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19 juillet 2023
Cour d’appel de Colmar
RG n°
21/05079
MINUTE N° 347/23
Copie exécutoire à
– Me Laurence FRICK
– Me Dominique Serge BERGMANN
Le 19.07.2023
Le Greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE COLMAR
PREMIERE CHAMBRE CIVILE – SECTION A
ARRET DU 19 Juillet 2023
Numéro d’inscription au répertoire général : 1 A N° RG 21/05079 – N° Portalis DBVW-V-B7F-HXG4
Décision déférée à la Cour : 23 Novembre 2021 par le Tribunal judiciaire de COLMAR – Service civil
APPELANTE – INTIMEE INCIDEMMENT :
S.A.S. CALAMAR
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Laurence FRICK, avocat à la Cour
INTIMEE – APPELANTE INCIDEMMENT :
S.A.R.L. PIROUETTE
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Dominique Serge BERGMANN, avocat à la Cour
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 modifié du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 12 Avril 2023, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Mme PANETTA, Présidente de chambre.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme PANETTA, Présidente de chambre
M. ROUBLOT, Conseiller
Mme ROBERT-NICOUD, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE
ARRET :
– Contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.
– signé par Mme Corinne PANETTA, présidente et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE :
Par contrat du 8 septembre 1993, la Société Immobilière de la [Adresse 6], en qualité de propriétaire, et la Société du Magasin de [Localité 3], en sa qualité de preneur principal, aux droits desquelles vient la SAS CALAMAR, ont donné à bail à la société RESTEST, aux droits de laquelle vient la société PIROUETTE, un local commercial au sein de la [Adresse 6] à [Localité 3].
Par acte d’huissier délivré le 30 mars 2017, la société CALAMAR a délivré à la société PIROUETTE un congé avec refus de renouvellement pour le 30 septembre 2017.
La société PIROUETTE a quitté les lieux le 31 juillet 2017, puis, par acte d’huissier délivré le 2 août 2018, a assigné, devant le tribunal de grande instance, devenu le tribunal judiciaire, de Colmar, la société CALAMAR en paiement d’une indemnité d’éviction.
Un jugement du 22 novembre 2018 a enjoint à la demanderesse de s’expliquer sur le montant qu’elle met en compte, d’en fournir le détail et de produire toutes pièces justificatives utiles.
Par jugement du 23 novembre 2021, le tribunal judiciaire de Colmar a :
– dit n’y avoir lieu à expertise judiciaire,
– fixé l’indemnité d’éviction à 65 835 euros,
– condamné la société CALAMAR à payer cette somme à la société PIROUETTE,
– condamné la société CALAMAR à payer à la société PIROUETTE la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la société PIROUETTE à payer à la société CALAMAR la somme de 4 930,25 euros au titre des loyers dus jusqu’au 30 septembre 2017,
– débouté la société CALAMAR de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la société CALAMAR aux dépens,
– ordonné l’exécution provisoire.
Le 14 décembre 2021, la SAS CALAMAR a transmis une déclaration d’appel par voie électronique.
Le 4 janvier 2022, la société PIROUETTE s’est constituée intimée par voie électronique.
Par ses dernières conclusions du 29 août 2022, auxquelles était joint un bordereau de communication de pièces qui n’a fait l’objet d’aucune contestation, lesquels ont été transmis par voie électronique le 30 août 2022, la SAS CALAMAR demande à la cour de :
Sur appel principal :
– la déclarer recevable en son appel,
– déclarer l’appel bien fondé,
– infirmer partiellement le jugement en ce qu’il a :
– dit n’y avoir lieu à expertise,
– fixé l’indemnité d’éviction à 65 835 euros et l’a condamnée à payer cette somme à la société PIROUETTE,
– l’a condamnée à payer à la société PIROUETTE la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens, l’a déboutée de sa demande de condamnation au titre des frais irrépétibles,
– ordonné l’exécution provisoire
Et statuant à nouveau :
– déclarer que la société PIROUETTE ne saurait revendiquer une quelconque indemnité d’éviction,
– débouter la société PIROUETTE de ses demandes, fins et conclusions,
A titre subsidiaire, si la cour venait par extraordinaire à considérer que la société PIROUETTE n’a pas renoncé à son droit au renouvellement et peut ainsi revendiquer une indemnité d’éviction de transfert :
– dire, constater et juger que la société PIROUETTE ne justifie nullement du quantum du préjudice sollicité et subséquemment,
– débouter la société PIROUETTE de ses demandes, fins et conclusions,
A titre infiniment subsidiaire, si la cour venait par extraordinaire à considérer que la société PIROUETTE n’a pas renoncé à son droit au renouvellement et peut ainsi revendiquer une indemnité d’éviction de transfert et qu’il ne convient pas de rejeter purement et simplement sa demande en paiement :
– dire et juger que les éléments apportés aux débats par la société PIROUETTE ne permettent pas d’apprécier le montant de l’indemnité et par conséquent,
– surseoir à statuer sur sa demande d’indemnité,
– désigner avant dire droit un tel expert qui lui plaira, aux frais avancés de la société PIROUETTE, avec la mission suivante :
– visiter les locaux précédemment occupés par la société PIROUETTE, situés à [Localité 3], [Adresse 6]/[Adresse 7] ;
– visiter les locaux occupés par la société PIROUETTE situés à [Adresse 5],
– prendre connaissance des documents contractuels et autres, notamment des documents comptables et fiscaux relatifs à l’exploitation du fonds de commerce précédemment exploité dans les lieux, ainsi que ceux relatifs à la nouvelle exploitation de la société PIROUETTE située [Adresse 5] à [Localité 3],
– et plus généralement, recueillir, se faire communiquer tous renseignements utiles, à charge d’en indiquer la source, entendre, s’il y a lieu tous sachants, en précisant leur identité, leur lien de parenté, d’alliance, de subordination ou de communauté d’intérêt avec les parties,
– donner tous éléments d’appréciation utiles en vue de la fixation de l’indemnité d’éviction de transfert (état du local précédemment exploité et celui nouvellement exploité notamment),
– s’expliquer sur les dires et observations des parties recueillis dans le mois suivant l’envoi de pré-conclusions ou une réunion de synthèse à cette même fin,
– déposer son rapport au greffe dans le délai de trois mois à compter de sa saisine,
– d’une façon générale, faire, même d’office, toutes constatations et déductions pertinentes et donner tous éléments utiles à la solution du litige,
En tout état de cause,
– confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société PIROUETTE à lui verser la somme de 4 930,25 euros, ladite condamnation devant porter intérêt au taux légal à compter du prononcé de l’arrêt à intervenir,
Sur appel incident :
– le rejeter,
– débouter la société PIROUETTE de l’intégralité de ses fins et conclusions,
En tout état de cause :
– condamner la société PIROUETTE à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société PIROUETTE aux entiers frais et dépens de première instance et d’appel,
en soutenant, en substance, que :
– la société PIROUETTE ne peut revendiquer un droit à une indemnité d’éviction en raison de son départ volontaire :
D’une part, elle soutient que le fait pour le locataire de quitter le local avant la date d’effet du congé, constitue une renonciation à l’indemnité d’éviction d’autant plus explicite lorsque, comme en l’espèce, il transfère son siège social avant même la date d’effet du congé, et n’est donc plus immatriculé à cette date et qu’en l’espèce, la société PIROUETTE a quitté volontairement le local qu’elle lui louait, avant la date d’effet du congé, et au surplus, ce départ ne s’inscrit pas dans le cadre du congé, mais dans le cadre d’un projet de transfert.
D’autre part, elle critique les motifs du jugement, en indiquant qu’elle s’était référée aux résultats d’exploitation de la société PIROUETTE réalisés entre 2014 et 2016 pour démontrer qu’elle avait des raisons de vouloir transférer son exploitation, mais le tribunal a écarté cette argumentation aux motifs que le chiffre d’affaires 2014 n’avait pas été communiqué aux débats ; que le tribunal a mal apprécié le résultat comptable déficitaire de 2017, année où la société PIROUETTE avait enregistré une dette financière qu’elle n’avait pas souscrit en 2016 et qui correspond à un emprunt, sans doute souscrit pour le nouveau local ; et que le tribunal n’a pas répondu au fait que le loyer de renouvellement du bail était susceptible de déplafonnement et de fixation à la valeur locative, ce qui aurait pu se produire si la société CALAMAR avait décidé d’exercer son droit de repentir,
Enfin, elle soutient que la société PIROUETTE a décidé indépendamment du congé, de transférer ses activités au bénéfice d’un emplacement plus favorable et a bénéficié d’un bail commercial à des conditions plus avantageuses, ajoutant qu’en signant un bail le 13 juin 2017 par acte authentique pour une prise d’effet le jour même, il est difficilement envisageable que les recherches de locaux, les négociations sur le bail et la recherche d’entreprise pour réaliser les travaux n’aient débuté que postérieurement à la délivrance du congé le 30 mars 2017 ;
– la société PIROUETTE ne peut revendiquer un droit à une indemnité d’éviction en raison de son absence d’immatriculation sur le fonds de commerce : invoquant l’article L.145-1 du code de commerce, elle soutient que sans une telle immatriculation à la date de délivrance du congé et à la date d’effet du congé, le locataire ne peut revendiquer le bénéfice de la propriété commerciale, le privant de tout droit au renouvellement, mais aussi à l’indemnité d’éviction ; et qu’en l’espèce, la société PIROUETTE a transféré son siège social selon procès-verbal d’assemblée générale extraordinaire du 6 juillet 2017 à compter du jour même, de sorte qu’elle n’était plus inscrite au registre du commerce et des sociétés au titre du fonds de commerce loué [Adresse 6] au 30 septembre 2017, date d’expiration du bail.
– à titre subsidiaire, la demande n’est pas fondée en son quantum : la société PIROUETTE n’a pas perdu son fonds de commerce, puisqu’elle a transféré ses activités à cinq minutes à peine de son ancien local, de sorte qu’elle ne démontre pas un préjudice lié à la fermeture de sa première exploitation ; la quasi-totalité des factures, à l’exception de celle relative aux ‘frais de transfert’ sont liées aux travaux d’aménagement du nouveau local, alors que la société CALAMAR n’a pas à financer l’aménagement à neuf du nouveau local, alors que la société PIROUETTE avait réalisé le même type de travaux dans le local occupé avant le transfert ; la valeur du droit au bail qui correspondrait au prix d’acquisition du droit au bail n’est pas une perte indemnisable, puisque la société PIROUETTE a eu le temps de l’amortir depuis 1993 ; le total des postes sollicité s’élève à plus de 77 000 euros et non à 65 835 euros.
– à titre subsidiaire, une expertise doit être ordonnée.
– le prononcé de l’exécution provisoire assortissant sa condamnation doit être réformé, compte tenu de l’absence de justificatif sérieux et du risque de difficulté en cas de réformation et de restitution des sommes.
Par ses dernières conclusions du 15 novembre 2022, auxquelles était joint un bordereau de communication de pièces qui n’a fait l’objet d’aucune contestation, lesquels ont été transmis par voie électronique le même jour, la SARL PIROUETTE demande à la cour de :
– rejeter l’appel principal de la société CALAMAR,
– recevoir son appel incident,
– infirmer partiellement le jugement,
– débouter la SAS CALAMAR de sa demande reconventionnelle,
– confirmer le jugement en ce qu’il a fait droit à sa demande principale,
– condamner la SAS CALAMAR à lui payer la somme de 1 000 euros pour la première instance, et 2 500 euros pour l’instance d’appel, en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– la condamner aux dépens de première instance et d’appel,
en soutenant, en substance, que :
– dès le 18 avril 2017, elle a demandé à la société CALAMAR des propositions de relogement dans un autre local commercial après la notification du congé avec refus de renouvellement, que la société CALAMAR lui a proposé quatre locaux commerciaux, mais n’a pas répondu à sa demande de proposition sur le montant de l’indemnité d’éviction, de sorte qu’elle s’est trouvée obligée de choisir le local dans lequel elle s’est installée, et ce en zone moins favorable (zone 2) que la zone d’emplacement du local d’origine (située en zone 1, sur une artère piétonne et centrale de la ville, avec une vitrine d’exposition avec une grande visibilité et en face d’un magasin de vente de vêtement Okaidi, très attractif en raison de cette enseigne nationale, ce qui constitue une incitation complémentaire pour son activité de vente de chaussures pour enfants, et à proximité d’autres enseignes nationales, telles que Jules et Camaieu) ; eu égard à son activité, elle a dû trouver dans la précipitation un autre local commercial ; les négociations avec le propriétaire de l’actuel local ont débuté le 10 mai 2017 ; elle a quitté les lieux le 31 juillet 2017 en tenant compte des contraintes liées aux ventes pour la rentrée des classes ; elle indique également que cette restitution fin juillet ne lui a pas permis de préparer la rentrée des classes et a ainsi perdu, sur août et septembre, 25 % du chiffre d’affaires annuel ; elle a également dû fermer son magasin initial plusieurs jours pour réaliser dans de bonnes conditions son magasin actuel ; en l’absence d’indemnité d’éviction, elle a dû souscrire un prêt bancaire de 15 000 euros pour financer les frais d’installation ; le montant de 65 835 euros représente globalement la valeur du droit au bail, les frais de déménagement et les dépenses de réinstallation dans les nouveaux locaux, qui ont nécessité des travaux de nouvel agencement ; son déménagement est directement lié au non-renouvellement du bail par la société CALAMAR ;
– le montant de l’indemnité d’éviction est forcément supérieur à la valeur du droit au bail compte tenu des frais précités ; son résultat pour 2017 montre qu’elle n’avait aucun intérêt à changer de local pour un site moins attractif ; le déménagement est intervenu avec l’accord de la partie adverse sans que les loyers des mois d’août et septembre n’aient été réclamés en dehors de cette procédure ;
– si une expertise était ordonnée, l’avance des frais devra être mise à la charge de la société CALAMAR qui la sollicite ; une éventuelle mesure d’expertise se heurterait au fait qu’il faudrait tenir compte de la situation de la [Adresse 5] en 2017, celle-ci ayant changé avec les travaux d’extension et de remise à neuf de l’établissement Optique Unterlinden en juillet 2020.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 8 mars 2023.
L’affaire a été appelée à l’audience du 12 avril 2023.
Vu le dossier de la procédure, les pièces versées aux débats et les conclusions des parties auxquelles il est référé, en application de l’article 455 du code de procédure civile, pour l’exposé de leurs moyens et prétentions.
MOTIFS DE LA DECISION :
1. Sur l’indemnité d’éviction :
Aux termes de l’article L.145-14 du code de commerce, le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d’éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.
Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.
Lorsque le locataire a quitté les lieux, cette indemnité doit être évaluée à la date la plus proche du départ effectif du locataire.
1. 1. Sur le droit à l’indemnité d’éviction :
Il a déjà été jugé qu’une cour d’appel ayant exactement retenu qu’aucune indemnité d’éviction n’est due en cas de départ volontaire du preneur et constaté qu’un mandataire-liquidateur avait manifesté son intention de restituer les clefs du local loué avant la date d’effet du congé, avait légalement justifié sa décision (3ème Civ., 29 septembre 2009, pourvoi n° 08-15.842).
En l’espèce, il s’agit, d’abord, de savoir si la société PIROUETTE a volontairement quitté les lieux, autrement dit, si son départ fait suite au congé qui lui a été délivré ou s’il n’a pas été causé par ce dernier et ainsi si elle a, ou non, renoncé à son droit au renouvellement et à son droit à l’indemnité d’éviction.
Il est constant qu’après la délivrance du congé avec refus de renouvellement, mais avant la date d’effet de ce congé au 30 septembre 2017, la société Pirouette a quitté les lieux le 31 juillet 2017, un état des lieux étant signé à cette date.
Selon le constat d’huissier de justice du 25 juillet 2017, elle avait déjà quitté les lieux à cette date, puisque l’huissier indique que sur la porte d’entrée du magasin sis [Adresse 6] à [Localité 3], une affichette indiquait qu’elle avait déménagé et demandait de livrer à la nouvelle adresse [Adresse 5] à [Localité 3], que des vitrines étaient occultées, tandis que par les vitrines non occultées, il constatait que le magasin était vide de marchandises.
Il est également établi que le 13 juin 2017, elle a souscrit un contrat de bail commercial portant sur un autre local, pour lequel un rapport de mission de repérage amiante a été réalisé le 12 juin 2017 et un état des risques a été établi le 18 mai 2017.
En outre, le 6 juillet 2017, l’assemblée générale extraordinaire des associés de la société Pirouette a décidé le transfert du siège social à l’adresse des nouveaux locaux.
Certes, le 31 juillet 2017, elle n’avait alors pas l’obligation de quitter les lieux, puisqu’en principe, elle disposait de la faculté de se maintenir dans les lieux tant que l’indemnité d’éviction qui lui était en principe due n’était pas payée.
Cependant, il résulte de son courrier du 7 juillet 2017, adressé au bailleur avant son départ des lieux, qu’elle indiquait ne pas avoir reçu de réponse à sa ‘demande de relogement et d’indemnité d’éviction malgré nos différentes demandes écrites et adressées par recommandées en date du 18 avril 2017 (…)’, et avoir en conséquence pris la décision hâtive de réaliser le déménagement de son activité commerciale le 31 juillet 2017 pour assurer la survie de son activité, tout en rappelant ne pas être tenue de quitter les lieux avant d’avoir reçu l’indemnité d’éviction, mais que le bailleur la contraignait à décider de s’installer ailleurs dans les meilleurs délais ‘pour les raisons évoquées à plusieurs reprises dans nos courriers’ et tenant notamment au maintien de l’activité, au paiement des créances et salaires et au fait d’assurer la commercialisation de la collection hiver débutant le 1er août et se terminant le 31 décembre de chaque année dans le même local sur cette période.
Ce courrier rappelait ainsi le courrier du 18 avril 2017, invoqué par le preneur et que le bailleur ne conteste pas avoir reçu.
Ainsi, eu égard aux termes employés, évoquant d’ailleurs l’indemnité d’éviction et la nécessité de partir avant le terme du bail, il ne peut être considéré que le départ de la locataire le 31 juillet 2017, même précédé de son changement de siège social décidé le 6 juillet 2017, puisse s’analyser en un départ non causé par le congé qui lui a été délivré en mars 2017, ni qu’elle ait renoncé au droit au renouvellement et ainsi à l’indemnité d’éviction.
Pour les mêmes raisons, une même renonciation, voire même une reconnaissance d’un départ volontaire, ne peut s’induire du fait qu’elle n’ait pas contesté le courrier du 26 juillet 2017 reçu en réponse du bailleur indiquant prendre ‘acte de votre départ volontaire des locaux qui n’est nullement lié à la délivrance du congé’.
En tout état de cause, la société CALAMAR ne démontre pas que le départ de la société PIROUETTE s’inscrit dans un projet de transfert non causé par le congé.
Elle ne démontre pas que les recherches d’un nouveau local aient débuté avant la délivrance du congé, ni que celui qui a été trouvé constitue un emplacement plus favorable que celui qu’elle louait à la société PIROUETTE, ni, de surcroît, que la possibilité de prendre à bail un tel emplacement aurait provoqué, indépendamment du congé, et même en tenant compte des différences de surface et des conditions plus avantageuses du nouveau bail, son départ des lieux loués, qui bénéficiaient également de plusieurs vitrines dans une galerie, et étaient situés, sans que cela soit contesté, en face d’un magasin pour enfants à l’enseigne nationale.
Le fait que la société PIROUETTE ait pu souscrire un bail commercial à des conditions plus avantageuses que le bail souscrit avec elle, y compris d’ailleurs en tenant compte d’un loyer de renouvellement susceptible de déplafonnement et de fixation à la valeur locative, ne permet pas de démontrer que l’emplacement soit plus favorable, ni que le départ des lieux loué [Adresse 6] était motivé par la conclusion d’un tel nouveau bail, et ce notamment compte tenu des demandes formulées par la société PIROUETTE à l’égard de la société CALAMAR, et évoquées ci-dessus, en vue d’une demande de relogement et d’indemnité d’éviction, et du fait qu’il n’est pas contesté qu’eu égard à l’activité de la société PIROUETTE de vente de chaussures pour enfant et à sa période de forte activité liée à la rentrée scolaire, celle-ci risquait de mettre son activité en péril si elle venait à être contrainte de quitter les lieux loués par la société CALAMAR le 30 septembre 2017, date du congé ou à tout le moins à une date incertaine et dépendante du versement de l’indemnité d’éviction.
Les bilans produits aux débats montrent qu’en 2017, le résultat était déficitaire alors qu’il était bénéficiaire les années précédentes, même s’il variait selon les années, mais aussi une baisse du chiffre d’affaires par rapport aux autres années et l’augmentation du poste ‘autres achats et charges externes’. Il ne résulte cependant pas de l’analyse de ces documents qu’en l’absence de congé, la société PIROUETTE aurait eu un intérêt à changer d’emplacement
Ainsi, la société PIROUETTE n’a pas renoncé à son droit au renouvellement du bail, ni à son droit de percevoir l’indemnité d’éviction.
Ensuite, si, par décision de l’assemblée générale extraordinaire du 6 juillet 2017, la société PIROUETTE a décidé de transférer son siège social, de l’adresse des lieux loués, à celle des nouveaux lieux loués, à compter du 6 juillet 2017, il ne résulte toutefois pas de cette décision, et aucun autre élément contraire n’est produit, qu’elle n’était plus inscrite au Registre du Commerce et des Sociétés au titre de son activité exercée dans les lieux loués [Adresse 6], et ce dès le 6 juillet ou ultérieurement.
Dès lors, la société PIROUETTE a droit à une indemnité d’éviction.
1.2. Sur le quantum :
Il est constant que le fonds de commerce de la société PIROUETTE a été transféré dans un autre local.
Ainsi, le bailleur doit indemniser le locataire de la valeur du droit au bail, outre les indemnités accessoires, dont la liste figurant à l’article 145-14 n’est pas limitative, et qui correspondent à tous les frais que le preneur peut être amené à engager du fait de son éviction des lieux loués.
En l’espèce, s’agissant de la valeur du droit au bail, la société PIROUETTE l’évalue à la somme de 45 735 euros représentant le prix du droit au bail qu’elle a versé lorsque lui a été cédé le bail.
Eu égard à la durée du bail dont la société PIROUETTE a bénéficié jusqu’en juillet 2017, au fait que la société CALAMAR ne démontre pas que la société PIROUETTE ait eu le temps d’amortir l’intégralité du prix précité, mais aussi aux conditions de nouveau bail, la cour dispose d’éléments suffisants, sans qu’il y ait lieu d’ordonner une mesure d’expertise, pour chiffrer la valeur du droit au bail à la somme de 20 000 euros.
En outre, la société PIROUETTE justifie de frais de transfert à hauteur de 8 704,50 euros, qui ne sont d’ailleurs pas contestés.
S’agissant des frais d’agencement, de peinture, d’éclairage, d’enseigne et de fournitures diverses, dont la société PIROUETTE justifie à hauteur de 18 519,25 euros et ainsi que l’ont détaillé les premiers juges, il s’agit de frais d’aménagement du nouveau local, destinés à réinstaller son fonds de commerce en reproduisant des conditions similaires à ceux existants dans l’ancien local, étant d’ailleurs relevé que la société PIROUETTE justifie avoir, en 2011, effectué des dépenses, notamment de peinture et d’installation d’un nouvel éclairage dans le local loué [Adresse 6].
Il convient dès lors de les prendre en compte au titre de l’indemnité d’éviction due par la société CALAMAR.
Ainsi, sans qu’il y ait lieu de faire droit à la demande d’expertise, le jugement étant confirmé en ce qu’il a rejeté cette demande, il convient de fixer l’indemnité d’éviction à la somme de 47 223,75 euros et de condamner la société CALAMAR au paiement de cette somme, le jugement étant infirmé de ces chefs.
2. Sur la condamnation de la société Pirouette au paiement de la somme de 4 930,25 euros au titre des loyers d’août et septembre 2017 :
Dans la mesure où le bailleur a accepté la restitution des clés et a signé l’état des lieux le 31 juillet 2017, le locataire ne disposant alors plus de la jouissance du local loué, le bailleur n’est plus fondé à lui demander paiement des loyers d’août et septembre 2017.
La demande en paiement sera donc rejetée, le jugement étant infirmé de ce chef.
3. Sur les frais et dépens :
La société CALAMAR succombant principalement, il convient de confirmer le jugement ayant statué sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens, et la société CALAMAR sera condamnée à supporter les dépens d’appel.
En revanche, l’équité commande de ne pas prononcer de condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile au titre de l’instance d’appel pour l’une ou l’autre partie, de sorte que les demandes de ce chef seront rejetées.
P A R C E S M O T I F S
La Cour,
Infirme le jugement du tribunal judiciaire de Colmar du 23 novembre 2021, mais seulement en ce qu’il :
– fixe l’indemnité d’éviction à 65 835 euros et condamne la SAS CALAMAR à payer cette somme à la SARL PIROUETTE
– condamne la SARL PIROUETTE à payer à la SAS CALAMAR la somme de 4 930,25 euros au titre des loyers dus jusqu’au 30 septembre 2017,
Le confirme pour le surplus,
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Fixe l’indemnité d’éviction due par la société CALAMAR à la société PIROUETTE à la somme de 47 223,75 euros,
Condamne la société CALAMAR à payer cette somme à la société PIROUETTE,
Rejette la demande en paiement des loyers d’août et septembre 2017,
Y ajoutant,
Condamne la société CALAMAR à supporter les dépens d’appel,
Rejette les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’appel.
La Greffière : la Présidente :