Indemnité d’éviction : 25 août 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 19/08565

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Indemnité d’éviction : 25 août 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 19/08565

25 août 2022
Cour d’appel de Paris
RG
19/08565

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 7

ARRET DU 25 AOÛT 2022

(n° , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/08565 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CAN5Z

Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Juin 2019 -Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de PARIS – RG n° 17/02339

APPELANTE

SA FRANCE TELEVISIONS Prise en la personne de son représentant légal,

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Eric MANCA, avocat au barreau de PARIS, toque : P0438

INTIMEES

Madame [E] [M]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Joyce KTORZA, avocat au barreau de PARIS, toque : B0053

Syndicat SYNDICAT NATIONAL DES JOURNALISTES CGT – SNJ-CGT

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Joyce KTORZA, avocat au barreau de PARIS, toque : B0053

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 19 Mai 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Marie-Hélène DELTORT, Présidente de chambre, et Monsieur Laurent ROULAUD, Conseiller, chargés du rapport.

Ces magistrats, entendus en leur rapport, ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-Hélène DELTORT, Présidente de chambre,

Madame Bérénice HUMBOURG, Présidente de Chambre,

Monsieur Laurent ROULAUD, Conseiller.

Greffière, lors des débats : Madame Lucile MOEGLIN

ARRET :

– CONTRADICTOIRE,

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

– signé par Madame Marie-Hélène DELTORT, Présidente de chambre et par Madame Lucile MOEGLIN, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS CONSTANTS ET PROCÉDURE

Selon contrat de travail à durée déterminée, Mme [M] a été engagée le 22 octobre 2014 par la rédaction de la société France télévisions en qualité de journaliste. Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des journalistes et l’accord d’entreprise du 28 mai 2013.

A l’issue de ce premier contrat, les parties ont poursuivi leur collaboration dans le cadre de plusieurs contrats à durée déterminée, visant soit un surcroît temporaire d’activité, soit le remplacement de salariés absents. La fin de la relation contractuelle est intervenue le 23 avril 2017, date d’échéance du dernier contrat à durée déterminée conclu entre les parties.

Sollicitant la requalification de ses contrats de travail en contrat à durée indéterminée et contestant la rupture de son contrat de travail devant selon elle s’analyser en un licenciement nul, Mme [M] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris le 29 mars 2017.

Par jugement du 27 juin 2019, le conseil de prud’hommes composé du seul juge départiteur a :

rejeté la note en délibéré adressée par la société France télévisions ;

– ordonné la requalification des contrats en contrat à durée indéterminée à compter du 22 octobre 2014 ;

– prononcé la nullité du licenciement ;

– ordonné la réintégration de Mme [M] sur la base d’un temps de travail à temps plein ;

– fixé la rémunération mensuelle de base, comprenant les primes d’ancienneté et le 13 ème mois à la somme de 4.616 euros ;

– condamné la société France télévisions à payer à Mme [M] les sommes suivantes :

-5000 euros à titre d’indemnité de requalification,

-72 706 euros à titre de rappel de salaire du 1er novembre 2014 au 23 avril 2017 et 7 271 euros au titre des congés payés afférents,

– 96 592 euros à titre de rappel de salaire du 24 avril 2017 au 31 janvier 2019 et 9659 euros au titre des congés payés afférents,

– ordonné à l’employeur de remettre à la salariée les documents sociaux conformes à la décision ;

– condamné la société France télévisions à verser au syndicat national des journalistes CGT SNJ-CGT une somme de 1500 euros à titre de dommages et intérêts ;

– condamné la société France télévisions à payer à Mme [M] une somme de 2500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’une somme de 500 euros au syndicat national des journalistes CGT SNJ-CGT ;

– débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

– condamné la société France télévisions au paiement des dépens.

Mme [M] a signé un contrat à durée indéterminée à temps plein avec un forfait en jours prenant effet le 27 juin 2019 pour exercer les fonctions de journaliste coordinateur des échanges nationaux et internationaux moyennant une rémunération brute mensuelle de 4 616 euros bruts incluant la prime d’ancienneté et le 13ème mois.

Par déclaration du 26 juillet 2019, la société France télévisions a interjeté appel.

PRETENTIONS DES PARTIES:

Dans ses dernières conclusions transmises par RPVA le 19 avril 2022, la société France télévisions conclut à l’infirmation du jugement en ce qu’il a jugé recevable l’action du syndicat SNJ-CGT et en ce qu’elle a été condamnée à lui payer la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts ainsi qu’à Mme [M] concernant la somme de 5 000 euros à titre d’indemnité de requalification, s’agissant également de la requalification en temps plein pour la période comprise entre le 1er novembre 2014 et le 23 avril 2017, et de sa condamnation au paiement des sommes allouées à Mme [M] à titre de rappel de salaire et des congés payés afférents pour la période comprise entre le 1er novembre 2014 et le 23 avril 2017, de la somme de 96 592 euros bruts à titre de rappels de salaire pour la période comprise entre le 24 avril 2017 et le 31 janvier 2019, outre 9 659 euros bruts au titre des congés payés afférents et de la nullité de la rupture.

Elle demande à la cour de :

– juger irrecevable l’action du syndicat SNJ-CGT et rejeter en conséquence ses demandes;

– limiter le montant de l’indemnité de requalification à un mois de salaire, soit 2 583,18 euros,

– rejeter la demande de requalification en temps plein ainsi que les rappels de salaire sollicités pour la période comprise entre le 1er novembre 2014 et le 23 avril 2017 et subsidiairement, de limiter le rappel de salaire à la somme de 2 084,72 euros bruts, outre 208,47 euros bruts au titre des congés payés afférents ;

– rejeter la demande de nullité de la rupture des relations de travail et le rappel de salaire pour la période comprise entre le 24 avril 2017 et le 27 juin 2019, et subsidiairement, le limiter à la somme de 66 694,32 euros bruts, outre 6 669,43 euros bruts au titre des congés payés afférents ;

– limiter le rappel de salaire accordé pour la période comprise entre le 1er février 2019 et le 27 juin 2019 à la somme de 12 748,93 euros bruts, outre 1 274,89 euros bruts au titre des congés payés afférents, et déduire durant cette même période les revenus de remplacement perçus par Mme [M] ;

– limiter le montant de l’indemnité compensatrice de préavis à la somme de 7 749,54 euros bruts outre 774,95 euros bruts au titre des congés payés afférents si la requalification est prononcée à temps partiel et à la somme de 9 527,76 euros bruts outre 952,77 euros bruts au titre des congés payés afférents si la requalification est prononcée à temps plein ;

– limiter le montant de l’indemnité de licenciement à la somme de 7 749,54 euros si la requalification est prononcée à temps partiel et à la somme de 9 527,76 euros si la requalification est prononcée à temps plein, et celui de l’indemnité allouée sur le fondement de l’article L.1235-3 du Code du travail à six mois de salaire.

Dans ses dernières conclusions transmises par RPVA le 18 avril 2022, Mme [M] et le syndicat natioanl des journalistes CGT SNJCGT concluent à la confirmation du jugement en ce qu’il a fixé le salaire mensuel de référence (accessoires de salaire inclus) à 4 616 euros et alloué à la salariée les sommes suivantes : 5 000 euros au titre de l’article L.1245-2 du Code du travail, 72 706 au titre du rappel de salaire du 1er novembre 2014 au 23 avril 2017 outre celle de 7 271 au titre des congés payés sur le rappel de salaire, 2 500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, et ce qu’il a prononcé la nullité du licenciement, sa réintégration à temps plein et ce qu’il lui a alloué les sommes suivantes : 96 592 euros à titre du rappel de salaire pour la période du 24 avril 2017 au 31 janvier 2019, provisoirement arrêtée à cette dernière date, outre les congés payés afférents, et en ce qu’il a ordonné la remise des bulletins de paie mois par mois depuis le 24 avril 2017 jusqu’à la réintégration effective.

Elle demande à la cour, y ajoutant, de condamner la Société France Télévisions à lui payer la somme de 17 878 euros au titre des rappels de salaire du 1er février 2019 au 27 juin 2019 et celle de 1787 euros au titre des congés payés sur rappels de salaire du 1er février 2019 au 27 juin 2019, subsidiairement de juger que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, et de condamner la société France télévisions au paiement des sommes suivantes :

– 13 848 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 1 385 euros au titre des congés payés afférents ;

– 13 848 euros à titre d’indemnité conventionnelle ;

– 120 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Elle sollicite en tout état de cause une somme de 7 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

 Pour un exposé des moyens des parties, la cour se réfère aux conclusions des parties conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 20 avril 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

La société France télévisions n’a pas formé appel du jugement en ce qu’il a ordonné la requalification de la relation contractuelle en contrat à durée indéterminée.

Sur le montant de l’indemnité de requalification

La société France télévisions conclut à la limitation de la somme devant être allouée à ce titre à Mme [M] à un mois de salaire, soit 2 583,18 euros alors que le conseil de prud’hommes l’a fixée à 1,9 mois de salaire, ce dernier s’élevant alors à 2 583,18 euros, dans la mesure où l’intimée n’apporte aucun élément permettant de justifier d’une somme supérieure au minimum légal en l’absence de recherche d’emploi pouvant laisser supposer l’état de précarité invoqué.

Mme [M] fait valoir que l’instabilité professionnelle a affecté sa vie privée au motif qu’elle devait se rendre disponible en permanence, qu’elle avait constamment peur de perdre son emploi et de ne plus percevoir de revenus réguliers ainsi qu’en attestent plusieurs personnes. Elle invoque à son profit l’étude diligentée par le CHSCT sur les conditions de travail des chefs opérateurs du son placés, soutenant avoir été dans une situation similaire à la leur.

L’indemnité mise à la charge de l’employeur lorsqu’il est fait droit à la demande de requalification des contrats de travail à durée déterminée en un contrat de travail à durée indéterminée ne peut être inférieure à un mois de salaire en application de l’article L. 1245-2 du code du travail.

Le préjudice subi par Mme [M] en lien avec la précarité résultant de la conclusion de multiples contrats de quelques jours et parfois même d’une seule journée durant plusieurs années a été justement évalué à la somme de 5 000 euros en première instance. La décision de première instance est donc confirmée.

Sur la requalification à temps de plein de la relation de travail

Comme cela a été précisé ci-dessus, la société France télévisions n’a pas formé appel du jugement quant à la requalification de la relation contractuelle en contrat à durée indéterminée.

Sur ce point, Mme [M] fait valoir qu’elle a travaillé à temps plein jusqu’à la requalification judiciaire de la relation contractuelle au motif qu’elle démontre s’être tenue à disposition de son employeur, les tableaux de service prévisionnels étant très fréquemment modifiés et ayant travaillé au-delà de la durée légale du temps de travail mensuel.

Il est constant que la requalification d’un contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée ne porte que sur le terme du contrat et laisse inchangées les stipulations contractuelles relatives à la durée du travail.

En l’espèce, l’article 6 des contrats de travail à durée déterminée stipulait que Mme [M] était engagée à temps plein de sorte qu’il n’y a pas lieu de procéder à la requalification de la relation contractuelle, les parties ayant déjà convenu de son exécution à temps plein.

Sur le rappel de salaire au titre des périodes interstitielles pour la période du 1er novembre 2014 au 23 avril 2017

Au titre de ce rappel de salaire, Mme [M], qui sollicite toujours la requalification de la relation de travail à temps plein, invoque le dépassement de la durée légale du travail, sa grande disponibilité, étant souvent prévenue à la dernière minute les week-end et durant les permanences, y compris le soir, le nombre important de jours annuellement travaillés, soit 192 en 2016 alors que le nombre de jours de travail d’un journaliste travaillant à temps plein s’élève à 197 jours de travail par an, travaillant parfois sept jours d’affilée comme en décembre 2016. Elle en déduit rapporter la preuve qu’elle s’est tenue à la disposition permanente de la société France télévisions, ajoutant qu’elle n’a jamais refusé d’exécuter un contrat de travail à durée déterminée.

La société France télévisions précise que Mme [M] a travaillé 31 jours en 2017, 190 jours en 2016, 138 jours en 2015, soit en moyenne 11,5 jours par mois, et 24 jours en 2014, soit environ 8 jours par mois, ce qui contredit sa thèse au sujet de sa disponibilité permanente, et elle fait valoir que les moyens invoqués par l’intimée sont sans incidence sur le rappel de salaire au titre de la période interstitielle et qu’en tout état de cause, elle ne justifie pas de sa disponibilité permanente. Elle se fonde sur des courriels de Mme [M] indiquant son indisponibilité pour la période du 25 février au 6 mars 2016, du 24 décembre 2015 au 4 janvier 2016, du 22 au 24 novembre puis du 29 novembre au 1er décembre 2016 alors qu’il ne s’agissait pas uniquement de s’octroyer des congés pendant les vacances scolaires.

Enfin, elle soutient qu’elle lui transmettait une à deux semaines à l’avance les propositions et modifications de collaboration ainsi qu’en attestent les pièces communiquées par la salariée elle-même.

En cas de requalification de contrats de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, le salarié a droit à un rappel de salaire pendant les périodes interstitielles s’il prouve qu’il a dû se tenir à la disposition de l’employeur et qu’il s’est effectivement tenu à sa disposition.

Le dépassement de la durée légale du travail invoqué par Mme [M] n’est pas de nature à démontrer qu’elle s’est tenue à la disposition permanente de son employeur.

Mme [M], qui soutient s’être tenue à la disposition de la société France télévisions d’octobre 2014 à avril 2017, se réfère essentiellement à ses bulletins de paie mentionnant le nombre de jours travaillés par mois et produit les pièces suivantes:

– une attestation de M. [R], journaliste employé par la société intimée, précisant qu’il lui est arrivé pour des raisons administratives internes de demander à Mme [M] de lui écrire un courriel certifiant son indisponibilité présumée. Il évoque la disponibilité de l’intimée, ajoutant qu’elle était très importante pour le service.

– une attestation de Mme [J], journaliste employée par la société intimée, précisant qu’elle travaille depuis 2014 avec Mme [M] dont les jours de travail n’étaient connus qu’à la dernière minute, celle-ci devant se rendre disponible à n’importe quel moment, week-end et permanences, soirs compris.

– un échange de courriels du 16 avril 2015 entre M. [R] et l’intimée, celui-ci la sollicitant pour les 20 et 21 avril suivant, et la réponse positive de cette dernière, un texto daté du 20 janvier (sans mention de l’année) échangé avec M. [R] au sujet d’une prestation pour le week-end des 25 et 26 février, un courriel du 21 septembre 2015 de Mme [Z] adressé à d’autres salariés que l’intimée, plusieurs courriels adressés le 26 novembre 2015 pour communication du planning du 30 novembre au 6 décembre suivant, le 26 janvier 2016 pour la semaine du 1er au 7 février suivant, le 4 février 2016 pour la semaine du 8 au 14 février suivant, le 19 mai 2016 pour la semaine du 23 au 29 mai suivant, le 27 mai 2016 pour la semaine du 30 mai au 5 juin, le 4 octobre 2016 pour la semaine du 10 au 16 octobre, le 6 octobre 2016 pour la mise à jour du précédent planning sans modification pour l’intimée, le 12 mai 2015 pour la semaine du 11 au 17 mai, le 16 septembre 2015 pour la semaine du 21 au 27 septembre, le 8 juin 2016 pour la semaine du 13 au 19 juin, le 21 mars 2017 pour la semaine du 27 mars au 2 avril, le 23 mars 2017 pour la même périod et sans modification pour l’intimée, le 7 décembre 2016 pour la semaine du 12 au 18 décembre, le 27 octobre 2016 pour la semaine du 31 octobre au 6 novembre 2016, le 11 janvier 2017 pour la semaine du 16 au 22 janvier, le 19 janvier 2017 pour la semaine du 23 au 29 janvier 2017, le 4 novembre 2016 pour la semaine du 7 au 13 novembre et le 21 octobre 2016 pour la période du 24 au 30 octobre ;

– des échanges de courriels du 3 juin 2016 pour une modification le jour-même, au sujet de remerciement le 3 novembre 2016 pour avoir accepté une modification, d’annulation le 3 septembre 2015 au profit du 17 septembre suivant, du 5 août 2016 pour une demande concernant les soirs des 5, 6, 9, 10 et 11 septembre si possible, d’une proposition le 15 février 2017 concernant le remplacement d’un salarié pour la semaine du 22 au 28 février, le 1er mars 2016 pour le 16 mars suivant si possible, le 28 octobre 2015 pour des modifications à compter du 4 novembre jusqu’au 23 décembre, l’intimée précisant qu’elle sera absente du 24 décembre au 4 janvier, le 28 octobre 2015 pour des modifications à compter du 23 novembre jusqu’en janvier 2016 ;

– plusieurs courriels de 2015, 2017 et 2016 pour des modifications de plannings ou des notification de plannings pour la semaine suivante.

L’attestation de M. [R] n’est pas précise quant à la période concernant les faits relatés. L’absence de caractère circonstancié ne permet pas de retenir cette pièce.

En revanche, les autres pièces confortent une notification tardive des plannings, de nombreux ajustements ayant donné lieu à de nouvelles transmissions de plannings parfois même en cours d’exécution des contrats de travail à durée déterminée. Au regard notamment de la notification tardive des plannings, de la durée parfois très brève des contrats de travail à durée déterminée, soit une à deux journées, parfois 7 jours, de leur succession quasi ininterrompue en 2016, la salariée ayant travaillé 192 jours, l’employeur indiquant pour sa part 190 jours, Mme [M] démontre qu’à de très rares exceptions, elle s’est tenue à la disposition permanente de la société France télévisions, répondant toujours de manière positive aux sollicitations de la société pour remplacer un salarié absent ou ayant modifié son planning, ce qui l’a placée dans l’impossibilité de s’organiser dans sa vie personnelle, ainsi que l’a précisé son époux, et de prévoir son rythme de travail. Elle peut donc prétendre au paiement du salaire pendant les périodes interstitielles non travaillées entre novembre 2014 et avril 2017.

Au regard du montant du salaire mensuel de Mme [M] et du nombre de jours travaillés devant être déduits sur la période de rappel de salaire car déjà rémunérés, soit 24 en 2014, 138 en 2015, 192 en 2016 et 31 en 2017, il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu’il a alloué à Mme [M] les sommes de 72 706 euros à titre de rappel de salaire du 1er novembre 2014 au 23 avril 2017 et de 7271 euros au titre des congés payés afférents.

Sur la nullité de la rupture et le rappel de salaire pour la période du 24 avril 2017 au 27 juin 2019

Mme [M] soutient que la rupture de la relation contractuelle intervenue le 23 avril 2017 constitue une mesure de rétorsion en réponse à l’action judiciaire introduite le 29 mars 2017 et relève donc une atteinte à l’article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales au regard de la proximité de ces deux dates. Elle précise que postérieurement au 23 avril 2017, elle a manifesté sa volonté de travailler mais n’a plus été sollicitée alors que la société France télévisions a continué de recourir à des journalistes employés en contrat de travail à durée déterminée au sein du service des échanges internationaux, leurs noms étant expressément cités.

La société France télévisions conteste la nullité du licenciement et fait valoir que Mme [M], ayant postulé en mars 2019 pour un poste de journaliste coordinateur aux échanges internationaux en contrat à durée indéterminée, alors même qu’elle avait sollicité la requalification de la relation contractuelle, a été engagée en juin 2019.

De manière générale, la liberté fondamentale est celle dont la violation, si elle n’est pas justifiée conformément aux principes de l’article L.1121-1 du code du travail, est sanctionnée par la nullité de la mesure prise, cette liberté tirant sa légitimé de la Constitution ou de son préambule.

Le licenciement est nul en cas de violation d’une liberté fondamentale telle que le droit d’agir en justice.

En l’espèce, il se déduit de la proximité entre la date à laquelle la société France télévisions a cessé de recourir à la conclusion de contrats de travail à durée déterminée avec l’intéressée, ce qui avait été le cas de manière quasi-continue de novembre 2014 jusqu’au 23 avril 2017, et celle de la saisine par Mme [M] de la juridiction prud’homale le 29 mars 2017 aux fins de requalification de la relation contractuelle, que la décision de l’employeur de rompre la relation contractuelle requalifiée en contrat à durée indéterminée est fondée sur l’exercice par la salariée d’une action en justice.

La violation du droit d’ester en justice est confortée par l’attestation de M. [R] qui a indiqué que postérieurement au 23 avril 2017, il n’a pas été autorisé à reprendre Mme [M].

Peu importe en conséquence que la société ait ultérieurement procédé à son recrutement, en l’occurence plus de deux ans après avoir cessé de lui proposer des contrats de travail à durée déterminée, par le biais d’un contrat à durée indéterminée conclu en septembre 2019 avec prise d’effet au 29 juin précédent, soit deux jours après le jugement.

Compte tenu de la violation de la liberté fondamentale d’ester en justice, le licenciement est déclaré nul. Le jugement est confirmé sur ce point.

Sur l’indemnité d’éviction

Mme [M] réclame le paiement d’une somme de 96 592 euros à titre de rappel de salaire sur la base d’un salaire mensuel de 4 573 euros puis de 4 616 euros pour la période du 23 avril 2017 au 31 janvier 2019, date d’arrêt provisoire de sa créance devant le conseil de prud’hommes, et elle sollicite une somme supplémentaire de 17 878 euros outre les congés payés pour la période du 1er février au 27 juin 2019, date à laquelle elle a été réintégrée. Elle indique qu’il n’y a pas lieu de déduire les revenus de remplacement perçus pendant cette période en application de l’article L. 1235-3-1 du code du travail .

La société France télévisions précise que le salaire correspondant à l’emploi de journaliste coordinateur des échanges nationaux et internationaux est de 3 175,92 euros bruts pour 2017, de 3 175,92 euros bruts pour 2018 et de 3 334,72 euros bruts pour 2019 de sorte que Mme [M] peut prétendre à la somme de 66 694,32 euros bruts de laquelle il convient de déduire les revenus de remplacement perçus au titre des années 2018 et 2019.

Le salarié dont le licenciement est annulé pour avoir méconnu une liberté constitutionnellement garantie et qui demande sa réintégration, a droit au paiement d’une indemnité égale au montant de la rémunération qu’il aurait dû percevoir entre son éviction de l’entreprise et sa réintégration, sans déduction des éventuels revenus de remplacement dont il a pu bénéficier pendant cette période.

La société France télévisions a produit la grille en vigueur des salaires au 9 mars 2016 dont il ressort que pour un poste de coordinateur des échanges nationaux et internationaux, le salaire mensuel s’élève à 3 175,92 euros. Cette grille prévoit l’application d’un pourcentage de 5 % pour le salarié présentant une ancienneté de 5 à 9 ans.

Toutefois, la période de rappel de salaire débute fin avril 2017 de sorte que la grille en vigueur en 2016 ne permet pas de déterminer le salaire qui aurait dû être perçu.

Mme [M] produit un extrait de deux pages des NAO 2016 précisant le salaire de référence moyen pour les hommes et les femmes occupant un poste de coordinateur des échanges nationaux et internationaux ayant plus de dix ans d’ancienneté, alors que son ancienneté était moindre, ainsi que plusieurs feuillets libres qu’elle précise être extraits des NAO 2014, 2015, 2017 et 2018 mentionnant le salaire moyen pour un poste de coordinateur résultant de la moyenne de la totalité des anciennetés (moins de 10 ans à 30 ans et plus).

La cour dispose également des contrats de travail à durée déterminée conclus entre les parties en 2017 prévoyant un salaire mensuel minimal de 3 175,92 euros, une prime d’ancienneté de 476,39 euros versée en fonction de l’ancienneté et un 13ème mois, ainsi que du contrat de travail conclu le 10 septembre 2019 à effet du 27 juin 2019 avec la société France télévisions pour un poste de journaliste coordinateur des échanges nationaux et internationaux moyennant un salaire mensuel de base de 3 781,36 euros, une prime d’ancienneté de 476,39 euros versée en fonction de l’ancienneté et un 13ème mois versé en décembre au prorata du temps de présence du salarié.

Au regard de ces éléments, il y a lieu de fixer le salaire de base à 3 916,07 euros, prime d’ancienneté incluse, pour la période du 23 avril 2017 au 31 janvier 2019, outre un 13ème mois et donc d’allouer à la salariée la somme de 92 785,50 euros outre 10 % au titre des congés payés afférents, et d’allouer à la salariée la somme de 17 878 euros outre 10% au titre des congés payés afférents pour la période du 1er février au 27 juin 2019.

Le jugement est donc infirmé en ce qui concerne la somme allouée pour la période du 23 avril 2017 au 31 janvier 2019.

Sur la recevabilité de l’action du syndicat SNJ-CGT et sur le bien-fondé de ses demandes

La société France télévisions soulève l’irrecevabilité de l’action du syndicat au motif que le litige qui l’oppose à l’intimée consiste en une action individuelle en requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée qui ne concerne que le salarié.

Le syndicat précise dénoncer la gestion sociale de la société France télévisions qui recourt massivement à des contrats de travail à durée déterminée pour pourvoir des emplois permanents, ajoutant que Mme [M] a été victime de cette pratique irrégulière.

Selon l’article L. 2132-3 du code du travail, les syndicats professionnels ont le droit d’agir en justice. Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent.

Il est constant que la violation des dispositions légales relatives au contrat à durée déterminée est de nature à porter atteinte à l’intérêt collectif de la profession.

Dès lors, en agissant au soutien de l’action engagée par Mme [M] en vue d’obtenir la requalification de la relation contractuelle à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, l’action du syndicat est recevable. Les sommes allouées en première instance au titre du préjudice subi et des frais irrépétibles sont donc confirmées.

PAR CES MOTIFS         

      

La Cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire et rendu en dernier ressort, mis à disposition au greffe,        

INFIRME le jugement uniquement en ce qu’il a fixé le salaire de base de Mme [M] à 4.616 euros et condamné la société France télévisions à payer à Mme [M] les sommes de 96.592 euros à titre de rappel de salaire pour la période du 24 avril 2017 au 31 janvier 2019 et 9.659 euros au titre des congés payés afférents ;

CONFIRME le jugement pour le surplus ;

Et statuant à nouveau sur le seul chef de jugement infirmé, et y ajoutant,

CONDAMNE la société France télévisions à payer à Mme [M] les sommes suivantes, avec intérêts au taux légal à chaque échéance mensuelle pour les sommes à caractère salarial :

– 92 785,50 euros bruts à titre de rappel de salaire pour la période du 23 avril 2017 au 31 janvier 2019 et 9 278,55 euros bruts au titre des congés payés afférents,

– 17 878 euros bruts à titre de rappel de salaire pour la période du 1er février au 27 juin 2019 et 1 787 euros bruts au titre des congés payés afférents,

– 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;

CONDAMNE la société France télévisions au paiement des dépens d’appel.

           

LA GREFFI’RE LA PR »SIDENTE

 


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