20 avril 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
22/09251
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 2
ARRÊT DU 20 AVRIL 2023
(n° , 7 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/09251 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGT3Q
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 07 Septembre 2022 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 22/00770
APPELANT
Monsieur [U] [T]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Leila MESSAOUDI, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 461
INTIMÉE
S.A.R.L. GLOBE TROTTER CAFE
[Adresse 2]
[Localité 3]
Non représentée
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 30 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Marie-Paule ALZEARI, présidente, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Marie-Paule ALZEARI, présidente
Olivier FOURMY, Premier Président de chambre
Christine LAGARDE, conseillère
Greffière lors des débats : Mme Alicia CAILLIAU
ARRÊT :
– par défaut
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile
– signé par Marie-Paule ALZEARI, présidente et par Alicia CAILLIAU, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
Monsieur [U] [T] a été engagé par la société Globe Trotter Café à compter du 3 juin 2006, en qualité de Chef de cuisine.
A compter du 30 septembre 2020, l’établissement dans lequel Monsieur [T] travaillait a fermé ses portes.
Le gérant de la société informait ses salariés qu’il était à la recherche d’un autre local pour ouvrir un autre restaurant.
Dans l’attente, l’employeur a placé l’ensemble de ses salariés au chômage partiel.
Par courrier du 17 juin 2021, il les a informé qu’à défaut d’avoir reçu l’indemnité d’éviction anticipée de Paris La Défense, nouveau propriétaire du local commercial, il lui était impossible de reprendre un autre établissement sur le site de la défense et qu’une procédure était pendante devant le tribunal administratif pour récupérer cette indemnité d’éviction.
Il précisait également que le local avait été racheté par un grand groupe de restauration qui, en vertu de l’article L. 1224-1 du code du travail, avait l’obligation de reprendre les salariés de l’ancien établissement.
Des procédures ont été introduites à ce titre.
Par requête en date du 13 avril 2022, Monsieur [T] a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre au fond d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur et de reprise de son contrat pas la société Luderic.
Monsieur [T] a par la suite été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, puis licencié pour motif économique par courrier du 13 mai 2022.
Il a accepté d’adhérer au Contrat de sécurisation professionnelle proposé par courrier recommandé avec accusé de réception du 20 mai 2022, ce qui a mis un terme immédiat à son contrat de travail.
Le 21 juillet 2022, Monsieur [T] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris, en sa formation des référés, de diverses demandes.
Par ordonnance de référé rendue le 7 septembre 2022, le conseil de prud’hommes a :
– ordonné le versement par la S.A.R.L Globe Trotter Café à Monsieur [T] de la somme de 19 610,33 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement ;
– ordonné la remise par la S.A.R.L Globe Trotter Café à Monsieur [T] du bulletin de paie conforme à la présente ordonnance ;
– ordonné le versement par la S.A.R.L Globe Trotter Café à Monsieur [T] de la somme de 300 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– dit n’y avoir lieu à référé pour le surplus des demandes ;
– condamné la S.A.R.L Globe Trotter Café aux dépens.
Selon déclaration du 3 novembre 2022, Monsieur [T] a interjeté appel de cette décision.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par dernières conclusions transmises par RPVA le 24 novembre 2022, Monsieur [T] demande à la cour de:
‘ Vu l’urgence et le trouble manifestement illicite,
RECEVOIR Monsieur [U] [T] en son appel partiel et le dire bien fondé,
REJETER la Société GLOBE TROTTER CAFE de l’ensemble de ses demandes,
CONFIRMER l’Ordonnance du 7 septembre 2022 rendue par la formation de référé du Conseil de prud’hommes de PARIS en ce qu’elle a :
– Ordonné le versement par la S.A.R.L. GLOBE TROTTER CAFE à Monsieur [U] [T] de la somme de 19 610,33 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement ;
– Condamné la S.A.R.L. GLOBE TROTTER CAFE aux dépens.
L’INFIRMER pour le surplus et statuant à nouveau,
En conséquence,
CONDAMNER la Société GLOBE TROTTER CAFE à verser à Monsieur [T] les sommes suivantes :
Rappel de salaire du 1 er avril au 31 mai 2022 : 8.004,20 euros ;
A titre subsidiaire, rappel des salaires d’avril 2022 : 1.075,51 euros en net ;
Rappel de l’indemnité compensatrice de congés payés : 9.585,89 euros ;
A titre subsidiaire, indemnité compensatrice de congés payés : 2.921,23 euros ;
Provision sur dommages et intérêts pour retard de transmission du CSP au pôle emploi : 10.000 euros ;
Provision sur dommages et intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat :10.000 euros’;
Remise à Monsieur [T] d’un bulletin de salaire, d’une attestation pôle emploi et d’un certificat de travail conformes à la décision et ce, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par document à compter de la décision ;
Remise au pôle emploi d’une attestation d’employeur de contrat de sécurisation professionnelle conforme à la décision et ce, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à du 1 er juin 2022 ;
Dire que ces sommes porteront intérêt au taux légal au jour de la saisine du Conseil,
Condamner la Société GLOBE TROTTER CAFE à payer à Monsieur [T] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du CPC, ainsi qu’aux entiers dépens.’.
La société Globe Trotter Café n’a pas constitué avocat à la cour et n’a pas déposé de conclusions.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 3 mars 2023.
Il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux écritures déposées et visées ci-dessus pour un plus ample exposé des faits de la cause conformément aux dispositions de l’article 455 du code procédure civile.
EXPOSÉ DES MOTIFS
A titre liminaire, sur les exceptions de procédure soulevées par la société en première instance
Monsieur [T] rappelle que, selon une jurisprudence constante, il ne peut y avoir de connexité et de litispendance entre une instance au fond et une instance de référé.
Il rappelle également que le juge des référés peut être saisi dès lors qu’il n’a pas été statué au fond, la saisine du bureau de jugement n’interdisant pas de porter devant la formation de référé des demandes en paiement de provision, fussent-elles relatives à des obligations dont le salarié avait connaissance avant de former une demande au fond.
En l’espèce, les demandes ne sont pas identiques car la formation au fond a été saisie pour statuer sur la demande de résiliation judiciaire du contrat aux torts de l’employeur et de condamnation de ce dernier aux indemnités découlant de cette résiliation tandis que la saisine de la formation en référé est, quant à elle, justifiée par la demande de paiement des indemnités de fin de contrat découlant du licenciement pour motif économique intervenu en cours d’instance.
Enfin, Monsieur [T] soutient que le salarié est autorisé à saisir la formation de référé après la saisine du juge du fond pour solliciter des demandes provisionnelles ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite, ce qui est le cas en l’espèce.
Cependant, il doit être considéré que le conseil de prud’hommes a rejeté tant l’exception de litispendance que l’exception de connexité.
Ainsi, en l’absence d’appel incident à cet égard, les dispositions du jugement sont définitives sur ce point.
Il n’y a donc pas lieu de statuer à cet égard même à titre confirmatif.
Sur l’urgence et le trouble manifestement illicite
En premier lieu, Monsieur [T] soutient qu’en cas de transfert des contrats de travail conformément à l’article L.1224-1 du code du travail, les indemnités de rupture du contrat de travail sont à la charge de l’employeur qui a prononcé cette rupture.
En deuxième lieu, le salarié fait valoir que, selon une jurisprudence constante, le licenciement prononcé en violation des dispositions de l’article L.1224-1 du code du travail n’est ni un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ni un licenciement nul, mais un licenciement ‘privé d’effet’. Dès lors, le salarié dont le licenciement est prononcé à l’occasion du transfert d’une entité économique autonome dont l’activité est poursuivie et qui n’est pas repris par le cessionnaire, ‘peut, à son choix, demander au repreneur la poursuite du contrat de travail illégalement rompu ou demander à l’auteur du licenciement illégal la réparation du préjudice en résultant’.
En l’espèce, Monsieur [T] soutient que la société justifie le licenciement pour motif économique par la fermeture du restaurant du site de la Défense et l’absence de reprise automatique des contrats de travail par le repreneur du site et ce, en violation de l’article L.1224-1 du code du travail et de l’article 12-1 de la Convention collective des hôtels, cafés et restaurants.
Or, d’une part, depuis la date de la fermeture du restaurant, la société a continué à se comporter comme son employeur en le plaçant en chômage partiel, en lui reversant les indemnités Pôle Emploi, en lui communiquant des bulletins de salaire chaque mois, en lui retirant des congés payés sur ses bulletins ou encore en engageant une procédure de licenciement.
D’autre part, la société est à l’origine de la rupture de son contrat de travail et est, à ce titre, redevable des indemnités de fin de contrat.
Enfin, à supposer qu’effectivement son contrat de travail ait été transféré automatiquement au groupe Luderic, conformément à l’article L1224-1 du code du travail, Monsieur [T] soutient que son licenciement prononcé après ce transfert par la société est illicite.
Par conséquent, Monsieur [T] considère que la société est tenue de lui verser ses indemnités de fin de contrat et de réparer le préjudice résultant de ce licenciement.
Le conseil de prud’hommes a statué en application de l’article R. 1455-5 du code du travail qui dispose que « dans tous les cas d’urgence, la formation de référé peut, dans la limite de la compétence des conseils de prud’hommes, ordonner toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend » ainsi qu’en application de l’article R. 1455-7 du même code au terme duquel, « dans le cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, la formation de référé peut accorder une provision au créancier ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire. »
Cependant, M.[T] entend également invoquer l’existence d’un trouble manifestement illicite soit , l’article R. 1455-6 du code du travail qui dispose que « la formation de référé peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent pour prévenir un dommage imminent pour faire cesser un trouble manifestement illicite. »
Toutefois les demandes en paiement de M.[T] ne sauraient être assimilées à des mesures conservatoires ou de remise en état au sens des dispositions précitées.
Elles ne peuvent donc utilement prospérer sur le fondement de cet article.
Elles seront donc examinées en application des articles R. 1455-5 et R. 1455-7 du code du travail.
Sur les demandes de Monsieur [T]
Sur le rappel de salaire d’avril et mai 2022, la créance de M.[T] est non sérieusement contestable à hauteur de la somme de 1075,51 euros que l’employeur a déclaré avoir payé sur le bulletin de paie du mois d’avril 2022 au titre de l’acompte et du reliquat de congés payés, faute pour ce dernier de rapporter la preuve du versement de cette somme.
La société doit être condamnée au paiement de cette somme à titre provisionnel.
Sur le rappel de l’indemnité compensatrice de congés payés, il doit être considéré que le bulletin de paie mai 2022 mentionne 21,46 jours de congés qui, n’ont jamais été réglés au titre du solde de tout compte.
À cet égard, la mention du droit à congé sur le bulletin de paie vaut reconnaissance par l’employeur du fait que ces congés restent dus.
Dans ces conditions, la créance de M.[T] est non sérieusement contestable à hauteur de la somme de 2921,23 euros à valoir sur l’indemnité compensatrice de congés payés.
La société sera condamnée à titre provisionnel au paiement de cette somme.
Sur l’indemnité légale de licenciement, en l’absence d’appel principal et incident de ce chef, il n’y a pas lieu à confirmation, cette disposition de l’ordonnance déférée étant définitive.
Sur la provision à titre de dommages-intérêts au titre de la transmission tardive et erronée du CSP au pôle emploi, il doit être considéré qu’il a été mis fin au contrat de travail de M. [T] le 20 mai 2022 par son acceptation d’adhérer au Contrat de sécurisation professionnelle.
Il n’a pu s’inscrire au pôle emploi qu’à compter du 22 juillet 2022.
Néanmoins, il n’est pas établi que le retard dans l’effectivité de l’inscription au pôle emploi résulte du comportement de l’employeur.
Dans ces conditions, la demande se heurte à une contestation sérieuse et doit être rejetée pour ce motif.
L’ordonnance de référé est confirmée sur ce point.
Sur la provision à valoir sur les dommages-intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail, M.[T] estime que l’ensemble des manquements fautifs de l’employeur ont eu des répercussions sur sa situation financière et sur sa santé psychologique.
Il est de fait que la société Globe Trotter Café n’a initié ou tenté aucune recherche de reclassement sur un autre site et n’a pas engagé de procédure de licenciement pour motif économique malgré la fermeture.
À l’expiration du chômage partiel, les salariés ont été licenciés sans versement des indemnités de fin de contrat.
L’ensemble de ces manquements fautifs imputables à l’employeur et ayant nécessairement eu un impact sur la situation économique et plus généralement morale du salarié sont de nature à caractériser l’existence d’une obligation non sérieusement contestable.
En l’état des seuls justificatifs produits de ce chef et relatifs à l’inscription de M.[T] au fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers, la provision à valoir sur les dommages-intérêts doit être fixée à la somme de 5000 euros.
L’ordonnance est donc également infirmée sur ce point et la société sera condamnée au paiement de cette somme.
Sur les autres demandes, il convient de faire droit à la demande de remise d’un bulletin de salaire, d’une attestation pôle emploi, d’un certificat de travail conformes au présent arrêt mais sans qu’il soit nécessaire, à ce stade, d’ordonner une astreinte.
À l’opposé, la transmission de l’attestation CSP au pôle emploi ne peut utilement prospérer alors qu’il n’est pas établi que celle-ci n’ait pas été adressée à cet organisme.
L’ordonnance déférée ne peut être que confirmée sur ce point.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
La société Globe Trotter Café, qui succombe, doit être condamnée aux dépens.
Il sera fait application de l’article 700 du code de procédure civile au profit de M.[T].
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement par arrêt rendu par défaut, publiquement et en dernier ressort
Infirme l’ordonnance déférée en ce qu’elle a dit n’y avoir lieu à référé sur les demandes au titre de rappel de salaire du 1er avril au 31 mai 2022, au titre de rappel de l’indemnité compensatrice de congés payés , au titre de la provision sur dommages-intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat,
Statuant à nouveau du chef des dispositions infirmées,
Condamne la société Globe Trotter Café à verser à M.[U] [T] les sommes suivantes à titre de provision:
‘ 1075,51 euros à valoir sur les rappels de salaire d’avril 2022,
‘ 2921,23 euros à valoir sur l’indemnité compensatrice de congés payés,
‘ 5000 euros à valoir sur les dommages-intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat,
Confirme l’ordonnance déférée en ce qu’elle a dit n’y avoir lieu à référé sur la demande en paiement d’une provision à valoir sur des dommages-intérêts pour retard de transmission du CSP au pôle emploi et la demande de remise au pôle emploi de l’attestation d’employeur de contrat de sécurisation professionnelle,
Y ajoutant,
Ordonne la remise par la société Globe Trotter Café à M.[U] [T] d’un bulletin de salaire, d’une attestation pôle emploi, d’un certificat de travail conformes au présent arrêt,
Condamne la société Globe Trotter Café aux dépens d’appel,
Condamne la société Globe Trotter Café à payer à M.[U] [T] la somme de 3000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
La Greffière, La Présidente,