20 juin 2022
Cour d’appel de Nîmes
RG n°
21/00012
N°
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20 Juin 2022
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N° RG 21/00012 – N° Portalis DBVH-V-B7F-IDA4
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SARL ZAHAF ET COMPAGNIE
C/
COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT DU DEPARTEMENT DE L’HERAULT
SOCIETE D’EQUIPEMENT DE LA REGION MONTPELLIERAI-
NE (SERM)
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TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE MONTPELLIER
16 janvier 2019
RG:18/00027
COUR D’APPEL DE NÎMES
2ème CHAMBRE SECTION B
SUR RENVOI DE CASSATION
ARRÊT DU VINGT JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX
APPELANTE :
SARL ZAHAF ET COMPAGNIE
inscrite au RCS de [Localité 4] sous le N° 340 381 979
prise en la personne de son gérant en exercice domicilié ès-qualité au siège social sis
[Adresse 2]
[Adresse 3]
Représentant : Me Tom SCHNEIDER, Plaidant, de la SELARL SCHNEIDER ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER
Représentant : Me Georges POMIES RICHAUD, Postulant, avocat au barreau de NIMES
INTIMEE :
SOCIETE D’EQUIPEMENT DE LA REGION MONTPELLIERAINE (SERM)
prise en la personne de son représentant légal en exercice
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représentant : Me Thomas AUTRIC, Postulant, de la SELARL EVE SOULIER – JEROME PRIVAT – THOMAS AUTRIC, avocat au barreau de NIMES
Représentant : Me Guénael BEQUAIN DE CONNINCK, Plaidant, avocat au barreau de MONTPELLIER
EN PRÉSENCE DE :
COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT DU DEPARTEMENT DE L’HERAULT
demeurant ès-qualités en ses bureaux sis
Direction Départementale des Finances Publiques de l’Hérault
[Adresse 1]
[Adresse 1]
pris en la personne de Madame Corinne SOUBEYRAN, Commissaire du Gouvernement
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
– Madame Nicole GIRONA, Présidente,
– Madame Chantal JACQUOT-PERRIN, Conseillère
– Madame Catherine REYTER LEVIS, Conseillère
ont entendu les plaidoiries et ont ensuite délibéré conformément à la loi.
GREFFIER :
Madame Véronique PELLISSIER, Greffière
COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT :
Madame Corinne SOUBEYRAN, Commissaire du Gouvernement
DÉBATS
à l’audience publique du 16 Mai 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 20 Juin 2022.
Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la Cour d’Appel, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.
Entendus à ladite audience
– Madame GIRONA, Présidente, en son rapport
– Maître Tom SCHNEIDER
– Maître Guénael BEQUAIN DE CONNINCK
– Madame Corinne SOUBEYRAN, commissaire du gouvernement
ARRÊT
Arrêt contradictoire, prononcé et signé par Madame GIRONA, Présidente, publiquement, après renvoi de la Cour de cassation, le 20 Juin 2022, date indiquée à l’issue des débats, par mise à disposition au greffe de la Cour.
EXPOSE DU LITIGE
Dans le cadre de l’opération « Grand C’ur » du centre de Montpellier, dont l’objectif est de réhabiliter le parc immobilier du quartier centre de cette ville, le préfet de la région Languedoc-Roussillon, préfet de l’Hérault, a déclaré d’utilité publique en faveur de la Société d’Equipement de la Région Montpellieraine, dite la SERM, chargée d’une mission de pilotage et de coordination du projet par convention du 26 juin 2003, les travaux de restauration immobilière, par arrêté du 30 mai 2005 prorogé par arrêt préfectoral du 20 avril 2010 jusqu’au 29 mai 2015.
Cette opération porte notamment sur un immeuble en copropriété situé [Adresse 2], qui a fait l’objet d’une ordonnance d’expropriation en date du 2 octobre 2014 et d’une indemnisation des propriétaires. Celui-ci comprend un local commercial, exploité par la SARL Zahaf et Compagnie, propriétaire d’un fonds de commerce de débit de boissons et de restauration rapide.
En application de l’article L311-4 du code de l’expropriation, la SERM a notifié à la SARL Zahaf et Cie le montant d’une offre d’indemnisation globale due au titre de son éviction de 26 789.33 euros. À défaut d’accord, elle a saisi la juridiction de l’expropriation.
Le transport sur les lieux s’est déroulé le 5 juillet 2018 et l’audience a été fixée le 28 novembre 2018.
Par jugement du 16 janvier 2019, le juge de l’expropriation du département de l’Hérault a retenu comme date de référence le 2 mars 2006 et a fixé les indemnités ainsi qu’il suit :
-indemnité d’éviction : 28 100 €
-indemnité de remploi : 1 201 €
-indemnité de licenciement : 2 200 €
soit un total de 31 501 €, outre une somme de 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Sur appel de la SARL Zahaf et Cie, la cour d’appel de Montpellier a, par arrêt du 14 février 2020 :
-confirmé le jugement en toutes ses dispositions,
-dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile et
-condamné l’appelante aux dépens d’appel.
Sur pourvoi de la SARL Zahaf et Cie, la Cour de Cassation a, par arrêt du 19 septembre 2019 :
-cassé et annulé, mais seulement en ce qu’il fixe les indemnités d’éviction et de remploi dues par la SERM à la SARL Zahaf et Cie aux sommes de
28 100 euros et 1 201 euros, l’arrêt rendu le 6 avril 2018 entre les parties par la cour d’appel de Montpellier,
-remis, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la cour d’appel de Nîmes.
La Cour de Cassation retient, dans ses motivations :
-que la cour d’appel aurait dû tenir compte du chiffre d’affaires de la SARL sur l’année 2018, qui était antérieur au jugement du 16 janvier 2019,
-que la cour d’appel aurait dû tenir compte du droit d’utilisation d’une terrasse, même si ce droit reposait sur une autorisation précaire et révocable.
Par déclaration faite le 10 novembre 2021, la SARL Zahaf et Cie a saisi la cour d’appel de renvoi.
Dans son mémoire du 15 septembre 2021, la SARL Zahaf et Cie demande l’infirmation du jugement rendu le 16 janvier 2019 des chefs de l’indemnité d’éviction et de l’indemnité de remploi et, statuant à nouveau, la fixation à la somme de 53 962.80 euros de l’indemnité d’éviction et à celle de 4 246.28 euros de l’indemnité de remploi.
La SARL Zahaf et Cie soutient :
-qu’en application de la méthode du chiffre d’affaires moyen, pondérée par les barèmes des professions, avec intégration du chiffre d’affaires de l’année 2018, il convient de retenir la somme de 29 962,80 € (soit la moyenne des chiffres d’affaires 2016, 2017 et 2018 : 66 584 €, pondérée à un taux de 45%),
-que la perte de sa terrasse de 48 m², ensoleillée, dans une rue passante, non loin de l’arrêt du tramway, doit être valorisée à hauteur de la somme de 24 000 €, soit 500 €/m²,
-que l’indemnité de remploi est de 5% pour la fraction inférieure à 23 000 € et de 10 % pour le surplus, soit 4 248,28 €.
La SERM a déposé son mémoire le 3 décembre 2021 et soutient la confirmation de la décision de première instance, le rejet des prétentions de l’appelante et sa condamnation à lui payer une somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Sans reprendre les discussions qu’elle évoque pour conclure qu’elles ne sont plus en débat après l’arrêt de la cour de Cassation, elle fait notamment valoir :
-que les lieux sont dans un état pitoyable et les équipements particulièrement vétustes,
-qu’au vu du rapport de l’expert, M. [Y], le fonds de commerce est dans une situation comptable et financière catastrophique, proche du dépôt de bilan, en déficit chronique et sans avenir, malgré l’absence de transparence du responsable de la SARL, qui devrait faire valoir ses droits à la retraite,
-que le taux de modération de 45 % pratiqué par le juge, et proposé par M. [Y], sur le chiffre d’affaires moyen est parfaitement cohérent,
-que le préjudice résultant de la perte de la terrasse n’est pas établi à défaut de démontrer l’existence d’un droit d’usage de cette dépendance du domaine public, qui n’est même pas relaté dans le bail consenti à la société demanderesse, que l’indemnisation de cette annexe est déjà comprise dans la valorisation du fonds de commerce calculée sur la base du chiffre d’affaires du fonds, qu’une simple autorisation précaire et révocable ne constitue pas un droit réel indemnisable, un droit juridiquement protégé.
Le commissaire du gouvernement a déposé des conclusions le 10 Janvier 2022, proposant à la cour de fixer les indemnités d’expropriation à la somme de 30 750 €, soit 29 000 € à titre d’indemnité d’éviction et 1 750 € à titre d’indemnité de remploi, outre 2 200 euros d’indemnité de licenciement et
24 000 euros pour perte de la licence IV.
MOTIFS :
-Sur le périmètre de la saisine de la cour d’appel de renvoi :
Il résulte des dispositions de l’article 1038 du code de procédure civile que l’affaire est à nouveau jugée en fait et en droit dans la limite des chefs atteints par la cassation. La cour d’appel de renvoi a plénitude de juridiction.
La cour de cassation a, dans son arrêt n°417F-D, cassé et annulé l’arrêt de la cour d’appel de Montpellier, « mais seulement en ce qu’il fixe les indemnités d’éviction et de remploi dues par la SERM à la SARL Zahaf et Cie aux sommes de 28 100 euros et 1 201 euros ».
Il en résulte donc que seules les indemnités d’éviction et de remploi entrent dans le périmètre de sa saisine, le surplus étant définitivement tranché.
Aux termes de l’article 631 du code de procédure civile, l’instruction est reprise devant la juridiction de renvoi en l’état de la procédure non atteinte par la cassation.
-Sur l’indemnisation :
-Sur l’indemnité d’éviction :
Aux termes de l’article L321-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, l’autorité expropriante doit réparer l’intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l’expropriation. L’indemnité allouée doit permettre à l’exproprié de se replacer dans l’état dans lequel il se trouvait avant l’expropriation et ne doit pas lui procurer un enrichissement sans cause.
Aux termes de l’article L322-1 alinéa 1 et 2 du même code, la juridiction doit fixer le montant des indemnités d’après la consistance des biens tels qu’ils existaient au jour de l’ordonnance d’expropriation portant transfert de propriété et les biens sont estimés à la date du jugement de première instance.
Même s’il est reconnu aux juges du fond un pouvoir souverain pour le choix de la méthode d’évaluation du bien, ainsi qu’une appréciation souveraine des éléments de preuve qui leur sont soumis, de leur valeur et de leur portée, pour calculer l’indemnité d’éviction d’un commerçant, la règle est de déterminer le chiffre d’affaires de référence, sur lequel un pourcentage est ensuite appliqué, à partir de la moyenne des trois derniers exercices.
Seuls les exercices échus dont le chiffres d’affaires sont connus à la date de la décision de première instance peuvent être pris en compte. Ainsi, lorsque le dernier exercice était échu au jour de la décision de première instance mais que son contenu n’était pas encore connu, il doit être pris en compte par la cour d’appel, car il concerne des chiffres antérieurs au jugement.
Ainsi, il ressort de l’application combinée de l’ensemble de ces dispositions que le fonds de commerce en cause doit être estimé à la date du jugement de première instance, soit le 16 janvier 2019, et en fonction de sa consistance à la date de l’ordonnance d’expropriation, soit le 2 octobre 2014.
En l’espèce, la Cour de Cassation a indiqué que le chiffre d’affaires de l’année 2018 devait être pris en compte dans le calcul de l’indemnité d’éviction sur la base du chiffre d’affaires moyen réalisé par la SARL Zahaf et Cie sur les trois dernières années afin que soit évalué au plus juste la situation existante de ce fonds de commerce à la date du prononcé de la décision de première instance fixée ai 16 janvier 2019.
Ainsi, au vu des chiffres d’affaires réalisés par la SARL Zahaf et Cie sur les années 2016 (52 830 euros), 2017 (66 746 euros) et 2018 (80 178 euros), dont il est justifié, il convient de retenir une moyenne de 66 584 euros, sans que puisse être caractérisé une augmentation anormale ou inexpliquée de ce chiffre d’affaires, ni qu’il puisse être tenu compte du caractère déficitaire de cette exploitation, ainsi que le soutient l’autorité expropriante.
En considération de l’activité exercée de restauration rapide et salon de thé, les barèmes utilisés dans la profession se réfèrent à un pourcentage variant entre 45 et 90 %. Le pourcentage de 45 % retenu par le premier juge n’est pas contesté et tient compte de l’état dégradé du fonds.
Dans ces conditions, l’indemnité principale est arrêtée à la somme de 29 962 euros (66 584 euros x 45 %).
Concernant le complément d’indemnisation résultant de la terrasse, il convient de constater que la SARL Zahaf et Cie était titulaire d’une autorisation temporaire d’exploiter une terrasse extérieure au droit de son établissement accordée à titre précaire et que celle-ci était toujours en vigueur au moment de la procédure d’expropriation, notamment à la date de l’ordonnance d’expropriation portant transfert de propriété, ainsi qu’en attestent :
-d’un procès verbal de transport sur les lieux du 25 avril 2017, mentionnant l’existence de cette terrasse,
-un mail de M. Zahaf précisant que cette terrasse est exploitée depuis 1981 et ayant pour annexe une facture « Droits de terrasse 2018 » pour 48 m²,
-le rapport de M. [Y] en date du 19 mars 2018, qui mentionne l’existence de cette terrasse et auquel sont jointes des photographies explicites (pages 1, 20, 28 et 29),
sans exclure la configuration des lieux, puisque le commerce ouvre sur une placette.
Dès lors, le préjudice résultant de la privation de la terrasse pour cette société est en lien direct avec l’expropriation et sa privation ouvre droit à indemnisation.
Toutefois, aucun document ne justifie d’appliquer une valorisation à hauteur de 500 euros/m². Aussi, il apparaît pertinent d’accorder en considération de sa superficie une plus-value générée par l’existence de cette terrasse à hauteur de 10% de l’indemnité principale afin de tenir compte de ce préjudice, soit une somme arrondie à 2 996 euros.
Ainsi, l’indemnité d’éviction est arrêtée à la somme de 32 958 euros.
Sur l’indemnité de remploi :
L’indemnité de remploi, prévue par l’article R 322-5 du code de l’expropriation, sera calculée selon la méthode habituellement retenue en la matière, avec l’application de deux tranches à 5 % et 10 % comme suit :
-5 % de l’indemnité d’éviction comprise entre 0 et 23 000 €
-10 % de cette indemnité pour le surplus.
Elle s’établit donc ainsi :
-23 000 X 5 % = 1 150 €
-(32 958 euros – 23 000) = 9 958 € X 10 % = 995.80 €
soit un total de 2 145.80 euros arrondi à 2 145 €.
Dès lors, au regard de ces éléments, l’indemnisation de la SARL Zahaf s’élève à la somme de 35 103 euros, qui se décompose ainsi qu’il suit :
-indemnité d’éviction : 32 958 €
-indemnité de remploi : 2 145 €.
Sur les dépens et les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile :
Vu les dispositions de l’article 624 du code de procédure civile, la cassation prononcée emporte nécessairement cassation des chefs du dispositif de l’arrêt de la cour d’appel de Montpellier relatifs aux dépens et aux frais irrépétibles.
Ainsi, les dépens de la procédure resteront à la charge de l’autorité expropriante, la SERM. La SARL Zahaf et Cie ne réclame aucune somme au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Il n’y a pas lieu d’allouer à la SERM une somme en contrepartie des frais irrépétibles qu’elle a dû engager dans l’instance, celle-ci succombant partiellement dans le soutien de ses prétentions.
PAR CES MOTIFS :
La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Dans la limite de son périmètre de saisine,
Infirme les dispositions du jugement rendu le 16 janvier 2019 par le tribunal de grande instance de Montpellier quant aux montants de l’indemnité d’éviction et de l’indemnité de remploi,
Statuant à nouveau de ces chefs,
Fixe l’indemnité globale due par la Société d’équipement de la région montpelliéraine à la SARL Zahaf et Compagnie en contrepartie de l’expropriation de son fonds de commerce à la somme globale de 35 103 euros, qui se décompose ainsi qu’il suit :
-indemnité d’éviction : 32 958 €
-indemnité de remploi : 2 145 €.
Dit n’y avoir lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne la Société d’équipement de la région montpelliéraine aux entiers dépens.
Arrêt signé par Madame GIRONA, Présidente et par Madame PELLISSIER, greffière.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE