23 juin 2022
Cour d’appel de Papeete
RG n°
20/00100
N° 218
MF B
————–
délivrée à :
– Me Lamourette,
le 25.06.2022.
Copie authentique
délivrée à :
– Me [D],
le 25.06.2022.
REPUBLIQUE FRANCAISE
COUR D’APPEL DE PAPEETE
Chambre Civile
Audience du 23 juin 2022
RG 20/00100 ;
Décision déférée à la Cour : jugement n° 20/34, rg n° 19/00509 du Tribunal Civil de Première Instance de Papeete du 31 janvier 2020 ;
Sur appel formé par requête déposée et enregistrée au greffe de la Cour d’appel le 24 avril 2020 ;
Appelants :
Mme [N] [F], [Adresse 1] ;
M. [U] [I], ès-qualités de liquidateur judiciaire de Mme [N] [F], [Adresse 2] ;
Représentée par Me Marie EFTIMIE-SPITZ, avocat au barreau de Papeete ;
Intimé :
M. [K] [Z], né le 8 avril 1960 à [Localité 3], de nationalité française, demeurant à [Localité 3] ;
Représenté par Me Mathieu LAMOURETTE, avocat au barreau de Papeete ;
Ordonnance de clôture du 11 février 2022 ;
Composition de la Cour :
La cause a été débattue et plaidée en audience publique du 12 mai 2022, devant Mme BRENGARD, président de chambre, M. RIPOLL, conseiller, Mme TISSOT, vice-présidente placée auprès du premier président, qui ont délibéré conformément à la loi ;
Greffier lors des débats : Mme SUHAS-TEVERO ;
Arrêt contradictoire ;
Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 264 du code de procédure civile de Polynésie française ;
Signé par Mme BRENGARD, président et par Mme SUHAS-TEVERO, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
A R R E T,
Faits et procédure’:
Suivant acte intitulé «bail commercial dérogatoire dit bail précaire» signé le 20 mars 2018, M. [K] [Z] a consenti à Mme [N] [F] la location d’une surface de 305 m2 environ, située au sein d’un local plus important constituant le lot E du lotissement [Adresse 4], pour une durée de 22 mois et 13 jours comprise entre le 19 mars 2018 et le 31 janvier 2020, moyennant le versement d’une redevance mensuelle de 310.000 FCP à l’exception du mois du loyer du mois de mars 2018, l’acte stipulant que les locaux loués sont exclusivement affectés à l’activité d’une école de danse et des arts aériens.
Le 25 octobre 2019, M. [K] [Z] a fait signifier à Mme [N] [F] un commandement de payer visant la clause résolutoire insérée au bail, pour obtenir le paiement de la somme de 642.967 FCP correspondant aux loyers impayés des mois de juillet et d’octobre 2019 mais cet acte est resté sans effet.
Sur autorisation d’assigner à bref délai, M. [K] [Z] a attrait Mme [N] [F] devant le tribunal civil de première instance de Papeete aux fins principales, de,
-constater que les parties sont convenues d’un bail dérogatoire au statut des baux commerciaux stipulant un terme au 31 janvier 2020, et que M. [K] [Z] a clairement manifesté son intention de ne pas renouveler cette location,
-ordonner en conséquence l’expulsion de Mme [N] [F] occupante sans titre depuis le 1er février 2020, et la condamner au paiement d’une indemnité mensuelle d’occupation et des arriérés locatifs s’élevant à la somme de 620.000 FCP au titre des loyers des mois de juillet 2019 et octobre 2019.
***
Par jugement n° RG 19/00509 rendu contradictoirement en date du 31 janvier 2020, le tribunal, après avoir débouté Mme [N] [F] de sa demande de jonction présentée avec un dossier distinct portant le n° RG 19-550, a également,
– ordonné à Mme [N] [F] de restituer à compter du 1er février 2020 les lieux loués,
– ordonné, en tant que de besoin, à. compter du 1er février 2020, l’expulsion de Mme [N] [F] ainsi que celle de tout occupant de son chef, au besoin avec l’assistance de la force publique et l’assistance d’un serrurier,
– condamné Mme [N] [F] à payer à M. [K] [Z] une indemnité mensuelle et provisionnelle d’occupation de 310.000 FCP à compter du 1er février 2020, date du terme du bail, jusqu’au jour de la libération des lieux,
– ordonné l’exécution provisoire,
– débouté les parties du surplus de leurs demandes,
– dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française, mais a condamné Mme [N] [F] aux dépens de l’instance.
***
Mme [N] [F] qui a quitté les lieux, objet du bail litigieux, a relevé appel de ce jugement par requêtes enregistrées au greffe le 24 avril 2020 (RG 20/00100) et le 7 mai 2020 (RG 20/00111) et assignation délivrée le 25 mai 2020 (RG 20/00100) qui ont été jointes le 5 juillet 2021.
L’appelante a été placée en liquidation judiciaire suivant jugement du 14 décembre 2020 et M. [U] [I] désigné comme son liquidateur judiciaire est intervenu à la présente instance.
Prétentions et moyens des parties :
En ses conclusions récapitulatives du 11 mai 2021, Mme [N] [F] et M. [I] entendent voir la cour,
– A titre principal,
– annuler, ou au besoin infirmer, le jugement querellé en ce qu’il a statué en dépit de la compétence du juge de la mise en état, qui était saisi,
Statuant à nouveau,
– ordonner la jonction de la présente affaire avec le dossier enrôlé sous le n° 19/550, et renvoyer le dossier devant le premier juge, actuellement toujours saisi,
A titre subsidiaire, «si la cour évoque» (sic),
– infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
– requalifier la convention d’occupation précaire signée le 20 mars 2018 en bail commercial,
A titre plus subsidiaire, dans l’hypothèse où serait privilégiée la qualification de bail dérogatoire,
– constater que les parties avaient convenu dès l’origine que le bail commercial serait formalisé par un écrit et que M. [Z] a refusé cette régularisation,
– constater que le consentement de Mme [F] à ce bail «dérogatoire » a été surpris par le dol, puis annuler la convention initiale, pour vice du consentement,
En tout état de cause,
– dire et juger nul le «refus de renouvellement» du bail du 30 septembre 2019 opposé par M. [K] [Z], qui s’analyse en un congé nul,
– dire que Mme [F] qui exploitait un fonds de commerce dans un local pérenne bénéficie du statut des baux commerciaux,
– dire et juger qu’elle a droit à une indemnité d’éviction,
– condamner M. [Z] à payer à M. [U] [I], es- qualités de liquidateur judiciaire de Mme [F]
– débouter M. [Z] de toutes ses demandes, puis le condamner à payer à M. [U] [I], es-qualité de liquidateur judiciaire de Mme [F], la somme de 6.000.000 FCP à titre d’indemnité d’éviction, celle de 500.000 FCP pour procédure abusive et la même somme au titre des frais irrépétibles d’instance et d’appel sur le fondement de l’article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française, outre les entiers dépens.
En ses dernières conclusions du 4 octobre 2021, M. [K] [Z] demande à la cour,
Vu le bail dérogatoire intervenu entre les parties le 19 mars 2018, de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, puis «dire et juger» Mme [N] [F] redevable à M.[K] [Z] de la somme de 620 000 XPF au titre des loyers impayés de juillet et octobre 2019, et de celle de 226.000 XPF au titre des frais irrépétibles qu’il a exposés outre les entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des faits de la cause, des procédures, des prétentions et moyens dont la Cour est saisie, il est renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions d’appel des parties.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 11 février 2022.
Motifs de la décision’:
L’article 21-2 alinéa 2 du code de procédure civile dispose que les parties doivent reprendre dans leurs dernières conclusions les prétentions et moyens présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. A défaut, elles sont réputées les avoir abandonnées et le juge ne statue que sur les dernières conclusions déposées.
Dès lors, M. [Z] est réputé avoir abandonné l’exception de procédure tirée de l’irrecevabilité de l’appel qu’il a soulevé dans ses conclusions du 3 décembre 2020 mais qui ne figure pas dans les demandes soumises à la cour dans ses dernières conclusions du 4 octobre 2021.
***
En son appel, Mme [N] [F] critique le jugement ayant refusé la jonction avec l’assignation qu’elle a fait délivrer à M. [Z] le 22 novembre 2019, enrôlée le 29 novembre suivant, aux fins de requalification du bail. Elle fait valoir qu’elle avait pris la première l’initiative de saisir le tribunal, que c’est à réception de son projet de requête adressé confraternellement à son conseil que M. [Z] s’est empressé d’obtenir une autorisation d’assigner à jour fixe, qu’il a ensuite tout fait pour éviter de recevoir l’assignation. Elle estime que seul le juge de la mise en état était compétent pour statuer sur sa demande de jonction. Sur le fond, elle soutient que le contrat de location, qui est une convention d’occupation précaire, doit être requalifié en bail commercial en l’absence de circonstances particulières indépendantes de la seule volonté des parties permettant de conclure un tel contrat. Elle fait valoir que le seul fait de fixer la durée du bail pour une période inférieure à deux ans ne suffit pas à caractériser l’existence d’un bail dérogatoire. Elle conclut qu’une telle qualification ne refléterait pas sa volonté, qu’elle n’avait aucun intérêt à conclure un bail dérogatoire, que son activité était pérenne et qu’elle a effectué dans les lieux d’importants travaux d’aménagement et d’amélioration. Dans l’hypothèse où une telle qualification serait retenue, elle soulève la nullité du contrat litigieux, au motif que son consentement a été surpris par dol. Elle soutient à cet égard qu’il était convenu dès l’origine qu’elle devait bénéficier d’un bail commercial et qu’un nouvel accord devait formaliser celui-ci à l’issue du contrat litigieux.
Pour sa part, l’intimé, M. [K] [Z] qui s’en remet à la motivation du jugement lui ayant donné gain de cause, insiste sur la qualification du contrat de location signé le 20 mars 2019 qui est un bail dérogatoire échappant à la réglementation des baux commerciaux, qui a cessé de plein droit à l’expiration du terme contractuellement fixé au 31 janvier 2019, et soutient qu’il n’a pas toléré le maintien dans les lieux de la locataire au delà de ce terme puisqu’il lui a notifié les 30 septembre et 25 octobre 2019 son intention de ne pas poursuivre les relations contractuelles de sorte que Mme [F] était occupante sans droit ni titre au terme du bail sans droit au renouvellement .
Il ajoute que Mme [F] a quitté les lieux après le jugement entrepris puis a été placée en liquidation judiciaire à défaut du paiement des arriérés locatifs.
Sur le bien-fondé de l’appel :
M. [I] critique le jugement ayant refusé d’ordonner la jonction avec une autre procédure portant le n°RG19-550 enrôlée devant le tribunal le 25 novembre 2019 qui, pour elle, était en lien avec la présente instance.
Mais l’argumentation développée à cet égard est totalement inopérante puisque la jonction constitue une mesure d’administration judiciaire à l’égard de laquelle l’appel est sans portée.
S’agissant du fond de l’appel, M. [I] en qualité de liquidateur judiciaire de Mme [F] soutient que la convention signée avec M. [Z] doit être requalifiée en bail commercial.
Ceci étant, au terme de son jugement réputé contradictoire rendu le 14 décembre 2020, le tribunal de commerce de Papeete statuant sur la requête de M. [Z], a placé Mme [F] en liquidation judiciaire et a désigné M.[I] en qualité de liquidateur judiciaire de l’intéressée .
Bien qu’aucune des parties ne vise ce texte, compte tenu du caractère d’ordre public des dispositions régissant les procédures collectives, il convient de rappeler les termes de l’article L622 ‘ 9 du code de commerce (en sa version applicable en Polynésie française) qui dispose, en particulier, que, le jugement qui prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l’administration et de la disposition de tous ses biens tant que la liquidation judiciaire n’est pas clôturée, les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur.
Mme [F] est donc dessaisie de ses droits par l’effet de la liquidation judiciaire’: elle n’est donc pas en mesure d’exploiter une entreprise commerciale, notamment dans le cadre de la location du local appartenant à M. [Z], créancier à l’origine de la procédure collective. Son liquidateur qui reprend l’instance qu’elle a initié, aurait dû justifier qu’il existait une possibilité de poursuivre l’activité commerciale litigieuse, et à défaut, son action en requalification du bail est sans objet.
En tout état de cause, le contrat signé le 19 mars 2018 comporte des clauses claires et non susceptibles d’interprétation concernant la volonté des parties de passer un bail dérogatoire au statut du bail commercial. La seule circonstance que Mme [F] ait fait réaliser des travaux d’aménagement dans les locaux loués ne suffit pas à établir l’intention non équivoque et commune des parties de laisser la preneuse créer une activité commerciale de longue durée et se maintenir dans les lieux.
Et force est de constater que le liquidateur judiciaire ne produit pas la moindre pièce pour justifier sa demande de «continuation» ou de «reprise» du bail d’une durée inférieure à 23 mois signé le 19 mars 2018 avec M. [Z], étant observé, de surcroît, que Mme [F] a laissé sans réponse, le commandement de payer visant la clause résolutoire contractuelle que son bailleur lui a fait régulièrement signifier le 25 octobre 2019 pour obtenir le paiement d’arriérés locatifs.
C’est donc à bon droit que le tribunal n’a pas requalifié le bail dérogatoire en bail commercial.
En revanche, la demande d’infirmation du jugement présentée par M. [I] est fondée en ce qui concerne les prétentions financières de M. [Z], en effet, la cour de céans est saisie par l’effet dévolutif de l’appel, de l’entier litige et son arrêt se substituera au jugement. Dès lors, même si la liquidation a été prononcée postérieurement à la décision querellée, elle doit être prise en compte dans l’arrêt à intervenir, il s’en évince qu’en application des textes du code de commerce ci-dessus rappelés, aucune condamnation pécuniaire ne peut être prononcée à l’égard de Mme [F] pour une créance née antérieurement au jugement du 14 décembre 2020. En conséquence – à supposer que ces demandes soient fondées – il ne peut être prononcé contre Mme [F] de condamnation au paiement d’une indemnité d’occupation ou de loyers arriérés qui concernent le bail signé et exécuté avant l’ouverture de la procédure collective.
Le jugement sera donc confirmé excepté en ses dispositions portant condamnation à l’indemnité mensuelle d’occupation.
M. [Z] sera débouté de ses plus amples demandes et M. [I] verra également rejetée, sa demande présentée au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant par mise à disposition, publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort ;
Vu l’appel de Mme [N] [F] aujourd’hui représentée par M. [U] [I], liquidateur judiciaire ;
Confirme le jugement entrepris excepté en ce qu’il a condamné Mme [N] [F] à payer à [K] [Z], une indemnité mensuelle et provisionnelle d’occupation de 310.000 XPF à compter du 1er février 2020;
Statuant à nouveau sur ce point ;
Vu la liquidation judiciaire ouverte à l’égard de Mme [N] [F] par jugement du tribunal de commerce du 14 décembre 2020 ;
Déboute M. [Z] de ses autres demandes y compris celles au titre des indemnités d’occupation et des loyers impayés ;
Confirmant pour le surplus, et y ajoutant ;
Vu l’article 406 du code de procédure civile ;
Dit que les dépens d’appel seront liquidés dans la procédure de liquidation judiciaire ouverte à l’égard de Mme [N] [F] ;
Rejette la demande présentée par M. [I] au titre des frais irrépétibles.
Prononcé à Papeete, le 23 juin 2022.
Le Greffier, Le Président,
signé : M. SUHAS-TEVEROsigné : MF BRENGARD