18 avril 2023
Cour d’appel de Montpellier
RG n°
20/05626
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
5e chambre civile
ARRET DU 18 AVRIL 2023
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 20/05626 – N° Portalis DBVK-V-B7E-OZEN
Décisions déférées à la Cour : Jugement du 12 NOVEMBRE 2020
Tribunal Judiciaire de MONTPELLIER
N° RG 19/03310 et N° RG 19/03300
Jonction des procèdures sur les numéros RG 20/5626 et 20/5627sous le numéro RG 20/5626
APPELANTE :
S.A.S. MIRAND représentée en la personne de son Président, Monsieur [P] [Y]
Centre Commercial Les Portes du Soleil Languedocien
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentée par Me Jacques Henri AUCHE de la SCP AUCHE HEDOU, AUCHE – AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant
assistée de Me Nathalie CELESTE, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant
INTIMEE :
S.A.S. LES CAMELIAS prise en la personne de son representant legal en exercice domicilie en sa qualite audit siege social
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par Me Cyrille AUCHE de la SCP VERBATEAM MONTPELLIER, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant
assistée de Me Olivier GUERS, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant
Ordonnance de clôture du 15 Février 2023
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 08 MARS 2023, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l’article 804 du même code, devant la cour composée de :
Monsieur Philippe GAILLARD, Président de chambre
Madame Nathalie AZOUARD, Conseiller
M. Emmanuel GARCIA, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Sylvie SABATON
ARRET :
– contradictoire
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– signé par Monsieur Philippe GAILLARD, Président de chambre, et par Madame Sylvie SABATON, greffier.
*
* *
La SCI les Camélias a consenti un bail commercial le 10 novembre 1999 portant sur un lot n°8 d’une galerie du centre commercial Les Portes du Soleil, pour une activité de boutique de vêtements féminins et accessoires, renouvelée pour une nouvelle période de neuf ans du 31 octobre 2009 au 30 octobre 2018.
Par acte du 18 septembre 2013, le preneur a cédé son droit au bail à la SAS Mirand, laquelle a convenu avec le bailleur par acte du même jour de modifier la destination des lieux pour un usage de Parapharmacie.
Par acte du 9 février 2018, la SCI les Camélias a délivré congé à la SAS Mirand pour l’échéance du contrat, avec offre de renouvellement pour un montant annuel de 43 200 €.
Par lettre recommandée du 28 septembre 2018, la SCI les Camélias a informé la SAS Mirand qu’elle devait réaffecter les locaux à leur destination d’origine à la date d’échéance du nouveau bail.
Par acte du 13 juin 2019, la SCI les Camélias a assigné la SAS Mirand aux fins de résiliation du contrat de bail, et subsidiairement de fixation du prix du bail renouvelé.
Le même contentieux oppose les mêmes parties pour un autre lot n°9 de la même galerie commerciale, dans lequel à la même date du 18 septembre 2013 un autre preneur a cédé son droit au bail à la même société SAS Mirand, avec la même convention de modification de destination des lieux pour un même usage de Parapharmacie.
À la même date du 9 février 2018, la SCI les Camélias a délivré congé à la SAS Mirand pour l’échéance du contrat, avec offre de renouvellement pour un montant annuel de 38 025 €.
Par lettre recommandée du 26 septembre 2018, la SCI les Camélias a informé la SAS Mirand qu’elle devait là aussi réaffecter les locaux à leur destination d’origine à la date d’échéance du nouveau bail.
À la même date du 13 juin 2019, la SCI les Camélias a assigné la SAS Mirand aux fins de résiliation du contrat de bail, et subsidiairement de fixation du prix du bail renouvelé.
Le dispositif identique de deux jugements rendus le même jour 12 novembre 2020 par le même magistrat du tribunal judiciaire de Montpellier énonce :
Prononce la résiliation du bail commercial entre la SCI les Camélias et la SAS Mirand à compter de l’assignation en justice le 13 juin 2019, et ordonne l’expulsion de tout occupant avec l’aide de la force publique en cas de besoin.
Condamne la SAS Mirand à payer à la SCI les Camélias une indemnité journalière d’occupation d’un montant de, 115 € pour le lot n°8, 102 € pour le lot n°9, outre la taxe sur la valeur ajoutée, à compter de la date de la résiliation jusqu’au départ effectif des lieux.
Condamne la SAS Mirand à payer à la SCI les Camélias 2000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens.
Les deux jugements relèvent qu’il est stipulé dans les actes du 18 septembre 2013 visant la modification de la destination des locaux que la modification est temporaire et « prendra effet à compter de ce jour jusqu’à l’échéance du bail commercial en cours, soit le 30 octobre 2018 », que la lettre recommandée qui demande la réaffectation des lieux est accompagnée d’un procès-verbal de constat d’huissier qui établit la poursuite de l’activité de Parapharmacie au-delà de la période convenue.
Les deux jugements retiennent que le changement de destination des lieux sans autorisation du bailleur constitue un manquement grave aux obligations du preneur de nature à justifier la résiliation du bail.
Les deux jugements fixent le montant de l’indemnité d’occupation sur la base de l’évaluation de la valeur locative par une note technique d’un expert immobilier produite par le bailleur, nonobstant une évaluation de valeur locative moindre par l’expert du preneur.
La SAS Mirand a relevé appel des deux jugements par deux déclarations au greffe le même jour 10 décembre 2020.
Il convient de noter la modification de la raison sociale du bailleur aujourd’hui SAS les Camélias.
La clôture a été prononcée dans chacune des instances, inscrites au rôle de la cour sur les numéros RG 20/5626 et 20/5627 par ordonnance du même jour 15 février 2023.
Les dernières écritures pour la SAS Mirand exactement identiques déposées dans chacune des instances le même jour 6 février 2023 demandent en liminaire de prononcer la jonction.
Les dernières écritures pour la SAS les Camélias déposées dans chacune des instances le même jour 13 février 2023 ne formulent pas une demande de jonction, mais développent pour chacun des lots concerné la même argumentation pour un dispositif strictement identique de confirmation du jugement déféré.
Il en résulte qu’il apparaît d’une bonne administration de la justice de procéder à la jonction des deux instances qui seront réunies sous le numéro RG 20/5626.
Les dispositifs des dernières écritures du 6 février 2023 pour la SAS Mirand énoncent en termes de prétentions :
Réformer en son entier la décision entreprise.
Prononcer la résiliation des baux aux torts du bailleur à effet du 2 mars 2020, date de la restitution effective des lieux.
Condamner la SAS les Camélias à payer la somme de 265 438 € pour le lot 8, de 235 469 € pour le lot 9, de dommages-intérêts, et la somme de 5000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens.
À titre subsidiaire
Avant-dire droit sur le préjudice ordonner une expertise judiciaire de l’estimation du coût de la cessation de l’activité de parapharmacie exercée dans les deux locaux 8 et 9 de l’ensemble commercial aux termes des actes de cession de droit au bail du 18 septembre 2013 jusqu’au 2 mars 2020 (mission détaillée dans le dispositif).
À titre très subsidiaire
Infirmer la décision en ce qu’elle a fixé une indemnité journalière d’occupation à la charge du locataire, et débouter le bailleur de cette prétention.
Ordonner en tout état de cause compensation d’une indemnité d’occupation avec les loyers et charges payées jusqu’au 2 mars 2020.
Condamner la SAS les Camélias à payer la somme de 5000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens.
La SAS Mirand rappelle les termes exacts de l’avenant aux baux dont elle avait fait l’acquisition par les actes de cession du 18 septembre 2013 :
Il est convenu de procéder à la modification de l’article « affectation et destination du bien » qui sera désormais libellé comme suit :
Le bien devra être affecté à l’exploitation d’une activité de Parapharmacie ; il est expressément précisé que cette modification prendra effet à compter du 1er novembre 2013 jusqu’à l’échéance du bail commercial en cours soit le 30 octobre 2018 ».
Le bailleur délivrait le 9 février 2018 un congé pour les deux baux avec offre de renouvellement, puis subitement quelques jours avant l’échéance alors que les parties discutaient le prix du bail renouvelé il adressait au locataire une mise en demeure de cesser son activité de parapharmacie au prétexte d’une autorisation limitée jusqu’au 30 octobre 2018, et engageait six mois plus tard le 13 juin 2019 deux instances aux fins de résiliation du bail.
La SAS Mirand soutient que cela démontre une man’uvre déloyale pour faire pression sur une acceptation d’un nouveau loyer proposé en augmentation de près de 100 %, alors qu’une expertise des valeurs locatives des locaux établissait des montants annuels de 22 080 € et 19 830 € HT au regard des prétentions formulées par les congés respectivement de 43 200 € et 38 025 €.
Elle a donc notifié au bailleur son droit d’option en renonçant au bail commercial par acte du 30 janvier 2020, avec un état des lieux de sortie et remise des clés le 2 mars 2020.
Le bailleur a pris acte de la restitution en remboursant le dépôt de garantie, mais poursuit néanmoins sa demande en résiliation aux torts du preneur avec une indemnité d’occupation depuis le 13 juin 2019.
La SAS Mirand soutient que la limitation dans le temps de la nouvelle destination des lieux qui constituait à l’évidence la condition de l’acquisition du droit au bail fait échec aux principes du droit au renouvellement du bail, dans les mêmes termes et conditions que le bail expiré à la seule exception du loyer, limitation par conséquent réputée non écrite en application de l’article L 145-15 du code de commerce, de sorte que la résiliation doit être prononcée aux torts du bailleur.
Elle constate que la demande d’augmentation de prix du loyer ne pouvait pas être supérieure à 10 % en application de l’article L 145-34, que le bailleur a choisi d’engager la demande de résiliation plutôt que de saisir le juge des loyers commerciaux pour arbitrer l’évaluation du prix du bail renouvelé.
Sur le subsidiaire, la SAS Mirand soutient que la demande d’indemnité d’occupation n’est pas fondée alors que le bailleur a fait délivrer un congé avec offre de renouvellement et fixation d’un nouveau loyer sur lequel le désaccord des parties devait être soumis à l’appréciation du juge des loyers commerciaux, ou à défaut le seul loyer exigible était celui du bail expiré en application de l’article L 145-57, et en tout état de cause une compensation devait être opérée avec le montant des loyers effectivement payés.
Les dispositifs des dernières écritures du 13 février 2023 pour la SAS les Camélias énoncent en termes de prétentions :
Confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré.
Subsidiairement, au visa de l’article L 145-57 condamner la SAS Mirand à payer une indemnité d’occupation journalière respectivement fixée à 115 € pour le lot 8, 102 € pour le lot 9, depuis le 31 octobre 2018 jusqu’à la libération des locaux et remise des clés.
Déclarer la SAS Mirand irrecevable en ses demandes tendant à la résiliation du bail aux torts du bailleur et à l’octroi de dommages-intérêts, et à défaut la débouter.
Condamner la SAS Mirand à payer la somme de 10 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens.
La SAS les Camélias expose que la convention des parties limitait expressément dans le temps la modification de l’activité initiale du bail, que cette volonté contractuelle commune sans équivoque ne caractérisait pas un accord de déspécialisation, de sorte que l’exercice dans les locaux d’une activité différente de celle autorisée constitue un manquement contractuel grave de nature à fonder la résiliation du bail.
La demande d’indemnité d’occupation est justement fondée sur un rapport d’expertise en évaluations immobilières.
Subsidiairement, l’exercice du droit d’option par le preneur de renoncer au renouvellement fonde la même indemnité d’occupation devenue sans droit ni titre.
La SAS les Camélias soutient l’irrecevabilité des demandes de résiliation aux torts du bailleur et de dommages-intérêts en ce qu’elles ont été formulées pour la première fois en appel en application de l’article 564 du code de procédure civile, et en ce qu’elles ont été formulées dans des écritures postérieures aux premières conclusions d’appel en application de l’article 910-4 du code de procédure civile.
Elle soutient que la hausse du loyer renouvelé ne fait l’objet d’aucune limitation légale obligatoire, la règle des 10 % ne caractérisant qu’un objectif de lissage de l’augmentation pendant la durée du bail renouvelé qui n’est d’ailleurs pas d’ordre public.
Elle ajoute que le preneur avait lui-même la possibilité de saisir le juge des loyers commerciaux, de sorte qu’aucune faute du bailleur ne peut être retenue à l’origine de l’exercice du droit d’option du preneur.
Elle soutient que les montants de préjudice invoqué ne font l’objet d’aucune justification crédible.
MOTIFS
Le statut spécial des baux commerciaux applicable aux baux consentis dans le litige édicte notamment par les dispositions de l’article L 145-15 du code de commerce que « sont réputées non écrites quelle qu’en soit la forme les clauses qui ont pour effet de faire échec au droit au renouvellement du bail ».
Le droit s’entend du renouvellement du bail dans l’exercice de l’activité antérieure du bail renouvelé, la discussion sur les conditions d’exercice du bail ne pouvant porter que sur le montant du loyer, soumise à l’appréciation du juge des loyers commerciaux, sauf pour le bailleur à donner congé avec l’offre d’une indemnité d’éviction.
Il en résulte que la clause de limitation dans le temps de la modification de l’activité exercée faisant échec au droit au renouvellement du bail dans l’activité exercée est réputée non écrite.
Le locataire n’avait pas dans l’espèce renoncé à son droit au renouvellement du bail à l’échéance du 30 octobre 2018, de sorte que la cour infirme les jugements déférés en ce qu’ils ont prononcé la résiliation des deux baux commerciaux pour manquement grave du preneur à compter de l’assignation en justice du 13 juin 2019, et ordonné l’expulsion des occupants.
Par acte du 30 janvier 2020, le preneur a notifié au bailleur l’exercice du droit d’option de l’article L 145-57 du code de commerce de renoncer à l’offre de renouvellement du congé délivré, et l’intention de restitution des locaux à la date du 29 février 2020, au double motif du refus de la poursuite de l’activité exercée et d’une demande de prix de loyer excessive.
La remise des clés a été effectuée le 2 mars 2020, et le bailleur a restitué le solde du dépôt de garantie à la date du 2 juin 2020.
Si l’exercice du droit d’option s’exerce en application de l’article L 145-57 du code de commerce exclusivement pendant la durée de l’instance relative à la fixation du prix du bail renouvelé qui n’a pas eu lieu dans l’espèce, la cour peut déduire de la remise des clés et la restitution du dépôt de garantie l’accord des parties à la résiliation du bail acquise à la date du 2 mars 2020.
En l’absence de demande de la fixation judiciaire d’un loyer renouvelé prévue par le code de commerce par aucune des parties, le bailleur n’est pas fondé à réclamer un montant différent de la poursuite du loyer antérieur jusqu’à la restitution des lieux, de sorte que la prétention au paiement d’une indemnité d’occupation journalière sur la base d’une évaluation de valeur locative contestée ou d’une offre également contestée d’un loyer renouvelé n’est pas fondée.
Il résulte de l’énoncé par le premier juge de prétentions des parties que le preneur n’avait pas demandé de dommages-intérêts au titre de l’incidence d’un départ qui serait imputable à la demande de réaffectation des locaux, de sorte que la prétention en appel à des dommages-intérêts constitue une demande nouvelle en application des articles 564 et suivants du code de procédure civile, et ne caractérise ni l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire, des demandes initiales, exclusivement limitées au débouté des prétentions adverses.
La demande est en conséquence irrecevable en appel.
À titre surabondant, la cour observe que le document comptable succinct du déficit du compte d’exploitation depuis l’échéance du bail en 2018 ne rapporte d’aucune façon la preuve d’un lien de causalité direct du déficit chronique avec la demande de réaffectation des locaux ou celle d’un nouveau prix de loyer.
La demande d’expertise judiciaire d’une estimation du coût de la cessation de l’activité de parapharmacie n’est pas fondée, au principal au titre de l’irrecevabilité de la demande en appel, et à titre surabondant en vue de suppléer la carence de la partie dans l’administration de la preuve.
La cour infirme en conséquence toutes les dispositions des jugements déférés
Il n’est pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais non remboursables exposés en appel.
La SAS les Camélias qui succombe dans sa prétention principale de confirmation des dispositions des jugements déférés supportera les dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe ;
Ordonne la jonction des deux instances d’appel qui se poursuivent sur le numéro RG unique 20/5626 ;
Infirme les deux jugements rendus le 12 novembre 2020 par le tribunal judiciaire de Montpellier ;
Statuant à nouveau, constate la résiliation contractuelle des deux baux par les parties le 2 mars 2020, et déboute les parties de leurs autres prétentions ;
Dit n’y avoir lieu à l’application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SAS les Camélias aux dépens de première instance et d’appel.
Le Greffier Le Président