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21 juin 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/15090
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 3
ARRET DU 21 JUIN 2023
(n° , 11 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/15090 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEHO4
Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Juin 2021 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de PARIS – RG n° 16/02621
APPELANTE
S.A.R.L. DAPHNE
Immatriculée au RCS de Paris sous le n° 415 273 515
Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité au siège social:
[Adresse 3] – [Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Guillaume GOURDIN, avocat au barreau de PARIS, toque : B1177
Assistée de Me Serge SMILEVITCH de l’ASSOCIATION SMILEVITCH & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : R122
INTIMEE
S.C.I. JYN COMPAGNIE
Immatriculée au RCS de Créteil sous le n° 794 895 839
Prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité au siège social:
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentée par Me Déborah BENECH, avocat au barreau de PARIS, toque : D0641
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 19 Avril 2023, en audience publique, rapport ayant été fait par Madame Nathalie RECOULES, Présidente de chambre conformément aux articles 804, 805 et 907 du code de procédure civile, les avocats ne s’y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Nathalie RECOULES, Présidente de chambre
Douglas BERTHE, Conseiller
Marie GIROUSSE, Conseillère
Greffier, lors des débats : Laurène BLANCO
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Nathalie RECOULES, Présidente de chambre et par Laurène BLANCO, Greffière présente lors de la mise à disposition.
Faits et procédure
Par acte sous seing privé en date du 12 mars 1998, la société NJF 5757, aux droits de laquelle vient la société Jyn Compagnie par acquisition en date du 3l octobre 2013, a donné à bail (ci-après appelé bail pinricpal) à la société Daphne des locaux commerciaux situés au rez-de-chaussée et au 1er étage d’un immeuble sis [Adresse 3] et [Adresse 2] à [Localité 4], pour une durée de neuf ans à compter du 1er avril 1998 jusqu’au 31 mars 2007, pour l’exercice d’une activité de « bar, restaurant, salon de thé, piano bar, à l’exclusion de tous autres ».
La société Daphné exploite également les locaux situés au sous-sol de l’immeuble, qui sont des parties communes et dans lesquels elle a installé sa cuisine, des chambres froides, un fournil et un laboratoire.
Plusieurs litiges ont opposé la société Daphné et le syndicat des copropriétaires du [Adresse 3] et du [Adresse 2], d’une part, et la société NJF 5757 et la société Jyn Compagnie, d’autre part. Pour la clarté de l’exposé du litige, ces contentieux seront présentés séparément et non chronologiquement.
Le litige opposant la société Daphné et le syndicat des copropriétaires du [Adresse 3] et du [Adresse 2] a porté sur la régularité de l’occupation du sous-sol. La cour d’appel de Paris, par arrêt du 20 juin 2012, a reconnu que la société Daphné avait un droit d’occupation du sous-sol de l’immeuble et l’a condamné à procéder à des travaux d’installation d’une gaine d’aération.
Par acte extrajudiciaire en date du 21 décembre 2012, le syndicat des copropriétaires a donné congé à la société Daphné sur les locaux du sous-sol.
Par arrêt infirmatif du 20 février 2019, d’un jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris le16 février 2016, la cour d’appel de Paris a dit les locaux loués en sous-sol ne sont pas des locaux accessoires au bail commercial principal au sens de l’article L.145-1,I 2° du code de commerce, reconnu valable le congé délivré par le syndicat des copropriétaires le 21 décembre 2012, constaté que ce bail a pris fin le 14 juillet 2013, ordonné à la société Daphné de libérer les lieux loués en sous-sol, condamné la société Daphné au paiement d’une indemnité d’occupation égale au montant du loyer courant outre les charges à compter du 14 juillet 2013.
Le pourvoi formé par la société Daphné à l’encontre de cette décision a été rejeté, selon un arrêt de la Cour de cassation en date du 28 mai 2020.
Le litige opposant la société Daphné, la SCI Jyn Compagnie et la société NFJ 5757 a porté sur l’acquisition des locaux objets du bail principal par la SCI Jyn Compagnie, la société Daphné considérant que ses droits d’acquérir la propriété des locaux n’ont pas été respectés.
Par arrêt en date du 4 novembre 2020, la cour d’appel de Paris, saisie par la société Daphné d’un appel sur le jugement de la 2ème chambre civile du tribunal de grande instance de Paris du 16 octobre 2018, a confirmé la décision en ce qu’elle a débouté la société Daphné de ses demandes tendant à prononcer la nullité de la vente du 31 octobre 2013 et à substituer la société Daphné à la SCI Jyn Compagnie dans la vente du 31 octobre 2013, a fait droit à ses demandes de condamnation in solidum des SCI NFJ 5757 et Jyn Compagnie à lui verser diverses indemnités en réparation de ses préjudices, débouté les SCI NFJ 5757 et Jyn Compagnie de leurs diverses demandes indemnitaires.. La société Daphné a formé pourvoi devant la Cour de cassation à l’encontre de cet arrêt de la cour d’appel de Paris du 4 novembre 2020.
Le présent litige porte sur les conséquences indemnitaires du congé sans offre de renouvellement et offre d’indemnité d’éviction à effet du 1er juillet 2016, signifié par acte extrajudiciaire en date du 6 juillet 2015, par la SCI Jyn Compagnie à la société Daphné.
Par acte du 9 février 2016, la société Daphné a fait assigner la SCI Jyn Compagnie devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins de voir prononcer la nullité de ce congé.
Par ordonnance en date du 18 mars 2019, le juge de la mise en état a, notamment, dit que le refus de renouvellement du bail notifié par la SCI Jyn Compagnie le 6 juillet 2015 à la société Daphné ouvre droit à son profit au paiement d’une indemnité d’éviction prévue à l’article L.145-14 du code de commerce et au maintien dans les lieux jusqu’au versement de cette indemnité, au profit de la bailleresse au paiement d’une indemnité d’occupation due à compter du 1er juillet 2016 et a ordonné avant dire-droit une mesure d’expertise judiciaire aux fins d’évaluation du montant de ces indemnités.
Par jugement en date du 17 juin 2021, le tribunal judiciaire de Paris a en substance fixé à la somme globale de 1.767.435 euros l’indemnité d’éviction due par la société SCI Jyn Compagnie à la société Daphné, outre les frais de licenciement sur justificatifs, dit que la société Daphné est redevable à l’égard de la société SCI Jyn Compagnie d’une indemnité d’occupation à compter du 1er juillet 2016 et jusqu’à la date de la libération des lieux et fixé à la somme annuelle de 59.289 euros hors taxes et hors charges, le montant de cette indemnité d’occupation, dit que la compensation s’opère de plein droit entre les créances réciproques de la SCI Jyn Compagnie et de la société Daphné à hauteur de la somme la plus faible, fixé à la date du jugement le point de départ des intérêts dus sur le montant de l’indemnité d’éviction et le montant de l’indemnité d’occupation, ordonné la capitalisation des intérêts échus depuis plus d’une année, condamné la société SCI Jyn Compagnie aux dépens et à payer à la société Daphné la somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration en date du 30 juillet 2021, la société Daphné a interjeté appel partiel du jugement du 17 juin 2021.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 8 mars 2023.
Moyens et prétentions
Par conclusions signifiées le 1er mars 2023, la société Daphné demande à la cour de :
– infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 17 juin 2021 en ce qu’il a fixé à la somme globale de 1.767.435 euros l’indemnité d’éviction due par la SCI Jyn Compagnie à la société Daphné, outre les frais de licenciement sur justificatifs, qui se décompose en 1.538.519 euros pour l’indemnité principale, 153.852 euros pour les frais de remploi, 72.064 euros pour le trouble commercial, 1.000 euros H.T pour les frais de déménagement, 2.000 euros H.T pour les frais administratifs,
Statuant de nouveau,
– fixer l’indemnité d’éviction en principale due à la société Daphné à la somme de 2.868.523 euros, outre les frais de licenciement sur justificatifs et le coût des pertes pour aménagements se décomposant en 2.506.094 euros pour l’indemnité principale, 250.609 euros pour les frais de remploi, 108.220 euros pour le trouble commercial, 1.200 euros TTC pour les frais de déménagement, 2.400 euros TTC pour les frais administratifs ;
Subsidiairement,
– fixer l’indemnité d’éviction en principale due à la société Daphné à la somme de 1.949.621 euros, outre les frais de licenciement sur justificatifs et le coût des pertes pour aménagements se décomposant en 1.670.729 euros pour l’indemnité principale, 167.072 euros pour les frais de remploi, 108.220 euros pour le trouble commercial, 1.200 euros TTC pour les frais de déménagement, 2.400 euros TTC pour les frais administratifs,
– dire dans tous les cas que la SCI Jyn Compagnie sera tenue d’indemniser la société Daphné des coûts sociaux et frais de licenciement de son personnel sur justificatifs ;
– infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 17 juin 2021 en ce qu’il a fixé à la somme annuelle de 59.289 euros hors taxes et hors charges, le montant de l’indemnité d’occupation due à compter du 1er juillet 2016;
Statuant de nouveau,
– fixer l’indemnité d’occupation à la somme de 56.412 euros hors taxe et hors charges l’an ;
Subsidiairement,
– fixer l’indemnité d’occupation du 1er juillet 2016 au 2 janvier 2020 à la somme annuelle de 59.232 euros hors taxe et hors charges ;
– fixer l’indemnité d’occupation à compter du 3 janvier 2020 à la somme annuelle de 56.412 euros hors taxe et hors charges ;
Très subsidiairement,
– fixer l’indemnité d’occupation du 1er juillet 2016 au 2 juin 2021 à la somme annuelle de 59.232 euros hors taxe et hors charges ;
– fixer l’indemnité d’occupation à compter du 3 juin 2021 à la somme annuelle de 56.412 euros hors taxe et hors charges;
– dire que le paiement de l’indemnité d’éviction et la libération des lieux s’opéreront conformément aux articles L.145-28 et suivant du Code de commerce ;
– confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 17 juin 2021 en ce qu’il a condamné la SCI Jyn Compagnie aux dépens et à payer à la société Daphné la somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Y ajoutant,
– condamner la SCI Jyn Compagnie à payer à la société Daphné la somme de 8.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Dans tous les cas,
– déclarer irrecevable et infondée la SCI Jyn Compagnie, la débouter la SCI Jyn Compagnie de ses demandes, fins et conclusions et la condamner en tous les dépens.
Par conclusions signifiées le 27 février 2023, la société Jyn Compagnie demande notamment à la cour de :
– réformer le jugement rendu le 17 juin 2021 sur les points sur la fixation de la valeur locative et donc le montant de l’indemnité d’occupation depuis le 1er juillet 2016 qui doit être ramenée au montant annuel de 90.757 euros, tenant compte de 15% de précarité soit un montant annuel de 77.143,45 euros, sur l’assiette de calcul de l’indemnité d’éviction incluant à torts le sous-sol qui ne pouvant servir de base au calcul de cette indemnité d’éviction et qui doit être pondérée de la somme de 31.60% pour la partie des locaux non concernés, sur la moyenne des quatre derniers chiffres d’affaires annuels incluant 2020 mais hors 2022 en absence de production du bilan comptable, sur le montant du pourcentage de la moyenne des chiffres d’affaires retenus comme devant être ramené de 100% à 95% ;
En conséquence,
A titre principal,
– fixer le montant total de l’indemnité d’éviction à la somme de 673.886 euros tenant compte de la pondération de la surface utile des locaux (sans sous-sol) et d’un chiffre d’affaires ramené à 95% selon les méthodes proposées par la société Jyn Compagnie dans son dire du 11 juin 2020 en pièce 13 et de celle de l’expert et sur le montant des indemnités accessoires dire n’y avoir lieu à frais de remploi, à trouble commercial, à pertes sur aménagement non amortis et à frais de réinstallation ;
– débouter la société Daphné de l’ensemble de ses prétentions à ces titres,
A titre subsidiaire,
– fixer le montant de l’indemnité d’éviction à la somme de 803.065,70 euros pour ne retenir que la méthode de l’expert, tenant compte de la pondération de la surface utile des locaux (sans sous-sol) et d’un chiffre d’affaires ramené à 95% ;
– fixer le montant des frais de remploi à la somme de 57.110 euros, du trouble commercial, sauf à l’écarter, à la somme de 43.484,54 euros ;
– pondérer de 31,60% sur le nombre de salariés effectifs nécessaires à l’activité le montant de l’indemnité de licenciement à venir et ordonner son paiement sur seul justificatif des pièces de licenciement et des explications de la baisse des sommes versées au titre de la masse salariale en 2021 ;
– confirmer le rejet par le tribunal des frais de déménagements et administratifs pour une somme globale de 3.000 euros HT ;
Dans tous les cas,
– condamner la société Daphné à verser à la SCI Jyn Compagnie une indemnité annuelle d’occupation hors taxes et hors charges d’un montant de 90.757 euros à compter de la date d’effet du congé, savoir le 1er juillet 2016, pondérée du pourcentage de précarité de 15% soit un montant annuel de 77.143,45 euros, sauf à déduire les loyers réglés s’imputant sur cette période postérieure au 1er juillet 2016 ;
– condamner la société Daphné au paiement des intérêts au taux légal sur les sommes dues à compter du 1er juillet 2016 ;
– dire que les intérêts seront capitalisés par application de l’article 1343-2 du Code civil ;
– ordonner l’expulsion de la société Daphné à l’expiration d’un délai de trois mois à compter du versement par la SCI Jyn Compagnie du montant de l’indemnité d’éviction entre les mains de la preneuse ou de la notification à celle-ci du versement de l’indemnité au séquestre de l’ordre des avocats près la Cour d’appel de Paris désigné séquestre en tant que de besoin par la cour ;
– condamner la société Daphné aux entiers dépens en ce compris les frais d’expertise dont
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties. Cependant, pour une meilleure compréhension du présent arrêt, leur position sera succinctement résumée.
SUR CE,
Conformément aux dispositions des articles 4 et 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions. Il n’y a pas lieu de statuer sur les demandes aux fins de voir ‘donner acte’ ou de ‘constater’, lorsqu’elles ne constituent pas des prétentions visant à conférer un droit à la partie qui les requiert mais ne sont en réalité que de simples allégations ou un rappel des moyens invoqués.
Sur l’indemnité d’éviction
Il n’est pas contesté que le congé avec refus de renouvellement et offre d’une indemnité d’éviction délivré par la SCI Jyn Compagnie le 6 juillet 2015 à la société Daphné a mis fin au bail liant les parties à compter du 30 juin 2016 minuit et ouvert au profit de cette dernière droit à indemnité d’éviction et droit au maintien dans les lieux jusqu’à son complet paiement.
Sur l’indemnité principale
Aux termes de l’article L.145-14 du code de commerce, « le bailleur doit payer au locataire évincé une indemnité dite d’éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement […, laquelle] comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre. »
Les conséquences de l’éviction s’apprécie in concreto au regard de la possibilité pour le locataire de conserver son fonds de commerce sans perte de clientèle importante, auquel cas l’indemnisation prend la forme d’une indemnité de transfert, ou de la perte du fonds de commerce, auquel cas l’indemnisation prend la forme d’une indemnité de remplacement.
Cette appréciation implique dans un premier temps d’étudier les caractéristiques du bail s’agissant de sa destination, des clauses usuelles ou exorbitantes de croit commun y incluses, et des locaux s’agissant de leur implantation, de leur emplacement, de leur aménagement, et de leur commercialité, ce que le tribunal a opéré par motifs détaillés, que la cour adopte et auxquels il est renvoyé, reprenant précisément la description des locaux faîte par l’expert, la particularité de leur emplacement au c’ur du quartier juif historique de Paris et l’évolution de la commercialisé du quartier.
De ces éléments, le tribunal en a conclu, suivant l’avis de l’expert, que l’éviction entraînera la perte du fonds de commerce exploité par la société Daphné, point non contesté par les parties.
Dans cette hypothèse, l’indemnité d’éviction principale doit être estimée en fonction de la valeur marchande du fonds de commerce. Le tribunal a exposé, par motifs détaillés auxquels il est renvoyé, le raisonnement suivi par l’expert basé sur les éléments chiffrés de l’activité pour les années 2016 à 2018 et retient in fine l’approche par les barèmes de la profession qui, s’agissant d’un fond de commerce de restauration rapide, se base sur un pourcentage à appliquer à la moyenne des chiffres d’affaires des trois dernières années pour la valorisation du fonds de commerce.
Devant la cour, les parties s’opposent notamment sur les années de références d’activité à retenir et le calcul sur un chiffre d’affaires hors taxes ou toutes taxes comprises, sur l’inclusion ou non du pourcentage du chiffre d’affaires qui aurait été réalisé grâce aux locaux en sous-sol et, si la seule approche est celle de la méthode par le chiffre d’affaires, sur le pourcentage à appliquer pour valoriser le fonds de commerce.
La société Daphné expose, en substance, que :
l’indemnité d’éviction se calcule au plus proche de la date effective de l’éviction, c’est-à-dire au moment où la juridiction saisie est amener à statuer si le preneur occupe encore les lieux, que de ce fait et, conformément à la jurisprudence qui écarte les chiffre d’affaires réalisés en 2020 comme non représentatif en raison de la crise sanitaire liée à la Covid 19, seront retenus les trois derniers exercices significatifs soit 2019/2021/2022 dont la moyenne s’élève à la somme de 1.670.729 euros TTC ;
la valeur marchande du fonds de commerce retenue par l’expert à 95% du chiffre d’affaires moyen TTC calculée sur les derniers exercices 2019, 2021 et 2022 représenterait à minima 1.670.729 € x 95%, soit à la somme de 1.587.193 euros, que contrairement à ce que la bailleresse et comme le rappelle l’expert judiciaire, l’usage et les barèmes de la profession retiennent un chiffre d’affaires toutes taxes comprises pour déterminer la valeur d’un fonds de commerce de restauration ;
s’agissant du coefficient à retenir, les traités et auteurs ne prévoient pas la catégorie de « vente à emporter », que les juridictions retiennent entre 100% et 150% du chiffre d’affaires moyen TTC pour déterminer la valeur d’un fonds de commerce de restauration rapide, laquelle en outre s’apprécie en fonction de sa localisation précise justifiant en l’espèce en un taux minimum de 150% du chiffre d’affaires moyen TTC, soit la somme de 1.670.729 euros (moyenne du CA 2019/2021/2022) x 150%, soit à la somme de 2.506.094 euros, laquelle correspond à l’offre d’indemnité d’éviction formulée par la société Jyn Compagnie en juin 2016 ;
il n’y a pas lieu de retenir le ratio de 31,60% pour détermine l’apport du sous-sol dans l’activité du fonds de commerce alors que seuls les locaux du rez-de-chaussée et du premier étage sont accessibles à la clientèle, que leur superficie est de 73,69 m² à pondérer par 0,2 ce qui représente de fait 14,73 m² aboutissant à un ratio inférieur à 18%, qu’en outre, les activités de fabrication du pain en sous-sol et de découpe des légumes pour les salades ont été externalisées, qu’enfin le fonds de commerce constituant une universalité et la société Daphné ayant droit à la réparation intégrale de son préjudice, son indemnisation doit être basée sur l’intégralité de son chiffre d’affaires réalisé.
La société Jyn Compagnie oppose, en substance, que :
l’éviction entraînera la perte du fonds de commerce, que l’indemnité principale doit être égale à la valeur du fonds de commerce, supérieure à la valeur du droit au bail, que l’expert a retenu le pourcentage de 95% appliqué sur la moyenne du chiffre d’affaires, pourcentage critiquable, duquel doit être déduit le ratio de 31,60% correspondant au sous-sol, non accessible à la clientèle, ne relevant pas du périmètre du bail consenti par la SCI Jyn Compagnie et dans lequel a été exercé une activité de préparation de pain, soit de boulangerie, non autorisée par le bail ;
en absence du bilan 2022, les bilans des années 2018, 2019, 2020 et 2021 doivent être pris en considération, dont la moyenne retraitée à hauteur de 95 %, soit la somme de (1.235.865 x 95%) 1.174.071,75 euros sera diminuée du ratio de 31,60% retenu par l’expert sur le chiffre d’affaires développé au sous-sol, soit une indemnité principale à hauteur de 803.065,07 euros ;
néanmoins le montant de 95% du chiffre d’affaires retenu par l’expert est exorbitant, comme dénoncé le dire récapitulatif du 11 juin 2020, que, selon les autres méthodes qui auraient pu être utilisées, la méthode [K] [Z], la méthode de [E] ou la méthodes de [J], et en faisant une moyenne des résultats obtenus selon ces méthodes et celle de l’expert, la valeur du fonds de commerce serait de 985.213,05 euros à proratiser au vu de la configuration et exploitation des lieux avec ou sans sous-sol, soit un résultat final de 673.885,72 euros ;
en toute hypothèse, selon la méthode de l’expert, l’indemnité serait après avoir pris la moyenne des quatre dernières années, sur la base d’une somme moyenne de 1.235.865 euros, à hauteur de 95% soit de 1.174.071,75 euros retranchée de la perte de 31,60% de (1.174.071,75 euros ‘ 371.006,67 euros) soit la somme de 803.065,07 euros.
Il est de jurisprudence constante que l’indemnité d’éviction doit être calculée à la date la plus proche de l’éviction et, dans l’hypothèse où le locataire est encore dans les lieux, à la date à laquelle la cour statue, compte-tenu des variations économiques intervenues depuis l’expertise.
L’expert a relevé que, s’agissant d’un fonds unique constituant l’outil de travail de l’exploitant et non un « centre de profit » appartenant à une chaîne, l’approche financière de la valorisation par l’excédent brute d’exploitation n’est pas pertinente. Ce point n’est pas contesté par les parties.
L’expert s’est fondé sur les chiffres d’affaires des années 2017 à 2019 communiqués par le preneur. Le calcul opéré sur cette base par le premier juge sera actualisé, la cour disposant d’éléments comptables ou fiscaux plus contemporains de la décision. Contrairement à ce que soutient le bailleur, l’année 2020 ne sera pas retenue, en ce qu’elle est non significative en raison des perturbations de l’activité de l’ensemble des secteurs économiques liées à la crise sanitaire, et l’année 2022 sera intégrée, en ce que le chiffre d’affaires est attesté par les déclarations de TVA faîtes à l’administration fiscale par l’expert comptable de la société Daphné lesquelles ont valeur probante. Ainsi, la cour retiendra les chiffres d’affaires des années 2019 (1.695.786 €), 2021 (1.358.337 €) et 2022 (1.958.064 €) toutes taxes comprises conformément aux usages de la profession et comme retenu par l’expert et le tribunal.
La valorisation d’un fonds de commerce dépend notamment de la qualité de l’emplacement, point sur lequel les parties s’accordent, la notoriété du fonds et de l’enseigne, ce qui au regard de l’importance du chiffres d’affaires de la société Daphné nonobstant la concurrence farouche existant dans la rue entre les restaurants de restauration rapide est démontrée, et la rentabilité de l’exploitation, non contestée en l’occurrence.
Il s’en déduit que c’est à juste titre que le tribunal a retenu le barème de 100% du chiffre d’affaires moyens, les références fournies par l’exploitant correspondant à des commerces établis sur des emplacements de meilleure qualité n’étant pas pertinentes et la suggestion du bailleur de faire la moyenne des pourcentages retenus par la doctrine s’opposant à l’appréciation in concreto de la valorisation du fonds de commerce dont les caractéristiques rappelées ci-dessus et la rentabilité justifient l’appréciation faîte par les premiers juges.
Enfin, s’agissant de l’assiette de calcul du chiffre d’affaires, le tribunal a pertinemment rappelé l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt rendu par la cour de céans, le 20 février 2019, en ce qu’il a considéré que les locaux en sous-sol, loués par le syndicat des copropriétaires à la société Daphné n’étaient pas des locaux accessoires au bail principal et qu’en conséquence « seul un usage de caves [devait] être pris en considération pour déterminer si la privation de ce local est de nature à compromettre l’exploitation du fonds ».
Contrairement à ce que soutient le bailleur, la fabrication des pain pita en sous-sol ne représentait pas une activité interdite au bail de « boulangerie », mais une activité accessoire et nécessaire à l’élaboration du produit final vendu.
Par ailleurs, la société Daphné verse aux débats une facture d’achat de pain pita, démontrant que la privation du local en sous-sol n’est pas de nature à compromettre l’exploitation, l’externalisation de certaines prestations intervenant dans le processus de fabrication des sandwich vendus apparaissant possibles.
Ainsi le jugement sera confirmée en ce qu’il a considéré que « le chiffre d’affaires réalisés par la société Dpahné ne résulte que de la seule exploitation des locaux du rez-de-chaussée et du premier étage », ce par motifs substitués.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que l’indemnité principale est de :
[(1.695.786 € + 1.358.337 € + 1.958.064 €)/ 3] x 100% = 1.670.729 euros.
Sur les indemnités accessoires
Frais de remploi :
Ces frais comprennent les frais et droits de mutation que doit supporter le locataire évincé pour se réinstaller.
Il ne peut être considéré sans inverser la charge de la preuve que la société Daphné n’a pas l’intention de se ré-installer du seul fait de l’exercice par l’exploitant des voies de droit qui lui sont ouvertes dans le litige l’opposant à son bailleur ou de l’âge de la gérante une société n’étant pas réductible à sa gérante.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a retenu la proposition de l’expert de retenir un pourcentage de 10% de la valeur du fonds de commerce. Le montant de l’indemnité sera actualisé au regard du montant de l’indemnité principale et fixé à la somme de 167.072, 90 € arrondis à 167.073 euros.
Trouble commercial :
Ce préjudice résulte de la perte de temps générée par l’éviction et la moindre investissement dans le commerce, ayant eu des incidences sur l’exploitation.
L’expert a proposé de retenir une indemnisation basée sur 2 mois de bénéfice réel, constitué par l’E.B.E retraité, ainsi qu’un mois de masse salariale.
Cette méthode est adéquate pour tenir compte à la fois de la perturbation de l’activité et à la fois du temps perdu par l’exploitant dans l’exercice légitime de ses droits et sera substituée à celle retenue par le tribunal.
Dans la mesure où le bailleur ne prouve pas qu’il n’y aura pas de ré-installation de la société Daphné, l’indemnité sera donc fixée, sur la base des données produites par la preneuse et non contestées, à :
E.B.E. Retraité moyen = 288.256 €
Sur la base de deux mois d’E.B.E retraité = 48.042, 66 € arrondie à 48.043 €
Masse salariale moyenne = 433.884 €
Sur la base d’un mois de masse salariale moyenne = 36.157 €
Soit la somme de : 84.200 euros
Frais de déménagement et frais administratifs :
En absence de contestation des parties, la somme de 2.000 € H.T, soit 2.400 euros sera retenue
Les frais de réinstallation
Ces frais sont destiné à indemniser le preneur des sommes engagées pour libérer entièrement les locaux dont il est évincé et des frais nécessaires à la reprise de son activité dans de nouveaux locaux.
C’est par motifs pertinent auxquels il est renvoyé et que la cour adopte que le tribunal a considéré qu’aucune somme n’était due à ce titre, ce qui n’est pas contesté par les parties.
Sur les aménagements non amortis
Cette indemnité est destinée à compenser la perte liée au délaissement des aménagements non totalement amortis au jour de l’éviction.
Contrairement à ce que soutient la société Daphné, en cas de perte du fonds de commerce, les agencements non amortis sont valorisés dans l’évaluation du fonds de commerce, d’autant que les agencements réalisés font accession, aux termes du bail, au bailleur.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a rejetée la demande à ce titre.
Sur les frais de licenciement :
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a considéré que ces frais sont indemnisés sur justificatifs, sans qu’il n’y ait lieu, pour les mêmes motifs qu’évoqués précédemment, de retrancher un pourcentage lié aux caves du sous-sol.
L’indemnité d’éviction sera donc fixée à la somme de :
indemnité principale : 1.670.729 €
frais de remploi : 167.073 €
trouble commercial : 84.200 €
frais de déménagement et frais administratifs : 2.400 €
Soit la somme de 1.924.402 euros, outre les frais de licenciement sur justificatifs.
Sur l’indemnité d’occupation
Conformément aux dispositions de l’article L145-28 du code de commerce, le locataire évincé qui a droit au maintien dans les lieux jusqu’au paiement de l’indemnité d’éviction est tenu au paiement dune indemnité d’occupation, égale à la valeur locative de renouvellement.
Il n’est pas contesté par les parties que la société Daphné est redevable d’une indemnité d’occupation à compter du 1er juillet 2016, ce jusqu’à libération des lieux.
De même, il n’est pas contesté que la surface pondérée à retenir comme base de calcul est de 67,72 m².
Des valeurs de références retenues par l’expert, il ressort que dans le secteur de la restauration, les valeurs locatives constatées évoluent, au prix du m²P, dans une fourchette, pour les baux neufs, allant de 595 € à 2.055 €, et pour les fixations judiciaires de 650 € à 1.500 € et que, dans les autres secteurs d’activités qui supportent généralement des loyers plus élevés, les renouvellements amiables se situent dans une fourchette allant de 362 € à 1.300 €.
En considération de la situation des locaux litigieux au c’ur de la [Adresse 6], de la superficie des locaux, de leur destination, de leur état et de leur configuration, des clauses et conditions du bail échus, c’est à bon droit que le tribunal a retenu la valeur locative de renouvellement évalué par l’expert à la somme de 1.000 €/m²P.
A cette valeur, il y a lieu d’appliquer un abattement de 2% au regard des charges exorbitantes supportées par le preneur aux termes du bail, ainsi qu’une majoration de 5% en raison de la facilité d’exploitation dont bénéficie le locataire du fait de la communication directe entre les locaux du rez-de-chaussée et les caves du sous-sol.
La valeur locative de renouvellement au 1er juillet 2016 s’établit à la somme de 69.752 euros, telle que calculée par le tribunal.
Conformément à l’usage, si une indemnité de précarité doit être appliquée au regard de la longueur de la procédure, il appert des données comptables fournies par la société Daphné que celle-ci n’a pas obéré sa croissance et, en conséquence, elle sera limitée à 10% .
Ainsi, le montant de l’indemnité d’occupation sera fixée à la somme de 62.776,80 euros, arrondie à la somme de 62.777 euros.
Le jugement sera donc infirmé de ce chef.
Sur les autres demandes :
Comme relevé par le tribunal, les sociétés Daphné et Jyn Compagnies étant créancières l’une de l’autre, la compensation jouera de plein droit à hauteur de la somme la plus faible.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a rappelé que le droit de repentir dont bénéficie la SCI Jyn Compagnie ne permet pas de condamner les parties au paiement des indemnités dont elles sont respectivement bénéficiaires et rend prématuré d’ordonner l’expulsion de la société locataire.
Le jugement sera confirmé sur les condamnations prononcées au titre de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens.
Dans le cadre de la présente instance, chaque partie succombant partiellement en ses demandes supportera la charge de ses dépens d’appel et il n’y aura lieu à faire droit aux demandes au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour,
CONFIRME le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 17 juin 2021 sous le numéro de RG 16/ 02621 sauf en ce qu’il a fixé ;
le montant de l’indemnité principale d’éviction à la somme de 1.538.519 euros, celle au titre des frais de remploi à la somme de 153.852 euros, celle au titre du titre commercial à la somme de 72.064 euros ;
le montant de l’indemnité d’occupation à la somme de 59.289 euros ;
Statuant de nouveau,
Fixe le montant de l’indemnité d’éviction à la somme de :
indemnité principale : 1.670.729 € ;
frais de remploi : 167.073 € ;
trouble commercial : 84.200 € ;
Soit la somme de 1.924.402 euros, comprenant frais de déménagement et frais administratifs confirmés à la somme de 2.400 euros outre les frais de licenciement sur justificatifs ;
Fixe le montant de l’indemnité d’occupation à la somme de 62.777 euros ;
Y ajoutant,
Rejette la demande de voir prononcer l’expulsion ;
Rejette les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens qu’elle a exposés.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE