20 avril 2022
Cour d’appel de Montpellier
RG n°
18/01232
MB/CC
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
1re chambre sociale
ARRET DU 20 AVRIL 2022
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 18/01232 – N° Portalis DBVK-V-B7C-N5PX
Arrêt n° :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 28 NOVEMBRE 2018 du CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE PERPIGNAN
N° RG F 17/00628
APPELANT :
Monsieur [O] [Y]
1 rue Haroun Tazieff
66690 PALAU DEL VIDRE
Représenté par Me Mourad BRIHI de la SCP DONNADIEU-BRIHI-REDON-CLARET-ARIES-ANDRE, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES agissant pour l’AIARPI ELEOM AVOCATS
INTIMEE :
SAS ISOBAT prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié es qualité au dit siège social
1, rue du Fer à Cheval
66240 Saint ESTEVE
Représentée par Me Laure BENHAFESSA de la SELARL AVOCAT LAURE TIDJANI BENHAFESSA, avocat au barreau de MONTPELLIER (postulant) et par Me BOU-OU Samira avocat au barreau de Toulouse du Cabinet CABARÉ-BOURDIER, avocat au barreau Toulouse pour Me Jacques BOURDIER, avocat au barreau de Toulouse (plaidant)
Ordonnance de clôture du 26 Janvier 2022
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 16 FEVRIER 2022,en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Georges LEROUX, Président de chambre chargé du rapport et Madame Caroline CHICLET, Conseiller,
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Georges LEROUX, Président de chambre
Madame Caroline CHICLET, Conseiller
Madame Florence FERRANET, Conseiller
Greffier, lors des débats : Mme Marie BRUNEL
ARRET :
– contradictoire
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– signé par Monsieur Georges LEROUX, Président de chambre, et par Mme Marie BRUNEL, Greffière.
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EXPOSE DU LITIGE :
[O] [Y] a été engagé, le 1er août 2000, par la Sas Isobat, employant habituellement au moins onze salariés, dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée et à temps complet, après un premier contrat à durée déterminée de trois mois entre le 2 mai et le 31 juillet 2000, en qualité d’enduiseur, statut ouvrier, coefficient 210 de la grille des emplois de la convention collective nationale des ouvriers du bâtiment.
Il percevait en dernier lieu une rémunération mensuelle brute de 1.959,74€ hors primes de panier lesquelles, s’agissant de frais professionnels, ne sont pas inclues dans le salaire de référence.
Le 14 octobre 2016, [O] [Y] a été convoqué à un entretien préalable à son éventuel licenciement économique fixé au 2 novembre 2016.
Le 16 novembre 2016, il a adhéré au contrat de sécurisation professionnelle remis lors de cet entretien et le contrat de travail a pris fin le 23 novembre 2016.
Le 21 décembre 2017, [O] [Y] a saisi le conseil des prud’hommes de Perpignan pour solliciter l’annulation de la procédure de licenciement économique mise en oeuvre au mépris de son statut de salarié protégé et, subsidiairement, voir juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse en l’absence de motif économique valable et de tentative de reclassement ou, encore plus subsidiairement, se voir allouer une indemnité pour non respect de l’ordre des licenciements.
Par jugement du 28 novembre 2018 ce conseil a :
– débouté [O] [Y] de l’ensemble de ses demandes ;
– débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
– condamné [O] [Y] aux dépens.
Le 10 décembre 2018, [O] [Y] a relevé appel de tous les chefs du jugement.
Vu les conclusions de l’appelant remises au greffe le 4 mars 2019;
Vu les conclusions de la Sas Isobat remises au greffe le 27 mai 2019 ;
Vu l’ordonnance de clôture en date du 26 janvier 2022 ;
MOTIFS :
Sur la demande de nullité du licenciement et les demandes pécuniaires subséquentes :
[O] [Y] conclut à l’infirmation du jugement en ce qu’il a rejeté sa demande de nullité du licenciement et demande à la cour de faire droit à sa prétention, l’employeur ayant omis de respecter la protection attachée à son statut de salarié protégé.
La Sas Isobat conclut à la confirmation du jugement sur ce point.
Il est constant que, pour l’application des articles L.2411-5 et l’article L.2411-7 du code du travail dans leur version antérieure à l’ordonnance du 22 septembre 2017, c’est au moment de l’envoi de la convocation à l’entretien préalable au licenciement que l’employeur doit avoir connaissance de la candidature d’un salarié aux élections professionnelles.
Le licenciement, sans autorisation de l’inspecteur du travail, du salarié convoqué à l’entretien préalable avant le terme de la période de protection spéciale de 6 mois est nul.
Par ailleurs, la perte de la qualité de salarié protégé d’un candidat aux élections professionnelles n’est susceptible d’intervenir qu’à la date à laquelle le jugement, se prononçant sur une contestation électorale, annule cette candidature puisqu’il n’appartient pas à l’employeur de se faire juge de la validité des candidatures présentées, quelle que soit la cause de l’irrégularité, et que le jugement d’annulation n’a pas d’effet rétroactif.
En l’espèce, en l’absence de protocole préélectoral prévoyant la date limite des candidatures, l’employeur a lui-même fixé cette date pour le second tour des élections de délégués du personnel au 29 juillet 2016 à 12h, le scrutin étant prévu le vendredi 5 août 2016 entre 9h et 12h.
L’employeur admet, dans ses conclusions, et cela résulte de son courrier daté du 5 août 2016 (cf pièce 5 de l’appelant), avoir été informé, dès avant le début du second tour du scrutin, de la candidature datée du 2 août 2016 de [O] [Y] aux élections de délégués du personnel (suppléant) qu’il a trouvée lors de son arrivée dans la boîte aux lettres de l’entreprise le matin du 5 août 2016.
L’employeur était donc informé de la candidature de [O] [Y] aux élections professionnelles depuis le 5 août 2016 lors de l’envoi de la convocation à l’entretien préalable datée du14 octobre 2016.
Le fait que [O] [Y] n’ait pas élevé de protestation auprès de l’inspection du travail ni saisi la justice lorsque l’employeur a décidé, de son propre chef, d’écarter sa candidature et de ne pas la soumettre aux voix (motif pris des conditions d’organisation du scrutin) n’a pas eu pour effet de faire disparaître cette candidature ni de faire perdre au salarié le bénéfice du statut protecteur, contrairement à ce qui est soutenu.
En outre, c’est sans aucune offre de preuve que l’employeur conclut au caractère frauduleux de cette candidature ; aucune des pièces produites aux débats ne démontrant que [O] [Y] savait, à la date du 5 août 2016, qu’il ferait partie des cinq salariés pour lesquels une procédure de licenciement pour motif économique serait engagée à compter du 6 septembre 2016 (courriers d’information à la Direccte et au salarié du 6 septembre 2016).
Il s’ensuit qu’à la date à laquelle l’employeur a convoqué [O] [Y] à l’entretien préalable (14 octobre 2016), celui-ci bénéficiait de la protection spéciale depuis le 5 août 2016, ce qui aurait dû conduire la Sas Isobat à solliciter l’autorisation préalable de l’inspection du travail, ce qu’elle n’a pas fait.
Le licenciement est donc nul.
[O] [Y], qui ne sollicite pas sa réintégration, demande à la cour de condamner la Sas Isobat à lui payer les sommes de :
– 6.156,87 € au titre de l’indemnité d’éviction,
– 36.941,22 € au titre de l’indemnité pour licenciement nul,
– 4.104,58 € bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis outre celle de 410,45 € bruts au titre des congés payés y afférents.
Le salarié protégé licencié sans autorisation et qui ne demande pas sa réintégration peut réclamer non seulement une indemnisation pour le non-respect de son statut protecteur, mais aussi la réparation du préjudice subi du fait de son licenciement illicite et les indemnités de rupture.
L’indemnité pour violation du statut protecteur est égale à la rémunération que le salarié aurait perçue depuis son éviction jusqu’à l’expiration de la période de protection.
La protection de 6 mois ayant expiré le 5 janvier 2017 et la rupture du contrat de travail ayant été consommée le 23 novembre 2016 (cf certificat de travail et dernier bulletin de paie), [O] [Y] a droit à deux mois et 7 jours de salaire, soit la somme de 4.376,75€ à titre d’indemnité pour violation du statut protecteur que la Sas Isobat sera condamnée à lui payer.
Il a également droit à une indemnité compensatrice de préavis de deux mois, compte tenu de son ancienneté supérieure à deux ans et du fait que la convention de reclassement personnalisé à laquelle il a adhéré est devenue sans cause par l’effet de l’annulation de la rupture. La Sas Isobat sera condamnée à lui payer la somme de 3.919,48 € bruts outre celle de 391,94 € bruts au titre des congés payés y afférents.
S’agissant du préjudice résultant de la perte de l’emploi, compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée (1.959,74 € bruts), de l’âge de l’intéressé (49 ans), de son ancienneté dans l’entreprise (16 ans, quatre mois et 7 jours) et de l’absence d’information sur sa situation professionnelle actuelle, la Sas Isobat sera condamnée à lui verser la somme de 20.000 € à titre d’indemnité pour licenciement nul.
Le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions.
Sur les autres demandes :
Les créances de nature salariale produisent des intérêts au taux légal à compter du jour où l’employeur a eu connaissance de la demande (soit à compter de la date de réception de sa convocation devant le bureau de conciliation), et les sommes à caractère indemnitaire à compter du présent arrêt.
La capitalisation des intérêts est de droit conformément à l’article 1343-2 nouveau du code civil (ancien 1154 du code civil), pourvu qu’il s’agisse d’intérêts dûs au moins pour une année entière et elle sera par conséquent ordonnée ainsi que le réclame l’appelant.
La Sas Isobat qui succombe en cause d’appel sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d’appel (avec, pour ces derniers, distraction au profit du conseil de l’appelant) et à payer à [O] [Y] la somme de 2.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour ses frais engagés en première instance et en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement ;
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau ;
Dit que, à la date de convocation de [O] [Y] à l’entretien préalable au licenciement le 14 octobre 2016, l’employeur était informé depuis le 5 août 2016 de la candidature de ce salarié aux élections professionnelles et de l’existence de la protection spéciale ;
Dit que la Sas Isobat a violé le statut protecteur de [O] [Y] en omettant de solliciter l’autorisation de l’inspection du travail antérieurement au licenciement;
Dit par conséquent que le licenciement pour motif économique de [O] [Y] est nul et que la convention de reclassement est sans cause ;
Condamne la Sas Isobat à payer à [O] [Y] les sommes suivantes :
> 4.376,75 € à titre d’indemnité de violation du statut protecteur,
> 3.919,48 € bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
> 391,94 € bruts au titre des congés payés y afférents,
> 20.000 € à titre d’indemnité pour licenciement nul.
Dit que les sommes à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter du jour où l’employeur a eu connaissance de leur demande, et les sommes à caractère indemnitaire à compter du présent arrêt ;
Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de droit;
Condamne la Sas Isobat aux entiers dépens de première instance et d’appel, ces derniers étant recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile par le conseil de l’appelant, et à payer à [O] [Y] la somme de 2.000 € en vertu de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d’appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT