18 janvier 2023
Cour d’appel de Riom
RG n°
21/01204
COUR D’APPEL
DE RIOM
Troisième chambre civile et commerciale
ARRET N°
DU : 18 Janvier 2023
N° RG 21/01204 – N° Portalis DBVU-V-B7F-FTNL
FK
Arrêt rendu le dix huit Janvier deux mille vingt trois
Sur APPEL d’une décision rendue le 26 avril 2021 par le Tribunal judiciaire de CUSSET (RG n° 17/00131)
COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :
Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre
Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller
M. François KHEITMI, Magistrat Honoraire
En présence de : Mme Pauline LACROZE, Greffier, lors des de l’appel des causes et Mme Christine VIAL, Greffier, lors du prononcé
ENTRE :
M. [P] [W]
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentant : la SELARL JURIDOME, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND
APPELANT
ET :
La société COMPAGNIE DE [Localité 7]
SA immatriculée au RCS de Cusset sous le n° 542 105 291
[Adresse 2]
[Localité 7]
Représentants : Me Sébastien RAHON, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
(postulant) et la SELARL INCEPTO AVOCATS CONTENTIEUX, avocats au barreau de LYON (plaidant)
INTIMÉE
DEBATS : A l’audience publique du 16 Novembre 2022 Monsieur [E] a fait le rapport oral de l’affaire, avant les plaidoiries, conformément aux dispositions de l’article 785 du CPC. La Cour a mis l’affaire en délibéré au 18 Janvier 2023.
ARRET :
Prononcé publiquement le 18 Janvier 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre, et par Mme Christine VIAL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Exposé du litige :
L’État, propriétaire d’un tènement immobilier formant à Vichy la Galerie de la Source de l’Hôpital, aussi dénommée « Fer à Cheval », a concédé l’exploitation de ce tènement, parmi d’autres biens, à la Compagnie fermière de l’établissement thermal de [Localité 7], suivant un acte acte sous seing privé du 25 février 1971. Cette concession a été renouvelée le 28 avril 1988, jusqu’au 31 décembre 2030.
La Compagnie fermière a elle-même consenti des baux commerciaux à plusieurs personnes sur des locaux compris dans la Galerie des Sources.
Suivant un acte authentique reçu les 9 et 10 novembre 1995 par Me [K] [D], notaire associé à [Localité 4], M. [P] [W] a fait l’acquisition d’un bail commercial auprès de M. [N] [R], exerçant la profession d’antiquaire dans la Galerie des Sources, et qui venait aux droits de différents preneurs successifs, en premier lieu Mme [Y], qui avait obtenu de la Compagnie fermière un bail établi en 1971 et en 1972 par Me [K] [O], notaire à [Localité 5].
Le bail de M. [W] a fait l’objet de deux renouvellements depuis 1995, le premier par un acte reçu le 16 décembre 2008 par Me [O], le second à la suite d’un congé avec offre de renouvellement délivré le 30 juin 2015 par la SA Compagnie de [Localité 7] (venant aux droits de la Compagnie fermière), accepté par M. [W] suivant une lettre du 15 novembre 2015, sous réserve du maintien du loyer au montant résultant de la clause d’échelle mobile figurant au contrat.
La SA Compagnie de [Localité 7] (la Compagnie de [Localité 7]), par une lettre du 13 avril 2016, a fait connaître à M. [W] que, en suite d’une réunion tenue le 6 du même mois, elle confirmait au preneur que «l’Etat n’accept[ait] plus de signer de baux ou renouvellements de baux sur le domaine public », et qu’il lui demandait d’établir « en remplacement » des autorisations d’occupation temporaire.
M. [W], considérant qu’il subissait un préjudice résultant de la perte de son droit au bail commercial, a fait assigner en réparation devant le tribunal de grande instance de Cusset, le 25 janvier 2017, la Compagnie de [Localité 7] et la SCP Robelin-Midrouillet, reprochant à celle-ci de l’avoir maintenu dans l’illusion qu’il était titulaire d’un bail commercial.
La compétence de la juridiction judiciaire a donné lieu à un incident de mise en état soulevé par la SCP Robelin-Midrouillet, qui faisait valoir que seul le tribunal administratif était compétent pour connaître du litige ; cette exception de procédure a donné lieu à une ordonnance de rejet du juge de la mise en état, ordonnance confirmée par la présente cour suivant arrêt du 25 avril 2018.
Le tribunal judiciaire de Cusset, statuant sur le fond par jugement contradictoire du 26 avril 2021, a déclaré recevables les demandes de M. [W], lui a donné acte de l’abandon de ses demandes contre la SCP Robelin-Midrouillet, a déclaré la Compagnie de [Localité 7] fautive, mais a débouté M. [W] de toutes ses demandes de condamnation à l’encontre de cette compagnie, et l’a condamné aux dépens. Le tribunal a d’ailleurs rejeté les demandes reconventionnelles formées par la Compagnie de [Localité 7] et par la SCP [L]-Robelin, notamment celles fondées sur l’article 700 du code de procédure civile.
Le tribunal a énoncé, dans les motifs du jugement, que le bien en cause faisait incontestablement partie du domaine privé de l’État, que dès lors le régime des baux commerciaux lui était applicable, et que la Compagnie de [Localité 7] a commis une faute en refusant le bénéfice de ce statut à M. [W] ; mais que d’autre part le preneur ne justifiait d’aucun préjudice, pour avoir mis fin lui-même au bail en donnant congé par lettre le 16 mai 2018, sans prouver d’ailleurs qu’il ait perdu la possibilité de céder le bail à un candidat acquéreur.
M. [W], par une déclaration reçue au greffe de la cour le 31 mai 2021, a interjeté appel de ce jugement, dans toutes ses dispositions qui lui font grief.
L’appelant demande à la cour de confirmer le jugement, en ce qu’il a reconnu la faute de la Compagnie de [Localité 7], et de le réformer en ce qu’il a rejeté ses demandes de réparation. Il demande que la société intimée soit condamnée à lui payer 55 000 euros de dommages et intérêts pour la perte de son droit au bail, 22 550,74 euros et 18 029,26 euros en réparation des charges et des loyers qu’il déclare avoir supportés en pure perte. Il demande enfin l’allocation de 15 000 euros au titre de son préjudice moral.
Il expose qu’il n’a procédé au renouvellement du bail, en 2015, qu’en vue de le céder et de se constituer un capital pour sa retraite, ayant décidé de mettre fin à son activité en raison de son âge et de son état de santé ; qu’il avait reçu le 29 mars 2016 une offre d’acquisition de son droit à bail pour un prix de 55 000 euros, et que la notification que lui a faite la Compagnie de [Localité 7] en avril 2016 l’a empêché de conclure cette cession. M. [W] précise que dans la perspective de cette vente, il avait limité son activité à l’écoulement du stock existant, sans effectuer d’achats, de sorte qu’il a été contraint, pendant plus de trente mois jusqu’à ce qu’il résilie le bail, de supporter diverses charges d’exploitation, sans que la poursuite d’activité lui permette de dégager de bénéfice pendant cette période. A titre subsidiaire, pour le cas où la cour s’estimerait insuffisamment informée sur son préjudice, M. [W] lui demande de prononcer une mesure d’expertise.
La Compagnie de [Localité 7] conclut à la confirmation du jugement, en ce qu’il a dit que M. [W] ne justifiait pas de son préjudice, et à sa réformation, en ce qu’il a retenu une faute de sa part. Elle réaffirme qu’elle n’a manqué à aucune de ses obligations contractuelles, qu’elle n’a pas refusé à M. [W] la cession du bail puisqu’elle n’a pas été saisie en ce sens, qu’elle n’a jamais caché sa qualité non de propriétaire mais de concessionnaire, dont M. [W] était informé dès l’origine, et qu’elle s’en est rapportée aux avis du notaire et du préfet sur le caractère public ou privé du domaine de l’Etat formant l’objet du bail. Elle conteste d’autre part les préjudices allégués par l’appelant, et fait valoir que celui-ci pouvait, dans le cadre d’une occupation temporaire du domaine public, user de son droit de présenter un successeur, que M. [W] ne justifie d’ailleurs pas des résultats de ses trois derniers exercices comptables, que l’offre de reprise dont il fait état n’apparaît pas crédible, et qu’il a finalement décidé lui-même de résilier le bail en donnant son congé.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 10 novembre 2022.
Il est renvoyé, pour l’exposé complet des demandes et observations des parties, à leurs dernières conclusions déposées le 14 mars et le 7 novembre 2022.
Motifs de la décision :
L’action de M. [W] doit être reconnue fondée s’il rapporte la preuve d’une faute commise par la société bailleresse, et d’un préjudice que cette faute lui a causé.
Les relations entre les deux parties au bail, l’État et le notaire peuvent être résumées comme suit :
– l’acte de bail du 16 décembre 1998, passé entre la Compagnie fermière et M. [W], rappelle que les locaux donnés à bail avaient fait l’objet de concessions successives de l’État, en dernier lieu le 28 avril 1988 et jusqu’au 31 décembre 2030 ; ce même acte de bail citait l’article 34 du traité de concession en vigueur, selon lequel la Compagnie concessionnaire pouvait « confier à des personnes physiques ou morales, après autorisation par l’État, l’exploitation de certaines parties ou activités de la concession » (page 3 de l’acte de bail de 1998, pièce n° 2 de M. [W]) ; la Compagnie fermière rappelait que la concession expirait le 31 décembre 2030, qu’elle ne pouvait en conséquence prendre aucun engagement vis-à-vis du preneur sur le renouvellement du bail à compter de cette date (même document page 5) ;
– dans sa lettre déjà citée du 13 avril 2016, la Compagnie de [Localité 7] déclare à M. [W] : « Nous faisons suite à la réunion qui s’est tenue dans nos bureaux le mercredi 6 avril 2016. Nous vous confirmons que l’État n’accepte plus de signer de baux ou renouvellements de baux sur le domaine public. En revanche il nous demande d’établir, en remplacement, une autorisation d’occupation temporaire dont nous vous avons remis le modèle lors de la réunion. Nous vous remercions de bien vouloir nous confirmer la durée que vous souhaitez y voir figurer. Dès réception, conformément aux directives de l’État et comme nous sommes convenus, nous vous adresserons le document vous concernant » ; à cette lettre était jointe un modèle type d’autorisation d’occupation du domaine public de l’État ;
– le 2 mai 2016, l’avocat de M. [W] adresse à la Compagnie de [Localité 7] une lettre recommandée pour reprocher à celle-ci de lui avoir consenti un bail commercial sur le domaine public de l’État, bail alors interdit, et de l’avoir ainsi entretenu dans l’idée qu’il disposait d’un bail commercial valide avec les droits qui s’y attachent, de sorte qu’il se trouvait privé du droit de céder son bail, comme il en avait le projet ; M. [W] met aussi en cause la responsabilité de la SCP notariale Robelin-Midrouillet, en sa qualité de rédacteur des baux, et il envoie à cette SCP une lettre en ce sens, à la même date ;
– le 20 mai 2016, Me [L] répond à l’avocat de M. [W] : « ‘ Tout d’abord, vous partez du postulat que les biens loués, faisant partie du Domaine public de l’État, ne pouvaient faire l’objet d’un bail commercial. Mais sommes-nous bien certains que les biens loués font partie du Domaine public ‘ ». Aux termes d’une analyse juridique, Me [L] conclut qu’il ne « pense pas » que ces biens relèvent du domaine public, et qu’au surplus, en admettant que les commerçants signataires d’un bail se voient privés de ce bail, et déclarés titulaires d’une simple convention d’occupation précaire, ils bénéficieraient néanmoins du droit de présenter un repreneur, ou de celui à une indemnité de rupture comparable à une indemnité d’éviction, de sorte que se posait « la question de l’existence effective d’un préjudice pour tous les locataires, si finalement l’État devait vouloir substituer des AOT [autorisations d’occupation temporaire] aux baux commerciaux en cours » ;
– en réponse à une nouvelle interpellation de l’avocat de M. [W], et à une mise en demeure faite à la Compagnie de [Localité 7] de « justifier la nature exacte des biens donnés en location », Me [L] énonce, dans une lettre du 30 mai 2016 : « Je vais reformuler mon propos de manière plus péremptoire : les biens loués par la Compagnie de [Localité 7] sur concession de l’État font partie du domaine privé de l’État » ; de nouveau interpellé par l’avocat de M. [W], Me [L] lui répond le 9 juin 2016 : il maintient, en exposant les motifs de sa position, que les biens en cause relèvent du domaine public, et ajoute : « Vous faites état de mes propos lors de la réunion du 6 avril 2016 [lors de laquelle Me [L] aurait affirmé que ces mêmes biens appartenaient au domaine public et que pour cette raison les baux commerciaux ne pouvaient être maintenus]. En tout état de cause oui, j’ai débattu sur le problème de l’occupation du domaine public de l’État [‘]. J’ai été prévenu la veille de cette réunion informelle, et il est vrai que je me suis attaché à tenter de sécuriser au mieux la situation de locataires. / C’est dans les semaines qui ont suivi que j’ai pu étudier le dossier, et en conclure, en revenant à la base des textes [‘], que les services de l’État s’étaient trompés en avançant que les biens loués dépendaient du domaine public. / La Compagnie de [Localité 7] nous lit en copie » ;
– le 20 juin 2016, l’avocat de M. [W] reproche à nouveau à Me [L] d’avoir affirmé, lors de la réunion d’avril précédent, que les locaux loués faisaient bien partie du domaine public de l’État, « ce qui fut ultérieurement confirmé par [‘] la Compagnie de [Localité 7] » ; il estime « plus qu’audacieux d’invoquer une erreur des services de l’Etat », que « les locaux loués pourraient tout à fait être reconnus comme ayant été affectés à un usage direct du public » (et relever par suite du domaine public), et lui demande de justifier de la décision prise sur ce point par les services de l’État ; cette lettre paraît être restée sans réponse ;
– par l’envoi de plusieurs missives, en juin, juillet, août, septembre et novembre 2016, l’avocat de M. [W] demande à celui de la Compagnie de [Localité 7] de « lui communiquer les documents » selon lesquels l’État a déclaré son intention de substituer aux baux en cours de simples conventions d’occupation précaire, et de l’informer de l’évolution de ses démarches avec l’État, en vue de clarifier la situation et de mettre un terme à l’insécurité juridique affectant les preneurs ; ces lettres ne semblent pas avoir reçu de réponse ;
– le 5 septembre 2016, en suite de demandes similaires que lui avait faites l’avocat de M. [W], Me [L] lui communique la copie d’une lettre de la direction départementale des Finances Publiques de l’Allier, lettre envoyée le 22 décembre 2015 par cette administration à la Compagnie de [Localité 7], et qui énonce que le service central des Domaines a été « saisi pour expertise au fond et en la forme », sur un projet de nouveau bail portant sur un local situé [Adresse 6], et qu’elle ne « manquera pas de [lui] faire retour de cette analyse », lorsqu’elle aura été établie ; un courriel du 12 novembre 2012, provenant de la sous-préfecture de l’Allier, affirme : « la DDFIP [direction départementale des Finances Publiques] ne veut pas de signature d’un bail pour ce type de prestation mais une autorisation d’occupation temporaire » (pièce n°22 de M. [W]) ;
– l’avocat de M. [W] répond à Me [L] le 14 septembre 2016 : il expose que les biens en cause ont toujours été manifestement considérés par tous comme faisant partie du domaine privé de l’État, lequel a accepté pendant des décennies la conclusion sur ces biens de contrats de droit privé ; qu’il semble opportun de recueillir les résultats de l’expertise, et qu’il est « urgent […] qu’une réunion intervienne avec tous les acteurs et que ceux-ci adoptent des positions claires sur les suites qu’ils entendent donner » ;
– par une autre lettre du 14 septembre 2016, l’avocat de M. [W] et des autres preneurs concernés interpelle le préfet de l’Allier, pour lui demander principalement à être associé aux « discussions qui semblent s’être instaurées entre la Compagnie de [Localité 7] » et les services de la préfecture ; par une lettre du 3 juillet 2017, adressée à un ou plusieurs destinataires non indiqués, le sous-préfet de [Localité 7] propose « de régulariser l’ensemble des situations actuellement constatées à effet du 1er janvier 2017, par une autorisation d’occupation précaire, précisant expressément que cette occupation peut permettre la constitution d’un fonds de commerce en application de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 » ;
– le 25 janvier 2017, M. [W] fait assigner devant le tribunal de grande instance de Cusset la Compagnie de [Localité 7] et la SCP Robelin-Midrouillet, en réparation de ses préjudices ; cette SCP ayant soulevé un incident de procédure, la Compagnie de [Localité 7] demande au juge de la mise en état, dans le cadre de cet incident, de saisir le tribunal administratif sur la question de l’appartenance des biens loués au domaine privé ou au domaine public de l’État ;
– par une nouvelle lettre du 25 juillet 2017, l’avocat de M. [W], faisant état d’une réunion tenue dans les locaux de la sous-préfecture de [Localité 7] le 21 du même mois, se plaint de ce que cette réunion a été présentée d’emblée par le sous-préfet comme limitée à la présentation d’une convention d’occupation temporaire, à signer en lieu et place des baux commerciaux existants, présentation qui avait donné l’impression aux preneurs d’effectuer « un énorme bon en arrière » ;
– le 11 décembre 2017, la Compagnie de [Localité 7] fait connaître à M. [W] que le préfet lui demande de l’inviter « à signer sans délai une convention d’occupation précaire », en ajoutant que « la signature de ce document entraîne une reconnaissance de l’activité commerciale sur le domaine public, et mettra fin, de fait, à une situation juridiquement irrégulière ». La Compagnie de [Localité 7] demande à M. [W] de lui « faire connaître [sa] position par retour du courrier » ; l’avocat de M. [W] lui répond le 21 décembre 2017 : il déplore le « double jeu » de la Compagnie de [Localité 7], qui selon lui tantôt adopte la position de l’État sur la nature des biens en litige (domaine public), tantôt conteste cette même position ; il déclare que les preneurs, pour ceux qui veulent poursuivre leur activité, « ne sont pas opposés à la régularisation [d’une convention d’occupation] temporaire », à la condition d’être indemnisés de la perte de leur droit au bail, et de pouvoir négocier les termes de la convention proposée ;
– le 25 avril 2018, la présente cour, saisie à l’encontre de l’ordonnance du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Cusset, qui le 15 novembre 2017 avait reconnu sa compétence matérielle, et rejeté la demande de sursis à statuer en renvoyant l’affaire à la mise en état, a confirmé la dite ordonnance, et dit n’y avoir lieu de saisir la juridiction administrative d’une question préjudicielle sur la domanialité des immeubles ;
– le 3 décembre 2018, le préfet de l’Allier, en réponse à une lettre du même avocat du 31 mai 2018, portant sur la nature des actes conclus entre la Compagnie de [Localité 7] et les preneurs, déclare : « J’ai examiné avec attention les arguments que vous avez développés, notamment au regard de la décision de la cour d’appel en date du 25 avril 2018. / Il ressort ainsi de cette analyse que la Compagnie de [Localité 7] a consenti des baux relevant explicitement des dispositions du code de commerce, ouvrant ainsi un droit au renouvellement, au profit du titulaire du fonds de commerce. / Dans ces conditions, la direction de l’immobilier de l’État considère que les clauses permettant juridiquement un droit au renouvellement du bail au profit du concessionnaire engagent le concessionnaire ».
Il ressort de l’ensemble de ces éléments que l’incertitude dans laquelle se sont trouvés les preneurs provient de l’erreur de l’État qui, revenant sur la position qu’il avait jusqu’alors adoptée, a exprimé en avril 2016 son refus que la Compagnie de [Localité 7] consente désormais des baux ou des renouvellements de baux sur les biens en cause ; cette erreur s’est poursuivie pendant plus de deux ans, jusqu’à ce que le préfet de l’Allier admette, dans la dernière lettre citée, que les baux étaient soumis aux dispositions du code de commerce, position qu’avait soutenue Me [L] dès le mois de mai 2016, qu’a confirmée la cour d’appel dans son arrêt du 25 avril 2018, et qui n’est désormais plus contestée par aucune des parties.
La Compagnie de [Localité 7] ne s’est quant à elle prononcée, dans le même temps, ni sur la domanialité publique ou privée des biens en cause, ni plus généralement sur la possibilité juridique de conclure ou de renouveler des baux de droit privé sur ces biens : dans sa lettre du 16 avril 2016, elle s’est limitée à transmettre au preneur la décision de l’État ; elle s’est abstenue de répondre aux lettres de l’avocat de M. [W] qui lui a demandé, au cours de l’année 2016, de justifier par écrit de la décision de l’État de ne plus accepter que des conventions d’occupation précaire ; dans sa lettre du 11 décembre 2017, elle s’est à nouveau bornée à transmettre au preneur une exigence de l’autorité préfectorale, en invitant M. [W] à « prendre position » sur la demande qui lui était faite, en mentionnant certes une situation irrégulière, mais sans émettre d’avis personnel sur la faculté de conclure ou de renouveler un bail commercial ; et lors de l’instance qui s’est tenue devant la cour sur appel de l’ordonnance du juge de la mise en état, la Compagnie de [Localité 7] a demandé que soit posée la question préjudicielle de l’appartenance des biens en cause au domaine public ou au domaine privé de l’État.
La Compagnie de [Localité 7], en sa qualité de concessionnaire, tenait ses droits de l’État, dans les termes du contrat de concession ; elle se devait, selon l’article 34 de ce contrat, de soumettre à l’autorisation préalable de l’État tous les baux qu’elle souhaitait accorder (« La compagnie pourra conférer à des personnes physiques ou morales, après autorisation de l’État, l’exploitation de certaines parties ou activités de la concession ») ; il en résulte que cette société, confrontée à la difficulté créée en mai 2016 par l’État, pouvait légitimement attendre que celui-ci prenne position définitivement, au vu de l’avis de Me [L], sur la possibilité de conclure ou de renouveler des baux commerciaux sur les biens en cause : face à la position de l’État, autorité concédante, à l’avis contraire du professionnel du droit qu’était le notaire, et aux positions variables de l’avocat des preneurs (ayant estimé successivement que les biens en cause pouvaient relever du domaine public, puis soulignant que l’État les avait toujours considérés comme relevant du domaine privé), elle n’était pas tenue d’adopter elle-même une position propre. La Compagnie de [Localité 7] se trouvait liée par la position de l’autorité concédante, détentrice du droit d’accepter ou de refuser la conclusion de tous les contrats portant sur les biens en cause ; cette Compagnie, en communiquant au preneur les exigences erronées de l’État, ne lui a pas refusé de son propre chef le bénéfice du régime des baux commerciaux ; elle n’a manqué personnellement à aucune des obligations du bail, notamment celle d’assurer la paisible jouissance des lieux loués, ou celle plus générale d’exécuter le bail de bonne foi.
Ainsi qu’elle le précise d’ailleurs, dans le cas particulier de M. [W], la Compagnie de [Localité 7] n’a été saisie d’aucune demande de renouvellement du bail le concernant : ce bail, à la suite du congé et de la réponse faite par le preneur, s’est trouvé renouvelé pour une période de neuf années à compter du 31 décembre 2015, et son existence même pour cette période n’a donc pu être affectée par les difficultés qui se sont manifestées d’avril 2016 à décembre 2018. Elle n’a pas davantage refusé une cession du bail : M. [W] justifie certes d’une offre d’achat du droit au bail, faite par M. [I] [X] le 29 mars 2016, mais il ne prétend ni ne justifie avoir adressé à la Compagnie de [Localité 7], à la suite de cette offre, une demande de cession du bail, comme il y était tenu selon l’acte de renouvellement du 16 décembre 2018 : c’est seulement dans le cas où il aurait fait une telle demande, et où elle aurait été rejetée par la société bailleresse, qu’il aurait pu faire état d’une faute de celle-ci.
L’incertitude dans laquelle se sont trouvés placés M. [W] et les autres preneurs concernés pendant la période écoulée d’avril 2016 à décembre 2018 n’est donc résultée que de l’erreur commise par l’État, erreur dans laquelle la Compagnie de [Localité 7], obligée de demander l’autorisation de l’État pour tout nouveau contrat, n’a eu elle-même aucune part.
En l’absence de faute de la Compagnie de [Localité 7], c’est à bon droit que le tribunal a rejeté les demandes d’indemnisation de M. [W]. Le jugement sera confirmé, sauf en ce qu’il a déclaré fautive la Compagnie de [Localité 7].
Il n’est pas contraire à l’équité de laisser à chacune des parties la charge des frais d’instance irrépétibles qu’elle a exposés en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS :
Statuant après en avoir délibéré, publiquement, dans les limites de l’appel, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, mis à disposition des parties au greffe de la cour ;
Infirme le jugement déféré, en ce qu’il a déclaré fautive la Compagnie de [Localité 7] ;
Confirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions ;
Condamne M. [P] [W] aux dépens d’appel dont il sera fait distraction au profit de Me Sébastien Rahon, avocat ;
Rejette le surplus des demandes.
Le greffier, La présidente,