24 novembre 2022
Cour d’appel de Paris
RG n°
19/20441
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 4 – Chambre 10
ARRÊT DU 24 NOVEMBRE 2022
(n° , 12 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/20441 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CA565
Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Septembre 2019 – Tribunal de Grande Instance de PARIS – RG n° 17/12894
APPELANT
Monsieur [G] [N]
né le [Date naissance 1] 1961 à [Localité 10] (Tunisie)
[Adresse 3]
[Localité 7]
Représenté par Me Marie-Catherine VIGNES de la SCP GALLAND VIGNES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010
Assisté par Me Joëlle BENAYOUN ORLIANGE, avocat au barreau de PARIS, toque : A0665, substitué à l’audience par Me Laurence BIACABE, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉ
Monsieur [W] [N]
[Adresse 5]
[Localité 6]
Représenté par Me Olivier GANEM, avocat au barreau de PARIS, toque : D1404
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 04 Octobre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Florence PAPIN, Présidente
Madame Valérie MORLET, Conseillère
Monsieur Laurent NAJEM, Conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Madame Valérie MORLET, Conseillère dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Dorothée RABITA
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Florence PAPIN, Présidente et par Ekaterina RAZMAKHNINA, greffier présent lors de la mise à disposition.
***
FAITS et PROCEDURE
Monsieur [W] [N] et ses fils, Messieurs [Z] et [F] [N], ont le 20 janvier 2015 créé la SAS [N]’S. Monsieur [W] [N] a été désigné en qualité de président de la société, et celle-ci a le même jour conclu avec Monsieur [G] [N], frère de Monsieur [W] [N], un contrat de travail salarié de responsable non-cadre.
La société [N]’S a ensuite le 12 février 2015 signé un contrat de location-gérance avec la société LES GARÇONS BOUCHERS portant sur un fonds de restauration cachère du même nom, situé à [Localité 9], [Adresse 4]. Le contrat était assorti d’une promesse de vente au profit du locataire-gérant, à l’issue de deux années, moyennant une indemnité d’immobilisation de 40.000 euros. Le prix de cession était alors fixé à la somme de 375.000 euros.
Des dissensions sont nées entre les frères, Messieurs [G] et [W] [N], à partir de 2016. L’acquisition du fonds de restauration par les deux frères, un temps envisagée, s’est avérée impossible.
Les consorts [N] ont alors saisi la chambre arbitrale rabbinique à [Localité 8] (Hauts de Seine), qui a le 26 avril 2017 rendu une sentence aux termes de laquelle l’acquisition du fonds de commerce de restauration devait être financée pour moitié (soit environ 150.000 euros) par un prêt garanti par la société gérante du restaurant et pour l’autre moitié à parts égales par chacun des associés (soit environ 75.000 euros à la charge de [W] [N], et la même somme à la charge de [G] [N]).
La sentence arbitrale n’a pas été suivie par les deux frères.
Monsieur [G] [N] a été mis à pied le 30 mai 2017 puis licencié pour faute lourde le 23 juin 2017. Il a par acte du 12 septembre 2017 saisi le conseil de Prud’hommes de Paris.
Entre-temps et après avoir obtenu un accord de financement, la société [N]’S a finalement acquis le fonds LES GARÇONS BOUCHERS par acte du 1er juillet 2017.
Monsieur [G] [N] a, par acte du 13 septembre 2017, assigné Monsieur [W] [N] en indemnisation devant le tribunal de grande instance de Paris, faisant notamment valoir une position d’associé au sein de la société [N]’S, le manque de loyauté de son frère et l’absence de respect par celui-ci de la sentence rabbinique.
*
Le tribunal de grande instance de Paris, par jugement du 26 septembre 2019, a :
– débouté Monsieur [G] [N] de l’ensemble de ses demandes,
– débouté Monsieur [W] [N] de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts,
– déclaré irrecevable la demande en condamnation de Monsieur [G] [N] au paiement d’une amende civile,
– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire,
– condamné Monsieur [G] [N] à payer la somme de 2.500 euros à Monsieur [W] [N] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné Monsieur [G] [N] aux dépens et débouté Monsieur [W] [N] de sa demande relative à l’application de l’article A444-32 du code de commerce,
– rejeté les demandes plus amples ou contraires.
Monsieur [G] [N] a par acte du 5 novembre 2019 interjeté appel, intimant Monsieur [W] [N] devant la Cour.
*
Monsieur [G] [N], dans ses dernières conclusions n°2 signifiées le 30 mars 2022, demande à la Cour de :
– le déclarer recevable et bien fondé en son appel,
Y faisant droit,
– infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et statuant à nouveau,
– condamner Monsieur [W] [N] à lui régler une somme de 280.000 euros à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice moral et financier éprouvé, tiré de son éviction du projet d’entreprise LES GARCONS BOUCHERS et de la société [N]’S,
– subsidiairement, et si la Cour devait considérer l’existence d’une faute extracontractuelle, condamner Monsieur [W] [N], une somme de 280.000 euros à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice moral et financier éprouvé,
– très subsidiairement, dire qu’il a existé à compter du 12 février 2015 entre son frère [W] [N] et lui une société créée de fait,
– en conséquence, constater qu’il a été exclu de sa qualité d’associé de fait par décision de [W] [N] effective à compter du 23 juin 2017,
– condamner Monsieur [W] [N] à lui régler la somme de 280.000 euros au titre du rachat de ses parts sociales détenues au sein de la société créée de fait ayant pour objet l’exploitation du fonds de commerce de restauration sous l’enseigne LES GARCONS BOUCHERS,
– condamner Monsieur [W] [N] à lui régler une somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 code de procédure civile,
– condamner Monsieur [W] [N] aux entiers dépens, avec distraction au profit de Maître Marie-Catherine VIGNES.
Monsieur [W] [N], dans ses dernières conclusions signifiées le 8 avril 2022, demande à la Cour de :
– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Monsieur [G] [N] de l’ensemble de ses demandes,
– infirmer le jugement en ce qu’il l’a débouté de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive,
– condamner en conséquence Monsieur [G] [N] à lui payer la somme de 6.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,
– condamner Monsieur [G] [N] à lui payer la somme de 8.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens, y compris les frais de l’article A444-32 du code de commerce.
*
La clôture de la mise en état du dossier a été ordonnée le 14 septembre 2022, l’affaire plaidée le 4 octobre 2022 et mise en délibéré au 24 novembre 2022.
MOTIFS
Sur les demandes de Monsieur [G] [N]
Les premiers juges ont considéré qu’en l’état des pièces versées aux débats, Monsieur [G] [N] échouait à établir sa qualité d’associé de la société [N]’S. Aussi ont-ils considéré que l’intéressé ne pouvait invoquer la violation par son frère, Monsieur [W] [N], d’un contrat moral dont il ne rapportait pas la preuve de l’existence. Les juges ont ensuite retenu qu’il ne pouvait être reproché à Monsieur [W] [N] d’avoir, en vertu de sa liberté de contracter, renoncé à son projet d’association avec son frère, et que Monsieur [G] [N] ne démontrait pas l’existence d’un préjudice indemnisable imputable à son frère. Monsieur [G] [N] a donc été débouté de l’ensemble de ses demandes indemnitaires.
Monsieur [G] [N] reproche aux premiers juges d’avoir ainsi statué, expliquant sa qualité d’associé de la société [N]’S à 50% par des éléments endogènes, tels la charge du restaurant (apport en industrie) ou un apport de savoir-faire, l’affectio societatis ayant existé entre les deux frères, sa vocation aux résultats (volonté de participer aux bénéfices et pertes). Il fait également valoir des éléments externes justifiant de cette qualité, rappelant la décision de la chambre arbitrale rabbinique, les termes du conseil de son frère lors de la réunion du 30 mai 2017 à l’issue de laquelle il a été mis à pied, la défense articulée par son frère devant le conseil de Prud’hommes, la volonté de son frère de l’indemniser. A titre subsidiaire, il fait valoir la faute extracontractuelle de Monsieur [W] [N] sur le fondement de l’article 1240 du code civil, soutenant l’existence d’un contrat moral. Très subsidiairement, il estime avoir été un associé de fait de la société [N]’S.
Monsieur [W] [N] ne critique pas le jugement, se prévalant de l’absence de qualité d’associé de droit de son frère du fait de l’absence d’apport à la société [N] (en nature ou en numéraire, en industrie), opposant l’affectio fraternitatis à l’affectio societatis, rappelant que son frère ne participait pas aux pertes de la société [N]’S, affirmant le caractère « hérétique » de la sentence rabbinique (laquelle n’a d’ailleurs pas fait l’objet d’une exequatur et est nulle), expliquant que la réunion du 30 mai 2017 est venue enterrer un vague projet mort-né, exposant avoir présenté une défense cohérente devant le conseil des Prud’hommes dont il ne peut être tiré aucune preuve de la qualité d’associé de son frère. Subsidiairement, Monsieur [W] [N] affirme qu’il n’y a pas eu de contrat moral avec son frère, lequel confond accord et projet d’accord, alors que d’un désaccord ne peut naître un accord, rappelant en droit la liberté de ne pas contracter et soutenant en conséquence l’absence de toute faute délictuelle de sa part.
Sur ce,
Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention (article 9 du code de procédure civile).
La société [N]’S a été créée le 20 janvier 2015, le contrat de travail de Monsieur [G] [N] avec celle-ci a été signé le même jour et l’entreprise a conclu un contrat de location-gérance avec la société LES GARÇONS BOUCHERS le 12 février 2015. Aussi les faits seront-ils examinés sur le fondement des dispositions du code civil en sa version antérieure au 1er octobre 2016, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations.
1. sur la qualité d’associé de Monsieur [G] [N]
L’article 1832 du code civil dispose que la société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter. L’article 1835 du même code énonce que les statuts de la société déterminent les apports de chaque associé.
Il ressort ensuite des dispositions de l’article 1843-2 alinéa 2 du code civil que les apports en industrie donnent lieu à l’attribution de parts ouvrant droit au partage des bénéfices et de l’actif net, à charge de contribuer aux pertes, et l’article 1843-3 in fine suivant ajoute que l’associé qui s’est obligé à apporter son industrie à la société lui doit compte de tous les gains qu’il a réalisés par l’activité faisant l’objet de son apport.
Les statuts du 20 janvier 2015 de la société [N]’S, enregistrés au greffe du tribunal de commerce de Paris le 2 mars 2015, laissent apparaître que celle-ci a été constituée par trois associés : Monsieur [W] [N] et ses fils Messieurs [Z] et [F] [N]. Monsieur [W] [N] a ainsi apporté à la société 980 euros et chacun de ses fils a apporté 10 euros. Le capital de la société, de 1.000 euros, est donc constitué de 1.000 actions de un euro chacune.
Ainsi, le contrat ayant présidé à la création de la société [N]’S a été conclu entre Monsieur [W] [N], d’une part, et ses deux fils, Messieurs [Z] et [F] [N], d’autre part. Monsieur [G] [N], son frère, n’est aucunement partie à ce contrat écrit.
Monsieur [G] [N] fait cependant valoir sa qualité d’associé de la société [N]’S, à 50% aux côtés de son frère Monsieur [W] [N], également à 50%, sans jamais évoquer la situation des deux fils de ce derniers, auxquels les statuts du 20 janvier 2015 font état comme étant associés, chacun à hauteur de 10%.
Monsieur [G] [N] ne prouve aucunement cette qualité d’associé de la société [N]’S.
Monsieur [G] [N] ne peut se prévaloir d’aucun apport en nature et aucun apport en industrie n’est non plus prévu par les statuts de la société, qui précisent d’ailleurs en leur article 7 que « lors de la constitution, il n’a été procédé qu’à des apports en numéraires ». Aucun apport en industrie n’a donné lieu à l’attribution de parts sociales à l’intéressé lui ouvrant droit à recevoir une part des bénéfices de l’entreprises et l’obligeant à ses dettes. Un tel apport ne résulte pas non plus des faits. Monsieur [G] [N] prétend en effet avoir été le « seul » (caractères gras et soulignés dans les conclusions) en charge du restaurant, avec son personnel technique, mais cette allégation n’est corroborée par aucun élément tangible de preuve. Il n’établit pas avoir rendu compte à la société [N]’S de son activité et de ses gains à son profit.
Lorsque la société [N]’S a le 12 février 2015 conclu avec la société LES GARÇONS BOUCHERS une convention de location-gérance concernant le restaurant du même nom, Monsieur [W] [N] s’est porté caution solidaire et indivisible à concurrence de 265.200 euros pour l’exécution de ses obligations par la société [N]’S, prenant ainsi un risque au profit de celle-ci et admettant devoir éventuellement participer à ses pertes. Aucun engagement de Monsieur [G] [N] de telle sorte n’est démontré. Celui-ci a certes indiqué, dans un courrier du 15 mai 2017 à destination de son frère Monsieur [W] [N] qu’il était « prêt à mettre en caution le studio [qu’il] possède [Adresse 2] » pour l’achat du quart de la société LES GARÇONS BOUCHERS. Mais l’existence de ce studio et l’engagement définitif de Monsieur [G] [N] ne sont pas démontrés, d’une part, et un tel engagement lui permettait de participer à l’achat du restaurant et non de participer aux bénéfices et pertes de la société [N]’S, d’autre part. Monsieur [G] [N] ne justifie par aucun moyen avoir participé ou souhaité participer aux pertes de la société [N]’S. Sur ce point encore, si Monsieur [G] [N] affirme avoir « pendant des mois, et dès l’ouverture du restaurant » investi « son savoir-faire » et s’être « dédié quotidiennement au développement de l’entreprise en lui consacrant son entier temps et l’ensemble de ses services », la Cour rappelle que Monsieur [G] [N] devait cet investissement personnel au titre du contrat de travail qui lui avait été confié par la société [N]’S.
Messieurs [D] [B], fournisseur du restaurant, atteste le 25 juillet 2017 que « Mr [G] [N], était bien associé de son frère [W] à hauteur de 50/50, et unique responsable du restaurant LES GARCONS BOUCHERS depuis son ouverture », ce qui constitue une affirmation, mais non le témoignage d’un fait qui aurait pu étayer cette allégation. Monsieur [B] ajoute qu’ »en tant que fournisseur et client de ce restaurant, [il a ] toujours eu affaire uniquement à Mr [G] [N] (‘) », mais ceci s’explique non par la qualité d’associé de la société [N]’S de ce dernier et l’affectio societatis dont il se prévaut, mais par le contrat de travail que ladite société a le 20 février 2015 conclu avec Monsieur [G] [N], en qualité de « RESPONSABLE à temps plein » (caractères gras du contrat), moyennant une rémunération brute mensuelle de 1.935,95 euros.
Monsieur [G] et [W] [N] ont présenté leur litige à la chambre arbitrale rabbinique, sous la présidence du Grand Rabbin [R] [A] [X], et se sont présentés devant celle-ci le 26 avril 2017. La « traduction (libre mais contestée d’aucune part) de la sentence originale rédigée en hébreu et signée par les Danayim » (caractères gras et soulignés du document) datée du même jour, mais sans mention de l’identité des « arbitres » ayant rendu la décision, précise que les deux frères « devront mettre en ‘uvre la réalisation du paiement du restaurant auprès de leur vendeur », sans aucunement faire état de leur qualité d’associés au sein de la société [N]’S, laquelle n’est évoquée qu’au titre de la volonté des deux frères de se séparer après l’acquisition dudit restaurant, laissant entendre que cette association, un temps envisagée, concernait l’achat du restaurant LES GARÇONS BOUCHERS, auquel Monsieur [G] [N] n’a finalement pas participé, et non la société [N]’S. Ce point est confirmé par le courriel du 4 mai 2017 par la chambre arbitrale rabbinique et par le courrier du 18 juillet 2017 rédigé par la chambre arbitrale, adressés à l’attention de Monsieur [G] [N], qui rappellent que les deux frères s’étaient présentés devant elle le 16 avril 2017 « à des fins de conciliation (‘) afin de soumettre leur différend à propos de leur association au sein du restaurant les Garçons Bouchers » et non de la société [N]’S (traduction libre et non contestée).
Monsieur [O] [T] indique quant à lui avoir assisté Monsieur [G] [N] « à la négociation de la vente de ses parts dans la Sté [N]’s » (attestation du 1er septembre 2017). Monsieur [T] ne précise pas en quelle qualité il a pu assister Monsieur [N], ni en quelle qualité il apporte son témoignage. Il situe la réunion qui s’est tenue à cette fin le 30 mai 2017 et affirme qu’un accord est intervenu, prévoyant le licenciement amiable de Monsieur [G] [N] ainsi qu’une indemnisation de celui-ci « des 50% des parts de la société [N]’s » (lesquelles ne résultent d’aucun élément du dossier), à hauteur de l’apport initial (lequel n’est pas démontré), des stocks (sans plus de précision), des frais d’avocats pour l’acquisition (concernant sans doute le restaurant, sans qu’aucun frais ne soit établi), du salaire dont il a bénéficié « durant l’année où il n’a pas travaillé », de la quote-part sur les remboursements de la location-gérance (dont il n’est aucunement justifié) et de la plus-value du fonds de commerce (sans plus d’information). Une telle attestation, produite dans l’intérêt de Monsieur [G] [N] que le témoin a assisté en 2017, ne présente pas un caractère objectif et n’est pas documentée pour établir « à suffisance », selon ses propres termes, la réalité de sa qualité d’associé dans la société [N]’S et ne prouve pas l’engagement de Monsieur [W] [N] d’indemniser Monsieur [G] [N] pour son retrait de la société [N]’S.
Monsieur [W] [N], en sa qualité de président gérant de la société [N]’S a par courrier recommandé du 30 mai 2017 notifié à Monsieur [G] [N] sa mise à pied conservatoire. Monsieur [G] [N] aurait par courrier du 13 juin 2017 été invité à un entretien préalable à son licenciement devant se tenir le 19 juin 2017, reporté au 20 juin 2017, auquel il ne se serait pas rendu. Par courrier recommandé du 23 juin 2017 (qui relate la convocation à l’entretien préalable et l’absence de Monsieur [G] [N] à celui-ci), Monsieur [W] [N] a notifié à son frère son licenciement pour faute lourde.
Monsieur [G] [N] a par acte du 12 septembre 2017 saisi le conseil de Prud’hommes de Paris. Il résulte des termes du jugement rendu le 15 avril 2021 que Monsieur [W] [N] concluait, devant le conseil, à l’absence de contrat de travail de Monsieur [G] [N]. S’il n’a pas su démontrer le caractère fictif du contrat signé entre les parties, alors qu’il avait lui-même mis en ‘uvre une procédure de licenciement sur le base de ce contrat, aucun élément de sa défense ne permet de conclure qu’il aurait admis la qualité d’associé de son frère au sein de la société [N]’S.
En l’absence de toute preuve d’un quelconque apport – en numéraires ou industrie – au capital de la société [N]’S, d’une participation aux bénéfices et pertes de ladite société, de comptes rendus adressés à celle-ci concernant les gains réalisés par une activité à son profit et de toute démonstration d’une intention d’association de sa part menée à son terme, Monsieur [G] [N] n’établit aucunement sa qualité d’associé dans ladite entreprise.
Aussi ne peut-il arguer de son éviction de cette qualité qu’il ne démontre pas ni en conséquence prétendre à une indemnité d’éviction.
Il ne saurait enfin être fait droit à la demande de Monsieur [G] [N] de se voir reconnaître le statut d’associé de fait, ce qu’aucun élément du dossier n’établit non plus. Il a pu être constaté qu’il s’était investi dans la société [N]’S en vertu d’un contrat de travail, mais non au-delà. Aucune attestation en ce sens ni la sentence de la chambre arbitrale rabbinique n’attestent de la réalité d’une association de fait au sein de la société [N]’S (alors que seul un achat en commun du restaurant LES GARÇONS BOUCHERS a à un moment été envisagée, mais non menée à son terme).
Les premiers juges ont donc justement constaté que Monsieur [G] [N] échouait, contre des statuts écrits régulièrement déposés et dont le caractère fictif ou erroné n’est pas démontré, à établir sa qualité d’associé – de droit ou de fait – au sein de la société [N]’S et débouté l’intéressé de sa demande d’indemnisation d’une éviction de ladite société.
2. sur la responsabilité contractuelle de Monsieur [W] [N]
L’article 1110 ancien du code civil dispose que le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s’obligent, envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou ne pas faire quelque chose.
Avant d’évoquer un manquement de Monsieur [W] [N] à son devoir de loyauté, dans ce cadre contractuel, Monsieur [G] [N] doit apporter la preuve, sinon d’un contrat d’association écrit (preuve qui n’a pas été rapportée), au moins d’un contrat verbal.
Monsieur [G] [N] a par jugement du tribunal de commerce de Paris du 24 octobre 2012 fait l’objet d’une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale ou toute personne morale pour une durée de 5 ans (le jugement n’est pas communiqué in extenso à la Cour, alors non renseignée sur les motifs de cette interdiction). C’est ainsi qu’il ne pouvait être désigné en qualité de gérant de la société [N]’S créée au mois de janvier 2015. Cette interdiction ne l’empêchait en revanche pas d’être associé dans cette entreprise et aucun élément du dossier ne vient étayer l’affirmation de l’intéressé selon laquelle il ne figurait pas à l’acte constitutif de l’entreprise du fait de cette interdiction de gérer (pour occulter celle-ci vis-à-vis d’éventuels prêteurs).
Monsieur [G] [N] d’ailleurs, reconnaissant l’inexistence d’un acte écrit établissant sa qualité d’associé au sein de la société [N]’S, fait état d’un pacte moral, d’un engagement de son frère vis-à-vis de lui. Aucun engagement de la sorte n’est cependant caractérisé ni a fortiori démontré. Monsieur [G] [N] fait état d’un « accord de volonté » qu’il aurait porté « à bout de bas », mais n’étaye son affirmation par aucun élément autre que ceux que la Cour a déjà examiné plus haut.
Aucun élément n’établit en conséquence qu’un contrat verbal ait été conclu entre les parties. Bien au contraire, les éléments du dossier laissent apparaître la réalité de désaccords entre les frère [N]. Leur mésentente les a empêchés de prévoir l’association de Monsieur [G] [N] dans les statuts de la société [N]’S et les a conduit à saisir plus tard la chambre d’arbitrage rabbinique, a amené Monsieur [W] [N] à licencier son frère pour faute lourde (écarts dans les recettes déclarées et versées en banque) ayant rompu la confiance qu’il pouvait avoir en lui et conduit Monsieur [G] [N] à saisir le conseil de Prud’hommes contre son frère. Aucune rencontre de volonté n’a pu être actée au titre de l’association de Monsieur [G] [N] dans l’entreprise de son frère, celui-ci n’y ayant pas financièrement participé, et son frère ne la lui proposant pas.
C’est ainsi que les premiers juges ont à juste titre retenu que Monsieur [G] [N] ne pouvait invoquer la violation par son frère, Monsieur [W] [N], d’un prétendu contrat moral d’associé dont il ne rapportait pas la preuve, et qu’aucun dommages et intérêts ne pouvait être dû à ce titre.
3. sur la responsabilité extracontractuelle de Monsieur [W] [N]
Monsieur [G] [N] fait état d’un « pacte moral » ou encore d’une « parole donnée » par son frère, d’un engagement de celui-ci qui l’aurait obligé à l’associer dans la société [N]’S ou à le considérer comme associé. Aucune preuve de ce « pacte », de la parole ou de l’engagement de Monsieur [W] [N] à son égard n’est cependant établie. Monsieur [G] [N] ne peut ainsi affirmer que le projet d’association « n’a pas été menée à son terme car [W] [N] a entendu évincer son frère au moment de l’acquisition du fonds de commerce et a tiré argument de son absence faciale des statuts de la société [N]’S pour mener seul l’opération qui avait pourtant été décidée conjointement », allégation qui est corroborée ni par les éléments examinés précédemment pour jauger de la qualité d’associé de l’intéressé, ni par aucun autre élément du dossier.
Le seul fait que les deux frères aient à un moment envisagé de s’associer n’a pas suffi à établir que ce projet ait été mené à terme, étant rappelé le principe fondamental de la liberté de contracter, justement rappelé par les premiers juges. Ce projet ne démontre pas, à lui-seul, que Monsieur [W] [N] ait « déloyalement rompu » l’accord de volontés entre les deux frères, rupture alléguée par Monsieur [G] [N] mais non corroborée par les éléments du dossier.
Si une association a pu être envisagée, Monsieur [G] [N] ne justifie pas de l’état d’avancement des pourparlers et il n’est pas même établi que Monsieur [W] [N] ait pris un engagement ferme en ce sens. Ni l’attestation de Monsieur [T] du 1er septembre 2017, ni la « sentence » de la chambre arbitrale rabbinique déjà évoquées n’établissent la réalité d’une promesse de Monsieur [W] [N] d’associer son frère au sein de la société [N]’S et Monsieur [G] [N] ne peut tenir pour acquis l’existence d’un accord de volonté de ce chef. Il n’est aucunement démontré que Monsieur [W] [N] ait à un moment même pu considérer que son frère détenait 50% de la société [N]’S.
En l’absence d’une telle promesse ou d’un engagement en ce sens, Monsieur [G] [N] ne prouve pas la réalité d’une rupture abusive – déloyale – de pourparlers par Monsieur [W] [N], ni de sa mauvaise foi ou encore de son incohérence et ses contradictions, sauf à voir soulever les propres incohérences et contradictions de Monsieur [G] [N].
Affirmer n’est pas prouver.
Les premiers juges ont en conséquence à bon droit écarté toute faute de Monsieur [W] [N] qui n’a associé son frère Monsieur [G] [N] au titre ni de la société [N]’S ni de l’acquisition du restaurant LES GARÇONS BOUCHERS. En l’absence de faute de Monsieur [W] [N], il n’y a donc pas lieu d’examiner le préjudice allégué par Monsieur [G] [N].
***
Le jugement sera en conséquence de ces développements confirmé en ce qu’il a débouté Monsieur [G] [N] de l’ensemble de ses demandes indemnitaires.
Sur la demande reconventionnelle de Monsieur [W] [N]
Les premiers juges ont estimé que l’appréciation inexacte de Monsieur [G] [N] avait fait de ses droits ne constituait pas une faute, que Monsieur [W] [N] n’établissait pas la mauvaise foi de son frère, et ont rejeté la demande indemnitaire de celui-ci sur le fondement d’un abus de droit. Ils ont ensuite considéré que l’amende civile de l’article 32-1 du code de procédure civile ne pouvait être demandée par les parties.
Monsieur [W] [N] reproche aux premiers juges d’avoir ainsi statué, soutenant que son frère avait engagé la présente procédure dans l’intention de lui nuire et que son erreur sur ses droits était équipollente à un dol. Il fait état d’un préjudice moral et d’une atteinte à son image, qu’il évalué à hauteur de 6.000 euros.
Monsieur [G] [N] ne conclut pas sur ce point.
Sur ce,
L’article 32-1 du code de procédure civile énonce que celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile sans préjudice des dommages et intérêts qui seraient réclamés.
Ces dispositions ne sauraient être mises en ‘uvre que de la propre initiative du tribunal saisi, les parties ne pouvant avoir aucun intérêt moral au prononcé d’une amende civile à l’encontre de l’adversaire. Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a ainsi statué.
La demande de dommages et intérêts de Monsieur [W] [N] doit quant à elle être analysée sur le fondement de la responsabilité délictuelle de Monsieur [G] [N], posée par l’article 1240 nouveau du code civil (qui a repris les termes de l’article 1382 ancien du code civil), selon lequel tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Or s’il a pu être constaté que la demande indemnitaire de Monsieur [G] [N] reposait sur une perception erronée qu’il se faisait de ses droits, il n’est pas démontré que cette erreur caractérise une man’uvre ni même un mensonge, ni que l’intéressé ait agi dans l’intention délibérée de nuire à son frère, étant rappelé que ceux-ci sont engagés dans un conflit de longue date.
Monsieur [W] [N], en outre, fait état d’un préjudice moral ou d’une atteinte à son image dont il ne rapporte aucune preuve, alors même que les dommages et intérêts ont un caractère purement indemnitaire et nullement punitif.
Ainsi, au vu de ces éléments, les premiers juges ont justement rejeté la demande indemnitaire reconventionnelle de Monsieur [W] [N] contre son frère.
Le jugement sera également confirmé sur ce point.
Sur les dépens et frais irrépétibles
Le sens de l’arrêt conduit à la confirmation du jugement en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles de première instance mis à la charge de Monsieur [G] [N].
Ajoutant au jugement, la Cour condamnera Monsieur [G] [N] qui succombe en son recours aux dépens d’appel, conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile. Les dépens incluront les frais de recouvrement (prestation de recouvrement de l’article A444-32 du code de commerce) dont Monsieur [W] [N] saura justifier.
Tenu aux dépens, Monsieur [G] [N] sera condamné à payer la somme équitable de 2.000 euros en indemnisation des frais exposés en cause d’appel et non compris dans les dépens, en application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La Cour,
Vu le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 26 septembre 2019 (RG n°17/12894),
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
CONDAMNE Monsieur [G] [N] aux dépens d’appel,
CONDAMNE Monsieur [G] [N] à payer la somme de 2 000 euros à Monsieur [W] [N] en indemnisation de ses frais irrépétibles d’appel.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE