Indemnité d’éviction : 24 janvier 2024 Cour d’appel de Versailles RG n° 22/01051

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Indemnité d’éviction : 24 janvier 2024 Cour d’appel de Versailles RG n° 22/01051
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24 janvier 2024
Cour d’appel de Versailles
RG n°
22/01051

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

Chambre sociale 4-4

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 24 JANVIER 2024

N° RG 22/01051

N° Portalis DBV3-V-B7G-VDGA

AFFAIRE :

Société CFP

C/

[W] [O]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 16 mars 2022 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’ARGENTEUIL

Section : I

N° RG : F 21/00151

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Maryline BUHL

Me Sylvie CUBELLS

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT QUATRE JANVIER DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Société CFP

N° SIRET : 306 881 285

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : Me Maryline BUHL de la SELAFA ACD, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS substitué à l’audience par Me Vincent LARRORY, avocat au barreau de PARIS

APPELANTE

****************

Monsieur [W] [O]

né le 9 juillet 1962 à [Localité 7] (91)

de nationalité française

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Sylvie CUBELLS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VAL D’OISE, vestiaire : 188

INTIME

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 24 novembre 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Laurent BABY, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Aurélie PRACHE, Président,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

M. [O] a été engagé en qualité de fraiseur, par contrat d’insertion à durée déterminée du 20 juillet 2011 au 31 janvier 2012, par la société CFP.

Par contrat du 24 juillet 2012 à effet au 1er août 2012, la relation s’est poursuivie pour une durée indéterminée au poste de tourneur/fraiseur.

Cette société, appartenant au groupe AGS, est spécialisée dans la fabrication de pièces métalliques. L’effectif de la société, au jour de la rupture, était de plus de 10 salariés. Elle applique la convention collective régionale des industries métallurgiques, mécaniques et connexes de la région parisienne du 16 juillet 1954.

Par lettre du 29 juin 2020, le salarié a été convoqué à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement, fixé le 8 juillet 2020.

Par lettre du 2 juillet 2020, l’entretien préalable a été reporté au 17 juillet 2020.

Lors de l’entretien préalable du 17 juillet 2020, l’employeur a informé le salarié de ses difficultés économiques justifiant la suppression de son poste et ainsi lui a notifié son licenciement, par lettre remise en main propre contre décharge, dans les termes suivants :

« Vous avez été embauché dans notre Société à compter du 20 juillet 2011 en qualité de Fraiseur puis votre fonction a progressivement évolué depuis plusieurs années jusqu’à occuper encore à ce jour le poste de Tourneur.

Comme vous le savez, notre Société a pour activité principale l’usinage de pièces métalliques. Elle est plus particulièrement spécialisée dans l’usinage à très grande vitesse, l’électroérosion par ‘l et par enfonçage. Notre activité est à 75% dans l’aéronautique.

Notre Société connaît actuellement d’importantes difficultés économiques. Notre chiffre d’affaires a subi une baisse de près de 30% entre 2017 et 2019. Notre résultat est déficitaire depuis 2018 : – 569 909 sur l’exercice 2018 et – 626 929 sur1’exercice 2019.

Cette baisse de notre chiffre d’affaires est liée principalement :

– A l’arrêt de production du 737 MAX de Boeing

– A la réduction du délestage de Safran [Localité 6]

– A la délocalisation de composants de Safran [Localité 6] vers le Maroc

– A l’arrêt des projets de développement de Safran [Localité 5].

La situation s’est dégradée à partir de mai 2019.

Malgré nos efforts, nous n’avons pas été en mesure de redresser la situation :

– Nous avons développé notre part de marché chez les fabricants de satellites : Sodern et Ariane.

– Nous avons développé notre activité militaire avec Thales Communication à [Localité 6].

– Nous avons recruté un commercial supplémentaire au niveau du groupe.

Malheureusement, l’épidémie de Covid et le confinement n’ont fait qu’aggraver notre situation économique.

Nos principaux clients intervenant dans le secteur aéronautique ont été lourdement impactés, leur activité a été quasi à l’arrêt pendant tout le confinement et la reprise est très progressive. Dès lors, les commandes ont cessé brutalement. Notre principal client Safran a annulé la plupart des commandes fermes et prévisionnelles et nous a informé qu’il faudra attendre 2022 pour retrouver le niveau d’activité d’avant crise. Safran réintègre également une partie de l’activité qui nous était sous-traitée.

Notre chiffre d’affaires s’élève à 1 011 Keuros au 30 mai 2020 contre 2 193 Keuros au 30 mai 2019 soit une baisse de 46%.

La situation économique de notre entreprise s’avère particulièrement préoccupante et les perspectives de redressement à court et moyen terme sont quasi-nulles.

En effet, le carnet de commandes n’est actuellement que de 802 Keuros. Nos clients repoussent régulièrement les dates de passage de commandes. La visibilité des prochaines commandes est très faible.

La situation économique du groupe AGS est tout aussi délicate. En effet, le chiffre d’affaires de la Société ATS baissera de 18 M€ en 2019 à 8,5 M€ en 2020. Un plan de réduction du temps de travail et de réduction d’effectif est en cours de réflexion. Ce plan est malheureusement inévitable. La société AGS Fusion est également déficitaire et son transfert d'[Localité 8] à [Localité 9] aura lieu dans les prochains mois pour réduire les coûts.

Dans ce contexte, il nous parait indispensable de prendre des mesures afin d’assurer la pérennité de l’entreprise. Nous avons déjà arrêté certains contrats de maintenance, certains prestataires et reporté les projets d’investissement.

Mais ces mesures restent insuffisantes. Nous nous devons d’adapter notre effectif à la baisse de notre activité. Ne pas prendre une telle décision pourrait remettre en cause à court terme la poursuite de toute notre activité. Nous sommes ainsi contraints de supprimer 6 postes de travail dont un poste de Tourneur.

En effet, notre volume d’activité ne justifie plus l’emp1oi de trois Tourneurs.

En application des critères d’ordre, c’est malheureusement vous qui êtes concerné par cette suppression de poste.

Afin de tenter de préserver votre emploi, nous avons tenté de procéder à votre reclassement au sein de notre entreprise et des autres entreprises du groupe auquel elle appartient. Toutefois compte tenu de la taille de notre entreprise et de sa situation économique dégradée, aucun poste n’est actuellement disponible. Il en est de même pour les autres entreprises du groupe.

Conformément aux dispositions de la convention collective, nous avons saisi la commission territoriale de l’emploi afin de favoriser votre reclassement externe. La commission nous a proposé de diffuser les profils des salariés concernés par ce licenciement économique sur la plateforme de recrutement de la métallurgie, www.lindustrie-recrute.fr. Votre anonymat restera préservé jusqu’à la prise de contact par un recruteur potentiel. Nous ne manquerons pas de revenir vers vous si nous devions être contacté par un recruteur potentiel intéressé par votre profil.

Nous avons également sollicité plusieurs entreprises de la région intervenant dans le même secteur en vue de votre reclassement externe. A ce jour nous n’avons eu aucun retour. Là encore nous ne manquerons pas de vous tenir informé en cas de réponse positive.

C’est dans ce contexte, nous vous avons convoqué à un entretien préalable en vue de votre licenciement pour motif économique (‘) ».

Lors de ce même entretien, l’employeur a remis au salarié les documents relatifs au contrat de sécurisation professionnelle (CSP), auquel il a adhéré, de sorte que son contrat de travail a été rompu le 7 août 2020.

Le 19 mai 2021, M. [O] a saisi le conseil de prud’hommes d’Argenteuil aux fins de solliciter la requalification de son licenciement en licenciement nul, sa réintégration au sein de l’entreprise et le paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.

Par jugement du 16 mars 2022, le conseil de prud’hommes d’Argenteuil (section industrie) a :

– dit que le licenciement de M. [O] [W] intervenu le 28 juillet 2020 est nul,

– condamné la société CFP prise en la personne de son représentant légal à verser à M. [O] les sommes suivantes :

. 50 806,05 euros au titre de l’indemnité pour licenciement nul,

. 1 500 euros au titre de dommages et intérêt pour non-communication au salarié des critères d’ordre des licenciements,

. 1 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– ordonné à la société CFP, en la personne de son représentant légal, de remettre à M. [O] les documents suivants conformes à la présente décision sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par document à compter du quinzième jour suivant la notification de la présente décision :

. l’attestation pôle emploi,

. certificat de travail avec la mention tourneur/fraiseur,

– dit que le bureau de jugement se réservera le droit de liquider l’astreinte s’il y a lieu,

– ordonné l’exécution provisoire pour le tout sauf pour ce qui est de la somme de 1 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté M. [O] pour le surplus des demandes,

– débouté la S.A.S. CFP de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– fixé la moyenne des salaires à 3 387,07 euros bruts,

– fixé les intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil soit à compter du 19 mai 2021,

– mis les dépens à la charge de la société CFP prise la personne de son représentant légal y compris l’intégralité des frais d’exécution par voie d’huissier s’il y a lieu.

Par déclaration adressée au greffe le 30 mars 2022, la société CFP a interjeté appel de ce jugement.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 17 octobre 2023.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 12 octobre 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société CFP demande à la cour de :

– la recevoir en ses conclusions, et y faisant droit :

À titre principal,

– constater que le licenciement de M. [O] était valable et reposait bel et bien sur une cause réelle et sérieuse,

– constater que M. [O] ne rapporte aucunement la preuve que son licenciement serait discriminatoire,

– constater que les demandes de rappel de salaire et d’indemnités de congés payés sont bien prescrites et, en tout état de cause, mal fondées,

En conséquence,

– infirmer le jugement du conseil de prud’hommes d’Argenteuil en ce qu’il l’a condamnée à payer à M. [O] les sommes de :

. 50 806,05 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul,

. 1 500 euros pour non-communication des critères d’ordre des licenciements,

. 1 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [O] du surplus de ses demandes,

À titre subsidiaire,

– dire et juger que M. [O] ne peut prétendre qu’à une indemnité maximale limitée à celle prévue au « barème Macron » et laissée à la libre appréciation de la Cour,

En tout état de cause,

– débouter M. [O] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions contraires aux présentes,

– condamner M. [O] à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 8 août 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [O] demande à la cour de :

Sur l’arriéré de salaire

– réformer le jugement déféré en ce qu’il a rejeté la demande de rappel de salaire,

– dire et juger que la société CFP lui doit les sommes suivantes :

. 4 629,95 euros au titre du rappel de salaire promis jusqu’en 2020 par son employeur,

. 463 euros à titre d’indemnité de congés payés sur rappel de salaire,

Sur le licenciement discriminatoire

– fixer le salaire de référence à 3 387,07 euros,

Au principal, la réintégration et le paiement des salaires depuis le 7 août 2020

– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a estimé le licenciement discriminatoire,

– réformer le jugement déféré en ce qu’il a rejeté sa demande de réintégration,

– condamner la société CFP à le réintégrer sous astreinte de 200 euros par jour de retard et ce sous huit jours du jugement à intervenir,

– dire et juger que l’astreinte sera liquidée par la juridiction de céans,

– la condamner à lui porter et payer une indemnité correspondant au montant de la rémunération qu’il aurait dû percevoir entre son éviction de l’entreprise le 7 août 2020 et sa réintégration,

Subsidiairement, si par extraordinaire, il n’était pas décidé de la réintégration

– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a condamné la société CFP à lui porter et payer les sommes suivantes :

. 50 806,05 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement discriminatoire (15 mois de salaire) sans pouvoir être inférieure à 6 mois de salaire (art. L. 1235-3-1 du code du travail),

. 1 800 euros à titre de dommages et intérêts pour la non-communication de l’ordre des licenciements en dépit de sa demande,

A titre plus que subsidiaire, l’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse

Dans l’hypothèse où la Cour reviendrait sur le caractère discriminatoire du licenciement,

– condamner la société CFP à lui porter et payer les sommes suivantes :

. 30 483,63 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement discriminatoire (9 mois de salaire) sans pouvoir être inférieure à trois mois de salaire (art. L. 1235-3 du code du travail),

. 1 800 euros à titre de dommages et intérêts pour la non-communication de l’ordre des licenciements en dépit de sa demande,

En tout état de cause

– condamner la société CFP à lui porter et payer les sommes suivantes :

. 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

. l’intérêt des sommes susvisées à compter de la saisine du conseil,

. les dépens.

MOTIFS

Sur le rappel de salaire et les congés payés afférents

Le salarié sollicite un rappel de salaire de 4 629,95 euros bruts pour la période de juillet 2012 à avril 2016, arguant d’une augmentation de salaire promise par M. [L], directeur général, lors de son embauche en 2012 et réaffirmée par M. [X], président, en 2019 et 2020.

Il précise que cette augmentation lui a été versée à compter d’avril 2016.

L’employeur soulève la prescription des rappels de salaires sollicités et indique qu’en tout état de cause, la somme demandée n’est pas justifiée.

***

Les actions en paiement ou en répétition des salaires se prescrivent par trois ans par application de l’article L. 3245-1 du code du travail.

Aux termes de ce texte, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, l’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

L’article 21 de la loi susvisée prévoit, en son § V, alinéa 1, que les dispositions du code du travail prévues aux III et IV du présent article (dont l’article L. 3245-1) s’appliquent aux prescriptions en cours à compter de la date de promulgation de la présente loi, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

Il résulte de la combinaison de ces textes qu’à défaut de saisine de la juridiction prud’homale dans les trois années suivant la date du 16 juin 2013, les dispositions transitoires ne sont pas applicables en sorte que l’action en paiement de créances de salaire nées sous l’empire de la loi ancienne se trouve prescrite (cf. Soc., 9 décembre 2020, pourvoi n° 19-12.788, publié).

En outre, il résulte de la combinaison des articles L. 3245-1 et L. 3242-1 du code du travail que le délai de prescription des salaires court à compter de la date à laquelle la créance salariale est devenue exigible. Pour les salariés payés au mois, la date d’exigibilité du salaire correspond à la date habituelle du paiement des salaires en vigueur dans l’entreprise et concerne l’intégralité du salaire afférent au mois considéré (Soc., 9 juin 2022, pourvoi n° 20-16.992).

En l’espèce, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes le 19 mai 2021.

Ayant saisi le conseil de prud’hommes le 19 mai 2021, la demande du salarié est prescrite pour la période antérieure au mois de mai 2018, ou, le contrat de travail du salarié ayant été rompu le 7 août 2020, la demande est prescrite pour la période antérieure au mois d’août 2017.

Par conséquent, la demande de rappel de salaire formée par le salarié pour la période comprise entre juillet 2012 et avril 2016 est prescrite.

Ainsi, le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande du salarié.

Sur le licenciement

Sur la discrimination en raison de l’âge

Le salarié soutient que son licenciement étant injustifié, il a en réalité été licencié en raison de son âge.

Il fait valoir que son licenciement était fondé sur la suppression d’un poste de tourneur alors qu’il occupait un poste de fraiseur qui n’était pas concerné par le plan de licenciement, que la société a cherché à recruter des fraiseurs en parallèle de son licenciement et que l’ordre des licenciements fixé par l’entreprise n’a pas été respecté.

L’employeur réplique que le salarié n’apporte aucun élément laissant supposer l’existence d’une discrimination, qu’en dépit de sa fonction contractuelle de tourneur/fraiseur, sa mission de fraiseur a disparu au profit de celle de tourneur, qu’il n’a pas embauché de tourneur/fraiseur avant le 15 novembre 2021, qu’il a respecté les critères d’ordre et qu’en tout état de cause, le non-respect des critères d’ordre ne suffit pas à caractériser l’existence d’une discrimination.

***

Selon l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses mesures d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations :

– constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, sa religion, ses convictions, son âge, son handicap, son orientation sexuelle ou son sexe, une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne l’aura été dans une situation comparable,

– constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d’entraîner, pour l’un des motifs précités, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d’autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés.

L’article L.1134-1 du code du travail prévoit qu’en cas de litige relatif à l’application de ce texte, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte telle que définie par l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, au vu desquels il incombe à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et que le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

En l’espèce, à titre liminaire, il sera relevé que le salarié avait 58 ans au moment de la notification de son licenciement.

S’agissant de la suppression de poste et de la détermination du poste occupé par le salarié, le compte-rendu de réunion du CSE du 11 juin 2020 (pièce S n°11) établit que l’employeur a décidé de supprimer 6 postes dont un poste de tourneur. Aucun poste de fraiseur n’était supprimé.

Le contrat de travail du 24 juillet 2012 prévoit expressément que le salarié occupe un poste de tourneur/fraiseur.

Si les bulletins de salaire de 2012 à 2020 font état d’un poste de fraiseur, les comptes-rendus d’évaluation annuelle de 2014 à 2016 et les attestations de MM [C], [T] et [R], salariés de l’entreprise, produites par l’employeur font état de son poste de tourneur.

Les fiches suiveuses dont il n’est pas discuté qu’elles font référence au tournage, démontrent que le salarié a travaillé au poste de tourneur en 2019.

MM [F], [J] et [Y], anciens salariés de l’entreprise, dont les témoignages ne sont pas utilement discutés, attestent quant à eux que le salarié était affecté au tour ou à la fraiseuse selon la demande de la direction.

Il ressort de l’ensemble de ces éléments que le salarié occupait le poste de tourneur/fraiseur prévu contractuellement.

Dès lors, son poste était concerné par le licenciement collectif pour motif économique.

S’agissant des offres d’emploi de fraiseurs concomitantes au licenciement, le salarié produit une offre d’emploi de la société CFP concernant un poste de fraiseur programmeur CN situé à [Localité 4], parue sur le site internet « Meteojob », datée du 29 septembre 2020 et faisant apparaître en référence « CFPFPSEPT2020-178540 ».

Cette référence permet d’établir que l’offre a été publiée en septembre 2020 soit moins de deux mois après la rupture du contrat de travail du salarié.

Le fait est établi.

S’agissant du non-respect des critères d’ordre, le point 3 du compte-rendu de la réunion du CSE du 11 juin 2020 fait état des éléments suivants :

« En l’absence de disposition conventionnelle, les critères de choix fixés par l’article L.1233-5 du Code du travail seront pris en compte de la façon suivante :

les charges de famille, et en particulier celles des parents isolés,

l’ancienneté de service dans l’entreprise,

la situation des salariés présentant des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment les personnes handicapées et les salariées âgées,

les qualités professionnelles.

Conformément à la jurisprudence de la Cour de Cassation, l’ordre des licenciements sera appliqué à l’ensemble du personnel de l’entreprise au sein d’une même catégorie professionnelle.

Vous trouverez, ci-après, le tableau permettant d’établir les critères de choix avec les points retenus pour chaque critère.

Les salariés totalisant le moins grand nombre de points seront concernés par la mesure de licenciement envisagée ».

Le tableau produit en annexe est rédigé comme suit :

« Ordre des licenciements

Nom du salarié

Salarié âgé

1

Ancienneté

2

Charges de famille

3

Handicap

4

Situation familiale

5

Qualité prof

6

Total

1 point à partir de 55 ans puis 2 pts supplémentaires par tranche de 5 à partir de 60 ans.

1 point par tranche complète de 5 ans

1 point par enfant à charge

1 point par handicap

1 point pour célibataire avec enfant à charge

1 point supplémentaire par exemple si le salarié a acquis une spécialisation particulière ou possède une langue étrangère utile dans le cadre de ses fonctions…

Les critères de choix doivent être appliqués par catégorie professionnelle. Il ne s’agit pas de la catégorie définie par la convention collective : cadre, employé ouvrier, mais de l’ensemble des salariés qui exercent au sein de l’entreprise des fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune. Les critères s’appliquent pour la totalité des salariés de la même catégorie dans l’ensemble de l’entreprise (et non par établissement, sauf accord d’entreprise) ».

Il n’est pas contesté que le salarié âgé de 58 ans, comptant huit années d’ancienneté et célibataire avec un enfant majeur à charge cumulait a minima quatre points, sans prendre en compte le critère de sa qualité professionnelle.

L’employeur qui indique dans la lettre de licenciement qu’il existait trois postes de tourneur au sein de l’entreprise n’apporte toutefois aucun élément justifiant des points obtenus par les deux autres tourneurs de sorte qu’il ne justifie pas du respect des critères d’ordre susvisés.

Ce fait est établi.

Ainsi, sont démontrés l’âge du salarié lors de son licenciement soit 58 ans, la publication d’une offre d’emploi de fraiseur au sein de l’entreprise le 29 septembre 2020 soit moins de deux mois après la rupture du contrat de travail du salarié tourneur/fraiseur et le non-respect des critères d’ordre de licenciement.

Ces éléments de fait laissent supposer l’existence d’une discrimination en raison de l’âge.

Il incombe dès lors à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Si les registres uniques du personnel, non utilement discutés par le salarié, démontrent l’absence d’embauche de fraiseur en 2020, ils sont insuffisants à contester la volonté de l’employeur de recruter un fraiseur peu de temps après le licenciement du salarié.

Par ailleurs, l’employeur n’apporte aucun élément relatif au respect des critères d’ordre.

Il résulte de ces développements que l’employeur n’établit pas que sa décision de licencier le salarié pour motif économique était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Ainsi, la discrimination en raison de l’âge est établie.

Dès lors, le licenciement intervenu en raison d’une discrimination encourant la nullité, le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur les conséquences du licenciement nul

En premier lieu, lorsque le licenciement est nul, le salarié a droit à être réintégré dans son emploi ou à défaut dans un emploi équivalent sauf si sa réintégration est matériellement impossible.

Seule une impossibilité matérielle avérée permet à l’employeur d’échapper à son obligation de réintégrer le salarié qui en fait la demande.

En l’espèce, le salarié sollicite sa réintégration au sein de l’entreprise, demande qui ne fait l’objet d’aucun développement en réponse dans les écritures de l’employeur.

Il convient donc, sans qu’il soit nécessaire d’assortir cette mesure d’une astreinte, d’ordonner la réintégration du salarié dans l’emploi occupé ou un emploi équivalent, comportant le même niveau de rémunération, la même qualification et les mêmes perspectives d’évolution de carrière, et dans le même secteur géographique que l’emploi initial.

La réintégration du salarié exclut qu’une indemnité pour licenciement nul lui soit versée de telle sorte que le jugement sera infirmé en ce qu’il alloue au salarié une indemnité pour licenciement nul.

En second lieu, le salarié a droit à une indemnité d’éviction correspondant à la totalité du préjudice subi entre le licenciement et sa réintégration.

Le principe de non-discrimination en raison de l’âge ne constitue pas une liberté fondamentale consacrée par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ni par la Constitution du 4 octobre 1958 qui justifierait, en cas de nullité du licenciement prononcé en violation de cette prohibition, la non-déduction des revenus de remplacement perçus par le salarié entre son éviction de l’entreprise et sa réintégration (Soc., 15 novembre 2017, pourvoi n° 16-14.281, Bull. 2017, V, n° 193).

En l’espèce, le salarié évalue sa demande d’indemnité sur la base d’un salaire moyen brut de 3 387,07 euros calculé sur la période de juillet 2019 à juin 2020. L’employeur mentionne quant à lui un salaire moyen brut de 3 327,64 euros, calculé sur la même période.

Les bulletins de salaire versés au débat permettent de retenir un salaire brut mensuel moyen de 3 327,64 euros ainsi que le soutient à raison l’employeur.

Il convient donc, par voie d’infirmation, de condamner ce dernier à payer au salarié l’indemnité d’éviction, calculée sur cette base, entre le 7 août 2020 et le jour de sa réintégration effective, sauf à déduire les revenus de remplacement perçus par le salarié durant la période d’éviction, revenus qui ne sont pas portés à la connaissance de la cour et dont le salarié devra donc justifier.

Par conséquent, il conviendra d’ordonner sur ce point la réouverture des débats ainsi qu’il sera dit dans le dispositif qui suit.

En tout état de cause, l’objet du litige mérite que les parties puissent échanger pour tenter de parvenir à un accord sur les points encore non tranchés par la cour. Il convient donc d’envisager la résolution du conflit par la voie de la médiation pour trouver une issue au litige. Les parties peuvent faire parvenir chacune séparément par voie électronique au greffe de la cour un message faisant part de leur accord pour ce faire.

En cas d’accord des deux parties, la cour ordonnera avant-dire droit une médiation et fixera une date de rappel du dossier à l’audience pour examiner les demandes sur lesquelles elle n’a pas encore statué ou constatera le désistement des parties.

Par ailleurs, la cour rappelle que tout accord peut être homologué par le juge de l’exécution sur requête conjointe écrite, sans comparution, conformément aux dispositions des articles 1565 et suivants du code de procédure civile.

Enfin, il conviendra, en application des dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, qui l’imposent et sont donc dans le débat, d’ordonner le remboursement par l’employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées au salarié du jour de son licenciement au jour de l’arrêt, dans la limite de six mois d’indemnité de chômage, déduction faite des sommes déjà versées par l’employeur au titre du contrat de sécurisation professionnelle.

Sur les intérêts

Il convient de dire que les intérêts au taux légal courront à compter de la saisine du conseil de prud’hommes le 19 mai 2021.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Il sera sursis à statuer sur les dépens et les frais irrépétibles

PAR CES MOTIFS:

La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :

INFIRME le jugement, mais seulement en ce qu’il déboute M. [O] de sa demande de réintégration et condamne la société CFP à lui payer une somme à titre d’indemnité pour licenciement nul,

CONFIRME le jugement pour le surplus,

Statuant des seuls chefs infirmés et y ajoutant,

ORDONNE la réintégration de M. [O] dans l’emploi occupé ou un emploi équivalent, comportant le même niveau de rémunération, la même qualification et les mêmes perspectives d’évolution de carrière, et dans le même secteur géographique que l’emploi initial,

REJETTE la demande d’astreinte afférente,

ORDONNE le remboursement par l’employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées au salarié du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnité de chômage, déduction faite des sommes déjà versées par l’employeur au titre du contrat de sécurisation professionnelle,

DIT que M. [O] est éligible au bénéfice d’une indemnité d’éviction :

. couvrant la période du 7 août 2020 au jour de sa réintégration effective,

. sur la base d’une rémunération mensuelle brute de 3 327,64 euros,

. déduction faite des revenus de remplacement perçus par M. [O] au cours de la même période,

AVANT DIRE DROIT pour le surplus des demandes :

Vu les articles 16, 144 et 444 du code de procédure civile,

SURSOIT à statuer sur la demandes de M. [O] de condamnation de la société CFP à lui porter et payer une indemnité correspondant au montant de la rémunération qu’il aurait dû percevoir entre son éviction de l’entreprise le 7 août 2020 et sa réintégration,

ORDONNE la réouverture des débats à l’audience du vendredi 8 mars 2024 à 14h (audience collégiale ‘ salle n°3) pour que chacune des parties établisse un décompte précis des sommes qu’elles estiment être dues au titre de l’indemnité d’éviction, et ordonne ainsi:

. M. [O] à justifier des revenus de remplacement qu’il a perçus depuis le 7 août 2020,

. M. [O] et la société CFP à présenter, sur les bases définies ci-dessus et sur la base des revenus de remplacement à présenter un décompte des sommes dues à la date la plus proche du vendredi 8 mars 2024,

. aux parties de conclure sur ces éléments avant le 13 février 2024 pour M. [O] et avant le 27 février 2024 pour la société CFP,

DIT que la notification de cet arrêt vaut convocation à l’audience,

RÉSERVE les dépens et les frais irrépétibles.

– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Aurélie Prache, présidente et par Madame Dorothée Marcinek, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

””””””””””””””””””””””””””””””””””””””””””””””””””””””’

La Greffière La Présidente

 


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