21 février 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG n°
11/06538
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] C.C.C.F.E. + C.C.C.
délivrées le :
à Me VIOLLET (G129)
Me HITTINGER-ROUX (P497)
■
18° chambre
2ème section
N° RG 11/06538
N° Portalis 352J-W-B63-B2V6Y
N° MINUTE : 1
Assignation du :
21 Avril 2011
JUGEMENT
rendu le 21 Février 2024
DEMANDERESSE
S.C.I. SOCIÉTÉ CIVILE IMMOBILIÈRE MARINE (RCS Paris 509 468 807)
[Adresse 13]
[Localité 14]
représentée par Maître Laurent VIOLLET de la SELARL LVA, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #G0129
DÉFENDERESSE
S.A.R.L. LE VÉLODROME (RCS Paris 308 432 160)
[Adresse 11]
[Localité 7]
représentée par Maître Gilles HITTINGER-ROUX de la SCP HB & ASSOCIES-HITTINGER-ROUX BOUILLOT & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #P0497
Décision du 21 Février 2024
18° chambre 2ème section
N° RG 11/06538 – N° Portalis 352J-W-B63-B2V6Y
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Lucie FONTANELLA, Vice-présidente
Maïa ESCRIVE, Vice-présidente
Cédric KOSSO-VANLATHEM, Juge
assistés de Henriette DURO, Greffier
DEBATS
A l’audience du 09 Novembre 2023 tenue en audience publique.
Après clôture des débats, avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 15 Février 2024, prorogé au 21 Février 2024.
JUGEMENT
Rendu publiquement
Contradictoire
En premier ressort
Sous la rédaction de [P] [W]
EXPOSE DU LITIGE
Par acte sous seing privé en date du 31 janvier 2002, Monsieur [C], aux droits duquel vient la S.C.I. SOCIÉTÉ CIVILE IMMOBILIÈRE MARINE (ci-après la S.C.I. MARINE) suite à la vente du bien immobilier le 30 décembre 2008, a donné à bail en renouvellement à la S.A.R.L. LE VÉLODROME (ci-après la société LE VÉLODROME) la totalité d’un immeuble situé [Adresse 11], à destination de « traiteur, hôtel meublé, café, bar-restaurant », pour une durée de neuf ans à compter du 1er avril 2001 pour se terminer le 31 mars 2010, moyennant le versement d’un loyer annuel en principal de 181.876 francs hors taxes et hors charges (27.726,81 euros).
Les locaux sont désignés ainsi dans le bail :
« La totalité d’un immeuble sis à [Adresse 28], situé à l’angle de la rue [Adresse 19], ledit immeuble élevé sur caves, avec rez-de-chaussée, et trois étages, grenier au-dessus, couvert en tuiles et en ardoises ».
Suivant des avenants en date des 10 janvier 2005 et 25 octobre 2007, le loyer a d’abord été porté à compter du 1er avril 2004 à la somme annuelle en principal de 30.500 euros hors taxes et hors charges puis, à compter du 1er avril 2007, à la somme annuelle en principal de 34.544 euros hors taxes et hors charges.
Par acte extrajudiciaire en date du 25 septembre 2009, la S.C.I. MARINE a délivré à la société LE VÉLODROME un congé avec refus de renouvellement et refus de paiement d’une indemnité d’éviction pour le 31 mars 2010 à minuit.
Par jugement rendu le 24 octobre 2013, le tribunal de grande instance de Paris a débouté la S.C.I. MARINE de ses demandes d’acquisition de la clause résolutoire incluse dans les deux commandements du 13 août 2009, dit que le congé avec refus de renouvellement délivré le 25 septembre 2009 a mis fin au bail pour le 31 mars 2010, ordonné la réouverture des débats pour conclusions de la société LE VÉLODROME sur les conséquences de la fin du bail.
La S.C.I. MARINE a interjeté appel de ce jugement.
Le juge de la mise en état a ordonné le sursis à statuer dans l’attente de la décision de la cour d’appel par ordonnance en date du 22 octobre 2014.
Par un arrêt du 2 décembre 2016, la cour d’appel de Paris a confirmé le jugement du 24 octobre 2013 en toutes ses dispositions, déclaré irrecevable comme nouvelle en cause d’appel la demande additionnelle de la société LE VÉLODROME en fixation de l’indemnité d’éviction, condamné la S.C.I. MARINE à verser à la partie adverse la somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Par un arrêt du 12 avril 2018, la 3ème chambre civile de la Cour de cassation a rejeté, par une décision non spécialement motivée, le pourvoi formé par la S.C.I. MARINE.
Suivant un jugement en date du 16 janvier 2020, le tribunal judiciaire de Paris a :
– Dit que la S.C.I. MARINE est redevable d’une indemnité d’éviction envers la société LE VÉLODROME,
– Dit que la société LE VÉLODROME a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du bail expiré jusqu’au paiement de l’indemnité d’éviction,
– Débouté la S.C.I. MARINE de sa demande d’expulsion de la société LE VÉLODROME et de tous occupants de son chef, de sa demande de mise en garde-meubles des meubles et objets pouvant se trouver dans les lieux et de sa demande de libération des lieux sous astreinte,
– Dit que la société LE VÉLODROME est redevable envers de la S.C.I. MARINE d’une indemnité d’occupation dite statutaire pour la période allant du 1er avril 2010 à la libération complète des locaux loués,
Avant dire droit sur l’ensemble des autres demandes,
– Ordonné une mesure d’expertise et commis pour y procéder Monsieur [J] [Z] afin d’estimer les indemnités dues réciproquement par les parties et d’analyser les travaux réalisés par la société LE VÉLODROME dans les lieux loués et leur nature, aux fins de déterminer s’ils ont vocation à être indemnisés au titre des indemnités accessoires à l’indemnité d’éviction, ou s’ils relèvent de frais réalisés en lieu et place du bailleur.
L’expert judiciaire a déposé son rapport le 23 avril 2021.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 25 octobre 2022, la S.C.I. MARINE demande au tribunal de :
Vu les dispositions des articles L. 145-14, L. 145-28, L. 145-33 et suivants et R. 145-2 et suivants du code de commerce,
Vu les dispositions des articles 699 et 700 du code de procédure civile,
Vu les dispositions des articles 1231-6 et 1343-2 du code civil,
Vu la jurisprudence citée et les pièces versées au débat,
– Fixer à la somme de 687.110 euros le montant de l’indemnité d’éviction à laquelle peut prétendre la société LE VÉLODROME ;
– Fixer à la somme annuelle en principal de 83.000 euros hors taxes et hors charges le montant, au 1er avril 2010, de l’indemnité d’occupation due par la société LE VÉLODROME ;
– Ordonner l’indexation annuelle de l’indemnité d’occupation selon la variation de l’indice ICC (indice du 2ème trimestre de chaque année) ;
– Condamner la société LE VÉLODROME au paiement des rappels d’indemnité d’occupation depuis le 1er avril 2010 ;
– Prévoir que ces sommes produiront intérêts au taux légal (applicable aux créanciers non-professionnels), lesquels courront depuis la date de l’assignation (21 avril 2011), anatocisme en sus ;
– Condamner la société LE VÉLODROME aux entiers dépens, en ce compris les frais d’expertise, dont distraction à la S.E.L.A.R.L. LVA, Maître [T] [E], dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile ;
– Condamner la société LE VÉLODROME au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 20 juin 2022, la société LE VÉLODROME demande au tribunal de :
Vu les articles 378 et 379 du code de procédure civile,
Vu les articles L. 145-14 et suivants du code de commerce,
– La déclarer recevable en ses demandes, fins et conclusions ;
– Débouter la S.C.I. MARINE de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
– Condamner la S.C.I. MARINE à verser à la société LE VÉLODROME, au titre de l’indemnité d’éviction comprenant l’indemnité principale et les accessoires, les sommes suivantes :
– Indemnité principale : 1.395.298 euros TTC,
– Accessoires : 535.858 euros TTC,
soit 1.439.227 euros TTC
– Indemnités annexes : 111.825 euros TTC ;
– Fixer un abattement de précarité sur l’indemnité d’occupation de 50 % ;
– Condamner la S.C.I. MARINE à payer à la société LE VÉLODROME la somme de 20.000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner la S.C.I. MARINE en tous les dépens comprenant les frais d’expertise, les frais d’exécution, dont distraction au profit de Maître Gilles HITTINGER-ROUX, avocat aux offres de droit, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;
– Dire que tous frais liés à l’exécution forcée ou au recouvrement de ces sommes, même partiellement, et en ce compris les droits proportionnels de recouvrement ou d’encaissement visés par l’article L. 111-8 du code des procédures civiles d’exécution, seront à la charge entière de la S.C.I. MARINE ;
– Ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir.
* * *
Ainsi que le permet l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières conclusions des parties pour l’exposé de leurs prétentions et de leurs moyens.
La clôture a été prononcée le 26 octobre 2022.
Suivant des conclusions notifiées postérieurement à la clôture le 25 octobre 2023 puis le 6 novembre 2023, la société LE VÉLODROME a sollicité la révocation de l’ordonnance de clôture aux motifs que postérieurement à la clôture, courant 2023, la chaudière alimentant l’eau chaude et le chauffage de l’ensemble des locaux est tombée en panne ; qu’elle a fait intervenir des chauffagistes lesquels ont conclu à l’irréparabilité de ladite chaudière, affectée d’une vétusté rendant impossible toute réparation.
Elle soutient que cette panne est intervenue en pleine quinzaine de Roland Garros, de sorte que l’hôtel et le restaurant se sont brutalement trouvés privés d’eau chaude et de chauffage, rendant impossible l’exercice de l’activité. Elle explique que devant le silence de la bailleresse, elle a financé le remplacement de la chaudière pour un montant de 20.521,44 euros et fait valoir qu’elle est fondée à solliciter une indemnisation à ce titre.
Par ailleurs, elle soutient que le rapport d’expertise a été rendu en avril 2021 et qu’il doit être réactualisé notamment au regard de la coupe du monde, etc.
Enfin, elle fait valoir que l’abattement de 50 % sur l’indemnité d’occupation qu’elle sollicite est justifié.
Suivant des conclusions notifiées le 26 octobre 2023, la bailleresse expose qu’aux termes du contrat conclu entre les parties, le locataire est responsable des installations d’eau et de chauffage qu’il doit laisser en ordre de marche et en parfait état en fin de jouissance.
Elle s’oppose à la révocation de l’ordonnance de clôture en l’absence de cause grave en lien avec le litige. Elle conclut qu’il appartient le cas échéant à la partie adverse d’introduire une autre procédure pour la chaudière. S’agissant de l’actualisation, elle soutient que du fait des lenteurs procédurales, il s’écoule nécessairement quelques mois entre les derniers éléments produits et le jour où le tribunal statue. S’agissant de l’abattement de l’indemnité d’occupation, elle répond que cette demande figure déjà dans les écritures notifiées avant la clôture. Elle argue que la demande est dilatoire et n’a que pour seul objectif de pouvoir se maintenir dans les lieux pendant les jeux olympiques.
L’affaire a été appelée pour plaidoiries à l’audience collégiale du 9 novembre 2023 et mise en délibéré au 15 février 2024 prorogé au 21 février 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de révocation de l’ordonnance de clôture formée par la société LE VÉLODROME
Selon l’article 803 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 entrée en vigueur le 1er janvier 2020 et applicable aux instances en cours à cette date, l’ordonnance de clôture de la mise en état peut être révoquée d’office ou à la demande des parties par le tribunal après l’ouverture des débats que s’il se révèle une cause grave depuis qu’elle a été rendue.
La présente instance ayant pour objet de fixer l’indemnité d’éviction et l’indemnité d’occupation dues réciproquement par les parties, la panne de la chaudière et les travaux pour la réparer pris en charge par la société LE VÉLODROME ne présentent pas de lien suffisant avec le litige dont est saisi le tribunal et ne sont en tout état de cause pas susceptibles de déterminer le litige. Par conséquent, la demande de révocation de l’ordonnance de clôture pour ce motif n’est pas justifiée.
La société LE VÉLODROME se prévaut encore de l’ancienneté du rapport d’expertise judiciaire déposé le 23 avril 2021 et de la nécessité de l’actualiser pour tenir compte notamment des éléments de référence de la valeur actualisée des fonds de commerce, de l’impact de l’accueil de la coupe du monde. Elle soutient également qu’elle est fondée à bénéficier d’un abattement de précarité de 50 % de l’indemnité d’occupation.
Il est rappelé que suivant ses dernières conclusions notifiées avant la clôture, la société LE VÉLODROME a formé une demande d’abattement de précarité de 50 % de l’indemnité d’occupation, dont le tribunal est saisi et qui ne saurait donc justifier la révocation de l’ordonnance de clôture.
S’agissant de l’actualisation du rapport d’expertise, il est observé que la société LE VÉLODROME avait la possibilité de communiquer des éléments d’actualisation avant la clôture, ce qu’elle n’a pas fait alors que l’accueil des jeux olympiques à Paris en 2024 était déjà connu, qu’elle avait la possibilité d’actualiser les références en versant au débat les éléments qui lui semblaient pertinents et que les derniers éléments comptables communiqués à l’expert sont de 2019, aucune pièce comptable n’étant communiquée au tribunal.
La société LE VÉLODROME ne justifiant d’aucun motif grave pouvant justifier la révocation de l’ordonnance de clôture, sa demande en ce sens sera par conséquent rejetée.
Sur l’indemnité principale d’éviction
L’indemnité d’éviction a pour objet de compenser le préjudice qui résulte pour le locataire évincé de la perte de son droit au bail. Si le fonds n’est pas transférable, l’indemnité principale correspond à la valeur du fonds et est dite de remplacement et comprend la valeur marchande du fonds, déterminée selon les usages de la profession. Si la valeur du droit au bail est supérieure à la valeur marchande du fonds, le locataire évincé doit alors se voir allouer une indemnité égale à la valeur du droit au bail, élément majeur du fonds de commerce, cette valeur correspondant à la différence entre le loyer qui aurait été payé par le locataire si le bail avait été renouvelé et la valeur locative de marché de ces mêmes locaux, affectée d’un coefficient de situation suivant l’intérêt de l’emplacement.
L’expert judiciaire commis relève que l’immeuble loué se situe à l’angle de l'[Adresse 16] et de la [Adresse 32], jouxtant [Adresse 22].
Monsieur [Z] précise que cette portion de [Adresse 21] « est un axe principal de circulation, ici à sens unique, encadrée par de larges trottoirs, et accueillant les principaux commerces de proximité (alimentaires et de services) dont quelques enseignes, ainsi qu’un marché 3 fois par semaine (côté impair, entre [Adresse 24] et [Adresse 23]). (…)
On note également via la Porte de [Localité 33], la proximité :
– du Périphérique
– et de plusieurs complexes sportifs : Parc des Princes, Stade Pierre de Coubertin, Stade Jean-Bouin » (page 8 du rapport).
Les locaux sont bien desservis par les transports en commun, la station de métro « Porte de [Localité 33] » étant située à quelques mètres à pied. Un parking public est situé à proximité.
Les lieux loués sont constitués d’un immeuble ancien élevé sur sous-sol, composé d’un rez-de-chaussée en boutique, de deux étages droits et d’un troisième et dernier étage partiellement mansardé. La façade est en maçonnerie enduite et peinte, sans ornement particulier. L’immeuble est en bon état apparent et d’entretien selon les photographies figurant au rapport, à pan coupé à l’angle des deux voies.
La société LE VÉLODROME exploite dans les locaux un hôtel meublé sans étoile (anciennement deux étoiles) et un bar-restaurant-brasserie.
La partie hôtel est accessible par une porte vitrée s’ouvrant sur un couloir qui dessert un petit bureau d’appoint sous l’escalier et une lingerie. Les chambres sont accessibles par un escalier lequel dessert :
– Au 1er étage :
* un palier avec WC communs (sol carrelé),
* un salon pour la clientèle éclairé sur [Adresse 21], par une baie,
* deux chambres équipées de salles de bains,
* un espace réservé à l’exploitant comprenant un bureau d’angle, une chambre à sa suite équipée d’une salle d’eau (lavabo et douche) ;
– Au 2ème étage :
* un palier et couloir avec WC communs,
* cinq chambres équipées de salles de bains ;
– Au 3ème étage :
* un palier et couloir avec WC communs,
* cinq chambres équipées de salles de bains.
La partie restaurant comprend :
– Un sous-sol où se situent pour la partie accessible à la clientèle : un dégagement en pied d’escalier, avec lavabo et sol carrelé, les sanitaires pour la clientèle (2 WC). S’agissant de la partie non accessible à la clientèle, elle est composée d’un vestiaire pour le personnel équipé d’un WC et d’une douche, de la cuisine avec en emprise une réserve à vins et une chambre froide, la chaufferie commandée par la cuisine ;
– Un rez-de-chaussée comprenant la salle de restaurant établie à l’angle des voies avec pan coupé, en fond de salle : un bar et l’escalier permettant l’accès au sous-sol.
Le restaurant bénéficie de deux terrasses, la première close et vitrée côté avenue de [Localité 34] et la seconde non close en prolongement de la première.
Les locaux offrent un linéaire de façade d’environ 28 mètres dont 12 mètres environ sur l’avenue de [Localité 34], 4,50 mètres environ sur le pan coupé et 11,50 mètres environ sur la [Adresse 32].
L’expert qualifie à bon droit l’adéquation entre cet emplacement et l’activité d’hôtel – restaurant exercée par la société LE VÉLODROME de « favorable » (page 10 du rapport), notant que cette adresse, « bien que largement excentrée notamment des quartiers historiques et des principaux sites touristiques de la Capitale, présente quelques avantages liés à :
– ses facilités d’accès (boulevard périphérique et métro),
– l’implantation de commerces et d’un marché constituant la principale animation,
– la présence d’un parking public,
– et la proximité de plusieurs complexes sportifs susceptibles d’apporter une clientèle ».
La clientèle du fonds de commerce dépend exclusivement de l’emplacement et en l’absence de preuve par le bailleur d’une possibilité de réinstallation du fonds dans des locaux équivalents à proximité, l’expert conclut à la perte du fonds de commerce du fait de l’éviction, ce qui n’est pas contesté par les parties et sera retenu par le tribunal.
La société LE VÉLODROME a donc droit à une indemnité de remplacement, égale à la valeur la plus élevée entre celle du droit au bail et la valeur marchande du fonds de commerce.
L’expert judiciaire relève que les hôtels sont traditionnellement considérés comme des locaux monovalents et que pour la partie restaurant, les locaux pourraient être qualifiés de monovalents dans ce sens qu’il existe selon lui une certaine interdépendance de l’exploitation hôtelière avec les surfaces du restaurant (l’hôtel ne dispose pas d’une salle de petits déjeuners propres, l’équipement de chauffage est commun), ce qui le conduit à retenir une valeur locative déplafonnée pour évaluer le droit au bail, position que la société LE VÉLODROME conteste fermement.
Selon l’expert et pour les parties, l’indemnité de remplacement est égale à la valeur marchande du fonds que retiendra donc également le tribunal. Il convient dès lors de constater que la question de la monovalence ou non des locaux discutée par la société LE VÉLODROME est sans incidence sur la solution du litige. Ce moyen ne sera dès lors pas examiné par le tribunal.
Pour évaluer la valeur vénale du fonds de commerce, Monsieur [Z] a appliqué une méthodologie distincte pour chacune des branches d’activité, ce que les parties retiennent également.
* La valeur marchande du fonds de commerce pour la branche restaurant
Pour la branche restaurant, Monsieur [Z] applique, suivant les usages de la profession, un coefficient au chiffre d’affaires moyen hors taxes afférent aux trois derniers exercices (2017, 2018, 2019). Il retient un chiffre d’affaires moyen hors taxes de 173.894 euros et applique un coefficient de 100 %, pour conclure à une valeur de 173.894 euros.
La S.C.I. MARINE soutient d’une part que le coefficient proposé par l’expert est excessif et demande de retenir 80 % du chiffre d’affaires moyen hors taxes afin de tenir compte de la TVA arguant que la fourchette usuelle est comprise entre 46 % et 110 % et qu’en l’espèce, il s’agit d’un « restaurant moyenne gamme » selon la partie adverse elle-même. D’autre part, elle fait valoir que la valeur des éléments du fonds doit être appréciée au moment le plus proche possible de l’éviction. A défaut de communication des éléments comptables des exercices récents admettant que l’exercice 2020 doit être relativisé, la bailleresse demande de retenir une moyenne pondérée des exercices 2017 à 2019 calculée ainsi :
[(205.258 € x 1) CA 2017 + (188.378 € x 2) CA 2018 + (128.046 € x 3) CA 2019] / 6 = 161.025,33 €.
Elle conclut à une valorisation de 128.820 euros (161.025,33 € x 80 %).
La société LE VÉLODROME soutient avoir financé des travaux lourds de réhabilitation de l’immeuble à hauteur de près de 480.000 euros et conteste l’absence de prise en compte de cet élément par l’expert autrement que par un abattement pour clause d’accession alors que ces travaux ont valorisé le bien. Elle fait valoir que le taux de valorisation d’usage se situe entre 60 et 190 % ; qu’en l’espèce, l’établissement est en parfait état et bénéficie d’un emplacement favorable ; qu’il convient de tenir compte tant de l’activité de restaurant que celle de brasserie avec licence IV dont elle est titulaire et dont la rentabilité est beaucoup plus élevée que les fonds de restaurant. Elle conclut à un coefficient de 100 % dont elle demande qu’il soit majoré de 40 % pour tenir compte des terrasses qui constituent une plus-value, soit un coefficient de 140 %.
Elle demande également de calculer l’indemnité principale correspondant à la perte du fonds de bar – brasserie – restaurant, sur la base du chiffre d’affaires moyen TTC sur quatre années (2016 à 2019), soit 215.068 euros TTC, et de retenir une indemnité de 301.095 euros TTC (215.068 € x 140 %).
* * *
Il est relevé à titre liminaire que la société LE VÉLODROME soutient dans ses écritures avoir réalisé des travaux de réhabilitation de l’immeuble pour un montant total de 479.733,74 euros, allégation qui n’est étayée par aucune des pièces versées au débat.
Sur les chiffres d’affaires
Il est rappelé que l’expert s’est prononcé sur la base des éléments communiqués par les parties et force est de constater que la société LE VÉLODROME ne produit pas d’éléments comptables récents postérieurs à 2019.
S’agissant du montant hors taxes ou TTC du chiffre d’affaires à prendre en considération, la Cour de cassation précise qu’il convient de rechercher si l’usage de la profession n’est pas d’inclure la taxe sur la valeur ajoutée dans le montant du chiffre d’affaires qui sert de base au calcul de l’indemnité d’éviction. En l’espèce, l’expert judiciaire indique, page 74 de son rapport, qu’ »à l’origine, les fonds de commerce se valorisaient par la méthode du chiffre d’affaires et sur une base TTC. Mais les approches de valorisation ont évolué. Aujourd’hui, la méthode du chiffre d’affaires n’est plus exclusive, et le plus souvent corroborée par la méthode financière. C’est pourquoi on ne raisonne plus en TVA, considérant que la TVA est un impôt et non une recette.
Décision du 21 Février 2024
18° chambre 2ème section
N° RG 11/06538 – N° Portalis 352J-W-B63-B2V6Y
Les calculs du preneur sont d’ailleurs faussés pour la branche restaurant à laquelle il applique un taux de TVA uniforme de 20 %, alors que la TVA en matière de restauration varie de 10 % (pour la nourriture à consommer sur place) à 20 % (pour les boissons alcoolisées). Ainsi, les comptes de résultats détaillés des exercices 2016 et 2017 (non communiqués pour les exercices postérieurs) distinguent les recettes à 10 % et celles à 20 % ».
Même si l’usage était de retenir un chiffre d’affaires TTC, la société LE VÉLODROME ne justifie pas de l’exactitude des chiffres avancés à défaut de fournir des éléments comptables détaillés, de sorte qu’il y a lieu de prendre en compte ses chiffres d’affaires hors taxes.
S’agissant des années prises en compte pour les chiffres d’affaires, il est usuel de fonder l’estimation de la valeur du fonds sur les éléments chiffrés des trois derniers exercices connus comme l’a fait l’expert judiciaire, soit les exercices 2017 à 2019, ce que retiendra également le tribunal.
Quant à la demande de pondérer les données chiffrées de la S.C.I. MARINE, il convient de rappeler que l’application d’une moyenne arithmétique est de principe et la pondération n’a lieu d’être pratiquée sur les données chiffrées que pour souligner une tendance forte et cohérente de l’activité en volume et en résultat, que ce soit à la hausse ou à la baisse.
Tel n’est pas le cas, en l’espèce, des chiffres d’affaires de la société LE VÉLODROME sur les années 2017 à 2019, qui ne présentent pas sur ces trois années de baisse ou de hausse suffisamment conséquente pour considérer que le calcul de leur moyenne arithmétique n’est pas pertinent. A cet égard, la tendance baissière de l’activité en 2019 semble résulter à la fois d’un choix de gestion de la société LE VÉLODROME et des mouvements sociaux et sportifs et l’expert estime sans être contredit que « cette branche est effectivement à remonter, mais recèle un potentiel de développement dans l’hypothèse d’un repreneur, qui prendrait l’initiative d’une ouverture 7j/7j » (page 80 du rapport).
Il résulte des éléments comptables repris par l’expert (page 40 du rapport) et non contestés par les parties que l’activité café-bar-restaurant-brasserie a généré un chiffre d’affaires de :
– 205.258 euros hors taxes pour l’année 2017,
– 188.378 euros hors taxes pour l’année 2018,
– 128.046 euros hors taxes pour l’année 2019,
soit un chiffre d’affaires moyen de 173.894 euros hors taxes.
Sur le coefficient multiplicateur
L’expert indique, pour retenir un coefficient multiplicateur de 100 %, qu’il a pris en considération qu’il s’agit d’un restaurant :
« – établi dans une salle avec très bon effet d’enseigne, et importantes terrasses,
– équipé d’un mobilier de standing courant, d’équipements, et d’une grande cuisine paraissant complète, l’ensemble en état d’usage,
– connaissant une baisse d’activité, principalement en raison des mouvements sociaux et sportifs en 2019, avec fermeture 1 jour par semaine, donc avec un potentiel de développement » (page 54 du rapport).
Il répond aux contestations des parties, en expliquant que « notre estimation à 100 % du CA/HORS TAXES moyen, tient compte que cette branche, bien que recélant un potentiel de développement, reste à remonter » (page 74 du rapport) et que ce potentiel de développement réside « dans l’hypothèse d’un repreneur qui prendrait l’initiative d’une ouverture 7j/7j » (page 80 du rapport). Aucun élément ne permet de remettre en cause cette argumentation.
La valeur du fonds de commerce pour la branche restaurant est donc évaluée à la somme de 173.894 euros.
* La valeur marchande du fonds de commerce pour la branche hôtel
Pour apprécier la valeur marchande du fonds de commerce pour la branche hôtel, Monsieur [Z] applique la méthodologie suivante : « les valeurs de fonds d’hôtels s’estiment traditionnellement par un multiple du chiffre d’affaires HORS TAXES, variant dans une fourchette généralement comprise entre 2 à 5, voire plus lorsqu’il y a un potentiel de développement » (page 55 du rapport). Il cite des références de cessions de fonds et de fixations judiciaires d’indemnités d’éviction. Il retient un multiple de 3,75 et évalue la valeur du fonds de commerce pour la branche hôtel ainsi : 176.024 € x 3,75 = 660.090 euros.
La S.C.I. MARINE ne conteste pas la méthodologie retenue par l’expert. Elle fait valoir que la valeur des éléments du fonds doit être appréciée au moment le plus proche possible de l’éviction. A défaut de communication des éléments comptables des exercices récents admettant que l’exercice 2020 doit être relativisé, la bailleresse demande de retenir une moyenne pondérée des exercices 2017 à 2019 calculée ainsi :
[(170.902 € x 1) CA 2017 + (180.373 € x 2) CA 2018 + (176.796 € x 3) CA 2019] /6 = 177.006 €.
Elle soutient que le multiple proposé par l’expert est excessif et correspond à un haut de fourchette hors crise ; que Monsieur [Z] a sans explication pertinente majorer le coefficient entre sa note de synthèse (dans laquelle il retenait un multiple de 3,25) et son rapport définitif. Elle fait constater que des références citées par l’expert, abstraction faite de celle qui concerne un hôtel de 36 chambres, le coefficient multiplicateur moyen est de 3,22. Elle produit des références du cabinet [F], acteur du marché hôtelier, et demande au tribunal de se référer à celle qui concerne l’hôtel comprenant le moins de chambres (21 en l’espèce) et pour lequel un coefficient de 3 a été appliqué. Elle demande de retenir, s’agissant d’un hôtel de 12 chambres disposant d’une capacité de développement limitée, un coefficient de 2,75.
Elle conclut à une valorisation de 486.766 euros (177.006 € x 2,75).
La société LE VÉLODROME fait valoir que le trouble lié au congé avec refus de renouvellement a perturbé et fragilisé le fonds tant au niveau des investissements que de la commercialisation ; que sans ce congé, l’activité aurait connu un essor certain, favorisée par la qualité du produit, son emplacement et son parfait état d’entretien. Elle cite trois références pour des hôtels situés à [Localité 25], [Localité 15] et [Localité 18] où des taux de 3,3, 3,2 et 3 ont été retenus et soutient qu’en l’espèce, les locaux sont situés dans le [Localité 7], « dans un lieu quasi idéal pour la profession exercée, offrant des possibilités d’améliorations immédiates » justifiant de retenir un multiple de 5.
Elle demande de calculer l’indemnité principale correspondant à la perte du fonds d’hôtel, sur la base du chiffre d’affaires moyen TTC, soit 198.946 euros TTC, ainsi :
198.946 € x 5 = 994.730 € TTC et d’ajouter la valeur d’opportunité latente pour un exploitant du secteur (10 %), soit 994.730 € x 1.10 = 1.094.203 € TTC.
* * *
S’agissant du montant hors taxes ou TTC du chiffre d’affaires à prendre en considération, la Cour de cassation précise qu’il convient de rechercher si l’usage de la profession n’est pas d’inclure la taxe sur la valeur ajoutée dans le montant du chiffre d’affaires qui sert de base au calcul de l’indemnité d’éviction. En l’espèce, l’expert judiciaire indique, page 55 de son rapport, que « les valeurs de fonds d’hôtels s’estiment traditionnellement par un multiple du chiffre d’affaires HORS TAXES ».
Les références citées par l’expert font état d’un chiffre d’affaire moyen hors taxes et il n’est pas démontré comme le soutient la société LE VÉLODROME que l’usage de la profession est de prendre en considération le chiffre d’affaires moyen TTC plutôt que celui hors taxes. Le tribunal prendra donc en considération le chiffre d’affaires moyen hors taxes des trois dernières années justifiées.
S’agissant des années prises en compte pour les chiffres d’affaires, il est usuel de fonder l’estimation de la valeur du fonds sur les éléments chiffrés des trois derniers exercices connus comme l’a fait l’expert judiciaire, soit les exercices 2017 à 2019, ce que retiendra également le tribunal.
Quant à la demande de pondérer les données chiffrées de la S.C.I. MARINE, elle ne sera pas retenue pour les motifs déjà exposés concernant la partie restauration du fonds évincé, étant précisé qu’en l’espèce l’activité est stable, de sorte qu’aucune tendance notable n’est établie.
Il résulte des éléments comptables repris par l’expert (page 40 du rapport) et non contestés par les parties que l’activité hôtel a généré un chiffre d’affaires de :
– 170.902 euros hors taxes pour l’année 2017,
– 180.373 euros hors taxes pour l’année 2018,
– 176.796 euros hors taxes pour l’année 2019,
soit un chiffre d’affaires moyen de 176.023,66 euros hors taxes.
Sur le coefficient multiplicateur
L’expert a cité quatre références de cession de fonds amiable (coefficients compris entre 3,38 et 8,31) et trois références de fixations judiciaires d’indemnités d’éviction d’hôtels :
– [Adresse 29]
Hôtel meublé avec café – 29 chambres
Branche hôtel : 2,5 du chiffre d’affaires hors taxe moyen
– [Localité 27] 11ème, 43 rue Malte
[Adresse 20]
Prise en compte de 3,5 du chiffre d’affaires hors taxe moyen
– [Localité 27] 13ème, [Adresse 2]
Hôtel meublé sans classement – 36 chambres
Prise en compte de 3,67 du chiffre d’affaires hors taxe moyen
Pour retenir un multiple de 3,75, Monsieur [Z] prend en compte qu’il s’agit en l’espèce d’un hôtel de bonne localisation, qui maintient son chiffre d’affaires mais de capacité de développement limitée en raison de sa très petite capacité (12 chambres), de distribution peu fonctionnelle (salon à l’étage, chambres desservies par escalier sans ampleur) et difficile à restructurer (chambre de superficie réduite dans un immeuble ancien). Il précise : « il peut être raisonné sur un multiple de 3,5 à 4 fois le chiffre d’affaires moyen/Hors taxes » (page 56 du rapport).
Les parties ont soumis leur argumentation à l’expert judiciaire par voie de dires.
Monsieur [Z], en réponse à l’argumentation de la société LE VÉLODROME, écrit:
« Cette valorisation, basée sur une perspective de croissance, supposera des travaux d’investissement. Si l’établissement concerné est d’une telle qualité et d’une telle rareté, comment se fait-il qu’il n’a pas retrouvé ses étoiles ?
Les perspectives de développement étant limitées en raison du nombre réduit de chambres, ne justifient à notre avis qu’un multiple de 3,75.
Rappelons que le chiffre d’affaires moyen 2017-2019 est quasiment identique à celui des années 2011-2013 époque où l’établissement était classé en 2 étoiles, démontrant ainsi que sa vitesse de croisière est atteinte » (page 74 du rapport).
Il est rappelé que l’expert s’est prononcé sur la base des éléments communiqués par les parties et force est de constater que la société LE VÉLODROME ne produit pas d’éléments comptables récents postérieurs à 2019. Par ailleurs, il est établi que l’hôtel exploité était classé en 2 étoiles par arrêté du 17 avril 2009 et que ce classement a été perdu à une date inconnue mais vraisemblablement le 23 juillet 2012, faute d’être en conformité avec la nouvelle réglementation. S’il peut être admis que la procédure a conduit l’exploitant à limiter les investissements comme il le soutient, l’argument sérieux de l’expert tenant à l’absence de différence notable entre le chiffre d’affaires moyen 2017-2019 (176.024 euros) et celui des années 2011-2013 (180.443 euros), époque où l’établissement était classé en 2 étoiles, la capacité de l’hôtel réduite (12 chambres) et la configuration des lieux rendant difficile une redistribution ou une restructuration ne sont pas utilement remis en cause. Dès lors, la société LE VÉLODROME n’établit pas l’important potentiel de développement de l’hôtel qu’elle allègue et qui justifierait de retenir le coefficient de 5 ainsi que la majoration de 10 % au titre de la « valeur d’opportunité latente pour un exploitant du secteur » qu’elle demande.
S’agissant des contestations de la S.C.I. MARINE, les références citées par le cabinet [F] pour des dates comprises entre septembre 2020 et mars 2021 font état de coefficients compris entre 3 et 4, de sorte que ces éléments ne permettent pas non plus d’étayer la position de la bailleresse sollicitant de retenir un coefficient de 2,75 alors qu’il n’est pas discuté que l’emplacement de hôtel, bien qu’excentré, est bon.
Pour autant, l’emplacement bien que bon n’est pas exceptionnel, l’hôtel a des possibilités de développement limitées et dispose d’une faible capacité, de sorte que le coefficient de 3,75 apparaît excessif et doit être ramené plus justement à 3,5.
La valeur du fonds de commerce pour la branche hôtel est donc évaluée à la somme de 616.082,81 euros arrondie par commodité à 616.083 euros.
* * *
L’indemnité principale d’éviction s’élève à 789.977 euros (173.894 + 616.083).
Sur les indemnités d’éviction accessoires
Selon l’article L. 145-14 du code de commerce, l’indemnité d’éviction comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre, ce dont il résulte qu’il appartient au bailleur d’établir l’absence d’intention de réinstallation du preneur, celle-ci étant présumée.
– L’indemnité de remploi
Les frais de remploi comprennent les frais et droits que doit supporter le locataire évincé pour se réinstaller, à savoir le rachat d’un fonds et donc les droits de mutation et les honoraires nécessaires.
L’expert propose de retenir une indemnisation de 78.810 euros qu’il décompose ainsi :
– Frais d’agence pour acheter un droit au bail ou un fonds de commerce, évalués à 5 % de l’indemnité principale, soit 41.750 euros,
– Frais fiscaux à hauteur de 3 % entre 23.000 et 200.000 euros et de 5 % au delà de 200.000 euros, soit 37.060 euros.
La S.C.I. MARINE demande de retenir une évaluation forfaitaire à hauteur de 10 % de l’indemnité principale qu’elle évalue à 615.600 euros et conclut à une indemnité de ce chef de 61.560 euros.
La société LE VÉLODROME demande de retenir une évaluation forfaitaire à hauteur de 10 % de l’indemnité principale qu’elle évalue à 1.395.298 euros et demande donc de ce chef la somme de 153.482 euros TTC.
L’évaluation à hauteur de 10 % de l’indemnité principale est conforme aux usages et de plus, sollicitée par les parties. Elle sera donc retenue.
Les frais de remploi seront donc fixés à la somme de 78.997,70 euros (789.977 euros x 0,10).
– Le trouble commercial
Cette indemnité compense la perte de temps générée par l’éviction et le moindre investissement dans le commerce.
L’expert l’a évaluée en l’espèce à trois mois d’EBE moyen. Il retient 13.796 € x 3 / 12 = 3.450 euros.
La S.C.I. MARINE ne critique pas l’évaluation de l’expert sauf à ce que l’EBE soit actualisé.
La société LE VÉLODROME demande de retenir une indemnité égale à douze mois du résultat d’exploitation, soit 16.996 euros.
La société LE VÉLODROME ne communique aucun élément comptable au tribunal et est défaillante dans la charge de la preuve qui lui incombe de chiffrer son préjudice.
Dans la mesure où la S.C.I. MARINE ne conteste pas le principe du trouble commercial et qu’elle accepte l’évaluation de l’expert qui est conforme aux usages, l’indemnité au titre du trouble commercial sera fixée à la somme de 3.450 euros.
– Les frais de déménagement
L’expert explique que le mobilier et les équipements sont incorporés dans la valeur du fonds ; que seuls les effets personnels éventuels de l’exploitant sont concernés. Il a examiné les deux devis communiqués par la société LE VÉLODROME – un devis de la société SRP DEMENAGEMENT en date du 22 mai 2014 d’un montant de 8.000 euros TTC et un devis de la société CES non daté de 8.480 euros TTC – et considère que ces deux devis sont excessifs compte tenu de la faible superficie de l’espace réservé à l’exploitant. Il retient de ce chef la somme de 1.500 euros. Il précise que si néanmoins, le bailleur exige le déménagement complet de l’établissement afin que les locaux soient restitués libres, les frais de déménagement peuvent être évalués à 8.000 euros.
La S.C.I. MARINE demande de retenir au titre des frais de déménagement, la somme de 1.500 euros telle qu’évaluée par l’expert.
La société LE VÉLODROME demande de retenir de ce chef la somme de 8.500 euros, faisant valoir que l’évaluation de l’expert est dérisoire et que le rapport d’expertise unilatérale produit par la partie adverse évalue les frais de déménagement à la somme de 17.000 euros.
La société LE VÉLODROME va nécessairement devoir déménager son stock, les effets personnels, éventuellement ses archives. Compte tenu des devis soumis à l’expert et du rapport d’expertise unilatérale communiqué par la partie défenderesse dont il ressort que Madame [M] a évalué ces frais à 17.000 euros (40 € x 417 m²), il sera retenu la somme de 8.500 euros, conformément à la demande, au titre des frais de déménagement.
– Les frais administratifs et divers
Ces frais divers, incluant les frais juridiques et administratifs, tels que rédaction d’acte, formalités au Registre du Commerce etc., ont été évalués par l’expert à la somme de 5.000 euros.
La S.C.I. MARINE demande de retenir l’évaluation de l’expert, soit 5.000 euros.
La société LE VÉLODROME demande de retenir ces frais pour mémoire dans le corps de ses conclusions, soutenant que devront y être inclus les frais de procédure et notamment d’avocat. Cette prétention n’est pas reprise dans le dispositif des écritures, de sorte que le tribunal n’est saisi d’aucune demande de ce chef.
L’évaluation de l’expert étant conforme aux usages et non contestée, elle sera retenue, soit 5.000 euros au titre des frais administratifs et divers.
– Les frais de licenciement
Les frais de licenciement du personnel du locataire seront remboursés par le bailleur sur justificatifs.
– La « participation aux frais d’agencement du local »
La société LE VÉLODROME se prévaut d’un arrêt de la Cour de cassation du 21 mars 2007 (n° 06-10.780) et fait valoir que le bailleur doit prendre en charge une participation à l’aménagement du local d’accueil. Elle expose qu’en l’espèce, l’établissement est en parfait état et la dotation annuelle aux amortissements atteste des investissements réalisés.
Elle demande de ce chef une indemnité correspondant à 45 % des immobilisations corporelles brutes, soit : 726.400 € x 45 % = 326.880 euros, précisant que cela correspond à un ratio de 450 euros le m², « ce qui est modéré pour un établissement en si bon état et de cette qualité ».
La S.C.I. MARINE conclut au rejet de cette demande.
L’expert judiciaire a répondu à cette demande en page 75 de son rapport :
« Par frais de réinstallation, il faut comprendre les agencements et installations techniques indispensables à l’exploitation.
En matière d’indemnité d’éviction, le bailleur n’est cependant pas redevable d’une livraison à neuf, d’où l’application généralement d’un abattement pour vétusté.
Le preneur sollicite des frais d’un montant de 326 880 € soit pour 406,60 m² un ratio de 804 €/m² (et non pas de 450 €/m²).
Cependant ici :
– Le fonds a été intégralement indemnisé.
– Et l’établissement ne relève d’aucune chaîne, et ne présente donc aucune spécificité.
Dans sa recherche d’un nouveau fonds, le preneur s’orientera à privilégier un hôtel/restaurant déjà équipé.
En l’état, aucun frais de réinstallation spécifique ne nous semble dû ».
Cette argumentation est pertinente. Le locataire évincé ne peut prétendre au versement d’une indemnité au titre de sa réinstallation que si ces frais n’ont pas déjà été pris en compte dans l’indemnité principale, qui a été évaluée pour un local équivalent à celui dont il est évincé, ce qui est le cas en l’espèce. De plus, le tribunal a retenu des frais de déménagement du mobilier, de sorte qu’il n’est pas justifié de l’existence du préjudice allégué distinct de ce qui est déjà indemnisé.
– Les frais de réinstallation
La société LE VÉLODROME demande de retenir ces frais pour mémoire dans le corps de ses conclusions, prétention non reprise dans le dispositif des écritures, et qui correspond à la demande précédente, qu’elle a intitulée « participation aux frais d’agencement du local », de sorte que le tribunal n’est saisi d’aucune demande distincte de ce chef.
– Les frais de double loyer
La société LE VÉLODROME expose que l’éviction va la contraindre à anticiper la libération des lieux et à prendre à bail de nouveaux locaux. Elle fait valoir qu’elle va supporter, pendant une durée estimée à six mois, un double loyer. La société LE VÉLODROME sollicite à ce titre la somme de 30.000 euros.
La S.C.I. MARINE conclut au rejet de cette demande.
L’expert judiciaire a indiqué à juste titre que la réclamation au titre de ce poste n’est pas justifiée puisqu’il n’y a pas de transfert de fonds.
Par conséquent, cette demande est rejetée.
– Sur la demande d’indemnité annexe formée par la société LE VÉLODROME au titre des travaux de conformité et de ravalement
La société LE VÉLODROME expose que le bailleur n’a pas réalisé les travaux de conformité (sécurité incendie, accessibilité) à sa charge et relevant de son obligation de délivrance, exigés par l’arrêté du 24 juillet 2006 et sa circulaire du 1er février 2007, relatives aux mises aux normes des systèmes de sécurité incendie pour les établissements à destination d’hôtel tenus de les exécuter dans un délai sanction ; qu’elle a été contrainte de les exécuter à ses frais afin d’éviter la fermeture de l’hôtel pour un montant de 72.134,29 euros.
Par ailleurs, la société LE VÉLODROME explique qu’elle a supporté la charge des travaux de ravalement faisant l’objet d’une injonction de faire de la part de l’administration, et dont elle soutient qu’ils étaient liés à la vétusté. Elle explique que la partie adverse a délibérément fait durer la procédure ; que du fait de l’absence de bail, la société LE VÉLODROME n’a pu obtenir un prêt auprès d’une banque afin de financer lesdits travaux qu’elle a supportés sur ses fonds propres, grevant ainsi sa trésorerie et ce, pour un montant de 39.691,06 euros.
Elle demande la condamnation de la S.C.I. MARINE à lui verser une indemnité annexe correspondant au coût de ces travaux, soit la somme de 111.825,38 euros.
La S.C.I. MARINE ne répond pas à cette demande.
* * *
S’agissant des travaux de ravalement réalisés fin 2014 – début 2015 par la société SENKAZ BATIMENT pour un montant de 39.691,06 euros TTC, le bail stipule expressément que le preneur devra « 3°) Entretenir ledit immeuble et ses dépendances en bon état de réparations locatives et entretien, notamment assurer le ravalement par périodes régulières des façades sur rues et sur cour, et de les rendre en fin de bail en bon état desdites réparations, le bailleur n’étant tenu que des grosses réparations telles qu’elles sont réglées par l’article 606 du Code Civil (…). » Ces travaux sont donc contractuellement à la charge de la société LE VÉLODROME.
L’expert n’a constaté aucun élément, telle qu’une vétusté, laquelle est toujours à la charge du bailleur, qui permet de remettre en cause l’application de cette clause. En outre, il est notable que la décision par laquelle l’administration aurait enjoint d’effectuer lesdits travaux n’est pas produite aux débats. Cette demande sera donc rejetée.
S’agissant des autres travaux, l’expert fait remarquer que les travaux de sécurité réalisés en 2012-2013 s’élèvent à « 70.192,94 € (et non pas 72 134,29 €) mais certaines factures ne semblent pas relever desdits travaux, quand d’autres ne sont pas produites ». Il liste les factures qui concernent les travaux de sécurité (coordination système sécurité incendie, mise aux normes des bloc-portes, remplacement de l’alarme incendie, mise en conformité de l’éclairage de secours, désenfumage, alimentation de l’alarme incendie, remise aux normes de l’installation électrique) soit un montant total de 59.704,54 euros.
Monsieur [Z] expose que le bail ne comporte pas de clause relative aux mises aux normes et en conclut qu’elles relèvent selon lui des obligations du bailleur. Il émet l’avis que ces travaux « sont à considérer comme des frais réalisés au lieu et place du bailleur. Néanmoins, ils sont à ce jour sinon totalement, du moins très largement amortis, et nécessairement déjà pris en compte dans la valorisation du fonds » (page 60 du rapport).
Les travaux prescrits par l’autorité administrative sont, sauf stipulation contraire, à la charge du bailleur. En l’espèce, le bail ne dispose pas de clause relative aux travaux de conformité.
Toutefois, il n’est pas justifié d’une demande de l’administration d’effectuer lesdits travaux, le seul courrier en ce sens étant en date du 23 avril 2009 par lequel la Préfecture de Paris notifie l’arrêté de classement à la société LE VELODROME et lui rappelle qu’elle doit apposer sur la façade de l’hôtel « un panonceau avec le millésime de l’année en cours » et « afficher le prix des chambres ».
En tout état de cause, la société LE VELODROME – qui forme cette demande à titre d’ »indemnités annexes » – est en l’espèce indemnisée sur la base de l’hypothèse d’une perte du fonds de commerce, de sorte que les aménagements immobiliers sont inclus dans la valeur du fonds et ne peuvent faire l’objet d’une indemnisation complémentaire. Cette demande sera donc rejetée.
Quant aux autres factures produites (rédaction du dossier de mise en sécurité, création de plans de l’hôtel sur 5 niveaux, contrôle des installations électriques, élaboration de plans, rapport de vérification réglementaire, plans d’intervention des pompiers, plan d’évacuation, plans des chambres, signalétique, fourniture des cadres pour tarification, maintenance annuelle des extincteurs – désenfumage – alarme incendie, travaux de robinetterie et de peinture, évaluation des risques professionnels, vérification annuelle de l’installation de gaz, vérification annuelle de l’électricité) pour un montant de 10.488,40 euros, l’expert considère à juste titre que ces factures concernent des travaux qui incombent au preneur en tant qu’exploitant. Cette demande sera donc rejetée.
* * *
En conclusion, l’indemnité d’éviction due à la société LE VÉLODROME est fixée ainsi :
– indemnité principale : 789.977 euros,
– indemnité de remploi : 78.997,70 euros,
– trouble commercial : 3.450 euros,
– frais de déménagement : 8.500 euros,
– frais administratifs et divers : 5.000 euros,
– frais de participation aux frais d’agencement du local : rejet,
– frais de double loyer : rejet,
– frais de licenciement : sur justificatifs,
soit au total la somme de 885.924,70 euros.
Sur l’indemnité d’occupation
L’article L. 145-28 du code de commerce dispose qu’ »aucun locataire pouvant prétendre à une indemnité d’éviction ne peut être obligé de quitter les lieux avant de l’avoir reçue. Jusqu’au paiement de cette indemnité, il a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat de bail expiré. Toutefois, l’indemnité d’occupation est déterminée conformément aux dispositions des sections 6 et 7, compte tenu de tous éléments d’appréciation (…). »
Il est constant que l’indemnité d’occupation due par le locataire évincé doit être fixée à la valeur locative chiffrée en application de l’article L. 145-33 du code de commerce, donc à la valeur locative d’un bail renouvelé ou révisé, non à la valeur locative de marché, et que le plafonnement prévu par l’article L. 145-34 du même code est exclu.
Il convient par conséquent de constater que la question de la monovalence ou non des locaux discutée par la société LE VÉLODROME est sans incidence sur la solution du litige.
La société LE VÉLODROME est donc redevable, de la date d’effet du congé, soit du 1er avril 2010, jusqu’à la libération effective des locaux, d’une indemnité d’occupation.
Sur la valeur locative
Aux termes de l’article L. 145-33 du code de commerce, la valeur locative d’un local commercial doit être fixée d’après les caractéristiques du local considéré, la destination des lieux, les obligations respectives des parties, les facteurs locaux de commercialité et les prix couramment pratiqués dans le voisinage.
Monsieur [Z] a procédé à l’évaluation de la valeur locative du restaurant, de l’hôtel et de l’espace réservé à l’exploitant.
Sur la valeur locative du restaurant
L’expert retient, pour le restaurant, une surface pondérée totale de 95,97 m² arrondie à 96 m², qui n’est pas discutée par les parties et qui sera donc retenue par le tribunal.
L’expert propose un prix unitaire de 400 euros par m² pondéré, et une majoration de 10 % pour le droit de terrasse, soit une valeur locative après correctifs et avant abattement pour précarité de 42.240 euros par an, hors taxes et hors charges.
La S.C.I. MARINE se prévaut d’un rapport d’expertise unilatérale établi par Madame [M] et des références citées par l’expert judiciaire pour solliciter un prix unitaire de 459,66 euros par mètre carré pondéré. Elle demande de retenir la majoration de la valeur locative de 10 % pour le droit de terrasse conformément au rapport d’expertise judiciaire.
La société LE VÉLODROME conclut à un prix unitaire de 250 euros par mètre carré pondéré. S’agissant de la majoration pour droit de terrasse, elle s’y oppose au motif que l’impact des terrasses n’est pas significatif compte tenu de son usage limité selon les saisons et de la tenue trois demi-journées par semaine du marché qui empêche l’utilisation de la terrasse ouverte. Subsidiairement, elle demande que la majoration soit limitée à 2 %.
Au titre des éléments de comparaison, l’expert judiciaire cite :
– deux fixations judiciaires :
* pour un commerce de chaussures pour enfant – maroquinerie – lingerie et vêtements pour enfants situé [Adresse 5], à effet au 1er juillet 2007 : surface pondérée de 18,30 m², prix unitaire : 410 euros / m² P,
* pour une banque située [Adresse 8], à effet au 1er juillet 2010 : surface pondérée de 126 m², prix unitaire : 550 euros / m² P ;
– deux références de renouvellements amiables :
* pour un café / brasserie situé [Adresse 3] à effet au 1er juillet 2008 : surface pondérée de 75 m², prix unitaire : 300 euros / m² P,
* pour une banque située [Adresse 9] à effet en mai 2010 : surface pondérée de 103 m², prix unitaire : 404 euros / m² P ;
– deux locations nouvelles :
* pour une agence immobilière située [Adresse 6] à effet en avril 2007 : surface pondérée de 57 m², prix unitaire : 439 euros / m² P ;
* pour un opticien situé [Adresse 10] à effet en janvier 2011 : surface pondérée de 55 m², prix unitaire : 655 euros / m² P ;
La société LE VÉLODROME soutient que ces références ne sont pas pertinentes notamment parce qu’elles ne concernent pas la même activité que celle qu’elle exerce. Elle cite trois références d’hôtels sans indication de leurs surfaces à l’exception de la troisième :
– Hôtel non classé de 24 chambres avec brasserie restaurant situé [Adresse 4] à [Localité 17], bail en renouvellement à compter du 1er octobre 2010 : loyer : 35.557 euros par an,
– Hôtel non classé de 15 chambres avec deux boutiques situé [Adresse 1],
bail en renouvellement à compter du 1er janvier 2012 : loyer de 33.000 euros, renouvellement au 1er janvier 2021 : loyer 40.000 euros par an,
– Hôtel de 9 chambres et café restaurant situé [Adresse 12] à [Localité 26], d’une superficie de 219 m², bail en renouvellement à compter du 1er mars 2020 : loyer de 24.000 euros par an.
L’expert a relevé à juste titre que l’hôtel [Adresse 31] est sans restaurant et que les deux références d’hôtel avec restaurant se situent en banlieue et que les loyers des restaurants en banlieue ne sont pas les mêmes qu’à [Localité 7] (page 77 du rapport).
Pour retenir un prix unitaire de 400 euros / m² P au 1er avril 2010, Monsieur [Z] a pris en compte :
« – l’environnement commerçant, et profitant d’un flux de chalands complémentaire susceptible de venir du marché et des complexes sportifs proches de la [Adresse 30],
– la bonne desserte par les transports en commun,
– la configuration des locaux bien adaptée pour un commerce de bouche, avec un bel effet d’enseigne,
– des loyers pratiqués en boutiques dans la portion concernée de l’avenue de [Localité 34]. »
L’évaluation de l’expert est corroborée par le rapport d’expertise unilatérale produit par la S.C.I. MARINE qui retient également un prix unitaire avant correctifs de 400 euros par m² pondéré pour la partie restaurant.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, la valeur locative statutaire proposée par l’expert, avant correctifs, soit 38.400 euros (96 m² pondéré x 400 euros) est pertinente et sera retenue.
S’agissant de la majoration pour droit de terrasse, les parties ne contestent pas l’observation de l’expert judiciaire selon laquelle « l’existence d’une double terrasse totalisant 60 places, comparativement au 32 places intérieures, permet d’augmenter la capacité assise de l’établissement de 187 % » (page 45 du rapport). Par ailleurs, il n’est pas discuté que la terrasse couverte comprend 40 places tandis que la terrasse extérieure non couverte comprend 20 couverts selon le décompte communiqué par le preneur à l’expert (page 36 du rapport).
Les photographies figurant dans le rapport permettent de corroborer l’avis de l’expert selon lequel cette double terrasse confère plus de visibilité au commerce. Il convient également de retenir que cette double terrasse est de taille non négligeable (35,80 m² selon le rapport page 73) au regard de la surface de vente intérieure, permettant d’augmenter le nombre de couverts. Elle permet de générer des recettes supplémentaires, permanentes en ce qui concerne la terrasse couverte contrairement à ce que soutient la société LE VÉLODROME. Seule la terrasse extérieure est concernée par les aléas de la météo, étant relevé qu’il n’est pas établi que le marché empiète sur cette terrasse et empêche son exploitation.
Au regard de ces éléments, la majoration de 10 % retenue par l’expert apparaît parfaitement justifiée. La valeur locative pour la partie restaurant s’établit donc à 42.240 euros par an hors taxes (38.400 + (38.400 x 0,10)).
Sur la valeur locative de l’hôtel
Pour évaluer la valeur locative de la partie hôtel, l’expert applique une méthode spécifique dite « méthode hôtelière » laquelle prend en compte :
« – la catégorie de l’hôtel,
– la recette théorique (prix affichés des chambres hors taxes)
– un coefficient de fréquentation variable ».
Cette méthode « consiste à retenir pour loyer la recette théorique sur laquelle est appliqué un pourcentage dit immobilier, fonction de la qualité et des caractéristiques de l’établissement ».
Les parties ne contestent pas l’application par l’expert de la méthode hôtelière dite « ancienne », plutôt que de la méthode dite « actualisée », le refus de renouvellement étant antérieur à octobre 2016.
Au titre de la catégorie de l’hôtel, Monsieur [Z] rappelle que l’établissement était classé en 2 étoiles à la date du congé puis les a perdues.
Pour la recette théorique maximale annuelle, l’expert se réfère aux tarifs 2010 TTC des 12 chambres, soit :
– 4 chambres avec douche (sans wc) x 75 € = 300 €,
– 5 chambres avec douche et wc x 85 € = 425 €,
– 3 chambres avec baignoire et wc x 95 € = 285 €,
Total : 1.010 € x 365 jours = 368.650 euros par an TTC.
Il déduit de ce montant la TVA à 5,50 % ainsi que la taxe de séjour de l’ordre de 0,50 € calculée selon la capacité de l’hôtel qu’il évalue en l’espèce à 2.103 euros. Il conclut à une recette théorique de 347.328 euros par an hors taxes.
L’expert retient un taux d’occupation de 70 %, soit 347.328 € x 0,70 = 243.129 euros par an hors taxes. Puis, il applique un pourcentage immobilier de 17 % pour retenir une valeur locative de la partie hôtel de 243.129 x 0,17 = 41.332 euros par an hors taxes.
La S.C.I. MARINE demande de retenir un taux d’occupation de 80 % compte tenu des références citées par l’expert et conclut à une valeur locative pour la partie hôtel de 47.236 euros par an hors taxes.
La société LE VÉLODROME soutient que l’expert s’est trompé sur la taxe de séjour qui s’élève à 0,75 € et non à 0,50 €. Elle évalue la recette théorique à 346.327 euros. Elle critique le pourcentage immobilier qu’elle demande de fixer à 14 % au motif qu’il convient de se placer à la date du congé et qu’à celle-ci, l’hôtel était classé en deux étoiles. Elle ne s’oppose pas au taux d’occupation de 70 %. Elle conclut à une valeur locative pour la partie hôtel de 33.930 euros par an hors taxes.
S’agissant du taux d’occupation, l’expert a justifié son évaluation en relevant que « les statistiques [source KPMG] sont supérieures à 80 %, mais englobent des établissements mieux situés ». Il cite ces statistiques dont il ressort que le taux d’occupation moyen par chambre d’un hôtel non classé à [Localité 27] était de 86,70 % en 2008, 80,70 % en 2009, 82,90 % en 2010 et le taux d’occupation moyen par chambre d’un hôtel 2 étoiles à [Localité 27] était de 82,90 % en 2008, 80,20 % en 2009, 83,80 % en 2010. L’expert se réfère également à plusieurs références d’hôtels parisiens (quatre fixations judiciaires pour des hôtels non classés, deux renouvellements amiables pour des hôtels 2 étoiles et cinq fixations judiciaires pour des hôtels 2 étoiles) dont il ressort que pour des hôtels 2 étoiles le taux d’occupation retenu est compris entre 70 et 80 %, trois références retenant un taux d’occupation de 70 %.
Il est notable que l’expertise amiable unilatérale réalisée à l’initiative de la S.C.I. MARINE ne retient pas un taux d’occupation de 80 % mais de 75 %, de sorte que l’avis de l’expert doit être retenu, étant étayé par l’étude approfondie des locaux et de leur emplacement et de comparaison avec des références pertinentes.
Quant au taux de la taxe de séjour appliqué par l’expert et remis en cause par la société LE VÉLODROME, force est de constater que celle-ci ne verse au débat aucun élément établissant le montant de la taxe de séjour qu’elle allègue et n’effectue aucun calcul détaillé dans ses écritures la conduisant au montant de 346.327 euros pour la recette théorique. Le tribunal ne peut suppléer sa carence et à défaut de tout élément probant, retient le calcul de l’expert pour la taxe de séjour.
Enfin, s’agissant du taux d’effort, l’expert expose qu’il est d’usage de retenir pour les établissements sans classement : 17 à 20 % de la recette hébergement et pour les établissements classés 2 étoiles : 14 à 16 % de la recette hébergement.
La société LE VÉLODROME se contente de faire valoir que l’établissement était classé 2 étoiles à la date du congé, ce qui conduit à retenir le plus faible taux d’usage, soit 14 %.
Or, le classement théorique de l’établissement en 2 étoiles à la date du congé ne suffit pas. Il convient d’apprécier la qualité et les caractéristiques de l’établissement. Et, ainsi que l’explique Madame [M] dans le rapport d’expertise unilatérale versé au débat : « meilleure est la catégorie de l’hôtel, plus faible est le taux sur recettes ».
L’expert judiciaire retient avec pertinence qu’en l’espèce, l’immeuble est ancien et non réhabilité, l’établissement est de très petite capacité, les locaux de manière générale sont exigus mais avec des chambres de capacité double. Il relève en outre l’absence de réelle réception, d’ascenseur, de climatisation, d’accès PMR précisant que la chambre PMR n’existe que depuis 2017.
Par conséquent, le taux sur recettes évalué à 17 % par l’expert est argumenté et sera retenu par le tribunal.
Au regard de ces éléments, la valeur locative pour la partie hôtel s’établit à 41.332 euros par an, hors taxes.
Sur la valeur locative de l’espace réservé à l’exploitant
L’expert a expliqué que l’espace réservé à l’exploitant comporte deux pièces : un bureau et une chambre (avec salle d’eau) ; que « les parties sont en désaccord sur la qualification de cet espace en « logement », mais chacune admet qu’il est usuel de ne pas valoriser la « chambre réservée à la veille de nuit » ». Monsieur [Z] relève que le preneur déclare aux impôts locaux un local destiné à l’habitation principale, avec une surface variable comprise entre 16 m² et 22 m² et propose de retenir au titre de cette habitation principale la pièce affectée en bureau, soit une surface utile de 16 m². Il évalue le prix unitaire à 18 euros, prenant en compte l’emplacement bénéficiant de toutes les commodités en pied d’immeuble (commerces, transports en commun) mais également qu’il s’agit d’une pièce sans cuisine, ni wc privatif et établie au sein d’un hôtel. Il estime la valeur locative de cet espace à 3.456 euros par an hors charges (18 € x 16 m² x 12 mois).
La S.C.I. MARINE accepte cette évaluation.
La société LE VÉLODROME conteste toute valorisation de cet espace au motif qu’elle dénaturerait l’affectation des lieux. Elle soutient que le bureau est le lieu administratif de la gestion, propre à tous les établissements ; que cette destination s’attache au fonds de commerce et le local ne peut dès lors être valorisé comme un élément de logement.
L’argumentation du preneur ne peut conduire à suivre sa conclusion dans la mesure où le bureau même s’il ne constitue pas un logement fait partie de la surface commerciale et doit être valorisé en fonction de sa surface pondérée. Or, l’estimation de l’expert est à l’avantage de la société LE VÉLODROME qui ne propose aucun calcul alternatif.
Par conséquent, l’évaluation de l’expert qui n’est pas utilement critiquée sera retenue, soit 3.456 euros par an hors charges.
* * *
La valeur locative globale s’établit, avant correctifs et abattement à 87.028 euros (42.240 + 41.332 + 3.456).
L’expert propose d’appliquer des correctifs pour charges exorbitantes :
– assurances 2010 : – 1.311 euros,
– impôt foncier 2010 : – 2.718 euros,
– ravalement (immeuble d’angle) forfaitairement 3 % : – 2.610 euros.
Ces correctifs ne sont pas contestés par les parties. Il sera donc retenu une valeur locative après abattement pour charges exorbitantes de 80.389 euros.
Il n’est pas contesté par les parties qu’il convient d’appliquer un abattement pour précarité.
L’occupation étant précaire, il est d’usage d’y appliquer un abattement pour précarité d’au moins 10 %, étant considéré que l’exploitation sous le coup d’une éviction est nécessairement pénalisante.
Un taux d’abattement supérieur peut être fixé si le locataire justifie d’un impact particulier de l’éviction sur sa situation, tel que l’engagement de dépenses dans les locaux dont il est évincé ou des difficultés d’exploitation liées à sa précarité.
Il est constant que près de 14 ans se sont écoulés depuis le congé délivré en raison des diverses procédures ayant opposé les parties ; cette durée est imputable en grande partie au bailleur même s’il n’en est pas seul responsable comme il le soutient. De plus, le chiffre d’affaires de la société LE VÉLODROME a régulièrement diminué depuis 2011 (passant de 439.366 euros en 2011 à 368.751 euros en 2018 et à 304.842 euros en 2019), étant noté que le chiffre d’affaires en 2019 est impacté par les nouveaux horaires du restaurant et son ouverture sur 313 jours. Il est donc justifié d’un impact particulier de l’éviction sur sa situation. Au regard de ces éléments et de la durée très importante écoulée depuis le congé, l’abattement pour précarité de 25 % proposé par l’expert est justifié et sera retenu.
Par conséquent, l’indemnité d’occupation annuelle dont la société LE VÉLODROME est redevable est fixée à compter du 1er avril 2010 à la somme en principal de 60.291,75 euros arrondie par commodité à 60.292 euros par an, hors taxes et hors charges ((80.389 euros – (80.389 euros x 0,25)).
La S.C.I. MARINE sollicite que l’indemnité d’occupation soit indexée annuellement, à la date d’anniversaire de la prise d’effet du congé pour refus de renouvellement, en fonction de l’évolution de l’indice des loyers commerciaux, demande à laquelle s’oppose la société LE VÉLODROME.
Aucune disposition légale ou contractuelle ne prévoyant l’indexation de cette indemnité, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de ce chef.
Sur les autres demandes
L’instance et l’expertise ayant eu pour cause la délivrance par la S.C.I. MARINE d’un refus de renouvellement, il lui appartient d’en supporter les dépens, en ce compris le coût de l’expertise, lesquels pourront être recouvrés directement par Maître Gilles HITTINGER-ROUX, avocat au barreau de Paris, dans les conditions prévues par l’article 699 du code de procédure civile.
La S.C.I. MARINE sera de même condamnée à payer à la société LE VÉLODROME une somme qu’il est équitable de fixer à 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Elle sera corrélativement déboutée de sa demande de ce chef.
Décision du 21 Février 2024
18° chambre 2ème section
N° RG 11/06538 – N° Portalis 352J-W-B63-B2V6Y
En raison du droit de repentir dont dispose les bailleurs en application de l’article L. 145-58 du code de commerce, il n’y a pas lieu de prononcer de condamnation au paiement de l’indemnité d’éviction. En revanche, s’agissant de l’indemnité d’occupation, il convient de condamner la société LE VÉLODROME au paiement des rappels d’indemnité d’occupation depuis le 1er avril 2010, avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement qui en fixe le montant et capitalisation des intérêts dans les conditions prévues par l’article 1343-2 du code civil.
Il n’y a pas lieu de prononcer l’exécution provisoire de la présente décision.
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire rendu en premier ressort,
REJETTE la demande de révocation de l’ordonnance de clôture en date du 26 octobre 2022 présentée par la S.A.R.L. LE VÉLODROME,
FIXE à la somme de huit cent quatre-vingt-cinq mille neuf cent vingt-quatre euros et soixante-dix centimes (885.924,70 €) outre les frais de licenciement sur justificatifs le montant de l’indemnité d’éviction due par la S.C.I. SOCIÉTÉ CIVILE IMMOBILIÈRE MARINE à la S.A.R.L. LE VÉLODROME qui se décompose ainsi :
– indemnité principale : 789.977 euros,
– indemnité de remploi : 78.997,70 euros,
– trouble commercial : 3.450 euros,
– frais de déménagement : 8.500 euros,
– frais administratifs et divers : 5.000 euros,
– frais de licenciement : sur justificatifs,
DÉBOUTE la S.A.R.L. LE VÉLODROME de ses demandes au titre des frais de participation aux frais d’agencement du local, de double loyer, d’indemnité annexe au titre des travaux de conformité et de ravalement et de condamnation de la S.C.I. SOCIÉTÉ CIVILE IMMOBILIÈRE MARINE au paiement de l’indemnité d’éviction,
FIXE le montant de l’indemnité d’occupation due par la S.A.R.L. LE VÉLODROME à la S.C.I. SOCIÉTÉ CIVILE IMMOBILIÈRE MARINE à compter du 1er avril 2010 à la somme annuelle de soixante mille deux cent quatre-vingt-douze euros (60.292 €), hors taxes et charges, et sans indexation,
CONDAMNE la S.A.R.L. LE VÉLODROME à payer à la S.C.I. SOCIÉTÉ CIVILE IMMOBILIÈRE MARINE les rappels d’indemnité d’occupation depuis le 1er avril 2010, avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement qui en fixe le montant et capitalisation des intérêts dans les conditions prévues par l’article 1343-2 du code civil,
DÉBOUTE la S.C.I. SOCIÉTÉ CIVILE IMMOBILIÈRE MARINE de ses demandes d’indexation annuelle de l’indemnité d’occupation et au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la S.C.I. SOCIÉTÉ CIVILE IMMOBILIÈRE MARINE à payer à la S.A.R.L. LE VÉLODROME la somme de 5.000 (cinq mille) euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la S.C.I. SOCIÉTÉ CIVILE IMMOBILIÈRE MARINE aux dépens, en ce inclus les frais d’expertise confiée à Monsieur [Z], et dit qu’ils pourront être recouvrés directement par Maître Gilles HITTINGER-ROUX, avocat au barreau de Paris, dans les conditions prévues par l’article 699 du code de procédure civile,
Dit n’y avoir lieu au prononcé de l’exécution provisoire.
Fait et jugé à Paris le 21 Février 2024
Le Greffier Pour la Présidente empêchée
Henriette DURO Maïa ESCRIVE