26 janvier 2023
Cour d’appel de Douai
RG n°
21/04941
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 8 SECTION 4
ARRÊT DU 26/01/2023
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N° de MINUTE : 23/118
N° RG 21/04941 – N° Portalis DBVT-V-B7F-T3A2
Jugement (N° 11-19-0008) rendu le 06 Mai 2020 par le tribunal Judiciaire de Dunkerque
APPELANTS
Monsieur [X] [J]
[Adresse 2]
[Localité 4]
SCI [J] pris en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentés par Me Alain Cockenpot, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
INTIMÉ
Monsieur [Z] [F]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Défaillant, auquel la déclaration d’appel a été signifié le 17 novembre 2021 art 659 cpc
DÉBATS à l’audience publique du 22 novembre 2022 tenue par Emmanuelle Boutié magistrat chargé d’instruire le dossier qui, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS :Harmony Poyteau
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Véronique Dellelis, président de chambre
Emmanuelle Boutié, conseiller
Catherine Menegaire, conseiller
ARRÊT RENDU PAR DEFAUT prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 26 janvier 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Véronique Dellelis, président et Harmony Poyteau, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 7 octobre 2022
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Depuis le 1er avril 1989, M. [Z] [F] est titulaire d’un bail verbal puis d’un bail conclu par acte sous seing privé en date du 1er avril 1993 d’un logement à usage d’habitation situé à [Adresse 3] dont la SCI [J] est devenue propriétaire.
Par acte sous seing privé en date du 1er avril 1993, un bail écrit a été concédé à M. [F] par M. [M] au droit duquel vient aujourd’hui la SCI [J] pour un loyer de 450 francs outre 50 francs de provision sur charges, soit 500 francs par mois.
Par exploit d’huissier en date du 26 août 2019, M. [Z] [F] a fait assigner la SCI [J] et M. [X] [J] devant le tribunal d’instance de Dunkerque pour les voir condamner in solidum à lui verser les sommes de 48 000 euros au titre de la perte d’indemnité d’expropriation, 5000 euros au titre des dommages et intérêts complémentaires et 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Suivant jugement contradictoire en date du 6 mai 2020, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Dunkerque a :
– débouté M. [Z] [F] de ses demandes à l’encontre de M. [X] [J],
– condamné la SCI [J] à verser à M. [Z] [F] la somme de 38 000 euros en réparation de son préjudice résultant de l’omission de dénonciation de son bail auprès de la communauté urbaine de Dunkerque expropriante,
– débouté M. [Z] [F] de sa demande de réparation au titre de dommages et intérêts complémentaires,
– débouté la SCI [J] et M. [X] [J] de leur demande reconventionnelle de dommages et intérêts,
– écarté l’exécution provisoire de la décision,
– condamné la SCI [J] aux dépens,
– condamné la SCI [J] à verser à M. [Z] [F] la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté les parties du surplus de leurs demandes.
La SCI [J] et M. [X] [J] ont relevé appel de cette décision par déclaration en date du 21 septembre 2021, déclaration d’appel critiquant les dispositions de la décision entreprise en ce qu’elle a condamné la SCI [J] à verser à M. [F] la somme de 38 400 euros en réparation de son préjudice né de l’omission de dénonciation de son bail auprès de la communauté urbaine de Dunkerque expropriante, débouté la SCI [J] et M. [X] [J] de leurs demandes reconventionnelles de dommages-intérêts, condamné la SCI [J] aux dépens et à verser à M. [F] la somme de 1000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 3 novembre 2021, la SCI [J] et M. [X] [J] demandent à la cour de :
– infirmer le jugement prononcé par le tribunal judiciaire de Dunkerque en date du 6 mai 2020,
– juger que la SCI [J] a régulièrement fait connaître à la Communauté Urbaine de Dunkerque, expropriante, la situation de M. [F],
En conséquence :
– débouter M. [F] de l’ensemble de ses demandes,
– condamner M. [F] à payer à la SCI [J] la somme de 1000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,
– condamner M. [F] à payer à la SCI [J] la somme de 4000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner M. [F] aux entiers dépens.
M. [J] et la SCI [J] soutiennent essentiellement que l’autorité expropriante était informée de la présence de M. [F] dans les lieux aux termes du mémoire de la SCI [J] en date du 22 novembre 2013 ainsi que de sa visite des lieux réalisée le 6 décembre 2016. Elle ajoute que M. [F] n’a jamais contacté l’autorité expropriante alors qu’il s’est vu notifier plusieurs congés pour cause d’expropriation de sorte qu’aucune faute ne peut être reprochée à la SCI [J] qui a satisfait à son obligation d’information de l’autorité expropriante du maintien dans les lieux d’un locataire. Elle précise que M. [F] est devenu occupant sans droit ni titre à l’issue du premier congé qui lui a été notifié et en tout état de cause à la suite du commandement délivré le 11 décembre 2015 pour défaut d’assurance.
A titre subsidiaire, les appelants exposent que M. [F] ne peut se prévaloir que de 15 mois de privation de jouissance, à savoir du 30 décembre 2018, date à laquelle l’accès à son logement lui a été rendu impossible, jusqu’au 31 mars 2020, date de fin du bail.
Enfin, ils soutiennent qu’alors que M. [F] avait connaissance de la procédure d’expropriation depuis 2011, il a mis la SCI [J] en porte-à-faux vis-à-vis de la communauté urbaine de Dunkerque.
M. [X] [J] et la SCI [J] ont fait signifier la déclaration d’appel et leurs conclusions d’appelants à M. [Z] [F] par actes d’huissier de justice en date du 17 novembre 2021 actes signifiés conformément aux dispositions de l’article 659 du code de procédure civile.
Celui-ci n’a pas constitué avocat devant la cour.
Il est renvoyé aux conclusions pour un exposé détaillé des demandes et des moyens en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS :
Aux termes des dispositions de l’article 954 alinéa 5 du code de procédure civile, la partie qui ne conclut pas ou qui, sans en énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s’en approprier les motifs.
En l’espèce, M. [F] qui n’a pas constitué avocat devant la cour, est réputé s’approprier les motifs du jugement entrepris.
Sur la demande principale
Aux termes des dispositions de l’article 1240 du code civil, dans sa rédaction applicable au présent litige, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer.
L’article L.311-1 du code de l’expropriation publique, en vue de la fixation des indemnités, l’expropriant notifie aux propriétaires et usufruitiers intéressés soit l’avis d’ouverture de l’enquête, soit l’acte déclarant l’utilité publique, soit l’arrêté de cessibilité, soit l’ordonnance d’expropriation.
Il résulte des dispositions de l’article L.311-2 du même code que le propriétaire et l’usufruitier sont tenus d’appeler et de faire connaître à l’expropriant les fermiers, locataires, ceux qui ont des droits d’emphythéose, d’habitation ou d’usage et ceux qui peuvent réclamer des servitudes.
Enfin, l’article R.323-2 du code de l’expropriation publique dispose que l’expropriant est seul qualifié pour recevoir et examiner les justifications établissant les droits à indemnité de l’exproprié.
Il désigne le bénéficiaire de l’indemnité en se plaçant à la date de l’ordonnance d’expropriation ou de la cession amiable.
Par ordonnance en date du 5 avril 2013, l’expropriation de l’immeuble sis [Adresse 3] appartenant à la SCI [J] a été prononcée et par arrêt en date du 26 mars 2018, la chambre de l’expropriation de la cour d’appel de Douai a fixé l’indemnité de dépossession revenant à la SCI [J] à la somme de 112 175,04 euros soit 100 886,40 euros à titre d’indemnité principale et 11 288,64 euros à titre d’indemnité de remploi.
La SCI [J] fait valoir qu’elle a informé la communauté urbaine de Dunkerque du maintien dans les lieux de M. [F] dans son mémoire en date du 22 novembre 2013 ainsi que dans le cadre de sa visite des lieux réalisée le 6 décembre 2016.
Il n’est pas contesté qu’aux termes d’un courrier en date du 5 février 2019, la communauté urbaine de Dunkerque a pu indiquer qu’elle n’a pas été informée par la SCI [J] de ce que son immeuble était occupé, conduisant le juge à fixer une indemnité en valeur libre d’occupation.
S’il résulte du mémoire en fixation du prix en date du 22 novembre 2013 que la SCI [J] a précisé que ‘deux appartements de l’immeuble objet de l’ordonnance d’expropriation sont actuellement loués. La SCI [J] a ainsi donné à bail à :
– M. [F] locataire du studio situé au 1er étage;
– M. [O] locataire de l’appartement T2 situé au rez-de-chaussée’ et a sollicité dans le cadre de ses écritures de: ‘Fixer le montant des indemnités revenant (…)pour l’expropriation de l’immeuble à usage locatif sis [Adresse 3] à hauteur de 200 000 euros au titre de l’indemnité principale, assortie d’une indemnité de remploi de 30 000 euros et de réparation indemnitaire du préjudice pour rupture anticipée des baux de location à hauteur de 5 000 euros’, force est de constater qu’elle ne justifie pas avoir repris ces demandes devant la cour dans le cadre du litige relatif au montant de l’indemnité versée en contrepartie de l’expropriation, ne faisant pas état de l’occupation d’un des logements de l’immeuble, dans le cadre duquel elle a sollicité la réformation du ‘jugement du 19 mai 2017 (RG n°16/00037) de Mme le Juge de l’expropriation du département du Nord en ce qu’il a fixé à la somme de 87 238,61 euros l’indemnité due à la SCI [J] en contrepartie de l’expropriation de l’immeuble situé [Adresse 3], sur une parcelle cadastrée [Cadastre 1] [Cadastre 1], se décomposant comme suit: indemnité princiaple de 78 216,92 euros et indemnité de remploi de 9 021,69 euros; et statuant à nouveau, fixer à 194 244,60 euros le montant de l’indemnité principale et à 20 424 euros le montant de l’indemnité de remploi qui est due par la Communauté urbaine de Dunkerque à la SCI [J] en contrepartie de l’expropriation de l’immeuble situé [Adresse 3], sur une parcelle cadastrée [Cadastre 1] [Cadastre 1] ».
En outre, si en cause d’appel, la SCI [J] produit en cause d’appel la première page d’un mémoire en fixation judiciaire du prix notifié le 25 novembre 2016 devant le tribunal de grande instance de Lille, il ne résulte pas de ce seul élément qu’elle ait informé l’autorité expropriante du maintien dans les lieux de M. [F].
De la même manière, les termes de l’arrêt de la cour indiquant que dans le cadre de la visite qui s’est déroulée le 6 décembre 2016, un des deux studios n’a pu être visité, ne saurait suffire à justifier de la connaissance qu’avait la communauté urbaine de Dunkerque du maintien dans les lieux de M. [F].
De plus, le premier juge a justement retenu que les copies des courriers en date des 12 avril 2012, 12 juin et 17 septembre 2015 et 12 octobre 2018 adressés par la SCI [J] à M. [F] pour lui demander de restituer son logement, ne permettent pas d’établir que la SCI [J] a rempli son obligation d’information en vue de l’indemnisation de son locataire en raison de l’expropriation pour cause d’utilité publique.
Ainsi, c’est à juste titre que le tribunal a relevé d’une part, que la preuve d’une faute commise par la SCI [J] caractérisée par l’absence de dénonciation du bail à l’expropriant est caractérisée en l’espèce et a permis la dépossession du locataire en le privant d’une protection prévue par les règles de l’expropration et lui a causé un préjudice distinct ouvrant droit à réparation et, d’autre part, que cette faute de la SCI [J] a contraint M. [F] à quitter son logement qu’il occupait depuis le 1er avril 1993 sans avoir préalablement reçu une indemnité couvrant l’intégralité de son préjudice direct, matériel et certain causé par l’expropriation et lui permettant de retrouver une situation identique à la sienne.
Ainsi, en sus du potentiel droit au relogement, le locataire a droit à une indemnité d’éviction personnelle. En principe, le surcoût de loyer du nouveau logement s’analysant en un dommage indirect, n’est pas indemnisable sauf si le juge constate qu’il n’a pas été fait d’offre de relogement et que les propriétaires et ayants droit du bien exproprié avaient bénéficié d’un loyer particulièrement bas par rapport aux prestations offertes et à la situation de l’immeuble, le locataire bénéficiant, dans ce dernier cas, d’une indemnité pour différence de loyer, comme conséquence directe de l’expropriation.
En l’espèce, il n’est pas contesté que les offres de relogement formulées au profit de M. [F] comportent une augmentation du montant du loyer de 200 euros alors que le montant du loyer du logement exproprié était particulièrement bas, s’agissant d’un loyer mensuel de 265,26 euros.
En conséquence, la cour alloue à M. [F] la somme de 200 euros par mois au titre de la réparation de son préjudice certain jusqu’au 31 mars 2020, date d’achèvement du bail, correspondant à la somme totale de 3 000 euros (200€ x 15 mois).
En effet, si un commandement de communiquer une attestation d’assurance, visant la clause résolutoire a été délivrée par le bailleur au locataire, par acte d’huissier de justice en date du 11 septembre 2015, force est de constater que le bailleur n’a pas par la suite engagé de procédure aux fins de constatation de la résiliation du bail par l’effet de la clause résolutoire.
En outre, pour la période postérieure à la fin du bail et eu égard à la faculté qu’a le bailleur de donner congé sous certaines conditions pour éviter le renouvellement du bail, la cour considère que ce préjudice s’analyse en une perte de chance de continuer à être logé dans les mêmes conditions à compter de la date d’achèvement du bail et durant une période de sept années, correspondant à l’espérance de vie moyenne d’un homme en France, perte de chance importante compte tenu de la protection légale accordée à un locataire âgé de plus de soixante-cinq ans, et alloue à ce titre au locataire un montant correspondant à 70% de la somme mensuelle de 200 euros sur 84 mois, soit un montant total de 11 760 euros (140 euros x 84 mois).
En conséquence, le préjudice de M. [F] s’élève à la somme totale de 14 760 euros, la décision entreprise étant infirmée sur ce point.
Sur la demande de dommages et intérêts formulée par la SCI [J]
Il résulte des articles 1382 du code civil et 32-1 du code de procédure civile, qu’une partie ne peut engager sa responsabilité pour avoir exercé une action en justice ou s’être défendue que si l’exercice de son droit a dégénéré en abus. L’appréciation inexacte qu’une partie fait de ses droits n’étant pas, en soi, constitutive d’une faute, l’abus ne peut se déduire du seul rejet des prétentions par le tribunal.
En l’espèce, aucun élément au dossier ne permet de caractériser un comportement de M. [F] ayant dégénéré en abus, et le jugement du tribunal sera confirmé en ce qu’il a débouté M. [J] et la SCI [J] de leur demande de dommages et intérêts formée à ce titre à l’encontre de M. [F].
Sur les autres demandes
La décision entreprise sera confirmée en ses dispositions relatives aux dépens et à l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
La SCI [J] et M. [J], parties perdantes, seront condamnés à supporter les dépens d’appel.
Enfin, il y a lieu de débouter la SCI [J] et M. [J] de leur demande au titre de l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a condamné la SCI [J] à verser à M. [Z] [F] la somme de 38 000 euros en réparation de son préjudice résultant de l’omission de dénonciation de son bail auprès de la communauté urbaine de Dunkerque expropriante,
Statuant à nouveau sur ce point,
Condamne la SCI [J] à verser à M. [Z] [F] la somme de 14 760 euros en réparation de son préjudice résultant de l’omission de dénonciation de son bail auprès de la communauté urbaine de Dunkerque,
Déboute la SCI [J] et M. [X] [J] de leur demande au titre de l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Condamne la SCI [J] et M. [X] [J] aux dépens d’appel.
Le Greffier
Harmony Poyteau
Le Président
Véronique Dellelis