Indemnité d’éviction : 19 janvier 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/00741

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Indemnité d’éviction : 19 janvier 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/00741

19 janvier 2023
Cour d’appel de Versailles
RG
21/00741

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

21e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 19 JANVIER 2023

N° RG 21/00741 – N° Portalis DBV3-V-B7F-ULNR

AFFAIRE :

[U] [B]

C/

S.A. DAHER TECHNOLOGIES Prise en la personne de son Président

Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 11 Février 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de POISSY

N° Chambre :

N° Section : C

N° RG : 18/00147

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Ghislain DADI

Me Caroline PIERREPONT

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DIX NEUF JANVIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Madame [U] [B]

née le 10 Juin 1996 à [Localité 5] (MAROC)

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par : Me Ghislain DADI de la SELAS DADI AVOCATS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0257

APPELANTE

****************

S.A. DAHER TECHNOLOGIES Prise en la personne de son Président

N° SIRET : 068 803 055

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 1]

Représentée par : Me Caroline PIERREPONT, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0168

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 07 Novembre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Odile CRIQ, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thomas LE MONNYER, Président,,

Madame Odile CRIQ, Conseiller,

Madame Véronique PITE, Conseiller,

Greffier lors des débats : Monsieur Mohamed EL GOUZI,

FAITS ET PROCÉDURE

Mme [B] a été engagée à compter du 1er juin 2017 en qualité de cariste en prestation logistique, par la société Daher Technologies, selon contrat de travail à durée indéterminée.

L’entreprise, qui a une activité d’équipementier pour les industries de haute technologie, emploie plus de dix salariés et relève de la convention collective du transport et activités auxiliaires des transports.

Convoquée le 8 février 2018 à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 21 février suivant, Mme [B] a été licenciée par lettre datée du 28 février 2018 pour faute.

Contestant son licenciement, Mme [B] a saisi, le 4 juin 2018, le conseil de prud’hommes de Poissy aux fins d’entendre juger le licenciement nul et subsidiairement dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamner la société au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire, ainsi qu’au remboursement d’un versement qui aurait été effectué à M. [T] contre l’engagement de la salariée dans la société Daher.

La société s’est opposée aux demandes de la requérante et a sollicité sa condamnation au paiement d’une somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement rendu le 11 février 2021, notifié le 18 février 2021, le conseil a statué comme suit : 

Déboute Mme [B] de l’ensemble de ses demandes,

Déboute la société de sa demande reconventionnelle,

Condamne Mme [B] aux dépens y compris ceux afférents aux actes et procédure d’exécution éventuels.

Le 3 mars 2021, Mme [B] a relevé appel de cette décision par voie électronique.

Par ordonnance rendue le 5 octobre 2022, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 7 novembre 2022.

‘Selon ses dernières conclusions notifiées le 28 mai 2021, Mme [B] demande à la cour d’infirmer le jugement entrepris, statuant à nouveau, de :

Fixer son salaire moyen brut à la somme de 2 084,54 euros (moyenne 3 derniers mois),

Dire et juger le licenciement nul

Ordonner sa réintégration et condamner la société à une indemnité compensatrice de salaire entre le licenciement et la réintégration effective par provision de 80 000 euros sans déduction des salaires de remplacement ;

Ou subsidiairement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

Dire et juger que doit être écarté le montant maximal d’indemnisation prévu par l’article L. 1235 3 du code du travail en raison de son inconventionnalité, ce plafonnement violant les dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne, les articles 4 et 10 de la convention 158 de l’OIT et le droit au procès équitable,

Condamner la société à lui payer les sommes suivantes :

– indemnité légale de licenciement : 477,70 euros

– indemnité compensatrice de préavis : 2 084,54 euros

– congés payés afférents : 208,45 euros

– indemnité de licenciement abusif : 12 507,24 euros

En tout état de cause,

Condamner la société à un remboursement de 10 000 euros en remboursement du versement fait à M. [T] contre l’engagement de la salariée dans la société ;

Ordonner la remise des documents de fin de contrat (Attestation Pôle Emploi, solde de tout compte et certificat de travail) conformes à la décision à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard et par document à compter de la notification de la décision et dans la limite de 190 jours,

Condamner la société à régler la somme de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

Dire que les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le conseil de prud’hommes tandis que les créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant, la capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l’article 1154 du code civil, devant l’article 1343 2,

Condamner la société aux dépens d’instance.

‘ Aux termes de ses dernières conclusions, remises au greffe le 29 juillet 2021, la société Daher Technologies demande à la cour de :

A titre principal :

Dire et juger que le licenciement repose sur une faute grave ;

Dire et juger qu’elle ne saurait supporter le remboursement de la prétendue dette consentie par Mme [B] à M. [T];

Confirmer le jugement ;

En conséquence,

Débouter Mme [B] de l’ensemble de ses demandes ;

A titre subsidiaire :

Reconnaître la cause réelle et sérieuse du licenciement ;

En conséquence,

Débouter Mme [B] de sa demande de réintégration et d’indemnité compensatrice de salaire entre le licenciement et la réintégration et de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

A titre infiniment subsidiaire :

Réduire l’indemnité d’éviction à la somme correspondant aux salaires perdus entre la demande de réintégration et la réintégration effective ou réduire le montant des dommages et intérêts à titre de licenciement sans cause réelle au montant prévu par l’article L.1235 3 du code du travail compte tenu de l’ancienneté,

En tout état de cause :

Condamner Mme [B] à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.

MOTIFS

Sur la demande de remboursement de la somme de 10 000 euros :

Mme [B] soutient avoir prêté à M.[T], responsable d’exploitation, la somme de 10 000 euros en échange d’une promesse d’embauche et sollicite la condamnation de la société à lui rembourser cette somme.

Mme [B] produit aux débats une reconnaissance de dette du 10 mai 2017 de M. [C] [T] à son égard portant sur la somme de 10 000 euros, avec la précision que cette somme lui a été prêtée en espèces au mois de mai 2017 pour le paiement d’une dette auprès de son ancienne compagne.

La société conclut au rejet de cette demande en opposant que rien ne justifie qu’elle supporte le remboursement d’une somme qui aurait été prêtée à M. [T] dans un cadre strictement privé, alors même que cette dernière n’était pas encore salariée de la société.

Selon l’article 1199 du Code civil le contrat ne crée des obligations qu’entre les parties.

Force est de constater que la reconnaissance de dette est établie et signée par M. [T], elle n’engage donc que son auteur. Mme [B] sera en conséquence déboutée de sa demande dirigée contre la société.

Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.

Sur la nullité du licenciement :

Mme [B] conclut à titre principal à la nullité du licenciement pour violation de ses droits et à titre subsidiaire au défaut de cause réelle et sérieuse du licenciement.

Sur le fondement de l’article 7 de la Convention n° 158 de l’OIT, Mme [B] conclut à la nullité du licenciement pour violation d’une liberté fondamentale, en faisant valoir que si le salarié fait la demande des preuves retenues à son encontre, l’employeur doit les lui fournir.

Elle soutient que la société a refusé lors de l’entretien préalable de faire droit à sa demande des attestations évoquées à son encontre, de sorte qu’elle se trouvait dans l’incapacité de se défendre contre les allégations de l’employeur. Elle affirme que ces attestations devant figurer dans son dossier personnel aurait dû lui être communiquées lors de l’entretien préalable.

La salariée observe que la société n’a pas contesté avoir refusé de lui fournir lesdites pièces.

La société qui conclut au rejet de cette demande en observant qu’elle est présentée pour la première fois aux termes des écritures d’appel de la salariée n’en soulève pas l’irrecevabilité.

Elle observe que le courrier qui lui aurait été adressé par la salariée le 12 mars 2018, en recommandé n’a été communiqué pour la première fois qu’au mois de juin 2020, sans qu’aucun numéro de recommandé ne figure sur le courrier.

La société estime que le conseil de prud’hommes de Poissy a exactement déduit que les faits reprochés à cette dernière étaient justifiés et présentaient un caractère de gravité fondant le licenciement pour faute grave.

L’article 7 de la Convention n° 158 de l’Organisation Internationale du Travail concernant la cessation de la relation de travail à l’initiative de l’employeur, ratifiée par la France et donc d’application directe, prévoit qu’un travailleur ne devra pas être licencié pour des motifs liés à sa conduite ou à son travail avant qu’on ne lui ait offert la possibilité de se défendre contre les allégations formulées.

L’article L. 1232-2 du code du travail dispose par ailleurs que la lettre de convocation à l’entretien préalable doit préciser  » l’objet de la convocation « .

En application de ces dispositions, l’employeur est tenu d’indiquer au salarié le ou les motifs de la décision envisagée et de recueillir ses explications pour instaurer un dialogue. La décision que l’employeur peut être conduit à prendre ou les éléments dont il dispose pour la fonder ayant vocation, le cas échéant, à être discutés devant les juridictions de jugement, le respect des droits de la défense n’impose pas que le salarié ait accès au dossier avant l’entretien préalable.

Ainsi, l’énonciation de l’objet de l’entretien dans la lettre de convocation adressée au salarié par un employeur qui veut procéder à son licenciement et la tenue d’un entretien préalable au cours duquel le salarié, qui a la faculté d’être assisté, peut se défendre contre les griefs formulés par son employeur, satisfont à l’exigence de loyauté et du respect des droits du salarié.

La lettre de licenciement spécifie que lors de l’entretien préalable la salariée était accompagnée de Mme [P], salariée de la société.

Aucun compte rendu de l’entretien préalable n’est produit aux débats par les parties, de sorte que la salariée ne justifie pas avoir sollicité la communication des attestations que l’employeur aurait eues en possession au moment de l’entretien.

Il résulte de la lettre de licenciement que l’employeur a indiqué au salarié les motifs de la décision envisagée et a recueilli ses explications lors de l’entretien préalable, de sorte qu’aucune violation des droits de la défense n’est ici caractérisée.

En effet, le fait que, durant l’entretien, l’employeur ait explicité les griefs retenus contre le salarié et que ce dernier, assisté, ait pu les discuter, suffit à considérer que la procédure est de nature à garantir les droits de la défense.

Mme [B] sera en conséquence déboutée de sa demande de nullité du licenciement, ainsi que de la demande de réintégration dans la société et de dommages-intérêts afférente.

Sur le bien-fondé du licenciement :

La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est ainsi libellée :

 » Vous avez été embauchée en contrat à durée indéterminée par la société Daher le 1er juin 2017 et vous occupez actuellement le poste de cariste en prestation logistique au sein du site de [Localité 4], au statut ouvrier, annexe 1, coefficient 125 L.

En date du 23 février 2018, vous avez été rencontrée par M. [I] et moi-même, accompagnée de Mme [P], salariée Daher dans le cadre d’un entretien disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement.

Au cours de cet entretien, nous avons évoqué avec vous les différentes situations nous ayant menées à envisager une mesure disciplinaire à votre encontre.

Evènement du 12 décembre 2017 :

Alors que votre chef d’équipe M. [O] se trouvait au bord de ligne, ce dernier a reçu un appel vers 16h de M. [T], responsable d’exploitation pour connaître les causes d’une chute de jante lors d’une livraison quelques minutes plus tôt.

M. [O] s’est alors empressé d’en vérifier la raison auprès de l’opérateur en poste ce jour-là et de vous-même, livreuse sur ce même poste. Lors de son échange avec l’opérateur, vers 16h15, M. [O] a posé la question suivante :  » une jante est tombée’ Est ce qu’il y a eu un arrêt’ « .

L’opérateur a répondu par la négative, précisant que la jante tombée avait été remplacée. Ce dernier rapporte que vous vous êtes dirigée vers votre chef d’équipe, énervée, en lui criant  » Pourquoi tu m’accuses d’arrêt ‘ Je vais voir le Directeur et je ne veux pas aller au NC!  » ce à quoi vous auriez ajouté :  » c’est tout le temps comme ça chez Daher, ils m’accusent d’arrêt de chaîne « . Votre chef d’équipe a précisé quant à lui que vous l’auriez accusé de vous harceler et confirme le reste des remarques émises par l’opérateur ainsi que des mots utilisés lors de cet échange.

En réponse à l’énoncé de ces faits, vous avez affirmé :  » je jure que je n’ai pas crié, je n’ai jamais crié! « . Cette affirmation est en totale contradiction avec les témoignages que nous avons recueillis.

Evènement du 14 décembre 2017 :

M. [I] rappelle les faits précédents cet événement. En raison de douleurs au dos, vous avez été à l’infirmerie Renault. A l’issue de votre entretien avec l’infirmière, vous avez expliqué votre difficulté sur le poste des insonos/pavillons à votre Responsable d’exploitation, M. [T], qui a ensuite pris la décision de vous positionner sur le poste des pneus/jantes pour contrôler les bacs préparés et faire du rangement au poste de travail (appelé 5S) dans la zone dédiée, limitant ainsi les manutentions manuelles et les efforts physiques.

Lors de votre échange avec M. [O] pour vous expliquer ces missions, vous lui avez répondu :  » je refuse de le faire, j’ai mal et je fais ce que je veux et si tu me demandes ça une autre fois, je me mets en accident du travail! « .

M. [I] a alors indiqué qu’il s’agissait de 2 faits graves, à savoir : un refus d’obtempérer doublé de menaces et qu’il n’était pas concevable d’avoir ce genre d’attitude dans le milieu professionnel.

Vous nous avez indiqué lui avoir précisé que  » le 5S n’est pas compris  » dans votre poste de travail, celui de livreuse.

Je vous ai alors précisé que tous les salariés Daher sont concernés par la réalisation du 5S à leur poste de travail, aussi bien Mme [P] que M. [I] ou moi-même à nos postes respectifs.

De plus, vous avez signé votre livret d’accueil. Celui-ci précise les compétences que vous avez acquises sachant que votre niveau actuel est le numéro 3. Ce niveau 3 valide les niveaux préalables. Dans ces compétences attendues nous trouvons donc la compétence :  » l’opérateur connaît les règles de sécurité et de rangement du poste (5S).  »

Vous comprendrez que cette attitude, correspondant à un refus d’obtempérer et un refus catégorique de réaliser vos obligations contractuelles, ne correspond pas à ce que nous pouvons attendre de nos collaborateurs pour la bonne réalisation de notre activité.

Evènement du 15 décembre 2017 :

Suite à votre échange de la veille et en tenant compte de la demande de son responsable de site, M. [G], votre responsable de site vous a précisé qu’en raison de la nouvelle organisation de notre activité concernant entre autres les familles insonos/pavillons, vous seriez amenée à réaliser vos missions au sein du bâtiment NC après les vacances de Noël. Vous avez alors exprimé votre refus à M. [O] en vous énervant et en lui tenant les propos suivants :  » Ce n’est pas [C] ([T]) qui décide. C’est moi qui décide et je ne veux pas aller au NC et j’ai des preuves contre Daher et je vais les mettre au Tribunal ! « .

Evènement du 2 janvier 2018 :

M. [I] et moi-même vous avons rappelé l’entretien de conciliation qui s’est déroulé le mardi 2 janvier 2018 dans un bureau isolé de la production afin déchanger sur les problèmes que vous aviez évoqués avec MM. [X] et [T] quelques semaines plus tôt mais également en lien avec les échanges que vous aviez pu avoir avec M. [E], délégué syndical CFDT, a posteriori.

Lors de cet échange, vous avez évoqué 5 faits importants autour des thèmes  » d’harcèlement, de délit d’entrave, de malfaçon…  » :

– 5 minutes d’arrêt aux pneus/jantes

– Dojo contrefait de M. [S] [H] par M. [O]

– Des collaborateurs qui étaient payés les samedis sans jamais être venus sur le site

– Accusation de votre responsable M. [O] d’organiser un vol de jantes Renault les samedis où il travaillait…

L’ensemble des points ont été recueillis par MM. [G] et [I] lors de cette entrevue. A l’issue d’une procédure d’investigation, 4 des 5 points évoqués ont été réfutés. Concernant le dernier point très important du vol des jantes, nous avons réalisé une enquête. Celle-ci s’appuyant sur notre suivi très précis des stocks ne nous a jamais fait apparaître de produit manquant. Il s’agissait tout simplement d’une rumeur que vous avez alimentée. Un retour a été fait à M. [E].

M. [I] vous a alors rappelé que lors de cet entretien du 2 janvier, M. [G] avait contacté par téléphone M. [T] lors de la réunion et qu’il avait réfuté en direct vos dires. En effet, vous nous affirmiez pendant cet entretien que vous n’avez jamais accusé votre responsable M. [O] de vol, de jante ou quel que soit d’autre. Or à la question posée clairement à M. [T] :  » est-ce que Mme [B] est venue affirmer que M. [O] organisait un vol de jantes les samedis lorsqu’il travaillait ‘  » celui-ci a répondu par l’affirmative devant toute l’assemblée en sachant qu’il était entendu par tous par le haut-parleur du téléphone.

C’est avec énormément de surprise que lors de ce dernier entretien disciplinaire du 23 février vous nous avez affirmé :  » Je n’ai jamais parlé de vol de jantes mais de vol de pneus! « . Cette affirmation vient donc contredire votre rumeur qui a duré plusieurs semaines au sujet de vol de jantes. Les interlocuteurs concernés au mois de décembre sont très nombreux : M. [I], responsable de département, M. [G], responsable de site, M. [T], responsable d’exploitation, et moi-même. Tous ont entendus de vos propos qu’il s’agissait de vol de jantes et non pas de pneus.

De plus, M. [I] a souligné le travail réalisé par M. [G] et ses équipes pour répondre aux contraintes/tensions que vous nous aviez présentées avec votre chef d’équipe, à savoir que votre prise de poste au bâtiment NC était l’occasion de vous attribuer un nouveau chef d’équipe, M. [Z].

Evènement du 29 janvier 2018 :

En date du lundi 29 janvier 2018, M. [Z] votre chef d’équipe au bâtiment NC vous a demandé de changer de Charlatte (tracteur Fenwick de transfert des bases roulantes en circulation interne dans l’usine) car celle-ci n’était pas conforme. Pour ne pas vous pénaliser et permettre le bon développement de l’activité il vous a confié un autre chariot, celui des chefs d’équipe, après la pause. Il faut préciser que cet autre engin n’était pas destiné à la traction des remorques car sa vitesse n’est pas limitée à 10mk/h, c’est pourquoi son usage est réservé aux chefs d’équipe.

En revanche, cette seconde Charlatte était nécessaire au bon fonctionnement sur le bâtiment M. [O] a donc envoyé un collaborateur, M. [W], pour récupérer la charlatte des chefs d’équipe. Sur le chemin entre les 2 bâtiments, M. [W] s’est surpris de votre énervement devant les propos suivants vis-à-vis de votre ancien chef d’équipe :  » [J] n’est pas le chef. Ce n’est pas à lui de décider.  »

M. [W] a donc rapporté les faits à son chef d’équipe, M. [O] s’est expliqué au téléphone avec son homologue, M. [Z], pour récupérer l’engin dédié aux chefs d’équipe. Ils ont convenu ensemble d’échanger les 2 charlattes avec celle de M. [Z]. L’échange de chariots a été fait par ce dernier en bord de chaîne.

Quelques dizaines de minutes plus tard, M. [O] se rend au bâtiment NC. Il vient accompagné de M. [W], pour reprendre la charlatte et repartir à 2 chariots vers le bâtiment M pour récupérer la charlatte, il croise obligatoirement l’équipe des pavillons (qui était sous sa responsabilité 3 semaines avant) et en profite pour les saluer.

Durant votre entretien, vous avez décrit avec véhémence la situation. Vous avez situé sur le plan dessiné les 3 éléments suivants :

1. M. [O] est arrivé avec un tracteur P250 par la porte sectionnelle du bâtiment NC. Vous avez alors insisté sur le fait que cet accès est interdit aux charlatte de ce type et réservé aux chariots frontaux. Vous avez appuyé sur le fait que M. [O] enfreignait volontairement les consignes de sécurité qui étaient affichées très visiblement sur la porte.

2. Après être rentré avec la charlatte, il se serait dirigé vers vous après en être descendu puis vous aurait chuchoté à l’oreille :  » C’est qui le chef maintenant ‘  » afin de vous provoquer.

3. Immédiatement après l’altercation contre M. [O], dès que l’échange s’est terminé, vous avez été victime d’un malaise.

Malheureusement, ces affirmations sont totalement fausses :

1. L’accès par lequel est passé M. [O], accompagné dans le P250 de M. [W], est interdit aux piétons mais autorisé pour tous les autres véhicules de manutention comme le P250. Il n’y a pas et il n’y a jamais eu d’affiche sur la porte expliquant ce que vous avez affirmé avec véhémence.

2. 4 témoignages circonstanciés décrivent la même scène :

– Dès que M. [O] descend de son P250 vant qu’il puisse vous adresser la parole, vous vous êtes précipité vers lui en hurlant.

– Les paroles injurieuses que vous prononcez contre M. [O] sont :  » Tu fais quoi ici’ Dégage d’ici! Casse toi […] casse toi!  »

– Devant la manifestation d’autant de violence, deux personnes du service sont intervenues pour vous retenir et vous calmer.

– Effrayé par autant d’agression, M. [O] s’est retiré en prononçant uniquement ces mots :  » Ne me parle pas. Je n’ai rien à te dire « .

3. Lors de l’entretien, vous avouez d’ailleurs avoir dit à M. [O] :  » Casse toi […] Laisse moi tranquille, puis être tombée dans les pommes .

Sur ce points M. [I] vous a demandé pendant l’entretien à 3 reprises si d’autres événements étaient survenus entre l’agression verbale et votre malaise, ce à quoi vous avez répondu que les événements étaient immédiatement consécutifs, sans autre fait. Or les témoignages précisent que le déroulé des faits est totalement différent.

En effet, après votre agression, vous vous êtes écartée pour passer un coup de téléphone pendant quelques minutes avant de revenir et d’avoir un malaise. Ensuite, vous avez été transportée à l’infirmerie Renault. Vous avez repris votre poste le lendemain matin. Mme [P] a indiqué qu’il n’y avait pas de fait exploitable sur ce point et qu’elle souhaitait que la Direction fasse des recherches. Après vérification, M. [G] nous a précisé qu’il avait reçu un message vocal sur son téléphone de votre part, aux alentours de 19h35. Voici le résumé du message vocal que vous lui avez laissé.

 » [J] est venu me voir ici à mon poste. Il est venu m’harceler. Il est venu me demander de descendre de la charlatte. Est-ce que je travaille chez lui ou est-ce que je travaille chez Daher’ […] Il faut régler le problème avec lui sinon je vais aller au tribunal avec lui […] « .

Une fois de plus, votre discours ne coïncide pas avec les éléments récoltés auprès des autres collaborateurs et managers du site.

En marge de cet entretien, nous vous avons demandé si vous aviez des questions et des sujets à évoquer. Vous avez alors fait référence à des faits graves que vous disposiez contre l’entreprise. Lorsque nous vous avons demandé à plusieurs reprises plus d’éléments pour étayer votre discours par la question  » De quoi parlez-vous’ « , vous nous avez systématiquement répondu avec un ton menaçant :  » J’ai tout dans le téléphone […], je monterai mon dossier pour le présenter à la presse!

Je donnerai tout à la presse! « .

M. [I] vous a demandé s’il s’agissait de menaces. Vous n’avez pas répondu. Et toujours avec la même véhémence, vous avez alors réitéré vos propos sans explication supplémentaire. C’est la seconde fois que vous menacez la société lors de ce même entretien, vous comprendrez aisément que cette attitude va à l’encontre d’une coopération constructive et est en opposition totale avec ce que la société Daher attend de ses collaborateurs.

Au vu des différents points préalablement évoqués, à savoir votre refus d’exercer certaines missions contractuelles, de refus d’obtempérer et de répondre aux demandes de votre hiérarchie, ainsi que votre comportement vis-à-vis de vos collègues et responsables hiérarchiques, nous ne pouvons donc envisager de mener plus avant notre collaboration.

Votre licenciement pour faute prendra effet à compter de la date de première présentation de cette lettre envoyée en recommandé à votre domicile. Nous vous informons que nous vous dispensons de l’exécution de votre préavis. « .

Mme [B] soutient que les griefs invoqués à l’appui de son licenciement sont infondés et conteste chacun des reproches invoqués dont elle estime la matérialité non établie ou l’imputabilité non démontrée.

La société fait valoir que chacun des griefs pris isolément justifie le licenciement pour faute grave de l’appelante. Elle conteste les arguments de Mme [B].

Aux termes de la lettre de licenciement, seule une cause réelle et sérieuse de licenciement est retenue par l’employeur à l’encontre de Mme [B] qui est dispensée de l’exécution du préavis. En conséquence, la salariée est bien fondée en ses demandes d’indemnité de licenciement et d’indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents.

En cas de litige, en vertu des dispositions de l’article 1235-1 du code du travail, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute subsiste il profite au salarié.

S’agissant des faits du 29 janvier 2018, l’employeur produit aux débats :

– l’attestation de M. [O], chef d’équipe, selon lequel :  » Vers 19h20. J’ai demandé à mon expressiste [W] [V] d’aller récupérer le chariot P 80 qui se trouve au bâtiment NC.

Il m’appelle 10 minutes après pour me dire que Mme [B] refuse de lui donner le P 80 et lui dit que ce n’est pas [J] qui commande ici. Je rappelle mon collègue [A] pour qu’il trouve une solution avec sa livreuse et j’ai demandé à [W] [V] de lui donner un autre P 80 pour gagner du temps. [A] était au bout de la chaîne et il a fait l’échange de P 80. Vers 19h45 j’étais au bâtiment NC pour dire bonjour à mon ancienne équipe, Mme [B] était furieuse elle a commencé à avancer vers moi et je l’entends dire Tu fais quoi ici ‘ dégage d’ici, casse-toi, casse-toi (en hurlant). Il y a eu les deux OPS qui étaient là pour la calmer, mais elle venait vers moi pour toucher et elle m’a dit tu es là pour me harceler, le harcèlement est un accident du travail je vais te mettre au tribunal tu vas voir, tu vas voir. Moi de mon côté je l’ai évitée et juste dit, tu ne me parles pas STP avec le sourire je suis parti avec mon P2 150 pour ne pas créer un désordre dans l’activité, même si ce qu’elle a fait m’a touché énormément. « .

– l’attestation de M. [W] [V], cariste, qui déclare :  » j’étais voir [M] pour récupérer le P 80 des chefs d’équipe et elle m’a dit c’est pas [J] qui décide. J’ai appelé [J] au téléphone. Il est venu pour la récupérer. [M] elle partir avec à l’usine.  »

– le témoignage de M. [N], opérateur, qui atteste dans les termes suivants :  » Vers 19 heures, [M] est revenue au bâtiment NC. Elle est descendue de son véhicule en grommelant. En se rapprochant des pavillons elle aperçoit [J] qui se trouvait un peu plus loin. Le temps monte du côté de [M] en disant qu’il était sur son lieu de travail, qu’il n’avait pas être là, que c’était du harcèlement, qu’elle allait appeler le syndicat, qu’elle irait au tribunal. Tout en répétant les mêmes paroles de plus en plus fort. Elle se rapproche de lui. [F], ainsi que moi sommes intervenus. Je me suis mis devant [M] en la repoussant légèrement et en lui disant de se calmer. [J] décida de partir du bâtiment en rejoignant son véhicule. Il lui dit je ne te parle pas, je n’ai rien à te dire. Elle lui répond casse-toi et dégage de là [J]. (..) « .

– le témoignage de Mme [R], opératrice, qui confirme le témoignage de M. [N].

La société fait valoir la violation par la salariée du règlement intérieur et particulièrement du respect des règles de savoir-vivre, et savoir-être en collectivité prohibant tout comportement agressif verbale ou physique dans l’entreprise.

Ces témoignages précis et concordants en ce qu’ils établissent et imputent à Mme [B] un comportement agressif envers son supérieur hiérarchique et la tenue de propos véhéments et menaçants à son encontre ne sont pas utilement critiqués par la salariée.

Ces faits fautifs constituent une violation par la salariée de ses obligations contractuelles.

Sans qu’il soit nécessaire d’examiner les griefs plus amples reprochés, il sera jugé que le licenciement de Mme [B] repose sur une cause réelle et sérieuse.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a débouté Mme [B] de sa demande en paiement d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences financières du licenciement :

Mme [B] est bien fondée en sa demande d’indemnité compensatrice de préavis correspondant à un mois de salaire soit la somme de 1539,45 euros bruts, outre la somme de 153,94 euros bruts au titre des congés payés afférents.

L’article L. 1234-9 du code du travail dispose que le salarié titulaire d’un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu’il compte huit mois d’ancienneté ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.

En application de l’article R. 1234-2 du code du travail selon lequel l’indemnité de licenciement ne peut être inférieure à un quart de mois de salaire par année d’ancienneté, jusqu’à 10 ans auquel s’ajoutent un tiers de mois de salaire par année à partir de dix ans, la salariée dont le salaire était de 1539,45 euros bruts est bien fondée en sa demande d’indemnité légale de licenciement fixée à hauteur de 352,79 euros.

Conformément aux articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances de nature salariale porteront intérêt à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le conseil de prud’hommes, alors que les créances indemnitaires porteront intérêt au taux légal à compter de la décision qui les ordonne.

La capitalisation des intérêts sera ordonnée en application de l’article 1343-2 du code civil.

Il sera ordonné à la société Daher Technologies la remise à Mme [B] d’une attestation Pôle emploi, d’un solde de tout compte et d’un certificat de travail conformes à la présente décision, sans qu’il soit nécessaire d’assortir cette obligation d’une astreinte pour en assurer l’exécution.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Infirme le jugement seulement en ce qu’il jugé que le licenciement reposait sur une faute grave, débouté Mme [B] de sa demande en paiement de l’indemnité légale de licenciement, de l’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, et condamné Mme [B] aux dépens de première instance,

Statuant des chefs ainsi infirmés,

Dit que le licenciement de Mme [B] par la société Daher Technologies repose sur une cause réelle et sérieuse mais pas sur une faute grave,

Condamne la société Daher Technologies à payer à Mme [B] les sommes suivantes :

– 1539,45 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 153,94 euros bruts au titre des congés payés afférents,

– 352,79 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,

Ordonne à la société Daher Technologies la remise à Mme [B] d’une attestation Pôle emploi, d’un solde de tout compte et d’un certificat de travail conformes à la présente décision,

Dit n’y avoir lieu à la fixation d’une astreinte,

Dit que les créances de nature salariale porteront intérêt à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le conseil de prud’hommes, alors que les créances indemnitaires porteront intérêt au taux légal à compter de la décision qui les ordonne.

Ordonne la capitalisation des intérêts.

Confirme le jugement pour le surplus et y ajoutant, rejette la demande en nullité du licenciement,

Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Laisse les dépens de première instance et d’appel à la charge respective de chacune des parties qui en aura fait l’avance.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, et par Isabelle FIORE , auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,

 


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