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15 juin 2023
Cour d’appel d’Aix-en-Provence
RG n°
20/04139
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 3-4
ARRÊT AU FOND
DU 15 JUIN 2023
N°2023/123
Rôle N° RG 20/04139 – N° Portalis DBVB-V-B7E-BFYVN
[O] [E]
C/
S.C.I. INES
S.A.R.L. AGENCE MEDITERRANEE
Copie exécutoire délivrée le :
à :
Me Philippe SCHRECK
par Me Paul GUEDJ
Me François COUTELIER
Décision déférée à la Cour :
Jugement du tribunal judiciaire de DRAGUIGNAN en date du 13 Février 2020 enregistré au répertoire général sous le n° 18/00046.
APPELANT
Monsieur [O] [E], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Philippe SCHRECK de la SCP SCHRECK, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
INTIMEES
La S.C.I. INES poursuites et diligences de son représentant légal en exercice, dont le siège est sis [Adresse 2]
représentée par Me Paul GUEDJ de la SCP COHEN GUEDJ – MONTERO – DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, et assistée de Me Florent HERNECQ, avocat au barreau de MARSEILLE
La société AGENCE MEDITERRANEE SARL, prise en la personne de son représentant légal en exercice, dont le siège est sis [Adresse 4]
représentée et assistée de Me François COUTELIER de l’ASSOCIATION COUTELIER, avocat au barreau de TOULON
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 11 Avril 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Anne-Laurence CHALBOS, Président, et Madame Françoise FILLIOUX, Conseiller, chargés du rapport.
Madame Françoise FILLIOUX, Conseiller, a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anne-Laurence CHALBOS, Président
Madame Françoise PETEL, Conseiller
Madame Françoise FILLIOUX, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Valérie VIOLET.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 15 Juin 2023, après prorogation du délibéré.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 15 Juin 2023.
Signé par Madame Anne-Laurence CHALBOS, Président et Madame Valérie VIOLET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * *
FAITS, PRÉTENTIONS DES PARTIES ET PROCÉDURE :
Suivant acte sous seing privé en date du 18 octobre 2006, la SCI Ines a donné mandat à la société AGENCE MÉDITERRANÉE pour la gestion de son local commercial situé [Adresse 5] à [Localité 3].
Le 8 janvier 2007, la SCI Ines a donné à bail à Monsieur [E] le dit local commercial moyennant le paiement d’un loyer de 800euros par mois, le versement d’un dépôt de garantie de 2 400euros et d’un pas de porte de 28 000euros.
Par acte du 29 juin 2015, la bailleresse lui a donné congé avec offre de renouvellement du bail à compte du 8 janvier 2016 aux clauses et conditions du bail antérieur à l’exception du prix porté à une somme supérieure et l’autorisation pour la bailleresse d’aménager un accès.
Le 23 juillet 2015, le locataire a accepté le renouvellement mais s’est opposé au prix proposé et à la création de l’accès sollicité.
Par acte du 21 décembre 2017, Monsieur [E] a fait assigner la SCI Ines en réparation du préjudice subi du fait qu’elle lui aurait tu le fait qu’elle n’était titulaire que d’un bail emphytéotique sur le bien donné à bail et non pas d’un droit de propriété.
Par acte du 7 mai 2018, la SCI Ines a fait appeler en cause la SA Agence Méditerranée chargée de la gestion de son bien selon mandant du 18 octobre 2006.
Par jugement du 13 février 2020, le tribunal judiciaire de Draguignan a débouté Monsieur [E] de ses demandes et l’a condamné à payer à la SCI Ines et la SA Agence Méditerranée la somme de 3 000euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La juridiction a retenu que l’omission de la précision sur la nature exacte des droits de la bailleresse sur la parcelle louée n’a pas été déterminante sur le consentement au bail du locataire et qu’il ne subit aucun préjudice actuel.
Le 17 mars 2020, Monsieur [O] [E] a interjeté appel de ce jugement.
Dans ses conclusions déposées et notifiées le 18 mai 2020, il demande à la cour de :
REFORMER le jugement dont appel.
– CONDAMNER la SCI INES à payer à Monsieur [E] la somme de 110.000 € en réparation du préjudice subi par celui-ci.
– DIRE ET JUGER que l’AGENCE MÉDITERRANÉE devra relever et garantir la SCI INES.
– CONDAMNER chacune des intimées au paiement de la somme de 2.500 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
– LES CONDAMNER aux entiers dépens.
Il fait valoir qu’on peut consentir un bail commercial sur les droits dont le bailleur dispose en vertu d’un bail emphytéotique, que cependant, la durée de ce bail commercial, et ce compris ses renouvellements, ne peut excéder la durée de l’emphytéote, que la SCI INES ne pouvait donner un bail commercial que dans le cadre du bail emphytéotique dont elle disposait, soit jusqu’à l’année 2033 au plus tard, que la notion de réticence dolosive, qui s’apparente au silence gardé et à l’information dissimulée est caractérisée, que la société INES savait parfaitement la nature des droits dont elle disposait.
Il fait valoir qu’il a fait l’acquisition d’une propriété commerciale, sans jamais pouvoir détenir celle-ci, qu’il a payé un pas de porte fixé en fonction du bail commercial, qu’il n’aurait pas contracté s’il avait su que le bail n’était que très partiellement soumis au statut des baux commerciaux et était à durée nécessairement déterminée que l’indemnisation qu’il sollicite ne saurait être inférieure à la somme de 110.000 €, somme à laquelle sera condamnée la SCI INES, outre intérêts au taux légal à compter de l’assignation.
Par conclusions du 3 décembre 2020, la SCI Ines demande à la cour de :
Vu l’article 325 du Code de Procédure civile,
Vu les articles 1116 ancien et 1992 du Code civil,
Vu les articles L 145-1 et suivants du Code de commerce,
A TITRE PRINCIPAL,
Confirmer le jugement du Tribunal Judiciaire de Draguignan du 13 février 2020 en toutes ses dispositions,
Débouter Monsieur [O] [E] de toutes ses demandes, fins et conclusions,
Condamner Monsieur [O] [E] à payer à la SCI INES la somme de 3 000
euros par application des dispositions de l’article 700 du CPC, ainsi qu’à supporter les entiers dépens de première instance et d’appel.
A TITRE SUBSIDIAIRE,
Dire et juger que la SARL AGENCE MÉDITERRANÉE a manqué à ses obligations et que sa responsabilité est engagée,
S’entendre la SARL AGENCE MÉDITERRANÉE condamner à relever et garantir la SCI INES de toutes condamnations éventuelles qui pourraient être mises à sa charge au profit de Monsieur [O] [E],
Débouter la SARL AGENCE MÉDITERRANÉE de toutes ses demandes, fins et conclusions contraires aux présentes,
Condamner la SARL AGENCE MÉDITERRANÉE à payer à la SCI INES la somme de 3 000euros par application des dispositions de l’article 700 du CPC, ainsi qu’à supporter les entiers dépens de première instance et d’appel, ces derniers distraits au profit de la SCP COHEN GUEDJ ‘ MONTERO ‘ DAVAL GUEDJ sur son offre de droit.
Elle soutient que le seul défaut d’information ne peut suffire à caractériser le dol par réticence, si ne s’y ajoute pas la constatation du caractère intentionnel de ce manquement et d’une erreur déterminante provoquée par celui-ci, qu’il appartient au demandeur de rapporter la preuve que cette absence d’information ait été sciemment utilisée pour tromper le consentement de son cocontractant
Elle fait valoir que Monsieur [E] bénéficie pleinement de la propriété commerciale car il peut, dans le cadre du bail conclu en 2007, céder son fonds de commerce et est reconnu comme propriétaire d’un tel fonds, que la communication de l’existence du bail emphytéotique n’aurait rien changé, Monsieur [E] disposant dans le cadre du bail signé en 2007 de tous les droits reconnus aux locataires commerciaux.
Elle soutient que connaissant parfaitement cette situation, Monsieur [E] cherche à convaincre en soutenant qu’en 2034, lorsque le bail emphytéotique en cours prendra fin, il perdra ses droits et subira un préjudice mais que se faisant, il préjuge d’une situation hypothétique et future dont il ignore tout aujourd’hui.
Enfin elle fait valoir qu’en cas d’appel en garantie d’une tierce partie, le point de départ du délai de prescription à laquelle est soumise l’action de l’appelant en garantie est la date à laquelle une action en justice est engagée à son encontre, c’est-à-dire la date de l’assignation, qu’en l’espèce, la SCI INES ayant été assignée par Monsieur [E] par acte du 21 décembre 2017, le délai de prescription de cinq ans opposable à l’appelante à garantie n’a commencé à courir qu’à compter de cette date pour expirer le 21 décembre 2022, qu’en sa qualité de professionnel, l’agent immobilier rédacteur d’acte est tenu de procéder aux vérifications élémentaires que requièrent la signature d’un tel acte, que la SARL AGENCE MÉDITERRANÉE était tenue de vérifier le titre de propriété de la SCI INES.
Par conclusions du 23 décembre 2020, la SARL Agence Méditerranée
Vu les articles 1116 et 1992 du Code civil,
Vu les articles L 145-1 et suivants du code de commerce,
REFORMER le Jugement dont appel en ce qu’il a débouté la société AGENCE MÉDITERRANÉE de sa demande tendant voir constater l’action de Monsieur [E] prescrite
JUGER que l’action de Monsieur [E] est prescrite,
JUGER qu’aucune réticence dolosive n’est caractérisée,
JUGER que Monsieur [E] ne justifie d’aucun préjudice certain et direct,
JUGER que Monsieur [E] ne justifie aucunement des sommes réclamées,
En conséquence :
DÉBOUTER Monsieur [E] de l’ensemble de ses demandes,
JUGER en conséquence sans objet l’appel en garantie de la société INES à l’endroit de la société AGENCE MÉDITERRANÉE,
A titre subsidiaire,
JUGER l’action de la société INES à l’endroit de la société AGENCE MÉDITERRANÉE prescrite ;
CONSTATER que le bail conclu en 2007 n’existe plus, et a été valablement exécuté,
CONSTATER que la SCI INES n’a pas informé la société AGENCE MEDITERRANEE de la situation juridique,
JUGER que la SCI INES ne justifie d’aucun préjudice indemnisable ;
DÉBOUTER, en conséquence, la société INES de l’ensemble de ses demandes dirigées contre la société AGENCE MÉDITERRANÉE ;
En toute hypothèse,
CONDAMNER tout succombant au paiement de la somme de 5 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile
CONDAMNER tout succombant aux dépens
Elle soutient que l’action de Monsieur [E] est prescrite, et ce dans la mesure où plus de 5 années se sont écoulées depuis la conclusion du bail en 2007, et du fait de la computation des délais, Monsieur [E] ne peut plus exercer cette action en raison d’un prétendu dol depuis le 19 juin 2013, étant ici rappelé que l’existence du bail emphytéotique ne pouvait être ignorée par Monsieur [E] à cette époque, celui -ci ayant été publié à la conservation des hypothèques, qu’il aurait dû connaître les faits lui permettant d’agir.
De surcroît, elle soutient que l’auteur du comportement dolosif invoqué doit avoir agi intentionnellement pour tromper le contractant et le déterminer à conclure le contrat, que le silence n’a pas été gardé intentionnellement par la SCI INES ni la société AGENCE MEDITERRANNEE qu’en l’absence de preuve du caractère intentionnel, le dol n’est pas caractérisé.
Enfin, elle soutient que le locataire ne justifie d’aucun préjudice.
Sur l’appel en garantie, elle fait valoir que le défaut de coopération du vendeur, qui ne fournit pas toutes les informations sur le bien, exonère l’intermédiaire de toute responsabilité.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 8 novembre 2022.
Motifs :
Les parties sont en l’état d’un bail commercial souscrit le 8 janvier 2007 qui a été renouvelé à compter du 8 janvier 2016. Monsieur [E] a assigné par acte du 21 décembre 2017, la bailleresse en indemnisation du préjudice subi en raison d’un supposé dol.
Sur la prescription de l’action :
Pour s’opposer à l’action du locataire, la SARL Agence Méditerranée soulève la prescription de l’action du locataire au faisant valoir que la publication du bail emphytéotique à la conservation des hypothèques le rend opposable à tous.
En application des dispositions de l’article 2224 du code civil, ‘les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.’Le délai de prescription en matière de dol court à compter du moment où le cocontractant a pris connaissance de l’erreur dont il allègue.
La preuve de la connaissance effective que Monsieur [E] avait des supposées manoeuvres dolosives est nécessaire pour constituer le point de départ du délai de prescription quinquennale et non pas la date de la conclusion du contrat de bail.
La simple lecture du contrat de bail ne permettait pas au jour de la signature à Monsieur [E] de connaître ou même de soupçonner la réalité de la situation, la SCI Ines se présentant comme légitime propriétaire du bien loué sans allusion au bail emphytéotique dont elle bénéficiait. En l’absence de tout doute de la qualité de propriétaire de sa bailleresse, Monsieur [E] a pu légitimement croire en cette qualité et n’avait nullement l’obligation de procéder à une recherche au bureau des hypothèques et il n’est pas d’usage pour un locataire, ainsi que l’a relevé avec raison le juge de première instance, d’agir de la sorte.
Il est acquis et non contesté que par courrier du 10 mars 2017, la SCI Ines a communiqué à Monsieur [E] les taxes foncières pour les années 2016 et 2017. Ces documents ont permis de révéler à Monsieur [E] l’erreur sur laquelle il fonde son action qui n’est pas prescrite.
Sur le dol :
Il est constant que le local litigieux est situé sur une parcelle qui a fait l’objet d’un bail emphytéotique consenti le 8 novembre 1984 par l’Etat au profit de la commune de [Localité 3] pour une durée de 50 ans, aux droits de laquelle est venue la SCI Ines.
Le bail commercial consenti en 2007 au profit de Monsieur [E] ne fait nullement mention de l’existence de ce bail emphytéotique.
Le dol est constitué par la dissimulation intentionnelle par une partie à son cocontractant d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie. Le dol peut être retenu en cas de silence d’une partie dissimulant à son cocontractant ainsi un fait qui s’il avait été connu de lui, l’aurait empêché de contracter ou du moins de contracter dans ces conditions.
Toutefois, le simple silence ne peut caractériser un dol en l’absence de preuve de l’élément intentionnel et de la volonté de tromper son cocontractant, la réticence dolosive doit être destinée à tromper intentionnellement l’autre partie.
Or en l’espèce, s’il est acquis que la sous-location commerciale n’est pas mentionnée dans le contrat souscrit le 8 janvier 2007, il n’est nullement établi que cette omission a été effectuée de façon intentionnelle par la SCI Ines afin d’obtenir une convention dans des conditions plus favorables pour elle.
De surcroît, l’emphytéote détient un réel droit sur le bien immobilier qu’il peut sous louer. Le sous-locataire, signataire du bail commercial, bénéficie de toutes les dispositions des articles L145-1 et suivants du code de commerce relatives aux baux commerciaux, même si le bail commercial ne peut excéder la durée du bail emphytéotique et si c’était le cas, le sous-locataire ne peut prétendre à aucune indemnité d’éviction.
En l’espèce, le bail commercial a été conclu le 8 janvier 2007 pour une durée de 9 ans, renouvelé en 2015 pour une nouvelle durée de 9 ans et le bail emphytéotique prend fin en 2034.
Il n’est dès lors nullement établi que Monsieur [E], s’il avait connu les caractéristiques du bail commercial souscrit en 2007, aurait renoncé à cet acte puisqu’il exploite sans difficulté ni contrainte son fonds dans les lieux loués depuis cette date et qu’il a même opté pour un renouvellement en 2015. De sorte que l’erreur provoquée par la réticence de la SCI Ines sur la qualité de la sous location commerciale, ne porte pas sur une qualité déterminante du contrat.
Enfin, le locataire n’est pas en l’état privé d’aller au terme de son bail commercial ni de la possibilité de le renouveler pour une nouvelle période de 9 ans.
Il convient de confirmer la décision de première instance.
Il n’y a pas lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Par ces motifs la cour statuant par arrêt contradictoire :
Confirme le jugement rendu le 13 février 2020 par le tribunal judiciaire de Draguignan,
Y ajoutant :
Condamne Monsieur [O] [E] aux dépens d’appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT