22 août 2022
Cour d’appel de Nouméa
RG n°
20/00330
N° de minute : 186/2022
COUR D’APPEL DE NOUMÉA
Arrêt du 22 août 2022
Chambre civile
Numéro R.G. : N° RG 20/00330 – N° Portalis DBWF-V-B7E-RJJ
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 29 juin 2020 par le tribunal de première instance de NOUMEA (RG n° :18/52)
Saisine de la cour : 28 août 2020
APPELANT
S.A.R.L. NEPTUNE, représentée par son gérant en exercice,
Siège social : [Adresse 2]
Représentée par Me Caroline PLAISANT de la SELARL CABINET PLAISANT, avocat au barreau de NOUMEA
INTIMÉ
M. [J] [F]
né le 11 avril 1970 à [Localité 3],
demeurant [Adresse 1]
Représenté par Me Fabien MARIE de la SELARL D’AVOCATS CALEXIS, avocat au barreau de NOUMEA
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 2 mai 2022, en audience publique, devant la cour composée de :
M. Philippe ALLARD, Président de chambre, président,
Mme Marie-Claude XIVECAS, Conseiller,
M. Thibaud SOUBEYRAN, Conseiller
qui en ont délibéré, sur le rapport de Mme Marie-Claude XIVECAS.
Greffier lors des débats : M. Petelo GOGO
Greffier lors de la mise à disposition : Mme Cécile KNOCKAERT
ARRÊT :
– contradictoire,
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, le délibéré fixé au 11/07/2022 ayant été prorogé au 04/08/2022 puis au 22/08/2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,
– signé par M. Philippe ALLARD, président, et par Mme Cécile KNOCKAERT adjointe administrative principale faisant fonction de greffier en application de l’article R 123-14 du code de l’organisation judiciaire, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.
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PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE
Par requête introductive d’instance du 9 janvier 2018, la Sarl NEPTUNE a fait assigner M. [G] [O] [F] devant le tribunal de première instance de Nouméa, exposant que le défendeur bénéficiait, depuis le 1er juin 2015, d’une convention d’occupation précaire à laquelle elle avait mis fin le 11 mai 2017. Elle sollicitait l’expulsion de ce dernier sous astreinte de 1500 Fcfp par jour de retard ainsi que le paiement d’une indemnité d’occupation de 85 000 Fcfp depuis le 11 juillet 2017.
Elle réclamait également paiement de la somme de 210 000 Fcfp au titre de l’article 700 du code de procédure civile et la condamnation du défendeur aux entiers dépens.
En réponse, M. [J] [F] exposait d’une part que la SARL NEPTUNE semblait bénéficier elle-même d’une convention d’occupation précaire du domaine privé provincial qu’elle ne produisait toutefois pas aux débats. Il revendiquait l’existence d’un bail commercial à son bénéfice et s’opposait aux demandes présentées par la Sarl NEPTUNE, en précisant qu’à l’inverse du domaine public, il n’existait aucune prohibition de location du domaine privé provincial. Subsidiairement, si le tribunal faisait droit à la demande d’expulsion, il estimait que cette société avait commis une faute à son égard et réclamait en conséquence paiement de la somme de 20 000 000 Fcfp à titre de dommages-intérêts. Il réclamait enfin la condamnation de la Sarl NEPTUNE à lui payer la somme de 250 000 Fcfp au titre 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
La Sarl NEPTUNE répliquait qu’elle n’était pas propriétaire du terrain occupé, qu’elle n’avait consenti qu’une occupation temporaire et qu’elle n’avait eu aucunement l’intention d’accorder un bail commercial. Elle s’opposait à toutes les demandes reconventionnelles de son adversaire et maintenait donc ses réclamations initiales en sollicitant de surcroît la somme de 420 000 Fcfp au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 29 juin 2020, le tribunal de première instance de Nouméa a :
– débouté la Sarl NEPTUNE de toutes ses demandes,
– déclaré M. [J] [F] et la Sarl NEPTUNE liés par un contrat de bail commercial depuis le 1er juin 2015,
– condamné la Sarl NEPTUNE à payer la somme de 250 000 Fcfp à M. [J] [F] au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la Sarl NEPTUNE aux entiers dépens.
Pour se déterminer ainsi, le premier juge a considéré qu’en l’absence de preuve que la Sarl NEPTUNE avait consenti une convention d’occupation précaire, le lien existant entre les parties devait s’analyser en un bail commercial verbal.
Procédure d’appel
Par requête du 28 août 2020, la Sarl NEPTUNE a fait appel de la décision rendue et demande à la cour dans son mémoire ampliatif du 2 novembre 2020 et ses dernières écritures du 2 mars 2021 d’infirmer le jugement en toutes dispositions et statuant à nouveau de :
– dire que M. [J] [F] bénéficiait d’une convention d’occupation précaire à laquelle il a été mis fin le 11 mai 2017,
– dire M. [J] [F] occupant sans droit ni titre depuis le 11 juillet 2017,
– ordonner son expulsion sans délai sous astreinte de 1500 Fcfp par jour de retard,
– autoriser la Sarl NEPTUNE à faire procéder à l’expulsion ainsi que tous occupants de son chef au besoin avec le concours de la force publique,
– le condamner à payer une l’indemnité d’occupation de 85 000 Fcfp à compter du 11 juillet 2017,
– le condamner à payer la somme de 420 000 Fcfp sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle expose qu’étant occupante à titre précaire du domaine maritime appartenant à la province Sud, elle a accepté la concession temporaire d’un local à M. [J] [F] qui exerçait comme mécanicien mais qui s’était retrouvé sans local professionnel en 2015 ; qu’aucun contrat écrit n’a été signé ; que malgré demande verbale de quitter les lieux et mise en demeure délivrée par huissier le11 mai 2017, M. [J] [F] se maintient indûment dans les lieux.
Dans ses écritures en réponse, M. [J] [F] demande à la cour à titre principal, de confirmer le jugement en toutes ses dispositions en ce qu’il a dit que les parties étaient liées par un bail commercial depuis le 1e juin 2015, et, y ajoutant de condamner la Sarl NEPTUNE à lui payer la somme de 400 000 fcfp sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ; subsidiairement , il sollicite condamnation de la Sarl NEPTUNE à lui payer la somme de 20 000 000 Fcfp de dommages et intérêts, équivalente à une indemnité d’éviction. Il soutient qu’un bail commercial peut tout à fait être établi sur le domaine privé provincial ; qu’en l’espèce, la Sarl NEPTUNE offre à certains commerçants une pérennité d’installation de leurs commerces dans ses locaux même si elle ne dispose que d’une convention d’occupation précaire ; que dans l’hypothèse où elle ne disposerait pas d’une autorisation de sous-louer alors, elle commettrait une faute engageant sa responsabilité ; que de fait, elle ne peut se prévaloir d’une convention d’occupation précaire laquelle doit être nécessairement écrite puisque les parties doivent justifier d’un motif légitime de précarité ; que tel n’est pas le cas en l’espèce de sorte aucune convention précaire n’ayant été conclue, la Sarl NEPTUNE tente seulement d’éluder l’application des baux commerciaux au bail verbal convenu entre les parties. M [J] [F] estime en effet, qu’il dispose bien d’un titre à savoir un bail commercial verbal matérialisé par le paiement d’un loyer ; subsidiairement si la cour considérait qu’il ne saurait revendiquer le bénéfice de ce statut, il considère que la Sarl NEPTUNE a commis une faute en n’ayant pas conclu une convention d’occupation précaire, ayant entraîné un préjudice au moins égal au montant d’une l’indemnité d’éviction correspondant à la perte de son fonds de commerce, aux frais de déménagement et de réinstallation.
Vu l’ordonnance de clôture,
Vu l’ordonnance de fixation.
Motifs de la décision
Attendu qu’il est constant que la Sarl NEPTUNE est occupante à titre précaire du domaine privé maritime appartenant à la Province Sud ;
Attendu que M. [J] [F] ne pouvait ignorer la situation particulière du local litigieux eu égard à la configuration des lieux et au montant du loyer qu’il lui était demandé d’acquitter (60 000 Fcfp pour un dock entier) .
Attendu qu’en Nouvelle Calédonie, la convention d’occupation précaire n’est régie par aucun texte ; qu’aux termes de la jurisprudence, il n’est exigé pour sa validité que d’être motivée par des circonstances exceptionnelles indépendantes de la volonté des parties ;
Attendu en l’espèce, que le simple fait d’une absence de contrat formalisé par écrit ne suffit pas à conférer ipso facto aux relations passées entre M. [J] [F] et la Sarl NEPTUNE la qualité d’un bail verbal ou a fortiori d’un bail commercial alors que concernant ce dernier, M. [J] [F] ne rapporte la preuve ni de ce qu’il a la qualité de commerçant pour être inscrit au registre du commerce ni même qu’il fait régulièrement des actes de commerce ;
Attendu que la Sarl NEPTUNE ne peut conférer plus de droits qu’elle en possède elle-même ; qu’il s’agit là d’une cause objective de fragilisation de l’occupation des locaux dont il s’infère que l’accord par lequel la Sarl NEPTUNE a accepté de mettre provisoirement à la disposition de M. [J] [F] un local dans l’attente qu’il en trouve un autre plus pérenne, doit s’analyser non pas comme un bail verbal mais comme une convention d’occupation précaire, convention qui justifie suffisamment l’occupation des lieux sans que cette occupation soit constitutive d’une preuve du bail ;
Attendu que la convention d’occupation précaire prend fin d’elle-même après notification d’une mise en demeure de partir ;
Attendu que la Sarl NEPTUNE a donné congé le 11 mai 2017 à M. [J] [F] en donnant un préavis de deux mois qui expirait le 11 juillet 2017 ; que ce délai est un délai raisonnable eu égard à la précarité de l’occupation ;
Attendu que M. [J] [F] ne peut en conséquence se prévaloir d’un droit au maintien dans les lieux depuis le 11 juillet 2017, étant devenu occupant sans droit ni titre ; qu’il convient d’ordonner son expulsion avec paiement d’une indemnité d’occupation de 60 000 Fcfp à compter du 11 juillet 2017 jusqu’au 31 décembre 2017 puis de 85 000 Fcfp à compter du 1er janvier 2018, date de la demande devant le tribunal de première instance jusqu’à complet délaissement des lieux avec remise des clés ; qu’il y a lieu également d’ordonner une astreinte, pour faire échec à la résistance illégitime de l’intéressé à quitter les lieux.
Sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts
M. [J] [F] succombant au principal et aucune faute n’ayant été relevée à l’encontre de l’appelante, la demande en dommages et intérêts présentée par l’intimé devient sans objet ; au surplus, elle ne peut reposer sur l’existence de la perte d’un fonds de commerce, en l’absence de preuve que M. [J] [F] exploitait un tel fonds.
Sur l’article 700
Il est équitable d’allouer à la la Sarl NEPTUNE qui a dû agir en justice la somme de 250 000 Fcfp de ce chef.
Sur les dépens
M. [J] [F] succombant supportera les dépens d’appel et de première instance.
Par ces motifs
La cour,
Infirme la décision en toutes ses dispositions ;
Et statuant à nouveau,
Dit que M. [J] [F] bénéficiait d’une convention d’occupation précaire ;
Constate que la convention a pris fin selon congé du 11 mai 2017 ;
Constate que M. [J] [F] est occupant sans droit ni titre depuis le le 11 juillet 2017 ;
Ordonne son expulsion et celle de tout occupant de son chef dans un délai d’un mois à compter de la signification du présent arrêt, sous peine d’une astreinte de 1 500 Fcfp par jour de retard, passé le délai prescrit ;
Condamne M. [J] [F] à payer à la Sarl NEPTUNE une indemnité d’occupation de 60 000 Fcfp par mois à compter du 11 juillet 2017 jusqu’au 31 décembre 2017, puis de 85 000 Fcfp à compter du 1er janvier 2018 jusqu’à la remise des clés ;
Condamne M. [J] [F] à payer à la Sarl NEPTUNE une indemnité de 250 000 Fcfp sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [J] [F] aux dépens de première instance et d’appel.
Le greffier,le président.