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22 juin 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/07040
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 5
ARRET DU 22 JUIN 2023
(n°2023/ , 6 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/07040 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEE4D
Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Avril 2021 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° F20/05933
APPELANTE
S.A.R.L. LE BISTROT DES GONES
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Stéphane FRIEDMANN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0425
INTIMEE
Madame [P] [O]
[Adresse 2]
[Localité 1]
née le 19 Août 1967 à [Localité 5]
Représentée par Me Maxime AUNOS, avocat au barreau de PARIS, toque : L0115
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 30 mars 2023, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre, Présidente de formation,
Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre
Madame Séverine MOUSSY, Conseillère
Greffier : Madame Philippine QUIL, lors des débats
ARRÊT :
– contradictoire,
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
– signé par Madame Marie-Christine HERVIER, présidente et par Madame Philippine QUIL, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Par contrat à durée indéterminée conclu verbalement le 26 novembre 2018, Mme [P] [O] a été embauchée par la société Le Bistrot des gones en qualité de serveuse. Elle a été victime, selon elle d’un accident du travail le 28 novembre 2018, l’employeur pour sa part ayant déclaré un accident de trajet, pris en charge par la CPAM au titre de l’accident du travail à la suite duquel elle a présenté des arrêts de travail jusqu’au 4 mai 2019. Une visite de reprise a été organisée le 7 mai 2019 et le médecin du travail l’a déclarée apte à reprendre son poste de serveuse sous réserve des mesures d’aménagement et d’adaptation du poste de travail suivantes : ‘pas de port de charges supérieures à 2 kg ni manutention pendant un mois.’
De l’aveu des parties, Mme [O] a repris son activité professionnelle. Elle a de nouveau présenté des arrêts de travail à compter du 20 mai 2019 et n’a plus repris son activité au sein de la société Le Bistrot des gones.
Par courrier du 18 mai 2019, non signé, adressé le 22 mai la société Le Bistrot des gones a notifié à Mme [O] une rupture de la période d’essai lui indiquant qu’elle cessait de faire partie des effectifs à compter du 20 mai 2019. Les documents de fin de contrat ont été établis le 31 mai 2019.
La société Le Bistrot des gones employait au moins 11 salariés et applique la convention collective nationale des hôtels cafés restaurants.
Contestant la validité de la rupture du contrat de travail et estimant ne pas être remplie de ses droits, Mme [O] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris, le 14 août 2020, afin d’obtenir la nullité du licenciement, sa réintégration au sein de l’entreprise et la condamnation de l’employeur à lui payer diverses sommes au titre de l’exécution et la rupture du contrat de travail.
Par jugement du 9 avril 2021 auquel la cour renvoie pour l’exposé des demandes initiales et de la procédure antérieure, le conseil de prud’hommes de Paris, section commerce, a :
– dit la réintégration impossible au regard de l’état de santé de Mme [O],
– condamné la société Le Bistrot des gones à lui verser les sommes de :
* 12’990 euros en application de l’article L. 1235’3’1 du code du travail,
* 900 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonné à la société Le Bistrot des gones de remettre à Mme [O] l’ensemble des documents sociaux conformes au jugement,
– rappelé l’exécution provisoire de droit et fixé dans ce cadre la moyenne des trois derniers mois de salaire à la somme de 2 165,85 euros,
– débouté Mme [P] [O] du surplus de ses demandes,
– condamné la société Le Bistrot des gones aux dépens.
La société Le Bistrot des gones a régulièrement relevé appel du jugement le 30 juillet 2021.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 6 octobre 2021 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens conformément à l’article 655 du code de procédure civile, la société Le Bistrot des gones prie la cour de :
– infirmer le jugement dans toutes ses dispositions,
– constater que l’arrêt de travail de Mme [O] est consécutif à un accident de trajet et non un accident du travail et qu’elle ne pouvait bénéficier de la protection réservée aux accidentés du travail,
– débouter Mme [O] de l’ensemble de ses demandes,
– condamner Mme [O] à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et la condamner aux dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 3 janvier 2022 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens conformément à l’article 455 du code de procédure civile, Mme [O] prie la cour de :
– confirmer le jugement en ce qu’il a jugé nulle la rupture du contrat travail,
– l’infirmer en ce qu’il a dit la réintégration impossible, a condamné la société à lui verser la somme de 12’900 euros et l’a déboutée du surplus de ses demandes,
Statuant à nouveau,
– ordonner sa réintégration dans son emploi,
– condamner la société Le Bistrot des gones à lui payer les sommes suivantes avec intérêts au taux légal à compter de l’introduction de la demande :
* 77’970,60 euros, à parfaire, à titre d’indemnité au titre de la période entre la rupture du contrat de travail et la réintégration outre 7 797,06 euros au titre des congés payés afférents, à parfaire,
* 6 000 euros de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et violation de l’obligation de bonne foi,
– condamner la société Le Bistrot des gones à régulariser les cotisations sociales et de retraites afférentes,
– ordonner à la société Le Bistrot des gones de lui remettre sous astreinte de 150 euros par document et par jour de retard à compter de la notification de l’arrêt à intervenir l’intégralité de ses bulletins de paie conformes,
– se réserver la liquidation de l’astreinte,
– ordonner la capitalisation des intérêts,
– juger que les condamnations produisent intérêts à compter de l’introduction de la demande,
condamner la société Le Bistrot des gones à lui payer la somme de 3 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société Le Bistrot des gones aux entiers dépens de première instance et d’appel.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 15 mars 2023
MOTIVATION’:
Sur la rupture du contrat de travail’:
Sur la nullité du licenciement :
La cour relève que l’employeur justifie avoir envoyé le courrier de rupture de la période d’essai le 22 mai 2019 en produisant le récépissé d’envoi de La Poste et considère que la rupture a donc été notifiée à cette date d’autant qu’il ressort du procès-verbal de constat d’ huissier du 20 janvier 2021 que M. [G], gérant de la société a adressé un SMS le 21 mai 2019 à Mme [O] lui indiquant qu’il lui envoyait le courrier de notification de la rupture de la période d’essai.
Cette rupture est abusive dès lors qu’à défaut de contrat de travail écrit, aucune période d’essai ne pouvait valablement être instituée entre les parties ainsi que cela résulte de l’article L. 1221-23 du code du travail aux termes duquel la période d’essai doit expressément être stipulée au contrat et que le licenciement n’est pas motivé par une cause réelle et sérieuse.
Mme [O] sollicite la nullité de la rupture en faisant valoir que celle-ci est intervenue en raison de son état de santé, aucune autre raison ne pouvant valablement être avancée par l’employeur.
La société Le Bistrot des gones conclut au débouté en faisant valoir que la rupture ne peut être considérée comme nulle dès lors que Mme [O] avait été victime d’un accident de trajet et non pas d’un accident du travail.
L’article L. 1132’1 du code du travail prohibe le licenciement d’un salarié en raison de son état de santé. En application des articles L. 1132 -1 et L. 1134’1 du code du travail, lorsque le salariée présente des éléments de faits constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments dans leur ensemble laissent supposer l’existence d’une telle discrimination et dans l’affirmative, il incombe à l’employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Mme [O] fait valoir que le licenciement est intervenu alors qu’elle était en arrêt de travail depuis le 20 mai 2019, que lorsque le médecin du travail l’avait jugé apte à la reprise il avait préconisé des aménagements de son poste du fait de la diminution de son état physique, que l’employeur qui la connaissait depuis plusieurs années pour l’avoir embauchée dans les années 90 puis ensuite de 2007 à 2010 connaissait ses compétences et était satisfait de ses prestations et que aucune période d’essai n’étant prévu dans son contrat de travail, le licenciement ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse.
Ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’une discrimination en raison de l’état de santé de la salariée. L’employeur n’est pas en mesure de justifier des éléments objectifs justifiant le licenciement de la salariée aucun motif n’étant mentionné dans la lettre de rupture, de sorte que peu important la nature de l’arrêt de travail, le licenciement est nul comme discriminatoire en application de l’article L. 1132-4 du code du travail.
Sur les conséquences de la nullité du licenciement’:
Mme [O] sollicite sa réintégration dans l’entreprise. Celle-ci est de droit et il appartient à l’employeur qui s’y oppose de démontrer qu’elle est matériellement impossible ce dont il s’abstient. Le jugement est donc infirmé en ce qu’il a débouté Mme [O] de sa demande de réintégration dans l’entreprise.
Sur l’indemnité d’éviction :
Le salarié dont le licenciement est nul et qui demande sa réintégration a droit au paiement d’une indemnité égale au montant de la rémunération qu’il aurait dû percevoir entre son éviction de l’entreprise et sa réintégration. Sauf lorsqu’il a occupé un autre emploi durant la période d’éviction comprise entre la date du licenciement nul et celle de la réintégration, ce qui n’est ni justifié ni même allégué, il peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L. 3141’3 et L. 3141’9 du code du travail.
L’indemnité est due jusqu’à la réintégration de la salariée dans l’entreprise. Mme [O] sollicite la condamnation de l’employeur à lui verser la somme de 77’970,60 euros, à parfaire étant observé que ces calculs sont arrêtés à la date du 22 mai 2022 puisqu’elle sollicite 36 mois de salaire sur la base d’un taux horaire de 14,275 euros figurant sur ses bulletins de salaire. La société Le Bistrot des Gones est donc condamnée au versement de cette somme outre 7 797,06 euros au titre des congés payés afférents.
Le jugement est infirmé de ce chef.
Sur l’exécution déloyale du contrat de travail :
Mme [O] fait valoir que la société a délibérément violé son obligation de loyauté contractuelle et commis plusieurs manquements lui ayant causé des préjudices en ne respectant pas les préconisations du médecin du travail de sorte que son état de santé a nécessité un nouveau placement en arrêt de travail à compter du 20 mai 2019, qu’elle a refusé de transmettre à la CPAM l’attestation de salaire réclamée à plusieurs reprises de sorte qu’elle s’est retrouvée sans ressources pendant plus de quatre mois et qu’elle n’a appris que le 26 décembre 2019 qu’elle ne faisait plus partie des effectifs de la société depuis le 20 mai 2019. Elle sollicite la condamnation de l’employeur à lui verser la somme de 6 000 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice.
La société Le Bistrot des gones est resté taisante sur cette demande tout en sollicitant l’infirmation du jugement en toutes ses dispositions alors que le jugement avait débouté la salariée de ce chef.
La cour rappelle que la notification de la rupture du contrat travail a été effectuée par l’employeur le 22 mai 2019 et observe que les documents de fin de contrat sont datés du 31 mai 2019. Mme [O] justifie que la CPAM n’était pas en possession d’une attestation de salaire en produisant un document portant le cachet de cet organisme en date du 14 octobre 2019. Enfin, l’employeur ne justifie pas que, lorsque Mme [O] a repris son travail après la visite de reprise et avant son nouvel arrêt du 20 mai 2019, il avait respecté les préconisations du médecin du travail indiquant qu’elle était apte sous réserve de l’absence de « port de charges supérieures à 2 kg ni manutention pendant un mois » de sorte que la société, tenue d’une obligation de sécurité et de protection de la santé physique et mentale de ses salariés en application de l’article L. 4121-1 du code du travail ne justifie pas avoir pris toutes les mesures permettant de l’assurer. Il est par conséquent fait droit à la demande de dommages-intérêts et la cour condamne la société Le Bistrot des gones à verser à Mme [O] une somme de 3 000 euros de dommages-intérêts suffisant à réparer son entier préjudice. Le jugement est infirmé en ce qu’il l’a déboutée de ce chef de demande.
Sur les autres demandes :
Les intérêts au taux légal portant sur les créances de nature salariale sont dus à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation et ceux portant sur les créances de nature indemnitaire sont dus à compter de la décision qui les prononce.
La capitalisation des intérêts échus dus pour une année entière est ordonnée en application de l’article 1343’2 du code civil.
La société Le Bistrot des gones doit remettre à Mme [O] un bulletin de paie récapitulatif et conforme à la présente décision sans qu’il soit nécessaire d’ordonner une astreinte, la demande en ce sens est rejetée.
La cour rappelle que les sommes versées au titre de l’indemnité d’éviction sont soumises à cotisations sociales de sorte que la demande de régularisation présentée par Mme [O] est sans objet. Elle en est déboutée.
Il est fait d’office application de l’article L. 1235’4 du code du travail et la société Le Bistrot des gones est condamnée à rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage éventuellement servies à Mme [P] [O] depuis son licenciement dans la limite de six mois.
La société Le Bistrot des gones, partie perdante, est condamnée aux dépens et doit indemniser Mme [O] à hauteur de la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR statuant contradictoirement et par mise à disposition au greffe,
INFIRME le jugement dans toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
PRONONCE la nullité du licenciement,
ORDONNE la réintégration de Mme [P] [O] au sein de la société Le Bistrot des gones dans son emploi ou un emploi équivalent,
CONDAMNE la société Le Bistrot des gones à verser à Mme [P] [O] une indemnité d’éviction correspondant aux salaires dus depuis son licenciement jusqu’à sa réintégration soit, pour la période courant jusqu’au 22 mai 2022 la somme de 77’970,60 euros au titre des salaires outre 7 797,06 euros au titre des congés payés afférents,
CONDAMNE la société Le Bistrot des gones à verser à Mme [P] [O] la somme de 3 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi pour exécution déloyale du contrat travail,
DIT que les intérêts au taux légal portant sur les créances de nature salariale sont dus à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation et que les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature indemnitaires sont dus à compter de la décision qui prononce,
ORDONNE la capitalisation des intérêts échus, dus au moins pour une année entière,
ORDONNE à la société le Bistrot des gones de remettre à Mme [P] [O] un bulletin de paie récapitulatif conforme à la présente décision,
CONDAMNE la société Le Bistrot des gones à rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage éventuellement servies à Mme [P] [O] depuis son licenciement, dans la limite de six mois,
DÉBOUTE Mme [P] [O] du surplus de ses demandes,
DIT n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile au profit de la société Le Bistrot des gones,
CONDAMNE la société Le Bistrot des gones aux dépens et à verser à Mme [P] [O] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE