Indemnité d’éviction : 24 novembre 2022 Cour d’appel de Lyon RG n° 22/02558

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Indemnité d’éviction : 24 novembre 2022 Cour d’appel de Lyon RG n° 22/02558

24 novembre 2022
Cour d’appel de Lyon
RG
22/02558

N° RG 22/02558 – N° Portalis DBVX-V-B7G-OHE5

Décision du Juge de la mise en état du Tribunal Judiciaire de VILLEFRANCHE SUR SAONE

du 24 mars 2022

RG : 20/00854

S.C.I. C2MS

C/

[Y]

S.A.R.L. [Y]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE LYON

6ème Chambre

ARRET DU 24 Novembre 2022

APPELANTE :

LA S.C.I. C2MS

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Romain LAFFLY de la SELARL LAFFLY & ASSOCIES – LEXAVOUE LYON, avocat au barreau de LYON, toque : 938

assisté de la SCP DESILETS ROBBE ROQUEL, avocat au barreau de VILLEFRANCHE SUR SAONE

INTIMES :

M. [U] [Y]

né le 3 Juin 1971 à [Localité 5]

[Adresse 1]

[Localité 2]

LA S.A.R.L [Y]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentés par Me Tristan HUBERT de la SARL EVERGREEN LAWYER LYON, avocat au barreau de LYON, toque : 1178

* * * * * *

Date de clôture de l’instruction : 11 Octobre 2022

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 18 Octobre 2022

Date de mise à disposition : 24 Novembre 2022

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

– Dominique BOISSELET, président

– Evelyne ALLAIS, conseiller

– Stéphanie ROBIN, conseiller

assistés pendant les débats de Sylvie GIREL, greffier

A l’audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l’article 804 du code de procédure civile.

Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Dominique BOISSELET, président, et par Tiffany JOUBARD, Directrice des services de greffe judiciaires, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

FAITS, PROCÉDURE ET DEMANDES DES PARTIES

Suivant promesse en date du 21 septembre 2017, la SCI C2MS s’est engagée à vendre à [U] [Y] deux parcelles de terrain situées [Adresse 6] (69), moyennant le prix de vente de 60.000 euros. La cession devait intervenir au plus tard le 13 juillet 2018.

Par ailleurs, la SCI C2MS a conclu un bail commercial de courte durée sur les parcelles visées dans la promesse de vente avec la société Hyleores, spécialisée dans la vente en gros de matériels de jadinage et d’extérieur et dirigée par M. [Y]. Cette entreprise était à la recherche d’un nouvel emplacement pour exercer son activité, après l’incendie de ses locaux d’exploitation.

Il était ainsi prévu que M. [Y], acquérant les parcelles, pourrait les donner ensuite à bail commercial à sa société.

La promesse de vente prévoyait des conditions suspensives aux articles 6.1 et suivants, parmi lesquelles l’obtention d’un permis de construire pour son bénéficiaire.

La SCI C2MS s’est engagée à déposer le dossier complet de demande de déclaration préalable à la division le 6 octobre 2017, l’autorisation devant intervenir avant le 7 novembre 2017.

La SCI C2MS a remis à [U] [Y] les documents de division le 11 avril 2018, le contraignant à déposer son permis de construire le 19 avril 2018, alors que la demande de déclaration préalable à la division n’avait été déposée que le 13 janvier 2018, soit au-delà de la date prévue par la promesse.

En septembre 2018, alors que la société Hyleores poursuivait son activité sur le fonds de la SCI C2MS en dépit de l’expiration du bail au 13 juillet 2018, M. [Y] a été informé du désengagement de la SCI C2MS qui avait décidé de vendre le terrain à un promoteur.

M. [Y] a alors, par acte en date du 22 novembre 2018, fait sommation à la SCI C2MS de régulariser l’acte authentique de vente, ce que la SCI C2MS a refusé.

Lors d’une réunion en date du 4 décembre 2018, le Notaire a constaté le désaccord des parties.

La Sarl Hyleores a été expulsée des terrains et placée en liquidation judiciaire, clôturée ultérieurement pour insuffisance d’actif.

Par l’intermédiaire de leur conseil et par courrier en date du 27 novembre 2019, M. [Y] et la Sarl [Y], en sa qualité de holding de la société Hyleores, ont fait savoir à la SCI C2MS que le non-respect de ses engagements leur avait causé un grave préjudice et qu’à défaut d’issue amiable, ils entendaient intenter une action judiciaire.

La SCI C2MS a réitéré son refus de régulariser la promesse de vente en se prévalant de sa caducité.

Par acte d’huissier de justice en date du 15 septembre 2020, M. [Y] et la Sarl [Y] ont fait assigner la SCI C2MS à comparaître devant le tribunal judiciaire de Villefranche sur Saône pour :

S’agissant de M. [Y] :

– constater que la SCI C2MS n’a pas respecté les engagements pris au titre de la promesse synallagmatique de vente,

– constater que la SCI C2MS a refusé de manière injustifiée de vendre les parcelles promises à M. [Y],

– condamner la SCI C2MS à lui verser la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts,

– condamner la SCI C2MS à lui verser la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens ;

S’agissant de la Sarl [Y] :

– dire recevable l’action de la Sarl [Y],

– constater que la SCI C2MS a évincé la société Hyleores sans délai et sans indemnité, entraînant sa liquidation quasi-immédiate,

– constater que les manquements de la SCI C2MS au bail commercial conclu avec la société Hyleores ont causé un préjudice à la Sarl [Y],

– condamner la SCI C2MS à verser à la Sarl [Y] la somme de 200.000 euros à titre de dommages et intérêts,

– condamner la SCI C2MS à verser à la Sarl [Y] la somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la SCI C2MS aux entiers dépens.

La SCI C2MS a soulevé l’irrecevabilité des demandes de la Sarl [Y] à son encontre, pour défaut de droit d’agir, défaut de qualité à agir et défaut d’intérêt.

Elle a sollicité la condamnation des demandeurs à lui payer la somme de 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Par ordonnance en date du 24 mars 2022, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Villefranche sur Saône a :

– déclaré recevable l’action de la Sarl [Y],

– débouté la SCI C2MS de l’intégralité de ses fins et moyens,

– débouté la SCI C2MS de sa demande d’indemnisation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté la Sarl [Y] de sa demande d’indemnisation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– dit que les dépens suivront le sort des dépens de l’instance au fond.

La SCI C2MS a relevé appel de cette décision par déclaration reçue au greffe de la Cour le 6 avril 2022.

En ses dernières conclusions du 14 septembre 2022, la SCI C2MS demande à la Cour ce qui suit, au visa des articles 122 et ensemble 771 ancien et 789 du code de procédure civile :

déboutant de toutes conclusions contraires,

réformer intégralement l’ordonnance de mise en état sur incident du 24 mars 2022.

statuant à nouveau,

– juger irrecevables les demande de la Sarl [Y] à l’encontre de la SCI C2MS pour défaut de droit d’agir, défaut de qualité à agir et défaut d’intérêt à agir ;

– condamner M. [Y] et la Sarl [Y] solidairement à régler à la SCI C2MS une somme de 4.000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner M. [Y] et la Sarl [Y] aux entiers dépens, distraits au profit de Me Lafly, Lexavoué Lyon, sur son affirmation de droit.

Par conclusions du 31 mai 2022, [U] [Y] et la Sarl [Y] demandent à la Cour de confirmer l’ordonnance de mise en état rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Villefranche sur Saône en date du 24 mars 2022 ;

en conséquence,

– débouter la société C2MS de l’ensemble de ses demandes ;

– juger recevable l’action de la Sarl [Y] ;

– condamner la société C2MS à verser à la Sarl [Y] la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société C2MS aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 11 octobre 2022.

Il est expressément renvoyé aux dernières conclusions des parties pour l’exposé exhaustif de leurs moyens et prétentions.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La SCI C2MS prétend que la Sarl [Y] n’a pas qualité pour agir, soutenant que

seule la société Hyleores pourrait présenter une telle demande. Cette société a fait l’objet d’une procédure collective et a ainsi disparu. Cette disparition ne peut pas être compensée par l’intervention d’une société tierce, même si celle-ci est la société mère ou holding. Le mandataire judiciaire n’a pas intenté d’action, estimant qu’il n’y avait pas lieu de le faire.

Par ailleurs, la SCI C2MS fait valoir que cette demande constitue une fin de non-recevoir en vertu de l’article 122 du code de procédure civile qui doit être invoquée avant toute défense au fond, en application de l’article 789 dudit code.

La Sarl [Y] répond que l’indemnisation sollicitée à son profit correspond à son préjudice personnel puisqu’il s’agit de la perte de valeur de la filiale dans laquelle elle avait largement investi, et non de la réparation d’un manquement contractuel comme l’indique la partie adverse.

Le juge de la mise en état a dit qu’il ressort des éléments versés au débat que la Sarl [Y], qui était actionnaire de la société Hyleores, aujourd’hui liquidée, indique au fondement de son action vouloir solliciter l’indemnisation du préjudice créé par la dépréciation de ses parts et la perte de son investissement au titre de son rôle de société Holding. Elle soutient qu’à son sens, la liquidation judiciaire de la société Hyleores a été causée entre autres par l’action de la SCI C2MS.

Au regard de ces éléments, le juge a considéré que la Sarl [Y] dispose d’un intérêt et d’une qualité à agir dans le cadre de l’instance engagée devant sa juridiction.

En appel, la SCI C2MS expose les moyens suivants :

– La Sarl [Y] n’a pas qualité pour agir aux lieu et place de la société Hyleores. Toutefois, la Sarl [Y] prétend obtenir l’indemnisation d’un préjudice personnel, constitué par la perte totale de la valeur des actions de la société Hyleores dont elle était propriétaire. Contrairement à ce que soutient l’appelante, la Sarl [Y] ne prétend pas représenter la société Hyleores ou se substituer à l’inertie du liquidateur judiciaire pour obtenir réparation d’un préjudice subi par sa filiale.

– La dépréciation des parts et la perte de l’investissement, qui ne sont d’ailleurs pas prouvées ni imputables à la SCI C2MS, sont liées aux mauvaises affaires de la société Hyléores et non à l’absence de réitération de la vente projetée que la société Hyléores n’a d’ailleurs pas été capable de financer. Il s’agit d’un moyen de fond sans portée sur la recevabilité de l’action.

– La Sarl [Y] n’a jamais été en relation contractuelle avec la SCI C2MS.

– La Cour de Cassation ne reconnaît la possibilité pour une société tierce à un contrat d’agir en responsabilité délictuelle uniquement dans la mesure où le manquement contractuel a causé un dommage à ce tiers (Cour de Cassation, Chambre Plénière, 13 janvier 2020, n°17-19.963).

En l’espèce une telle démonstration n’est pas faite. De surcroît, pour que le tiers puisse invoquer la responsabilité délictuelle d’un contractant, il est nécessaire de démontrer que ce contractant a été condamné sur un manquement contractuel au bénéfice de la structure liée contractuellement. A défaut de condamnation première, consacrant cette responsabilité, il est impossible de rechercher la responsabilité seconde.

En d’autres termes, il faudrait, dans l’hypothèse soumise à la Cour, que la Sarl Hyleores ait agi avec succès à l’encontre de la SCI C2MS au titre du manquement prétendu pour permettre à la Sarl [Y] de solliciter à son tour réparation du préjudice qu’elle estime avoir subi.

– La demande est encore irrecevable dès lors que la société [Y] ne peut exercer, comme elle le soutient, une action ut singuli pour les raisons tirées de l’article L.225-252 du code de commerce.

– La Sarl [Y] ne peut se prévaloir de sa propre turpitude. Elle disposait, en tant qu’actionnaire majoritaire, de la possibilité de solliciter de sa filiale qu’elle agisse contre la SCI C2MS si une faute pouvait être reprochée à cette dernière dans leur rapport contractuel. Ne l’ayant pas fait, elle n’a plus aujourd’hui aucun recours direct ou indirect.

Ainsi s’étant abstenue d’agir et ayant laissé la procédure collective contre sa filiale se clôturer pour insuffisance d’actif, la Sarl [Y] ne peut aujourd’hui venir réclamer un préjudice considéré comme inexistant par sa propre filiale. Elle tente ici de plaider par procureur.

La Sarl [Y] répond que l’indemnisation sollicitée correspond à son préjudice personnel puisqu’il s’agit de la perte de valeur de la filiale dans laquelle elle avait largement investi.

Contrairement à ce que laisse entendre la société C2MS, elle n’entend pas solliciter la réparation d’un manquement contractuel (en l’occurrence au bail commercial) relatif aux relations entre les sociétés Hyleores et C2MS. Elle n’a ainsi formulé aucune demande au

titre de l’indemnité d’éviction qu’aurait pu effectivement demander sa filiale.

Son action n’est aucunement fondée sur les articles 1240 du code civil et 145-5 du code de commerce, ces articles n’ayant été invoqués que pour justifier de la faute qu’avait commise la société C2MS à l’égard de la société Hyleores au titre du bail commercial ayant lié les parties.

Sur ce, le préjudice subi par la Sarl [Y] ne se distingue pas de celui subi par la société Hyleores, puisque la perte de valeur des actions de la société mère correspond à la perte du patrimoine de la filiale. La société [Y], qui allègue d’une faute commise à l’encontre de la société Hyleores, réclame ainsi l’indemnisation qui aurait éventuellement pu revenir à sa filiale si celle-ci – ou le mandataire à sa liquidation judiciaire – avait recherché la responsabilité de la SCI C2MS pour la même faute.

L’action de la société [Y], qui vise à la réparation d’un préjudice personnel prenant sa source dans le préjudice subi par la seule société Hyleores, est irrecevable, sauf à méconnaître la règle que ‘nul ne plaide par procureur’.

L’ordonnance attaquée est réformée, la Sarl [Y] devant être déclarée irrecevable en son action.

Les dépens de première instance sont réservés et les dépens d’appel sont à la charge de la Sarl [Y]. Il n’y a pas lieu de faire application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Réforme l’ordonnance rendue le 24 mars 2022 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Villefranche sur Saône, en ce qu’elle a déclaré recevable l’action de la Sarl [Y] ;

Statuant à nouveau,

Déclare la Sarl [Y] irrecevable en son action dirigée contre la SCI C2MS ;

Confirme l’ordonnance en ses autres dispositions ;

Condamne la Sarl [Y] aux dépens d’appel ;

Déboute les parties de leurs demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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