Indemnité d’éviction : 20 juin 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/00989

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Indemnité d’éviction : 20 juin 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/00989
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20 juin 2023
Cour d’appel de Versailles
RG n°
21/00989

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

1ère chambre 1ère section

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

Code nac : 30B

DU 20 JUIN 2023

N° RG 21/00989

N° Portalis DBV3-V-B7F-UKCV

AFFAIRE :

[V], [R], [G] [F], nom d’usage [U]

C/

[C] [Y] …

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 10 Décembre 2020 par le Tribunal Judiciaire de NANTERRE

N° Chambre :

N° Section :

N° RG : 17/10816

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

-Me Claire RICARD,

-la SELEURL ARENA AVOCAT

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Maître [V], [R], [G] [F], nom d’usage [U]

né le 02 Novembre 1971 à [Localité 7]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 4]

représenté par Me Claire RICARD, avocat postulant – barreau de VERSAILLES, vestiaire : 622 – N° du dossier 2211275

Me Antoine BEAUQUIER de l’ASSOCIATION BOKEN, avocat – barreau de PARIS, vestiaire : R191

APPELANT

****************

Monsieur [C] [Y]

pris en sa qualité de représentant légal de la société BRCE LTD

né le 08 Mars 1963 à [Localité 8]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 5]

Société BRCE LTD

prise en la personne de ses représentants légaus, domiciliés en cette qualité au siège social

[Adresse 9]

[Adresse 9]

[Localité 6] – GRANDE BRETAGNE

représentés par Me Stéphanie ARENA de la SELEURL ARENA AVOCAT, avocat postulant – barreau de VERSAILLES, vestiaire : 637

Me Chloé BONNET substituant Me Sorin MARGULIS de l’ASSOCIATION MARGULIS ASSOCIES, avocat – barreau de PARIS, vestiaire : E1850

INTIMÉS

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 27 Mars 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Anna MANES, Présidente et Madame Pascale CARIOU, Conseiller chargée du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Anna MANES, Présidente,

Madame Pascale CARIOU, Conseiller,

Madame Sixtine DU CREST, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,

FAITS ET PROCÉDURE

Par acte sous seing privé du 16 janvier 2004, la société Le Moulin Joli a pris à bail des locaux dépendant d’un immeuble situé [Adresse 1] (Hauts de Seine).

Par lettre du 1er août 2006 de son conseil, M. [U], avocat au barreau de Paris, le bailleur – la SCI 2 4 6 Michaux – a fait notifier au preneur :

– la révision des loyers à effet du 1er janvier 2006 selon les articles L.145-38 et suivants du code du commerce ;

– une augmentation des loyers par déplafonnement à compter du 1er janvier 2006.

Le 30 juin 2008, le bailleur a fait délivrer au preneur un congé avec offre de renouvellement et saisi le 11 mars 2009 le juge des loyers commerciaux aux fins de fixation et révision du loyer.

Par jugement du 18 octobre 2010, le tribunal judiciaire de Versailles a déclaré irrecevable la demande de la SCI 2 4 6 Michaux en fixation du loyer commercial par référence à la valeur locative sur le fondement de l’article L. 145-34 du code de commerce, rejeté sa demande en révision du loyer au titre de l’article L. 145-38 du même code et l’a condamnée à payer au preneur une somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Le 27 février 2009, la SCI 2 4 6 Michaux, assistée de M. [U], a fait délivrer à la société Le Moulin Joli un commandement de payer visant la clause résolutoire fondé sur un arriéré locatif, puis fait assigner le preneur en résiliation du bail et expulsion devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Nanterre.

Par ordonnance du 7 juillet 2009, intégralement confirmée par arrêt de la cour d’appel de Versailles du 6 mai 2010, celui-ci a constaté la résiliation du bail commercial, ordonné l’expulsion du preneur et l’a condamné au paiement provisionnel de l’arriéré de loyers et de charges ainsi qu’à la somme de 1 000 euros, augmentée de 3 000 euros en appel, au titre des frais irrépétibles.

La société BRCE Ltd, venant aux droits de la SCI 2 4 6 Michaux, a ensuite fait procéder à l’expulsion de la société Le Moulin Joli en juillet 2010.

Entre temps, le 27 mars 2009, cette dernière a fait assigner son bailleur pour contester la validité du commandement de payer.

Par jugement du 17 novembre 2011, confirmé par arrêt de la cour d’appel de Versailles du 18 février 2014, le tribunal de grande instance de Nanterre a prononcé la nullité du commandement de payer.

Par arrêt du 3 décembre 2015, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par la société BRCE Ltd contre cette décision.

La société Le Moulin Joli, estimant avoir été expulsée à tort, a alors fait assigner son bailleur aux fins d’indemnisation.

Par jugement du 21 janvier 2019, assorti de l’exécution provisoire, le tribunal de grande instance de Nanterre, a condamné la société BRCE Ltd à payer à la société Le Moulin Joli diverses indemnités pour un total de plus de 236 000 euros outre la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Par arrêt du 22 octobre 2020, la cour d’appel de Versailles a partiellement infirmé ce jugement en condamnant la société BRCE à payer à la société Le Moulin Joli les sommes de 373,75 euros au titre des frais de transfert de siège social et de 1 000,00 euros au titre du préjudice moral et l’a confirmé pour le surplus.

Entre temps, par acte du 7 novembre 2017, la société BRCE Ltd et M. [Y], son représentant légal, ont fait assigner M. [U] en responsabilité civile professionnelle.

Par jugement contradictoire rendu le 10 décembre 2020, le tribunal judiciaire de Nanterre a :

– Déclaré irrecevable, sur le fondement de l’article 2224 du code civil, l’action fondée sur le manquement de M. [V] [U] à ses devoirs d’information et de compétence au titre de la rédaction et de la délivrance du commandement de payer visant la clause résolutoire ;

– Rejeté la fin de non-recevoir opposée par M. [V] [U] au titre de la violation de ses devoirs d’information et de conseil dans le cadre de l’exécution de ses mandats ad litem sur le fondement de l’article 2225 du code civil ;

– Condamné Maître [V] [U] à payer à la société BRCE Ltd 75 % de l’intégralité des condamnations, principal, intérêts et accessoires inclus arrêtés au jour du prononcé de l’arrêt, mises à la charge de cette dernière à l’issue de la procédure d’appel dont le jugement du 21 janvier 2019 est l’objet, dépens et frais irrépétibles de première et de seconde instance compris ;

– Rejeté les demandes indemnitaires de la société BRCE Ltd au titre des frais irrépétibles et dépens afférents à d’autres procédures et de son préjudice moral ainsi que des honoraires réclamés par M. [V] [U] ;

– Rejeté la demande de M. [V] [U] au titre des frais irrépétibles ;

– Condamné M. [V] [U] à payer à la société BRCE Ltd la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamné M. [V] [U] à supporter les entiers dépens de l’instance ;

– Ordonné l’exécution provisoire du jugement en toutes ses dispositions.

M. [U] a interjeté appel de ce jugement le 15 février 2021 à l’encontre de la société BRCE Ltd prise en la personne de ses représentants légaux et de M. [C] [Y] pris en sa qualité de représentant légal de la société BRCE Ltd.

Par dernières conclusions notifiées le 8 octobre 2021, M. [U] demande à la cour de :

– Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit l’action introduite par la société BRCE Ltd partiellement prescrite ;

– L’infirmer pour le surplus,

Le réformant :

A titre principal

– Dire et juger que les demandes de la société BRCE Ltd et de M. [Y] sont prescrites et donc irrecevables ;

A titre subsidiaire, sur le fond,

– Dire et juger que les conditions de la responsabilité de M. [F], nom d’usage [U], ne sont pas réunies ;

– Débouter la société BRCE Ltd et M. [Y] de l’intégralité de leurs demandes, moyens, exceptions et fins de non-recevoir ;

En tout état de cause,

– Condamner M. [Y] et la société BRCE Ltd à payer à lui payer la somme de 30 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Par dernières conclusions notifiées le 1er septembre 2022, la société BRCE Ltd et M. [Y] demandent à la cour de :

– Déclarer irrecevable l’appel interjeté par M. [U] à l’encontre de M. [Y] ;

– Débouter M. [U] de l’ensemble de ses demandes ;

– Confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a :

– Rejeté la fin de non-recevoir opposée par M. [V] [U] au titre de la violation de ses devoirs d’information et de conseil dans le cadre de l’exécution de ses mandats ad litem sur le fondement de l’article 2225 du code civil ;

– Condamné M. [V] [U] à payer à la société BRCE Ltd 75% de l’intégralité des condamnations, principal, intérêts et accessoires inclus arrêtés au jour du prononcé de l’arrêt, mises à la charge de cette dernière à l’issue de la procédure d’appel dont le jugement du 21 janvier 2019 est l’objet, dépens et frais irrépétibles de première et de seconde instance compris ;

– Condamné M. [V] [U] à payer à la société BRCE Ltd la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

– L’infirmer pour le surplus ;

Le réformant et y ajoutant :

– Déclarer également recevable l’action de la société BRCE Ltd fondée sur le manquement de M. [U] à ses devoirs d’information et de compétence au titre de la rédaction et de la délivrance du commandement de payer visant la clause résolutoire ;

– Condamner M. [U] à payer à la société BRCE Ltd la somme de 16 376,80 euros correspondant aux sommes payées au titre de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des honoraires d’avocats, et autres frais dans le cadre des contentieux qui l’ont opposée à la société Le Moulin Joli ;

– Condamner M. [U] à payer à la société BRCE Ltd la somme de 22 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral ;

– Condamner M. [U] à payer à la société BRCE Ltd la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers frais et dépens de l’instance d’appel.

La clôture de l’instruction a été ordonnée le 16 février 2023.

SUR CE, LA COUR,

Il ressort de l’appel principal et de l’appel incident que l’ensemble des dispositions du jugement entrepris est critiqué.

Sur la recevabilité de l’appel à l’encontre de M. [Y]

Moyens des parties

La société BRCE Ltd et M. [Y] soutiennent que l’appel formé à l’encontre de ce dernier est irrecevable. Ils font valoir que d’une part, en l’absence d’évolution du litige, l’intervention forcée en cause d’appel de M. [Y] n’est pas fondée, d’autre part qu’en tout état de cause M. [U] n’a pas fait délivrer à son encontre d’assignation en intervention forcée.

M. [U] n’a pas conclu sur ce point.

Appréciation de la cour

Il est constant que M. [Y] n’était pas partie en première instance. En application de l’article 547 du code de procédure civile, l’appel ne peut être dirigé que contre ceux qui ont été parties en première instance.

Par ailleurs, M. [U] ne justifie pas avoir fait assigner M. [Y] en intervention forcée en cause d’appel. Les demandes formées à son encontre sont donc manifestement irrecevables.

L’appel interjeté à l’encontre de M. [Y] sera donc déclaré irrecevable.

Sur la prescription de l’action à l’encontre de M. [U]

Sur l’action fondée sur la rédaction du commandement de payer

Le tribunal a jugé que l’action en responsabilité à l’encontre de M. [U], fondée sur la rédaction du commandement de payer, est prescrite au motif qu’elle relève de l’activité juridique de l’avocat, soumise au régime de prescription de l’article 2224 du code civil.

Moyens des parties

La société BRCE Ltd soutient que la rédaction du commandement de payer litigieux relève du régime de prescription de l’article 2225 du code civil dès lors qu’elle ne peut pas être dissociée des procédures préalables qui s’en sont suivies.

M. [U] conclut à la confirmation du jugement.

Appréciation de la cour

C’est à juste titre que le tribunal a considéré que la rédaction d’un commandement de payer relève de la prescription de l’article 2224 du code civil et non de l’article 2225 du même code limité à l’activité juridictionnelle de l’avocat.

Aux motifs pertinents du jugement, que la cour adopte, il sera ajouté que si le commandement de payer est un préalable nécessaire à la mise en oeuvre d’une procédure en résiliation du bail, il a une existence autonome et sa délivrance peut avoir une utilité en dehors de cette procédure.

En effet, le commandement de payer peut avoir un effet suffisamment incitatif sur le locataire pour le contraindre à payer sa dette ou encore favoriser le dialogue entre les parties pour trouver un accord sur l’apurement de la dette, avant même l’engagement d’une procédure en résiliation du bail.

Le recours à un commandement de payer peut donc s’envisager en dehors de toute procédure en résiliation.

Par ailleurs, c’est à juste titre, et par des motifs pertinents que la cour adopte, que le tribunal a fixé au plus tard à la date du jugement ayant annulé le commandement de payer le point de départ de la prescription.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a jugé irrecevable, sur le fondement de l’article 2224 du code civil, l’action fondée sur le manquement de M. [V] [U] à ses devoirs d’information et de compétence au titre de la rédaction et de la délivrance du commandement de payer visant la clause résolutoire ;

Sur l’action fondée sur les manquements au devoir de conseil.

Le tribunal a jugé que l’action en responsabilité à l’encontre de M. [U] n’est pas prescrite en ce qu’elle est fondée sur des manquement répétés au devoir d’information et de conseil dans le cadre de son mandat ad litem, en application de l’article 2225 du code civil.

Moyens des parties

M. [U] soutient que l’action fondée sur les manquements au devoir de conseil relève de l’article 2224 du code civil, et non de l’article 2225 qui s’applique exclusivement à la mission d’assistance en justice, et qu’elle est donc prescrite.

Il fait valoir à cet égard que la société BRCE Ltd a connu les faits lui permettant d’exercer l’action en responsabilité dès son assignation au fond par la société Le Moulin Joli, soit le 27 mars 2009, et à tout le moins à la date à laquelle le tribunal a annulé le commandement de payer, soit le 17 novembre 2011.

La société BRCE Ltd poursuit la confirmation du jugement en approuvant la motivation retenue par les premiers juges.

Appréciation de la cour

C’est à juste titre que le tribunal a jugé que le manquement répété au devoir de conseil et d’information trouvait son siège dans le mandat ad litem qui a été donné à M. [U] d’agir en référé et était donc soumis à la prescription de l’article 2225 du code civil.

C’est en effet dans le cadre de cette procédure judiciaire pour laquelle il a reçu mandat que l’avocat aurait dû mettre en garde la société BRCE Ltd sur le fait que l’ordonnance de référé est une décision provisoire et les risques inhérents à l’exécution forcée de celle-ci.

Il sera rappelé qu’en application de l’article 2225 du code civil, ‘ L’action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté les parties en justice, y compris à raison de la perte ou de la destruction des pièces qui leur ont été confiées, se prescrit par cinq ans à compter de la fin de leur mission ‘ .

A cet égard, c’est par des motifs pertinents et exhaustifs, adoptés par la cour, que le tribunal a jugé que M. [U] a assisté la société BRCE Ltd a minima jusqu’au 17 avril 2014, date à laquelle il a mandaté un huissier de justice pour faire signifier à la société Le Moulin Joli une nouvelle assignation en liquidation judiciaire, dont le but in fine était de recouvrer les sommes dues au titre de l’arrêt de la cour d’appel du 6 mai 2010 (sur appel de l’ordonnance de référé condamnant la locataire à titre provisionnel au paiement de l’arriéré de loyers).

La société BRCE Ltd ayant fait assigner M. [U] en responsabilité professionnelle le 7 novembre 2017, son action n’est pas prescrite.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a rejeté la fin de non-recevoir opposée par M. [U] au titre de la violation de ses devoirs d’information et de conseil dans le cadre de l’exécution de ses mandats ad litem sur le fondement de l’article 2225 du code civil ;

Sur le bien fondé de l’action

Sur la faute

Le tribunal a considéré que M. [U] avait commis un manquement grave à ses obligations d’information et de conseil en n’informant pas la société BRCE Ltd des risques auxquels l’exposaient l’introduction d’une instance en résiliation de bail puis par la poursuite de l’expulsion, après que la locataire a engagé une action au fond pour contester au fond le commandement et en s’obstinant à poursuivre le recouvrement des condamnations alors que cette cour avait déjà confirmé l’annulation du commandement.

Moyens des parties

M. [U] conteste avoir commis la moindre faute. Il affirme avoir informé la société BRCE Ltd quant aux risques liés à l’expulsion et soutient que cette dernière souhaitait à tout prix se débarrasser de sa locataire tout en évitant d’avoir à lui verser une indemnité d’éviction.

Il souligne également que la SCI Michaux, bailleur à l’époque de la procédure d’expulsion, était un professionnel de l’immobilier et ne pouvait ignorer ce que signifie une expulsion.

La société BRCE Ltd sollicite la confirmation du jugement

Appréciation de la cour

Pas plus qu’en première instance, M. [U] ne démontre avoir informé le bailleur des risques liés, non pas à l’expulsion en tant que telle, mais des risques liés à l’exécution forcée d’une décision provisoire alors que la société Le Moulin Joli avait déjà introduit une instance au fond aux fins de contester le commandement.

Aux motifs exacts énoncés par le tribunal, que la cour adopte, il sera ajouté que ce défaut de conseil est bien d’ordre juridique, de telle sorte que le fait que le bailleur ait été un professionnel de l’immobilier et sache pertinemment ce que signifie une expulsion ne le mettait pas en mesure d’apprécier les risques liés à la mise en oeuvre de l’expulsion ordonnée en référé.

Sur le lien de causalité

Le tribunal a retenu que le manquement de M. [U] avait fait perdre une chance au bailleur de renoncer à la procédure d’expulsion et à sa mise en oeuvre avant qu’il ne soit statué sur le fond.

Moyens des parties

M. [U] conteste tout lien de causalité entre la faute qui lui est reprochée et le préjudice allégué. Il fait valoir que la société BRCE Ltd aurait commis une faute pénale en organisant frauduleusement son insolvabilité pour échapper à ses obligations à l’égard de la société Le Moulin Joli. Il fait également valoir que l’indemnité d’éviction était due en tout état de cause puisque le but du bailleur était manifestement d’évincer sa locataire.

La société BRCE Ltd soutient que la faute pénale dénoncée n’est pas établie et que le défaut d’information de M. [U] l’a privée de la possibilité de renoncer à agir en référé puis d’expulser le preneur.

Appréciation de la cour

Il sera rappelé que la perte de chance consiste en la disparition actuelle et certaine d’un événement favorable.

En l’espèce, n’ayant pas été informée de la potentielle annulation du commandement de payer et du fait que l’exécution de la décision d’expulsion se ferait à ses risques, la société BRCE Ltd a été privée de la possibilité d’y renoncer provisoirement dans l’attente de la décision à venir par le juge du fond et d’éviter ainsi les condamnations prononcées par le jugement du 21 janvier 2019.

Pour contester tout lien de causalité, M. [U] argue longuement sur une faute pénale qu’il impute à la société BRCE Ltd, à savoir l’organisation de son insolvabilité pour échapper à ses obligations envers la société Le Moulin Joli, par le transfert à la SCI 2 4 6 Michaux ( 2ème du nom) de son patrimoine le 11 décembre 2012.

La cour peine à comprendre en quoi, à la supposer avérée, la faute alléguée serait de nature à décharger M. [U] de toute responsabilité.

En tout état de cause, ce moyen ne répond pas à l’argumentation retenue par le tribunal, et que la cour reprend en substance, portant sur l’existence d’une perte de chance.

Sur le préjudice

Le tribunal a évalué le préjudice à 75 % des sommes au paiement desquelles la société BRCE Ltd a été condamnée au terme du jugement rendu le 21 janvier 2019.

Moyens des parties

M. [U] soutient que la société BRCE, qui souhaitait se défaire de sa locataire la société Le Moulin Joli, aurait dû s’acquitter d’une indemnité d’éviction et qu’elle ne subit en conséquence aucun préjudice.

La société BRCE Ltd conclut à la confirmation du jugement en faisant valoir que rien ne démontre qu’elle aurait poursuivi la résiliation du bail.

Appréciation de la cour

La cour retenant la perte de chance, il convient d’évaluer quelle était la probabilité que la société BRCE Ltd, informée des risques, renonce à poursuivre l’expulsion de la société Le Moulin Joli en l’absence d’acquisition de la clause résolutoire.

M. [U] affirme que la société BRCE Ltd souhaitait de toutes façons se défaire de sa locataire et qu’elle aurait dû s’acquitter d’une indemnité d’éviction.

A cet égard, si effectivement le bailleur a cherché en vain à obtenir une augmentation du loyer, il n’est pas établi qu’il était déterminé, à défaut, à évincer sa locataire en lui versant des indemnités conséquentes.

Du reste, il n’est pas fait état de difficultés particulières entre le bailleur et la société Le Moulin Joli, telles des retards dans le paiement du loyer ou le non respect des clauses du bail, qui conforteraient les allégations de M. [U].

Dans ces conditions, la perte de chance sera évaluée à 75 %.

Ainsi que l’a exactement jugé le tribunal, la base de calcul du préjudice est constituée des sommes en principal, intérêts et accessoires inclus dues par la société BRCE Ltd à la société Le Moulin Joli au titre de la résiliation du bail, telles que fixées par l’arrêt de cette cour du 22 octobre 2020 ayant statué sur appel du jugement du 21 janvier 2019.

La société BRCE Ltd sollicite en outre une indemnisation au titre de l’engagement en pure perte de frais et honoraires liés aux actions judiciaires périlleuses conseillées par M. [U], soit la somme de 2 876,80 euros.

C’est cependant par le justes motifs, que la cour adopte, que le tribunal a rejeté cette demande, faute pour la société BRCE Ltd d’en démontrer le paiement.

Enfin, il est réclamé le remboursement des condamnations prononcées sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile par les différentes décision rendues dans le cadre du présent litige.

Il sera rappelé que la cour, confirmant en cela le jugement, a déclaré l’action fondée sur le commandement de payer irrecevable, la demande de remboursement des frais irrépétibles accordés au titre de la procédure de référé, puis d’appel et de cassation relative au commandement de payer sera nécessairement rejetée.

En revanche, la demande au titre de la condamnation prononcée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile par le jugement du 21 janvier 2019 (5 000 euros) et au titre des dépens apparaît parfaitement justifiée.

Enfin, pas plus qu’en première instance la réalité du préjudice moral n’est établie. Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a rejeté cette prétention.

Sur les demandes accessoires

Le sens du présent arrêt commande de confirmer les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.

M. [U], qui succombe, sera condamné aux dépens de la procédure d’appel qui pourront être recouvrés directement en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Il devra en outre verser à la société BRCE Ltd la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Les demandes de M. [U] sur ce même fondement seront rejetées.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition au greffe,

DÉCLARE l’appel l’appel interjeté à l’encontre de M. [Y] irrecevable,

INFIRME le jugement en ce qu’il a condamné Maître [V] [U] à payer à la société BRCE Ltd 75 % de l’intégralité des condamnations, principal, intérêts et accessoires inclus arrêtés au jour du prononcé de l’arrêt, mises à la charge de cette dernière à l’issue de la procédure d’appel dont le jugement du 21 janvier 2019 est l’objet, dépens et frais irrépétibles de première et de seconde instance compris ;

Le CONFIRME pour le surplus,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

CONDAMNE M. [U] à payer à la société BRCE Ltd 75 % de l’intégralité des condamnations, principal, intérêts et accessoires inclus mises à la charge de cette dernière par l’arrêt du 22 octobre 2020, dépens et frais irrépétibles de première et de seconde instance compris ;

CONDAMNE M. [U] aux dépens de la procédure d’appel qui pourront être recouvrés directement en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

CONDAMNE M. [U] à payer à la société BRCE Ltd la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE M. [U] de sa demande sur ce même fondement.

– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

– signé par Madame Sixtine DU CREST, Consieller, pour la présidente empêchée, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Conseiller,

 


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