Indemnité d’éviction : 2 mars 2023 Cour d’appel d’Amiens RG n° 22/01258

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Indemnité d’éviction : 2 mars 2023 Cour d’appel d’Amiens RG n° 22/01258

2 mars 2023
Cour d’appel d’Amiens
RG
22/01258

ARRET

[K]

C/

S.A.S. NESTLE HEALTH SCIENCE FRANCE

copie exécutoire

le 02 mars 2023

à

Me Gilles

Me d’Aleman

CPW/MR/BG

COUR D’APPEL D’AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD’HOMALE

ARRET DU 02 MARS 2023

*************************************************************

N° RG 22/01258 – N° Portalis DBV4-V-B7G-IMFG

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE CREIL DU 24 FEVRIER 2022 (référence dossier N° RG F 21/00013)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

Madame [U] [K]

[Adresse 2]

[Localité 3]

concluant par Me Jean-Marie GILLES de la SELEURL CABINET GILLES, avocat au barreau de PARIS

ET :

INTIMEE

S.A.S. NESTLE HEALTH SCIENCE FRANCE agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège :

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée, concluant et plaidant par Me Jean D’ALEMAN de la SELAS BRL AVOCATS, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Grégoire de COURSON de la SELAS BRL AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

DEBATS :

A l’audience publique du 26 janvier 2023, devant Mme Caroline PACHTER-WALD, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l’affaire a été appelée.

Mme Caroline PACHTER-WALD indique que l’arrêt sera prononcé le 02 mars 2023 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Malika RABHI

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme Caroline PACHTER-WALD en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 02 mars 2023, l’arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Caroline PACHTER-WALD, Présidente de Chambre et Mme Malika RABHI, Greffière.

*

* *

DECISION :

EXPOSE DU LITIGE :

Suivant contrat de travail à durée indéterminée du 6 mars 2017, Mme [U] [K] a été embauchée par la société Nestlé Health Science France (ci-après l’employeur ou la société) qui comprend un effectif supérieur à 11 salariés, en qualité de responsable de zone hôpital, groupe 7, niveau B.

La convention collective applicable est celle de l’industrie pharmaceutique.

Le 16 juillet 2020, Mme [K] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement, prévu le 29 juillet 2020. Son licenciement pour motif personnel et pour manquement dans l’exécution de ses missions lui a été notifié le 3 août 2020, avec exécution d’un préavis de 4 mois débutant à première présentation du courrier.

Durant cette période de préavis, par lettre du 13 août 2020 réceptionnée le 19 août, la salariée a informé l’employeur de son état de grossesse, et ce dernier a alors annulé le licenciement par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 4 septembre 2020, en proposant à Mme [K] sa réintégration dans son poste de travail.

Par courriel du 23 septembre 2020, la salariée a refusé la proposition de réintégration au motif de sa tardiveté et du fait qu’elle faisait fi de la pression morale exercée depuis de longs mois par son supérieur hiérarchique, M. [D] [B], alors que la collaboration avec ce manager depuis son licenciement s’était empirée et nuisait à sa santé.

Son licenciement pour cause réelle et sérieuse lui a été notifié par courrier du 2 novembre 2020.

Le 20 janvier 2021, la salariée a saisi le conseil de prud’hommes de Creil afin de contester, sur le fondement de l’article L.1253-3-1 du code du travail, la licéité du licenciement ainsi prononcé et d’obtenir le versement d’indemnités pour licenciement nul outre les congés payés afférents, des dommages et intérêts au titre de son préjudice moral, et une indemnité au titre d’un harcèlement moral subi.

Par jugement du 24 février 2022, la juridiction prud’homale a :

fixé la moyenne mensuelle des salaires à 7 974,08 euros brut ;

dit que l’annulation du licenciement initial et la proposition de réintégration sont intervenus dans un délai raisonnable ;

dit que le licenciement de Mme [K] est fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

condamné l Mme [K] à payer à la société Nestlé Health Science France 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

condamné Mme [K] aux entiers dépens ;

dit n’y avoir lieu à exécution provisoire.

Le 18 mars 2022, Mme [K] a interjeté appel de ce jugement dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas discutées par les parties.

Vu les dernières conclusions récapitulatives notifiées par la voie électronique le 17 octobre 2022, dans lesquelles elle demande à la cour d’infirmer le jugement déféré, sauf en ce qu’il a fixé la moyenne mensuelle de ses salaires à 7 974,08 euros brut et débouté la société de ses demandes, et de :

déclarer nul le licenciement notifié le 2 novembre 2020 à son encontre ;

condamner la société à lui verser les sommes suivantes :

– 8 000 euros au titre du harcèlement moral

– 95 689 euros au titre de l’indemnité pour licenciement nul (12 mois de salaires) ;

déclarer recevable sa demande de rappel de salaire pendant la période couverte par la nullité du licenciement, formulée à hauteur d’appel et condamner en conséquence la société à lui verser 67 975,76 euros au titre des salaires qui auraient été perçus pendant la période couverte par la nullité outre 6 797,57 au titre des congés payés afférents ;

débouter la société de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions et la condamner à lui verser 2 500 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d’appel, sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;

condamner la société aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Vu les dernières écritures notifiées par la voie électronique le 18 juillet 2022, dans lesquelles la société Nestlé Health Science France demande à la cour de :

A titre principal, confirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a limité la condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile à 500 euros et de :

dire que la demande nouvelle de rappel de salaire est irrecevable ;

débouter Mme [U] [K] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

condamner cette dernière à lui verser la somme de 3500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

A titre subsidiaire, juger la demande de Mme [K] disproportionnée, réduire la condamnation au montant légal et limiter le montant du rappel de salaire à des proportions réalistes.

En tout état de cause, elle fait sommation à Mme [U] [K] de justifier de la date de son accouchement.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 11 janvier 2023.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions susvisées.

MOTIFS :

Sur le harcèlement moral

L’appelante prétend avoir été victime d’un harcèlement de la part de son supérieur hiérarchique, M. [B], arrivé fin janvier 2019, et le service des ressources humaines de l’entreprise, s’étant traduit tant par un management toxique de la part de M. [B] que par des pressions subies pour signer une rupture conventionnelle en amont de la procédure de licenciement finalement engagée pour des manquements qu’elle conteste et qui constitue l’ultime mesure de harcèlement de M. [B], mais aussi par la proposition faite tardivement par l’employeur de réintégrer son poste «sous la houlette de M. [B]» à la suite de l’annulation de ce licenciement pour cause de grossesse, ce qu’elle a légitimement refusé du fait de la pression morale subie par M. [B] et le service des ressources humaines et que la collaboration avec M. [B] était devenue encore plus difficile qu’avant ce qui nuisait à sa santé. Elle affirme avoir ainsi dénoncé dans des termes clairs le harcèlement subi sans que l’employeur ne diligente pour autant une enquête.

L’intimée conteste tout harcèlement, tout caractère tardif de sa proposition de réintégration, toute dénonciation par la salariée d’un harcèlement moral avant la procédure de licenciement, et rappelle que l’exercice par l’employeur de son pouvoir disciplinaire n’est pas constitutif de harcèlement.

Sur ce,

Aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Il résulte des dispositions des articles L.1152-1 et L.1154-1 de ce code que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement au sens de l’article L.1152-1 du code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Une situation de harcèlement moral se déduit essentiellement de la constatation d’une dégradation préjudiciable au salarié de ses conditions de travail consécutive à des agissements répétés de l’employeur révélateurs d’un exercice anormal et abusif par celui-ci de ses pouvoirs d’autorité, de direction, de contrôle et de sanction.

En l’espèce, le grief d’un management toxique et d’un comportement inadapté de son supérieur hiérarchique n’étant étayé par aucun élément. Mme [K], qui ne produit pas d’éléments sur ses conditions de travail avant ou après le premier licenciement, n’évoque aucun fait précis et daté d’un comportement outrancier de M. [B] à son égard, d’insultes subies, de dénigrement, de remarques désobligeantes, ne donne pas d’indication quant aux doléances qu’il n’aurait selon elle pas entendues, et n’explique pas même ce qu’elle entend précisément par «management toxique». Il en va de même de l’affirmation de la salariée quant à une dégradation de sa collaboration avec son responsable hiérarchique depuis le licenciement d’août 2020, qui n’est pas étayée et ne sera donc pas non plus retenue.

A l’appui de ses autres allégations, l’appelante, qui évoque des pressions, soumet à la cour les éléments suivants :

– un échange de quelques messages brefs intervenu entre elle, M. [B] et le service des ressources humaines les 22 et 24 janvier 2020 au sujet d’une rupture conventionnelle faisant suite à un entretien intervenu le 21 janvier, pendant un arrêt maladie ;

– le licenciement du 3 août 2020, dont elle conteste le bien fondé, l’estimant lié avec son refus d’une rupture conventionnelle ;

– la proposition par l’employeur à la suite de l’annulation de ce licenciement, d’une réintégration de son poste de travail sous les ordres de M. [B] ;

– son propre courriel du 23 septembre 2020 refusant cette réintégration au motif de sa tardiveté et d’un harcèlement moral subi par M. [B] qu’elle a dénoncé à cette occasion ;

– l’absence d’enquête interne diligentée par l’employeur à la suite de cette dénonciation de faits de harcèlement moral comme à la suite de la réitération de sa dénonciation d’un harcèlement moral lors de l’entretien du 6 octobre 2020.

Enfin, Mme [K] produit un arrêt de travail de droit commun du 23 août 2019 au 12 janvier 2020 et un autre du 11 au 18 septembre 2020 sans toutefois aucune précision d’un motif et sans que rien ne permette de les lier à ses conditions de travail, étant au demeurant souligné qu’elle était enceinte au moment du second arrêt.

Les éléments restants pris dans leur ensemble permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral.

Toutefois, l’employeur souligne à juste titre que la lecture des échanges entre Mme [K], M. [B] et le service des ressources humaines ne permet aucunement de retenir que la salariée aurait fait l’objet d’une quelconque pression. Il en ressort en effet qu’elle a indiqué être disposée à convenir d’une rupture conventionnelle dans des termes ne permettant absolument pas de laisser supposer les pressions alléguées de la part de M. [B] ou du service des ressources humaines, étant encore souligné que seule une demande de confirmer dans des termes non équivoque son souhait d’une rupture conventionnelle avait alors été formulée. Le fait que la salariée indique dans ses messages qu’il s’agissait là d’une proposition de l’employeur, ce qui est contesté, ne permet pas d’en déduire l’existence de pressions morales.

Il s’ajoute encore qu’il n’est pas contesté par Mme [K] qu’une discussion sur une éventuelle rupture conventionnelle du contrat de travail était déjà intervenue au cours de l’été 2019, qui n’avait pas abouti alors qu’elle avait ensuite été placée en arrêt de travail, ce qui explique de façon objective l’entretien intervenu en janvier 2020, alors au demeurant que Mme [K], qui ne justifie pas que l’employeur était à l’origine de l’entretien du 21 janvier 2021, ne justifie d’aucune convocation abusive à cet entretien ni le cas échéant avoir opposé un refus à une invitation de l’employeur ni encore d’aucune insistance de l’employeur pour lui demander de venir à nouveau discuter d’une rupture conventionnelle, et qu’il n’existe en tout état de cause pas d’interdiction à inviter la salariée qui l’accepte à se rendre à un entretien durant un arrêt de travail ne comportant pas d’interdiction de sortie comme cela était le cas.

Il sera par ailleurs observé la distance entre cette seconde discussion concernant une rupture conventionnelle en janvier 2020 et le licenciement intervenu en août 2020, et que rien au dossier ne permet de lier ces deux évènements.

La cour relève en outre que ce premier licenciement a très rapidement fait l’objet d’une annulation avec une proposition de réintégration à son poste de travail adressée à la salariée moins d’un mois après l’annonce de sa grossesse, la mesure devenant ainsi sans effet et le contrat de travail se poursuivant. Surabondamment Mme [K], qui n’a pas contesté la légitimité de cette mesure devant la juridiction compétente avant son annulation, ne produit pas le moindre élément pour remettre en cause le bien fondé de la mesure, s’agissant d’une preuve partagée, l’employeur produisant quant à lui des éléments à l’appui de ses allégations démontrant que sa décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Par ailleurs, si Mme [K] reproche à l’employeur son manque de réaction à la suite de la dénonciation de faits de harcèlement moral, force est de constater qu’il justifie au contraire avoir réagi de façon adaptée et proportionnée en organisant une réunion avec la salariée le 10 septembre 2020 à laquelle elle ne s’est pas rendue, puis une réunion le 6 octobre suivant afin de lui permettre de préciser les agissements dénoncés et évoquer sa réintégration dans l’entreprise, étant observé une absence totale de précision de la part de Mme [K] dans le courrier du 23 septembre 2020 dénonçant un harcèlement moral, la salariée se contentant d’y évoquer, et pour la première fois, une pression morale exercée à son encontre et une dégradation des relations avec M. [B] sans plus de détail. Lors de l’échange du 6 octobre 2020 à l’initiative de l’employeur, Mme [K] était accompagnée d’une élue du personnelle qui en a fait le compte rendu (document produit par la salariée), qui ne fait pas ressortir un comportement inapproprié de l’employeur à la suite de l’alerte reçue pour la première fois par l’intéressée le 23 septembre 2020.

Au contraire, ce compte rendu de Mme [F], qui n’a pas été témoin direct des agissements relatés au titre du harcèlement moral et ne fait par ailleurs sur ce point que relater les déclarations de Mme [K], démontre par les propos rapportés de l’employeur qu’il a entendu tenir compte de la situation de harcèlement évoquée. De plus, il ne saurait sérieusement lui être reproché d’avoir, avant toute alerte, proposé à la salariée le 4 septembre 2020 de reprendre son poste de travail conformément à son obligation légale, étant souligné que la responsable des ressources humaines lui a également ensuite proposé à la suite de l’alerte un repositionnement sur un autre poste en lui demandant même «quel autre poste pourrait l’intéresser au sein du groupe afin qu’elle puisse lui faire une proposition en adéquation avec ses souhaits de développement personnel», ce que Mme [K] a refusé.

Dès lors, la cour retient qu’aucun harcèlement moral n’est établi, alors que l’employeur justifie que ses décisions étaient toutes justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, et confirme le jugement en ce qu’il a débouté la salariée de ses demandes formées à ce titre.

Sur le refus de réintégration de la salariée et le licenciement du 2 novembre 2020

L’appelante soutient que la proposition de réintégration de l’intimée était tardive et faite de mauvaise foi, sur son poste précédemment occupé alors qu’elle était victime d’un harcèlement moral, ce que conteste l’intimée.

L’article L.1225-5 du code du travail prévoit que le licenciement d’une salariée est annulée lorsque, dans un délai de quinze jours à compter de sa notification, l’intéressée envoie à son employeur, dans des conditions déterminées par voie réglementaire, un certificat médical justifiant qu’elle est enceinte.

Lorsque le licenciement est nul, le salarié a droit à réintégration dans son emploi, ou à défaut, dans un emploi équivalent. Il en résulte qu’en cas de licenciement d’une salariée en état de grossesse, nul en application de l’article précité, sa réintégration doit être ordonnée si elle la demande ; l’intéressée est toutefois en droit de la refuser si la proposition est tardive, ce qu’il revient au juge d’apprécier au regard de la date de connaissance de l’employeur de l’état de grossesse de la salariée.

En l’espèce, la nullité du licenciement notifié le 3 août 2020 n’est pas contestée par l’intimée, qui n’a été informée de l’état de grossesse de la salariée que le 19 août 2020 (date de la réception du courrier de Mme [K] du 13 août). Le 4 septembre suivant, elle lui a proposé sa réintégration sur son ancien poste, ce dont elle justifie, étant précisé qu’à cette date, aucune alerte quant à un harcèlement moral ne lui était parvenue, harcèlement moral qui en tout état de cause n’a pas été retenu.

L’intéressée ayant refusé cette proposition de réintégration sur son ancien poste le 23 septembre 2020, la société Nestlé Health Science France l’a convoquée par courrier du 30 septembre 2020 à un échange fixé au 6 octobre suivant, au cours duquel il lui a été demandé «quel autre poste pourrait l’intéresser au sein du groupe» au regard du compte rendu produit par Mme [K] elle-même, celle-ci répondant qu’elle «ne souhaite pas rester chez Nestlé», ce qu’elle a confirmé ensuite par courriel.

La société Nestlé Health Science France justifie ainsi d’une proposition loyale effectuée moins d’un mois après avoir eu connaissance de l’état de grossesse de la salariée, en période estivale et donc en effectifs réduits. Cette proposition n’apparaît dès lors pas tardive. L’envoi de la proposition de réintégration, puis la réunion pour tenter d’identifier un autre poste dans le groupe tenant compte de souhaits pouvant être émis par la salariée qui avait refusé la première proposition, démontre au demeurant l’absence de mauvaise foi de l’employeur.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, la cour retient que l’employeur a proposé loyalement, dans un délai raisonnable et aucunement de façon tardive, la réintégration de la salariée, qui n’était cependant pas tenue de l’accepter.

Le licenciement du 3 août 2020 étant nul de plein droit du fait de la notification à l’employeur d’un certificat médical attestant de l’état de grossesse de la salariée, de sorte que le contrat de travail avait retrouvé son plein effet, il incombait donc à l’employeur, du fait du refus de la salariée de réintégrer son poste de travail ou tout autre poste dans le groupe, de mettre en ‘uvre une procédure de licenciement.

L’article L.1225-4 du code du travail n’autorise cependant l’employeur à rompre le contrat de la salariée en état de grossesse médicalement constatée en-dehors des périodes de suspension de son contrat de travail que s’il justifie dune faute grave de l’intéressée, non liée à l’état de grossesse, ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l’accouchement.

La lettre de licenciement doit mentionner précisément l’un de ces deux motifs, à peine de nullité du licenciement prononcé.

En l’occurrence, la lettre de licenciement qui présente d’abord un rappel chronologique à compter de la première procédure de licenciement, de son annulation du fait de l’annonce par Mme [K] de sa grossesse, jusqu’au refus de réintégration dans son poste de travail opposé par la salariée dans son courrier du 23 septembre 2020, est ensuite rédigée ainsi : «par courrier du 30 septembre 2020, nous avons (…) pris acte de votre refus de réintégration. Nous vous avons également proposé un échange en date du 6 octobre 2020 avec [S] [G], responsable des ressources humaines, afin d’échanger sur la relation avec votre manager mais aussi vos éventuels souhaits de réintégration au sein de Nestlé Health Science ou du groupe Nestlé dans le but de poursuivre la nature de nos relations contractuelles.

Lors de cet entretien, vous nous avez indiqué ne vouloir faire l’objet d’aucun reclassement, ni au sein de Nestlé Health Science, ni au sein du groupe Nestlé. Vous avez confirmé ce souhait par mail du 7 octobre 2020. Par ailleurs, vous nous avez fourni aucun élément permettant d’établir une situation anormale avec votre manager [D] [B].

Ces éléments ont contraint l’entreprise à vous convoquer à un entretien préalable pouvant aller jusqu’au licenciement en date du 29 octobre 2020 pour lequel vous ne vous êtes pas présentée.

En raison de votre refus de toute éventuelle réintégration au sein de l’entreprise ou du groupe Nestlé, nous sommes au regret de vous notifier, par la présente, votre licenciement pour cause réelle et sérieuse.»

Dès lors que l’employeur était, au moment de l’engagement de la seconde procédure de licenciement, parfaitement informé de l’état de grossesse de Mme [K], qui n’était pas tenue d’accepter la réintégration qui lui était proposée, il ne pouvait licencier la salariée que pour faute grave non liée à l’état de grossesse ou impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse. Or, il a prononcé un licenciement pour cause réelle et sérieuse sans mentionner précisément l’un de ces deux motifs limitativement exigé par l’article L.1225-4 du code du travail.

Il y a lieu dans ses conditions, par infirmation du jugement, de prononcer l’annulation du licenciement avec toutes ses conséquences de droit, étant précisé que Mme [K] ne demande pas la poursuite de l’exécution du contrat de travail.

L’article L.1225- 71 du code du travail prévoit que l’inobservation par l’employeur des dispositions de l’article L.1225-4 peut donner lieu, au profit de la salariée, à l’attribution d’une indemnité conformément aux dispositions de l’article L.1235-3-1. Ce texte dispose que lorsque le juge constate que le licenciement est entaché de nullité et que le salarié ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail, il lui octroie une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois et que cette indemnité est due sans préjudice du paiement du salaire, lorsqu’il est dû en application des dispositions de l’article L.1225-71, qui aurait été perçu pendant la période couverte par la nullité, c’est-à-dire jusqu’à l’expiration des 10 semaines après le congé de maternité et, le cas échéant, sans préjudice de l’indemnité de licenciement légale ou conventionnelle.

Enfin, le licenciement nul en application des dispositions de l’article L.1225-4 du code du travail ne prend effet qu’à la date à laquelle la période de protection prévue à l’article L.1225-17 du même code prend fin et cette date fixe le point de départ du délai-congé.

Au vu des circonstances de la rupture, de l’âge de la salariée née le 8 décembre 1978, de sa rémunération mensuelle moyenne (7 974,08 euros), de sa capacité à retrouver un emploi et de l’absence de tout élément sur sa situation professionnelle depuis la fin de son congé maternité, il sera alloué à Mme [K] une somme de 47 845 euros pour réparer intégralement le préjudice résultant du caractère illicite de son licenciement. Mme [K] ne maintient par ailleurs pas à hauteur de cour la demande formée en première instance au titre des congés payés afférents à cette somme. La décision déférée qui l’a déboutée de sa demande sera donc confirmée, en l’absence de toute contestation en cause d’appel.

Sur l’indemnisation d’un préjudice moral

La cour n’est saisie d’aucune contestation sur les dispositions du jugement sur le rejet de la demande d’indemnisation d’un préjudice moral, qui seront donc confirmées comme n’étant pas discutées.

Sur le rappel de salaire durant la période de protection

– Sur la recevabilité de la demande nouvelle

La société Nestlé Health Science France soulève l’irrecevabilité de cette demande formée pour la première fois en cause d’appel.

Mme [K] réplique que sa demande est recevable dès lors qu’elle avait réclamé en première instance une indemnisation au titre de son licenciement sans cause réelle et sérieuse et qu’elle modifie à hauteur de cour sa demande en réclamant la nullité de son licenciement dans le but de voir réparer son préjudice résultant du licenciement, alors que le rappel de salaire découle de cette nullité.

Sur ce,

Par application de l’article 564 du code de procédure civile, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait. Suivant l’article 565 du même code, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent. L’article 566 ajoute que les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

Dans la présente affaire, aucune demande relative à un rappel de salaire qu’elle aurait dû percevoir jusqu’à la fin des dix semaines suivant le terme de son congé maternité n’était soutenue devant les premiers juges par Mme [K]. Néanmoins, les demandes formées par la salariée au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse en première instance puis d’un licenciement nul en cause d’appel tendent à l’indemnisation des conséquences de la rupture qu’elle estime injustifiée, de sorte que la demande en nullité est recevable, et la demande de rappel de salaire pendant la période couverte par cette nullité du licenciement étant l’accessoire ou le complément de la demande formée au titre de l’indemnisation des conséquences du licenciement, elle n’est dès lors pas irrecevable.

– Sur le fond

Mme [K] fait valoir que son congé maternité a débuté le 15 février et a pris fin le 24 août 2021, que la période de protection a donc pris fin le 2 novembre 2021, et que sa demande de rappel de salaire couvrant cette période est donc parfaitement fondée.

La société Nestlé Health Science France réplique à titre principal que la demande ne saurait aboutir dès lors que le licenciement de la salariée est parfaitement régulier et que son refus de réintégrer l’entreprise la prive de sa demande d’indemnité d’éviction. A titre subsidiaire, elle estime que la demande est manifestement excessive dès lors que l’on ignore comment Mme [K] parvient à solliciter un montant équivalent à 8 mois de salaire alors que la période de nullité correspond à 6 semaines avant l’accouchement et 10 semaines après et que la date d’accouchement théorique prévue par le courrier du médecin du 4 août 2020 annonçant la grossesse était au 12 avril 2021, amenant la période de protection uniquement jusqu’au 21 juin 2021. Elle ajoute que Mme [K] a perçu une rémunération au titre de son préavis jusqu’au 2 mars 2021 et qu’elle ne peut donc prétendre qu’à une indemnité maximale de 3,5 mois soit 27 909,29 euros.

Sur ce,

La rupture du contrat de travail est intervenue le 2 novembre 2020, étant souligné que le point de départ du préavis de 4 mois correspond à la date à laquelle la période de protection de 10 semaines prévue à l’article L.1225-17 du code du travail prend fin.

Mme [K] produit une copie du livret de famille dont il ressort que son troisième enfant est né le 4 avril 2021 et une attestation de la Caisse d’assurance maladie dont il ressort qu’elle a bénéficié d’un congé de maternité du 15 février au 24 août 2021. Mme [K] est donc légitime à réclamer les salaires couvrant la période du 15 février au 2 novembre 2021.

Dans ces conditions, il convient de lui allouer un rappel de salaire de 67 975,76 euros sans qu’il y ait lieu de retrancher l’indemnité compensatrice de préavis légitimement perçue au titre des indemnités de rupture. Par ailleurs, la période de protection étant assimilée à une période effectivement travaillée, la salariée est en droit de percevoir une indemnité compensatrice de congés payés de 6 797,57 euros calculée sur la période couverte.

Sur les autres demandes

Le sens du présent arrêt commande d’infirmer la décision déférée en ses dispositions sur les dépens et les frais irrépétibles.

Les deux parties succombant, il convient de laisser à chacune d’elle la charge de ses dépens des procédures de première instance et d’appel. Il n’apparaît pas inéquitable de laisser chacune des parties supporter les frais irrépétibles engagés.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant par décision contradictoire mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions soumises à la cour sauf en ses dispositions sur le licenciement et ses conséquences financières, et en ses dispositions sur les dépens et les frais irrépétibles ;

L’infirme de ces chefs ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et ajoutant,

Prononce la nullité du licenciement intervenu le 2 novembre 2020 ;

Condamne la société Nestlé Health Science France à payer à Mme [K] les sommes suivantes :

– 47 845 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

– 67 975,76 euros à titre de rappel de salaire correspondant au salaire durant la période de protection, outre 6 797,57 euros de congés payés afférents ;

Dit n’y avoir lieu à faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne chacune des parties à assumer la charge de ses propres dépens de première instance et d’appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.

 


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