28 juin 2022
Cour d’appel de Rennes
RG n°
21/07843
1ère Chambre
ARRÊT N°255/2022
N° RG 21/07843 – N° Portalis DBVL-V-B7F-SJXO
S.A.R.L. NOGA
C/
S.A.S. CAFÉ DES PLANTES
S.C.I. DE LA GARE
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 28 JUIN 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Aline DELIÈRE, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 25 Avril 2022 devant Madame Véronique VEILLARD, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 28 Juin 2022 par mise à disposition au greffe, après prorogation du délibéré annoncé au 21 juin 2022 à l’issue des débats
****
APPELANTE :
La société NOGA, SARL agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Vincent CHUPIN de la SELARL PUBLI-JURIS, avocat au barreau de NANTES
INTIMÉES :
La société CAFE DES PLANTES, SAS agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Gwendal RIVALAN de la SELARL AVOXA NANTES, avocat au barreau de NANTES
La S.C.I. DE LA GARE, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Gwendal RIVALAN de la SELARL AVOXA NANTES, avocat au barreau de NANTES
FAITS ET PROCÉDURE
La sci de la Gare est propriétaire, à [Localité 4], au rez-de-chaussée d’un immeuble en copropriété, de deux lots n°1 et n°14 qu’elle a donnés à bail commercial à la sas Café des Plantes qui y exploite un fonds de commerce de brasserie.
La sci de la Gare a pour gérant M. [L] [V] et compte 4 associés :
-la sarl de Beaumer dont le gérant est M. [L] [V] et qui compte 4 associés : M. [L] [V] (pour 56,67 %), ses deux parents (pour 13,33 % chacun) et M. [O] [V] (16,67 %),
-M. [L] [V] à hauteur de 4,8 % du capital social,
-M. [F] [V] à hauteur de 0,1 % du capital social,
-Mme [I] [V] à hauteur de 0,1 % du capital social.
La sas Café des Plantes a pour président la sarl de Beaumer représentée par M. [L] [V].
La sarl Noga a pour gérant M. [T] [K], franchisé de l’enseigne de restauration rapide KFC.
Le fonds de commerce en litige est situé à un emplacement stratégique à [Localité 4] du fait des travaux dernièrement achevés à la gare SNCF sur son parvis Nord offrant un parcours piéton depuis la gare jusqu’au [3] en passant devant la terrasse du Café des Plantes.
En raison de soucis de santé et à la suite du confinement de 2020, [L] [V] a souhaité s’inscrire dans un processus de cession des murs de la sci de la Gare et des parts sociales de la sas Café des Plantes.
Après prospection sous l’égide du cabinet Hbc Transaction en la personne de son agent immobilier M. [R], la sarl Noga a réitéré une offre pour les murs de la sci de la Gare le 28 octobre 2020, cette fois sans condition suspensive et au prix de 1.150.000 € net vendeur, que M. [L] [V] a retournée signée le 29 octobre 2020.
Le 30 décembre 2020, la sarl Noga a émis une offre pour le fonds de commerce du Café des Plantes, et non pour les actions, au prix de 900.000 € avec une condition suspensive d’obtention d’un prêt d’un montant de 2.230.000 € en vue d’implanter et exploiter un KFC.
M. [L] [V] a refusé cette offre et mis un terme aux négociations globales.
Par acte du 26 janvier 2021, la sarl Noga a fait convoquer la sci de la Gare devant le tribunal judiciaire de Nantes en vente parfaite.
Par conclusions du 15 février 2021, la sas Café des Plantes est intervenue volontairement en nullité de ladite vente fondée sur le défaut de notification à elle-même en qualité de locataire des lieux.
Par conclusions d’incident du 11 mai 2021, la sarl Noga a saisi le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nantes d’une exception d’irrecevabilité de cette intervention volontaire au visa de l’absence de qualité à agir et d’intérêt légitime.
Par ordonnance du 18 novembre 2021, le juge de la mise en état a :
-déclare recevable l’intervention volontaire de la société Café des Plantes,
-rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société Noga,
-débouté les parties du surplus de leur demande,
-réservé les dépens,
-renvoyé à l’audience dématérialisée de mise en état du 25 janvier 2022 pour les conclusions au fond de Maître Chupin.
Par déclaration du 16 décembre 2021, la sarl Noga a interjeté appel de l’ensemble des chefs de décision.
PRÉTENTIONS ET MOYENS
La sarl Noga expose ses demandes et moyens dans ses dernières conclusions notifiées et remises au greffe le 31 mars 2022 auxquelles il est renvoyé en application de l’article 455 alinéa 1 du code de procédure civile.
Elle sollicite de la cour d’appel qu’elle :
-infirme l’ordonnance rendue par le juge de la mise en état du 18 novembre 2021,
-déclare irrecevable l’intervention volontaire à titre principal de la sas Café des Plantes,
-la condamne à lui régler la somme de 3.000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens de première instance et d’appel,
-déboute la sas Café des Plantes et la sci de la Gare de leurs demandes.
La sas Café des Plantes expose ses demandes et moyens dans ses dernières conclusions notifiées et remises au greffe le 1er avril 2022 auxquelles il est renvoyé en application de l’article 455 alinéa 1 du code de procédure civile.
Elle demande à la cour d’appel de :
-débouter la sarl Noga de ses demandes,
-confirmer l’ordonnance critiquée,
-condamner la sarl Noga à lui payer la somme de 3.500 € au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel outre les entiers dépens de première instance et d’appel.
MOTIFS DE L’ARRÊT
A titre liminaire, il convient de rappeler que l’office de la cour d’appel est de trancher le litige et non de donner suite à des demandes de « constater », « dire » ou « dire et juger » qui ne constituent pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions au sens des articles 4, 5 et 954 du code de procédure civile mais la reprise des moyens censés les fonder.
1) Sur la recevabilité de l’intervention volontaire de la sas Café des plantes
La sarl Noga soutient que les dirigeants des sci de la Gare et sas Café des Plantes sont les mêmes et que l’intervention volontaire de la seconde relève d’un détournement de procédure visant à permettre à la première de se désengager de sa signature de la vente, alors que le droit de préférence de la sas Café des Plantes a été purgé par la connaissance qu’elle avait dès l’origine de la mise en vente des locaux dans lesquels elle exploite son fonds de commerce et au plus tard dans les conclusions en réponse n° 1 de la sci de la Gare de sorte que le délai d’un mois pour se prévaloir du droit de préférence est largement expiré.
La sas Café des Plantes soutient que l’actionnariat entre les sociétés n’est pas strictement identique, ni les personnalités juridiques, que l’offre d’achat de la sarl Noga mentionne une prise de possession réelle susceptible de conduire à son éviction, qu’elle se trouve en situation de précarité depuis le 1er janvier 2019, date à partir de laquelle le bail est résiliable avec un congé de six mois, ce qui la conduit à envisager de racheter elle-même les murs afin de garantir sa valorisation.
En droit, l’article L. 145-46-1 du code de commerce dispose que : « Lorsque le propriétaire d’un local à usage commercial ou artisanal envisage de vendre celui-ci, il en informe le locataire par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, ou remise en main propre contre récépissé ou émargement. Cette notification doit, à peine de nullité, indiquer le prix et les conditions de la vente envisagée. Elle vaut offre de vente au profit du locataire. Ce dernier dispose d’un délai d’un mois à compter de la réception de cette offre pour se prononcer. En cas d’acceptation, le locataire dispose, à compter de la date d’envoi de sa réponse au bailleur, d’un délai de deux mois pour la réalisation de la vente. Si, dans sa réponse, il notifie son intention de recourir à un prêt, l’acceptation par le locataire de l’offre de vente est subordonnée à l’obtention du prêt et le délai de réalisation de la vente est porté à quatre mois.
Si, à l’expiration de ce délai, la vente n’a pas été réalisée, l’acceptation de l’offre de vente est sans effet.
Dans le cas où le propriétaire décide de vendre à des conditions ou à un prix plus avantageux pour l’acquéreur, le notaire doit, lorsque le bailleur n’y a pas préalablement procédé, notifier au locataire dans les formes prévues au premier alinéa, à peine de nullité de la vente, ces conditions et ce prix. Cette notification vaut offre de vente au profit du locataire. Cette offre de vente est valable pendant une durée d’un mois à compter de sa réception. L’offre qui n’a pas été acceptée dans ce délai est caduque.
Le locataire qui accepte l’offre ainsi notifiée dispose, à compter de la date d’envoi de sa réponse au bailleur ou au notaire, d’un délai de deux mois pour la réalisation de l’acte de vente. Si, dans sa réponse, il notifie son intention de recourir à un prêt, l’acceptation par le locataire de l’offre de vente est subordonnée à l’obtention du prêt et le délai de réalisation de la vente est porté à quatre mois. Si, à l’expiration de ce délai, la vente n’a pas été réalisée, l’acceptation de l’offre de vente est sans effet.
Les dispositions des quatre premiers alinéas du présent article sont reproduites, à peine de nullité, dans chaque notification.
Le présent article n’est pas applicable en cas de cession unique de plusieurs locaux d’un ensemble commercial, de cession unique de locaux commerciaux distincts ou de cession d’un local commercial au copropriétaire d’un ensemble commercial. Il n’est pas non plus applicable à la cession globale d’un immeuble comprenant des locaux commerciaux ou à la cession d’un local au conjoint du bailleur, ou à un ascendant ou un descendant du bailleur ou de son conjoint. »
En l’espèce, il est constant que le projet de vente des murs appartenant à la sci de la Gare n’a pas été notifié à la sas Café des Plantes par lettre recommandée avec accusé de réception.
Ainsi qu’il l’a été justement apprécié par le juge de la mise en état, le fait que la sci de la Gare et la sas Café des Plantes aient le même dirigeant en la personne de [L] [V] ne constitue pas une cause d’exonération de l’obligation de notification de la vente pesant sur le propriétaire, chacune des structures sociales ayant sa personnalité juridique propre.
De même, l’interprétation de l’attitude des parties ne saurait tenir lieu de notification du droit de préférence, auquel s’attachent des délais et des prérogatives pour son bénéficiaire dont la renonciation se présume pas. Un échange de conclusions ne saurait non plus tenir lieu d’une remise en main propre contre récépissé ou émargement au sens de l’exigence de l’article L. 145-46-1 dans la mesure où l’objet desdites conclusions, échangées dans le cadre d’une instance judiciaire en cours, n’est pas celui d’une notification d’un projet de vente des murs dans le cadre de la conduite de négociations commerciales.
Par ailleurs, l’offre d’achat des murs commerciaux telle qu’elle a été rédigée par Hbc Transaction avec l’accord de la sarl Noga le 28 octobre 2020 fait mention d’une jouissance des lieux acquise le jour de la signature de l’acte de vente « par la prise de possession réelle », sans que l’alternative de la « perception des loyers » ne soit mentionnée alors qu’un bail commercial est en cours sur les locaux.
Cette formulation de l’offre d’achat conduit la sas Café des Plantes à s’interroger sur la pérennité à court terme de son activité et, par voie de conséquence, sur la valorisation de ses actions dans l’objectif d’une vente, de sorte que son intérêt est d’envisager de racheter elle-même les murs pour s’assurer de la valorisation, tandis qu’une promesse d’indemnité d’éviction ou celle d’un rétablissement dans un autre lieu sont insuffisants à compenser la précarité locative alléguée compte tenu d’une part du caractère aléatoire de ces perspectives et d’autre part du contexte contentieux dans lequel les relations commerciales des parties sont désormais inscrites.
Sous le bénéfice de ces observations, la sas Café des Plantes a un intérêt légitime à intervenir volontairement dans la présente instance. L’ordonnance sera confirmée sur ce point.
Il relèvera ensuite de l’office du seul tribunal d’en apprécier le bien-fondé ou le caractère détourné.
2) Sur les dépens et les frais irrépétibles
Succombant, la sarl Noga supportera les dépens d’appel. L’ordonnance sera infirmée s’agissant des dépens de première instance qui seront mis à sa charge.
Enfin, il n’est pas inéquitable de condamner la sarl Noga à payer à la sas Café des Plantes la somme de 3.000 € au titre des frais exposés par elle dans la présente affaire, tant en première instance qu’en appel, et qui ne sont pas compris dans les dépens. L’ordonnance sera infirmée sur ce point.
PAR CES MOTIFS
La cour
Confirme l’ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nantes du 18 novembre 2021 en ce qu’elle a :
-déclaré recevable l’intervention volontaire de la sas Café des Plantes dans l’instance en cours devant le tribunal judiciaire de Nantes sous la référence RG 21/00638 à la 1ère chambre civile section A,
-rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la sarl Noga,
L’infirme sur les dépens et les frais irrépétibles,
Statuant à nouveau,
Condamne la sarl Noga aux dépens de première instance et d’appel,
Condamne la sarl Noga à payer à la sas Café des Plantes la somme de 3.000 € au titre des frais irrépétibles.
LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE