissait parfaitement l’impossibilité d’exploiter de ce dernier.

26- C’est donc à tort que le premier juge a constaté la résiliation de plein droit du bail, de sorte que le jugement sera entièrement infirmé.

Statuant à nouveau, la cour dira qu’en l’absence de mise en oeuvre valable de la clause résolutoire, Mme [T] doit être déboutée de ses demandes, maintenues devant la cour (par voie de demande de confirmation du jugement), tendant à voir :

-constater la résiliation au 29 août 2021 du bail commercial consenti le 17 novembre 2006 à effet rétroactif au 1er juillet 2006, par Mme [T] à M. [L] portant sur un local situé [Adresse 4] à [Localité 2] ;

-ordonner l’expulsion de M. [L] ainsi que tout occupant de son chef, au besoin avec l’assistance de la forme publique et d’un serrurier, et sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de l’expiration du délai d’un mois suivant la signification du présent jugement ;

-condamner M. [L] à payer à Mme [T] une indemnité d’occupation mensuelle équivalente au montant du dernier loyer prévu au contrat au moment de la résiliation augmenté des charges et ce avec intérêts au taux légal à compter de la date d’échéance de chaque mensualité la somme de 5 851,77 euros avant intérêts au taux légal à compter du 28 juillet 2021 sur la somme de 4 294,17 euros et du 15 novembre 2021 sur la somme de 1 557,60 euros ainsi que, à compter du 11 novembre 2021, outre 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

La cour rejettera en outre la demande de Mme [T] en paiement des loyers de juin 2021 à novembre 2021 et des provisions sur charges pour un montant total de 5851,77 euros dès lors que le locataire était durant cette période totalement privé de la possibilité de jouir du local conformément à sa destination contractuelle de restaurant.

27- Dans le cadre de demandes additionnelles, Mme [T] sollicite des dommages-intérêts en soulignant qu’elle se trouve empêchée de remettre les locaux commerciaux en location, compte tenu de ‘l’ambiguïté pernicieuse’ entretenue par M. [L] sur le périmètre de ses demandes en appel, alors que la restitution des lieux est intervenue le 4 février 2022, de sorte qu’elle subit chaque mois une perte de loyer d’un montant égal à 778,80 euros par mois, sur la base du dernier loyer prévu au contrat conclu avec M.[L].

28- Toutefois, la cour doit constater que même s’il a formé appel de tous les chefs du jugement, et sollicité le rejet de toutes les demandes dans ses conclusions numéro 1 et 2 devant la cour, M. [L] n’a pas formé de prétention tendant à être réintégré dans la jouissance des lieux, de sorte qu’il ne peut être tenu pour responsable de la décision prise par Mme [T] d’attendre l’arrêt à intervenir.

Au surplus, dès lors que Mme [T] ne justifie pas avoir ôté ou fait ôter les planches colmatant la bouche d’extraction d’air vicié, elle ne peut prétendre avoir perdu des loyers du fait de l’attitude procédurale de M. [L].

29- Cette demande doit donc être rejetée.

Sur les demandes accessoires :

30- Il est équitable d’allouer à M. [L] une indemnité de 4000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles qu’il a dû exposer en première instance et devant la cour.

Échouant en ses prétentions, Mme [T] supportera les dépens de première instance et d’appel, ainsi que ses propres frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS:

La Cour,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau, et y ajoutant,

Constate que les lieux ont été restitués par M. [C] [L] le 4 février 2022,

Déboute Mme [T] de l’ensemble de ses demandes,

Condamne Mme [U] [T] à payer à M. [C] [L]:

-la somme de 12823,12 euros en indemnisation de sa perte de revenus du 17 mars 2021 au 4 février 2022,

-la somme de 1800 euros au titre de la restitution du dépôt de garantie,

– la somme de 4000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d’appel,

Rejette les autres demandes de M. [C] [L],

Condamne Mme [U] [T] aux dépens de première instance et d’appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

 


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