Indemnité d’éviction : 18 mai 2022 Cour d’appel de Rennes RG n° 18/08406

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Indemnité d’éviction : 18 mai 2022 Cour d’appel de Rennes RG n° 18/08406

18 mai 2022
Cour d’appel de Rennes
RG
18/08406

5ème Chambre

ARRÊT N°-162

N° RG 18/08406 – N° Portalis DBVL-V-B7C-PNCR

SCI COMMERCE 4 & GORGES 6

C/

SARL EGE

Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 18 MAI 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Pascale LE CHAMPION, Présidente,

Assesseur : Madame Virginie PARENT, Présidente,

Assesseur : Madame Virginie HAUET, Conseiller,

GREFFIER :

Madame Catherine VILLENEUVE, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 02 Mars 2022

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 18 Mai 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats

****

APPELANTE :

SCI COMMERCE 4 & GORGES 6

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Renaud GUIDEC de la SELARL DENIGOT – SAMSON – GUIDEC, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NANTES

INTIMÉE :

SARL EGE

[Adresse 10]

[Localité 9]

Représentée par Me Yann RUMIN de la SELARL VILLAINNE-RUMIN, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NANTES

*********

Suivant acte authentique de Maître Baget, notaire à Nantes, en date du 28 septembre 1995, la SCI Commerce 4 et Gorges 6 a donné à bail à la Sarl Croq Poulet des locaux situés à Nantes, aux droits de laquelle est venue ensuite la Sarl Pizza Roméo.

Suivant acte sous seing privé en date du 29 décembre 2000, la Sarl Délice d’Istanbul est venue aux droits de la Sarl Pizza Roméo.

Suivant acte de Maître DEIN, notaire à [Localité 9], en date du 3 octobre 2008, la Sarl Délice d’Istanbul a cédé son fonds de commerce à la Sarl Ege.

Par acte en date du 28 mars 2013, la SCI Commerce 4 et Gorges 6 a notifié à la Sarl Ege un congé sans offre de renouvellement du bail pour le 30 septembre 2013 en offrant le paiement de l’indemnité d’éviction prévue à l’article L.145-14 du Code de Commerce.

Par acte en date du 25 août 2014, la société Ege a assigné la société bailleresse afin de condamner la SCI Commerce 4 et Gorges 6 à payer à la SARL Ege une indemnité d’éviction devant le tribunal de grande instance de Nantes.

Le juge de la mise en état a désigné un expert judiciaire avec mission de déterminer le montant de l’indemnité d’éviction. L’expert a procédé à ses investigations et a déposé son rapport le 7 mars 2016.

Par jugement en date du 13 décembre 2018, le tribunal de grande instance de Nantes a :

– constaté l’exercice du droit de repentir du bailleur,

– constaté le renouvellement du bail à la date du 29 janvier 2016 aux clauses et conditions de l’ancien bail du 15 octobre 2004, sauf à déclarer non écrites les stipulations qui seraient contraires à la loi du 18 juin 2014 et son décret

d’application, étant précisé qu’en l’état le loyer reste plafonné sous réserve de la substitution de l’indice des loyers commerciaux à l’indice du coût de la construction, et étant précisé que MM. [M] [N] et [P] [N] ont donné leur consentement en qualité de caution de la Sarl Ege à propos du bail renouvelé,

– rappelé que le nouveau bail devra être régularisé conformément aux

dispositions de l’article L145-57 du Code du Commerce et qu’à défaut la

présente décision vaudra bail,

– fixé l’indemnité d’occupation due pour la période du 1er octobre 2013 au 28 janvier 2016 inclus, à la somme de 90 258,10 euros hors taxes,

-condamné la SCI Commerce 4 et Gorges 6 à payer à la Sarl Ege la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– ordonné l’exécution provisoire,

– rejeté toutes autres prétentions plus amples ou contraires,

– condamné la SCI Commerce 4 et Gorges 6 aux dépens, y compris les frais d’expertise.

Le 26 décembre 2018, la SCI 4 et Gorges 6 a interjeté appel de cette décision et aux termes de ses dernières écritures notifiées le 5 août 2019, elle demande à la cour de :

– constaté l’exercice du droit de repentir du bailleur,

– constaté le renouvellement du bail à la date du 29janvier2016,

– précisé que Messieurs [M] [N] et [P] [N] ont donné leur consentement en qualité de caution de la Sarl Ege à propos du bail renouvelé,

– débouté la Sarl Ege de sa demande dommages et intérêts,

– le réformer pour le surplus, et, rejugeant,

Sur le prix du loyer renouvelé,

– à titre principal, voir constater que l’acte signé le 29 janvier 2016 entre la SCI Commerce 4 et Gorges 6 et la Sarl Ege fixent les conditions du bail renouvelé en termes de loyer et de substitution de caution, les autres clauses et conditions du bail étant inchangées par rapport à celle du bail expiré sauf à se conformer aux nouvelles dispositions impératives de la loi en matière de bail commercial,

– voir fixer le loyer du bail renouvelé le 29 janvier 2016 à la somme annuelle de 50 000 euros HT et HC, avec une réduction de loyer à la somme annuelle de 46 000 euros HT et HC pendant la première période triennale,

– en conséquence, voir dire et juger que le bail expiré le 30 septembre 2013 a été renouvelé à la date du 29 janvier 2016 aux mêmes clauses et conditions que celles du bail expiré sauf à se conformer aux nouvelles dispositions impératives de la loi en matière de bail commercial et à l’exception des clauses relatives au loyer et aux cautions qui seront les suivantes (conclusions : article 4),

– à titre subsidiaire, pour le cas où la cour ne donne pas son plein et entier effet à l’accord du 29 janvier 2016 en ce qui concerne le montant du loyer,

– voir constater qu’en signant l’accord du 29 janvier 2016 faisant état d’un loyer du bail renouvelé supérieur au loyer plafonné, la Sarl Ege a implicitement mais nécessairement renoncé au plafonnement,

– voir fixer le loyer du bail renouvelé à la valeur locative proposée par l’expert désigné en première instance, soit la somme annuelle de 47 286 euros HT et HC,

– en conséquence, voir dire et juger que le bail expiré le 30 septembre 2013 a été renouvelé à la date du 29 janvier 2016 aux mêmes clauses et conditions que celles du bail expiré sauf à ce se conformer aux nouvelles dispositions impératives de la loi en matière de bail commercial et à l’exception des clauses relatives au loyer et aux cautions qui seront les suivantes (conclusions : article 6),

– à titre infiniment subsidiaire, pour le cas où la cour ne donne pas son plein et entier effet à l’accord du 29 janvier 2016 en termes de montant du loyer et considère que la Sarl Ege n’a pas renoncé au plafonnement,

– voir constater que la SCI Commerce et Gorges 6 rapporte la preuve d’une

modification des facteurs locaux de commercialité justifiant le déplafonnement du loyer du bail renouvelé,

– voir fixer le loyer du bail renouvelé à la valeur locative proposée par l’expert désigné en première instance, soit la somme annuelle de 47 286 euros HT et HC,

– en conséquence, voir dire et juger que le bail expiré le 30 septembre 2013 a été renouvelé à la date du 29 janvier 2016 aux mêmes clauses et conditions que celles du bail expiré sauf à ce se conformer aux nouvelles dispositions impératives de la loi en matière de bail commercial et à l’exception des clauses relatives au loyer et aux cautions qui seront les suivantes (conclusions : article 4),

– en tout état de cause, voir dire et juger qu’en application des dispositions de l’article L. 145-57 du code de commerce, un nouveau bail dressé dans les conditions fixées judiciairement devra être régularisé, et, au besoin, condamner la Sarl Ege à régulariser ledit bail, ce, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter d’un délai d’un mois suivant la date à laquelle la décision à intervenir aura acquis force de chose jugée,

– voir condamner la Sarl Ege à régler les loyers depuis le 29 janvier 2016 en fonction du montant du loyer du bail révisé qui sera fixé par la cour,

Sur l’indemnité d’occupation,

– voir fixer à la somme annuelle de 40 193 euros le montant hors taxes et hors charges au titre de l’indemnité d’occupation due par la société Ege,

– voir condamner la Sarl Ege à lui verser la somme de (40 193 /12) x 28 = 93 783,66 euros HT et hors charges avec intérêts au taux légal et anatocisme.

Sur les frais irrépétibles et les dépens,

-voir condamner la Sarl Ege à lui payer la somme de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

-voir condamner la Sarl Ege en tous les dépens de l’instance dont distraction au profit de la Selarl Denigot-Samson-Guidec avocat aux offres de droit.

Par dernières conclusions notifiées le 7 juin 2019, la société Ege demande à la cour de :

– débouter purement et simplement la SCI Commerce 4 et Gorges 6 de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions.

– déclarer irrecevable la demande de fixation du loyer à titre subsidiaire comme étant une demande nouvelle en cause d’appel,

– réformer le jugement de 1ère instance en ce qu’il a précisé que Messieurs

[M] [N] et [P] [N] ont donné leur consentement en qualité de

caution de la Sarl Ege,

– fixer l’indemnité d’occupation à la somme annuelle de 31 692 euros à compter du 1er octobre 2013,

– allouer à la société Ege la somme de 10 000 euros à titre de dommages et

intérêts,

– condamner la SCI Commerce 4 et Gorges 6 à lui payer à la somme de

6 000 euros par application des dispositions de l’article L 145-58 du Code du Commerce et 700 du code de procédure civile,

– condamner la SCI Commerce 4 et Gorges 6 aux entiers dépens, en ce

compris les frais d’expertise.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 3 février 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l’indemnité d’occupation

Le tribunal a fixé celle-ci en retenant une valeur locative de 519 euros/m2 et a appliqué un abattement de précarité de 15%.

Les parties ne discutent pas l’abattement fixé, mais s’opposent sur la valeur locative à retenir, la SCI Commerce 4 et Gorges 6 demandant à la cour de fixer celle-ci à 539 euros/m2 pondéré, valeur proposée par l’expert, tandis que la société Ege retient une valeur locative de 425 euros/m2, en demandant à la cour d’exclure les deux valeurs de comparaison les plus hautes et les deux valeurs les plus basses. Elle considère notamment que l’évaluation de la valeur locative effectuée par l’expert et le tribunal est supérieure au prix du marché constaté place de la Bourse et place du commerce, et que les chiffrages de l’expert sont faussés notamment par une référence (agence bancaire [Adresse 8]) qui est manifestement en dehors du marché en raison de son emplacement exceptionnel.

Le congé avec refus de renouvellement mettant fin au bail, le preneur n’est plus redevable d’un loyer.

En cette hypothèse, il convient de faire application des dispositions suivantes de l’article L 145-28 alinéa 1 du code de commerce :

Aucun locataire pouvant prétendre à une indemnité d’éviction ne peut être obligé de quitter les lieux avant de l’avoir reçue. Jusqu’au paiement de cette indemnité, il a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat de bail expiré. Toutefois, l’indemnité d’occupation est déterminée conformément aux dispositions des sections 6 et 7, compte tenu de tous éléments d’appréciation.

La bailleresse a délivré congé par acte du 28 mars 2013, pour le 30 septembre 2013 sans offre de renouvellement. Le premier juge a relevé pertinemment cependant que les parties étaient d’accord pour considérer que la SCI Commerce 4 et Gorge 6 avait matérialisé son droit de repentir le 29 janvier 2016, M. [C] représentant de la bailleresse et messieurs [M] et [P] [N], associés de la société Ege, signant à cette date un acte dans lequel la SCI consent un nouveau bail à la société Ege.

L’indemnité d’occupation due par le locataire, statutaire, distincte de l’indemnité d’occupation due en cas d’occupation sans droit ni titre, en cas d’exercice du droit de repentir, comme en l’espèce, est due pour la période de cessation du bail à son renouvellement, à savoir du 1er octobre 2013 au 29 janvier 2016. Elle est fixée par référence à la valeur locative.

M. [R] expert a proposé dans son rapport une valeur de l’indemnité d’occupation à 40 193 euros.

Le rapport d’expertise indique que le bien commercial se situe dans un immeuble sis à [Adresse 3], et se compose d’une surface commerciale au rez-de-chaussée composé d’un espace vente à emporter, d’une surface de restauration assise, et d’une zone de préparation, de chambres froides et sanitaires, et ce en façade sur la rue Gorges et d’une seconde façade sur Lapérouse. Le local comprend aussi un entresol avec salle de restauration, zone de préparation et cuisine, et un étage avec une grande salle de restauration donnant sur la place du commerce, une zone de préparation, un bureau, des sanitaires, un vestiaire, une réserve et n local technique. Le local dispose de deux entrées commerciales.

L’expert note que l’intérêt de l’emplacement de ce local est sa localisation entre deux des plus importantes places nantaises, la rue Gorce partant de la place du commerce, place piétonne et centre névralgique de la vie nantaise et principale station des transports en commun et débouchant sur la Place royale. Il relève que la [Adresse 3] est très commerçante, qu’outre un marché aux fleurs sur la partie sud-est, elle accueille des terrasses de café et plusieurs enseignes (Fnac, Mc Donald’s) et note la proximité d’un cinéma multiplexe.

La surface pondérée du local fixée par M. [R] à 87,73 m2 n’est pas discutée. Cette pondération proposée par l’expert, conforme à la Charte de l’expertise, sera dès lors retenue.

Les éléments de comparaison, classés par valeur croissante, retenus par l’expert sont les suivants :

– local n°[Adresse 6]

– local n° 1, Pita, 5 place du commerce : 408

– local n° 3 et 4, la mie Câline, allée brancas : 470

– local n° [Adresse 4]

– local n° 5 PMU city, place du commerce : 546

– local n° [Adresse 3]

– local n° 9, [Adresse 1]

– local n° 6 BNP Royale, place royale : 1 027

Le calcul opéré par l’expert est le suivant :

– moyenne de toutes les références : 570

– moyenne des références en excluant les deux extrêmes : 531

– médiane des références : 517

– moyenne des trois moyennes : 539 euros/m2

Le document présenté par la société Ege au soutien de sa proposition, en l’espèce une expertise du Crédit Foncier de 2012 portant sur un local commercial situé [Adresse 7], arrêtant une valeur locative de 425 euros, après comparaison avec plusieurs valeurs locatives de voisinage, doit être écarté, les éléments de comparaison étant recherchés pour partie dans des rues plus éloignées que le local de la société Ege.

S’agissant de l’objection soulevée tenant au caractère exceptionnel de l’agence bancaire BNP située place royale, la cour constate que l’expert a, pour chacune des références, affecté des coefficients de correction au regard des différences constatées tenant à la commercialité et aux surfaces et pour notamment pour celle-ci ; il a par ailleurs cherché à déterminer la moyenne des éléments de comparaison en excluant les deux plus extrêmes afin d’affiner son résultat, ce qui est plus pertinent que de rechercher comme proposé dans sa méthode de calcul par le preneur, la moyenne des références en excluant la seule valeur la plus haute et non également la valeur la plus basse.

De la même façon, la moyenne de 497 euros/m2 relevée par la société Ege sur la base de 5 valeurs qu’elle choisies : 408, 470, 487, 546 et 576 est totalement arbitraire et ne peut être déterminante.

Le premier juge a déterminé la valeur locative en écartant les deux valeurs les plus élevées et les deux valeurs les plus basses puis en constatant qu’il parvenait à une moyenne proche de la valeur médiane obtenue par l’expert.

La cour considère que cette analyse est moins complète et donc moins pertinente puisque qu’elle exclut la moitié des références et ne permet donc pas de refléter la tendance des prix du voisinage. Il n’y a donc pas lieu d’écarter telle ou telle référence, en considération d’un loyer qui apparaîtrait trop bas ou trop élevé.

Ne trouvant pas matière à critique de la méthode de correctifs apportés

par l’expert, pour tenir compte des spécificités des locaux de référence, la cour retiendra que la valeur locative doit être fixée à 539 euros/m2 soit pour 87,73 m2 de surface pondérée, soit 47 286 euros HT/an ; ainsi, après application d’un abattement de 20 %, non contesté par les parties, en raison de la précarité inhérente à la délivrance d’un congé privant le locataire de pouvoir investir et/ou céder son fonds, il sera fixé par la cour, par infirmation du jugement, une indemnité d’occupation annuelle de 40 193 euros.

S’agissant de la demande de condamnation à payer pour la période considérée du 1er octobre 2013 au 29 janvier 2016 de 28 mois, une somme de (40 193 : 12) x 28 = 93 783,66 euros HT, il est noté que le premier juge a relevé que la bailleresse avait reconnu avoir encaissé des sommes sans pour autant en préciser le montant ; devant la cour, pas davantage, la société bailleresse ne donne de décompte précis. En l’absence de preuve d’une créance liquide, certaine et exigible, aucune condamnation ne peut donc être prononcée et la cour confirme le jugement sur ce point.

Sur le renouvellement du bail

La SCI Commerce 4 et Gorges 6 demande à la cour de constater que l’acte du 29 janvier 2016 fixe les conditions du bail renouvelé tant en termes de loyer que de substitution de caution et qu’ainsi le bail expiré le 30 septembre 2013 s’est renouvelé le 29 janvier 2016 aux mêmes clauses et conditions que celles du bail expiré et notamment au loyer annuel de 50 000 euros HT et HC avec une réduction à 46 000 euros HT et HC pendant la première période triennale. Elle conclut donc à l’infirmation du jugement en ce qu’il a dit que cet acte ne valait pas bail.

Subsidiairement, s’il devait être considéré que cet acte ne valait pas accord sur le montant du loyer, il ne saurait être considéré que celui-ci doit être plafonné, car en signant cet accord pour un loyer largement supérieur au loyer plafonné, la société Ege a renoncé au plafonnement. La bailleresse demande donc de fixer le loyer du bail renouvelé à la valeur locative proposée par l’expert soit 47 286 euros TH.

À défaut, s’il n’était pas admis ce renoncement au déplafonnement, rappelant que le tribunal de grande instance et la cour sont compétents pour statuer à titre accessoire sur la fixation du prix du bail renouvelé, et soutenant que les prétentions qui tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, reposant sur un fondement juridique différent, ne sont pas nouvelles, elle fait valoir que la modification notable des facteurs de commercialité entre le 15 octobre 2004 et le 29 janvier 2016 justifie que le loyer du bail renouvelé soit fixé à la somme de 47 286 euros HT/an.

La société Ege considère pour sa part que si le bail s’est bien renouvelé le 29 janvier 2016, il n’y a pas eu accord sur les clauses et conditions du bail renouvelé, que ce document signé de trois parties, M. [O] [C], M. [M] [N] et M. [P] [N] n’a pas donné lieu à trois originaux, qu’il ne précise pas en quelle qualité messieurs [N] l’ont signé, que cet acte renvoie en tout état de cause à la rédaction d’un bail sous la responsabilité de Me [G], avocat, et que ce prétendu protocole d’accord n’a pas donné lieu à exécution. Elle soutient que le renouvellement du bail devra donc s’opérer aux clauses et conditions du bail antérieur et demande à la cour d’infirmer le jugement en ce qu’il a dit que messieurs [N] avaient donné leur consentement en qualité de caution de la société Ege pour le bail renouvelé.

S’agissant du loyer du bail renouvelé, la société Ege rappelle la compétence du juge des loyers commerciaux pour statuer sur le montant du loyer du bail renouvelé, la compétence du tribunal n’existant que s’il s’agit de statuer sur ce point sur une demande accessoire ; elle soutient qu’en l’espèce la demande de fixation du loyer est nouvelle en cause d’appel et est donc irrecevable.

À titre subsidiaire, elle estime que l’acte du 29 janvier 2016 ne peut constituer une renonciation par elle au plafonnement et que la bailleresse ne justifie pas la modification notable des facteurs de commercialité qu’elle invoque.

L’accord litigieux du 29 janvier 2016 a été établi entre :

– la SCI Commerce 6 et Gorges 6 représentée par M. [O] [C], son gérant

– la société Ege, représentée par M. [M] [N] et M. [P] [N], ses deux seuls associés.

Signé des trois parties présentes, cet accord a été rédigé en deux exemplaires, ce qui est vainement critiqué, puisque que cet accord concerne deux parties.

Renvoyant à la rédaction d’un bail sous la responsabilité de Me [G], à intervenir fin février, cet accord ne peut toutefois valoir bail.

Les parties ne contestent pas que du fait de l’exercice du droit de repentir par la bailleresse, le nouveau bail prend effet au 29 janvier 2016 ; elles ne trouvent pas matière à critique du jugement qui prévoit que le renouvellement du bail s’effectue aux clauses et conditions du bail expiré, sauf à déclarer non écrites les stipulations qui seraient contraires à la loi du 18 juin 2014 et son décret d’application.

Les dispositions en ce sens du jugement doivent donc être confirmées.

Seuls sont discutés devant la cour les termes du jugement relatifs d’une part au montant du loyer du bail renouvelé dont le premier juge a dit qu’en l’état, il restait plafonné sous réserve de la substitution de l’indice des loyers commerciaux à l’indice du coût de la construction et d’autre part à l’engagement de caution de messieurs [N].

L’article R 145-23 du code de commerce prévoit :

Les contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé sont portées, quel que soit le montant du loyer, devant le président du tribunal judiciaire ou le juge qui le remplace. Il est statué sur mémoire.

Les autres contestations sont portées devant le tribunal judiciaire qui peut, accessoirement, se prononcer sur les demandes mentionnées à l’alinéa précédent.

La juridiction territorialement compétente est celle du lieu de la situation de l’immeuble.

Les parties peuvent donc saisir le tribunal d’une demande accessoire de fixation du loyer du bail renouvelé. Les parties admettent le caractère accessoire de cette demande en l’espèce.

La SCI Commerce 4 et Gorges 6 fait observer à raison que la demande qu’elle formule à ce titre n’est pas nouvelle, dans la mesure où devant le premier juge elle a sollicité qu’il soit tiré toutes conséquences de l’accord du 29 janvier 2016 pour fixer le montant du loyer renouvelé à un loyer majoré. Il importe peu que devant la cour la bailleresse modifie, et ce à titre subsidiaire, le fondement de sa demande, celle-ci est donc recevable.

Ainsi, nonobstant une saisine du juge des loyers commerciaux, la cour constate que le tribunal s’est prononcé sur le montant du loyer du bail renouvelé puisqu’il a dit qu’en l’état il était plafonné. La cour considère être valablement saisie de cette question, la modification du fondement juridique de cette demande étant indifférente.

– sur le montant du loyer du bail renouvelé

L’accord signé le 29 janvier 2016 prévoit que le loyer sera de 46 000 euros pour la première période triennale, TVA et impôt foncier en sus, charges locatives incluses, avec révision annuelle, et de 50 000 euros pour les deux périodes suivantes.

Cet accord a été suivi d’autres documents matérialisant la poursuite des pourparlers entre les parties : document du 19 août 2016 rédigé par la bailleresse intitulé ‘en vue d’un accord définitif SCI/Sarl Ege et la conclusion d’un bail’ et un projet de protocole transactionnel et un projet de bail commercial évoquant un nouveau bail consenti par la SCI commerce 4 et Gorges 6 à la société Ege à compter rétroactivement du 1er octobre 2006.

Bien que ces documents ne soient pas signés, il a été justement observé par le premier juge le caractère déterminant de la question des travaux à la charge de la locataire dans les négociations engagées. Ainsi le document du 19 août 2016 précise s’agissant du montant du loyer repris à l’identique de celui mentionné dans l’accord du 29 janvier 2016, que le loyer a été fixé pour tenir compte des investissements prévus par la société Ege.

Le caractère équivoque des négociations relatives au bail renouvelé est donc à souligner ; il ne peut être valablement prétendu que l’accord du 29 janvier 2016 définit l’intention commune des parties quant au prix du loyer du bail renouvelé et donc servir de fondement à la demande de majoration de loyer. Pour les mêmes motifs, il ne peut emporter renoncement du preneur au plafonnement.

Le loyer doit être fixé à la valeur locative, conformément aux articles L 145-33 et suivants du code de commerce.

L’article L 145- 33 du code de commerce énonce :

Le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative, laquelle, à défaut d’accord entre les parties, est déterminée d’après :

1° les caractéristiques du local considéré,

2° la destination des lieux,

3° les obligations respectives des parties,

4° les facteurs locaux de commercialité,

5° les prix couramment pratiqués dans le voisinage.

L’article L145-34 du code de commerce édicte une exception à ce principe, à savoir le plafonnement du loyer sur renouvellement et prévoit ainsi qu’à moins d’une modification notable des éléments mentionnés aux 4 premiers paragraphes de l’article L 145- 33 du code de commerce, le taux de variation applicable lors du bail à renouveler, si sa durée n’est pas supérieure à 9 ans, ne peut excéder la variation, intervenue depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré de l’indice trimestriel des loyers commerciaux ( ILC) ou de l’indice trimestriel des activités tertiaires (ILAT).

L’expert a calculé le loyer plafonné à la date de décembre 2015 et retient une somme de 38 798 euros HT.

La bailleresse sollicitant le déplafonnement du loyer est donc tenue de rapporter la preuve d’une modification notable de ces éléments.

Elle se prévaut d’une modification notable des facteurs de commercialité manifestée par les éléments suivants :

– depuis années 2010, le centre ville de [Localité 9] est devenu piéton, ce qui a concerné notamment la place royale et ses alentours, et donc bénéfice en termes de flux à la place du commerce et la [Adresse 10],

– le palmarès des centres villes commerçants établi en janvier 2017 par la Fédération pour le commerce spécialisé, sur la base des données récoltées entre 2013 et 2016 situe [Localité 9] en deuxième place des grandes agglomérations résilientes, place expliquée par le dynamisme de son centre ; la présence de la FNAC, du cinéma Gaumont, de l’enseigne Mac Donald’s, de l’enseigne Foot Looker doit être soulignée,

– une accessibilité multimodale avec la proximité de la principale station de transports en commun, la station commerce,

– l’existence d’événements tels que Estuaire, Les Machines de L’Ile, les parades de Royal de Luxe, faisant de la ville une destination culturelle internationale ; le Voyage de [Localité 9] propose depuis 2012 des animations dans la ville,

– cette évolution a eu un impact sur l’activité de la société Ege, l’expert ayant relevé que ses chiffres d’affaires sont en constante augmentation.

La société Ege constate l’absence de tout rapport d’expertise sur ce point, estime pour sa part que la bailleresse ne produit aucun élément objectif justifiant une modification notable des facteurs de commercialité et considère qu’au contraire, la zone de chalandise du commerce s’est dégradée avec une augmentation certaine dans le quartier de l’insécurité.

Les facteurs locaux de commercialité sont définis par l’article R 145- 6 du code de commerce qui les énumère ainsi :

Les facteurs locaux de commercialité dépendent principalement de l’intérêt que présente pour le commerce considéré, l’importance de la ville, du quartier ou de la rue où il est situé, du lieu de son implantation, de la répartition des diverses activités dans le voisinage, des moyens de transport, de l’attrait particulier ou des sujétions que peut présenter l’emplacement pour l’activité considérée, et des modifications que ces éléments subissent de manière durable ou provisoire.

Pour emporter motif de déplafonnement, la modification des facteurs de commercialité invoquée, doit être notable, avoir eu une incidence sur le commerce considéré et être constatée au cours du bail expiré soit en l’espèce entre 2004 et 2013.

Le chiffre d’affaires du locataire ne fait pas partie des éléments à prendre en considération pour apprécier la modification positive ou négative des facteurs locaux de commercialité ; en effet, le chiffre d’affaire dépend aussi, notamment, des capacités de gestion du locataire, de la qualité de son accueil et de ses produits, de sorte que son augmentation peut être due à bien d’autres raisons.

Les éléments produits par la bailleresse n’apparaissent pas pouvoir démontrer avec certitude l’évolution notable des facteurs de commercialité entre 2004 et 2006 sur le commerce de la société Ege. En effet le rapport Procos de 2017 mentionne avoir pris pour source de son étude les données relatives à la structure marchande des centres villes sources Codata 2016, dont on ignore précisément quelles en sont les données de base dans le temps et notamment si elles reposent sur des données antérieures à 2013. Le document édité par Nantes Métropole relatif à la circulation en centre ville date de 2016 et est également inopérant.

Il n’est pas prétendu que la principale station de transports en commun a été mise en place entre 2004 et 2013. Le seul article de presse du 16 avril 2011 annonçant l’arrivée de sept lignes de chronobus et un nouveau plan de circulation avec contournement de l’hypercentre ne peut suffire à caractériser le caractère notable exigé et surtout l’impact de cette évolution sur le commerce considéré.

A défaut pour la SCI Commerce 4 et Gorges 6 de rapporter la preuve d’un motif de déplafonnement du loyer, la cour confirme le jugement qui dit que le loyer doit rester plafonné.

– Sur les cautions

Pour demander la confirmation du jugement qui précise que messieurs [N] ont donné leur consentement en qualité de cautions à la société Ege à propos du bail renouvelé, la SCI commerce 4 et Gorges 6 rappelle que tel est l’engagement pris et signé par ces derniers dans l’accord du 29 janvier 2016.

La société Ege sollicite l’infirmation du jugement, faisant valoir l’absence d’accord des parties sur les conditions du renouvellement du bail.

La cour constate que M. [M] [N] et de M. [P] [N] ne sont dans la cause.

Si un engagement de caution n’impose pas un formalisme particulier, la signature de M. [M] [N] et de M. [P] [N] sur l’accord du 29 janvier 2016 qui mentionne : ‘M. [M] [N] et M. [P] [N] se porteront cautions solidaires de la Sarl ‘ ne peut cependant suffit à établir le consentement donné par eux à cet engagement, tel que relevé par le premier juge. En effet, la cour ayant constaté que cet acte n’emportait pas accord des parties sur le montant du loyer du bail renouvelé, de sorte qu’à la date où il était donné, l’étendue de l’obligation de la Sarl Ege, en terme de paiement des loyers, n’était pas déterminable, un tel engagement de caution n’est pas déterminé. La cour infirme le jugement sur ce seul point et constatera qu’il ne peut donc être précisé, comme sollicité l’appelante que MM. [N] ont donné leur consentement en qualité de caution de la Sarl Ege à propos du bail renouvelé.

Sur la rédaction du bail

La cour confirme le jugement sur ce point, notamment en ce qu’il rejette la demande d’astreinte, qui n’a pas lieu d’être en considération des dispositions de l’article L 145-57 du code du commerce, qui prévoient que dans le délai d’un mois qui suit la signification de la décision définitive, les parties dressent un nouveau bail dans les conditions fixées judiciairement,

et que faute par le bailleur d’avoir envoyé dans ce délai à la signature du preneur le projet de bail conforme à la décision susvisée ou, faute d’accord dans le mois de cet envoi, l’ordonnance ou l’arrêt fixant le prix ou les conditions du nouveau bail vaut bail.

Sur les dommages et intérêts

La société Ege renouvelle devant la cour sa demande de dommages et intérêts rejetée par le tribunal, considérant le comportement de la bailleresse empreint de mauvaise foi. Elle ajoute que celle-ci a fait pression sur elle pour obtenir un renouvellement du bail aux conditions fixées par elle seule et a eu un comportement déloyal, ne prévenant pas l’expert de son droit de repentir et l’obligeant à poursuivre ses investigations inutilement.

La SCI Commerce 4 et Gorges 6 conclut à la confirmation du jugement rappelle que dans les négociations entre les parties, la société Ege était assistée d’un conseil, qu’elle a su engager une procédure en indemnité d’éviction. Elle conteste toute attitude abusive.

Il ne peut être fait grief à la bailleresse d’avoir exercé son droit de repentir, tenant celui-ci de ses droits issus du statut des baux commerciaux. Il ne peut lui être reproché non plus d’avoir tenté un rapprochement avec la société Ege pour définir les conditions du bail renouvelé. Si les pièces produites relatives à ces négociations émanent du bailleur, aucune pièce n’est produite pour étayer les allégations de déloyauté reprochée à celle-ci.

S’agissant de la poursuite des opérations d’expertise, aucun préjudice n’en résulte pour la société Ege.

La cour confirme, à défaut de toute faute de la SCI Commerce 4 et Gorges 6 dans l’exercice de ses droits, et en l’absence de preuve d’un quelconque préjudice, le rejet de cette demande.

Sur les demandes accessoires

Il résulte des dispositions de l’article L 145-58 du code de commerce que l’exercice du droit de repentir entraîne l’obligation pour le bailleur de supporter les frais de l’instance, c’est-à-dire l’ensemble des frais, qu’ils soient constitués de frais taxables ou d’honoraires d’avocat, exposés par le locataire jusqu’au terme de l’instance pendant laquelle le repentir est exercé.

La cour confirme le jugement s’agissant des dispositions fondées sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens.

Les dépens d’appel seront supportés par la SCI Commerce 4 et Gorges 6, bailleresse, qui sera également condamnée à payer à la société Ege une somme 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement déféré sauf en ce qu’il constate que MM. [M] [N] et [P] [N] ont donné leur consentement en qualité de caution de la Sarl Ege à propos du bail renouvelé, et en ce qu’il fixe l’indejmnité d’occupation due pour la période du 1er octobre 2013 au 28 janvier 2016 à la somme de 90 258,10 euros ;

Statuant à nouveau sur les chefs de jugement infirmés,

Constate qu’il ne peut donc être précisé que MM. [M] [N] et [P] [N] ont donné leur consentement en qualité de caution de la Sarl Ege à propos du bail renouvelé ;

Fixe le montant de l’indemnité d’occupation annuelle à la somme de

40 193 euros hors taxes et hors charges et dit qu’elle est due pour la période du 1er octobre 2013 au 28 janvier 2016 ;

Y ajoutant,

Condamne la SCI Commerce 4 et Gorges 6 à payer à la société Ege la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SCI Commerce 4 et Gorges 6 aux dépens d’appel.

Le Greffier La Présidente

 


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