Indemnité d’éviction : 15 juin 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 19/22813

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Indemnité d’éviction : 15 juin 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 19/22813

15 juin 2022
Cour d’appel de Paris
RG
19/22813

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 3

ARRET DU 15 JUIN 2022

(n° 179 , 6 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/22813 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CBFEG

Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 Octobre 2019 -Tribunal de Grande Instance de PARIS – RG n° 16/15427

APPELANTE

SARL AGENCE MERCURE agissant poursuites et diligences de son gérant domicilié en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 341 067 320

[Adresse 2]

[Localité 5]

représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034, avocat postulant

assistée de Me Thierry GUILLEMINET, avocat au barreau de PARIS, toque : R281, avocat plaidant

INTIMEE

SCI LA TOPAZE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 810 582 643

[Adresse 4]

[Adresse 6]

[Localité 1]

représentée par Me Cécile ATTAL, avocat au barreau de PARIS, toque : C0338 substitué par Me Hervé JOYET, avocat au barreau de PARIS, toque : C0338

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 28 Mars 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Sandrine GIL, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Gilles BALA’, président de chambre

Madame Sandrine GIL, conseillère

Madame Nadège BOSSARD, conseillère

qui en ont délibéré

Greffière, lors des débats : Madame Marie-Gabrielle de La REYNERIE

ARRÊT :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Monsieur Gilles BALA’, président de chambre, et par Madame Claudia CHRISTOPHE, greffière à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

*****

FAITS ET PROCÉDURE

Par acte sous seing privé du 17 juin 2010, la SCI du [Adresse 3], aux droits de laquelle vient la SCI la Topaze, a consenti un bail commercial en renouvellement à la société Agence Mercure, sur divers locaux dépendant d’un immeuble situé [Adresse 3], pour une durée de trois, six, neuf années à compter du 1er janvier 2006, moyennant un loyer annuel en principal de 38 000 €. Les locaux se composent d’un appartement au premier étage d’une surface réelle de 157,52 m², d’une remise située en fond de cour d’une superficie réelle d’environ 11 m² et d’une cave au sous-sol. Conformément à la clause de destination du bail, « le preneur ne pourra exercer dans les lieux que le commerce de : conseil en communication et publicité, achat et vente de supports publicitaires, création littéraire, graphique, audiovisuelle production, publication et édition d’oeuvres de l’esprit, ainsi que de toutes activités de services, à l’exclusion de tout autre commerce et industrie ».

Par acte extrajudiciaire du 25 mars 2015, la société Agence Mercure a sollicité le renouvellement du bail. Par acte extrajudiciaire du 17 juin 2015, la SCI la Topaze lui a délivré un congé pour le 31 décembre 2015 avec refus de renouvellement et offre d’indemnité d’éviction. À la demande de la société preneuse, M. [O], expert, a établi un rapport en date du 07 janvier 2016.

Par acte du 19 octobre 2016, la société preneuse a fait assigner à comparaître la société bailleresse devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins de fixation de l’indemnité d’éviction.

La société Agence Mercure a quitté les lieux loués le 31 décembre 2016.

Par jugement du 24 octobre 2019, le tribunal de grande instance de Paris a :

– dit que le congé avec refus de renouvellement délivré le 17 juin 2015 a mis fin au bail à compter du 31 décembre 2015 ;

– dit sans objet la demande de la société Agence Mercure tendant à voir dire que les locaux sont à usage exclusif de bureaux ;

– fixé à la somme de 33.425 € le montant de l’indemnité d’éviction toutes causes confondues dues à la société Agence Mercure par la SCI la Topaze ;

– condamné la SCI la Topaze à payer à la société Agence Mercure la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– l’a condamnée aux entiers dépens ;

– débouté les parties du surplus de leurs demandes plus amples ou contraires.

Par déclaration du 09 décembre 2019, la société Agence Mercure a interjeté appel partiel du jugement.

Dans ses conclusions notifiées par le RPVA le 20 février 2020, la société Agence Mercure, appelante, demande à la Cour de :

Vu l’article L 145-14 du code de commerce

– dire l’appel recevable et fondé,

– constater que son appel ne porte que sur le chef du jugement qui lui a dénié le droit à une indemnité principale, fixant le montant de l’indemnité d’éviction à recevoir par elle à la somme de 33 254 €, au titre des seules indemnités accessoires, et sur le chef du jugement disant sans objet la demande « de l’Agence Mercure » tendant à voir dire que les locaux étaient à usage exclusif de bureaux ;

– infirmer le jugement en ce qu’il a dit que la société Agence Mercure n’était pas fondée à solliciter une indemnité compensatrice de la perte du droit au bail ;

– constater que c’est par erreur que le tribunal a prêté à la société Agence Mercure la demande portant sur l’usage des lieux comme bureaux ;

– annuler ce chef du jugement ;

Statuant à nouveau,

– dire et juger que les locaux n’étaient pas à usage exclusif de bureaux ;

– condamner la SCI la Topaze à lui payer à titre d’indemnité principale compensatrice de la perte du droit au bail la somme de 93 300 € ;

– la condamner à lui payer la somme de 5 000 € pour ses frais irrépétibles en cause d’appel; – la condamner en tous les dépens, que maître [X] [B] pourra recouvrer en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

La SCI la Topaze, intimée, n’a pas conclu.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions de la société appelante.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 03 novembre 2021.

MOTIFS

Sur le montant de l’indemnité d’éviction

L’appelante reproche au jugement de ne lui avoir accordé aucune somme au titre de l’indemnité principale au motif qu’elle s’est réinstallée au domicile du gérant. Elle soutient subir un préjudice puisqu’elle est évincée des locaux ; qu’elle perd ainsi le droit au bail des locaux dont elle est évincée ; que les parties se sont accordées sur une indemnité de transfert laquelle doit s’évaluer sur la valeur du droit au bail ; que la jurisprudence majoritaire retient que le différentiel de loyer s’apprécie au regard des locaux loués et non au regard des locaux de réinstallation ; qu’en tout état de cause, seule l’équivalence entre les locaux de départ et d’arrivée est de nature le cas échéant à permettre de tenir compte de leur coût d’acquisition sans pour autant en faire un critère exclusif, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. S’agissant du différentiel de loyer, elle prétend que les locaux ne sont pas à usage exclusif de bureaux comme l’a relevé M. [O]. Sur le montant de l’indemnité principale, elle sollicite l’entérinement du rapport de M. [O].

Par application de l’article 954 du code de procédure civile, l’intimé qui ne conclut pas, est réputé s’en approprier les motifs. En première instance, la SCI La Topaze a soutenu que la société Agence Mercure ne pouvait prétendre au versement de l’indemnité principale au motif que le droit au bail n’est pas valorisable dès lors que la société Agence Mercure étant désormais domiciliée chez son gérant dans le 5e arrondissement; que ne s’acquittant plus d’aucun loyer tout en poursuivant son activité, elle ne pouvait valablement pas lui opposer un quelconque différentiel de loyer, moyen qui a été accueilli par le jugement.

Selon l’article L.145-14, alinéa 2 du code de commerce, l’indemnité d’éviction comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre. L’indemnité d’éviction a ainsi pour objet de compenser le préjudice qui résulte pour le locataire du refus du renouvellement du bail.

Si le fonds est transférable, l’indemnité principale correspond à la valeur du droit au bail.

La valeur du droit au bail se calcule par la différence entre le montant de la valeur locative de marché et le loyer qui aurait été perçu si le bail avait été renouvelé, cette différence étant elle-même affectée d’un coefficient multiplicateur au regard de l’intérêt des locaux pour l’activité exercée.

Il ressort du jugement entrepris qu’aucune des parties n’a sollicité qu’une expertise judiciaire soit diligentée ; qu’elles ont conclu en se référant au rapport amiable établi à la demande de la société Agence Mercure par M. [O], expert inscrit sur la liste des experts judiciaire de la cour d’appel de Paris.

Il est renvoyé au jugement entrepris s’agissant des points non contestés en première instance par les parties, et non critiqués par l’appelante en cause d’appel, concernant la situation des locaux, leur configuration et leur état.

Il résulte du jugement de première instance que les parties se sont accordées sur la surface utile retenue par M. [O] et sur l’absence de pondération s’agissant de locaux situés en étage. Toutefois, par erreur le jugement a indiqué que la surface utile retenue par M. [O] était de 152,57 m² alors qu’elle est de 157,52 m², chiffre mentionné par l’appelante. Par conséquent il sera retenu une superficie de 157,52 m².

Les parties se sont accordées en première instance sur le fait que l’activité de la société Agence Mercure est transférable; qu’elle est égale à la valeur du droit au bail ; que la valeur du droit au bail s’apprécie selon la méthode du différentiel de loyer.

Il n’est pas discuté par l’appelante que son activité a été transférée au domicile du gérant.

Toutefois, en raison du congé avec refus de renouvellement, la locataire a perdu la possibilité de céder son droit au bail, le préjudice doit donc être évalué à la valeur du droit au bail, lequel est un élément du fonds de commerce, des seuls locaux dont la locataire est évincé.

Il s’ ensuit qu’il convient de tenir compte de la différence entre le montant du loyer tel qu’il aurait été si le bail avait été renouvelé et la valeur locative de marché des locaux dont il est évincé.

En outre, la réinstallation au domicile du gérant de la société Agence Mercure ne saurait constituer des locaux équivalents alors que l’ensemble des locaux dont elle a été évincée était consacré à l’activité exercée, comprenant la réception de clientèle, laquelle vient notamment acheter dans les locaux de la marchandise qui y est entreposée (environ 2 000 ouvrages), ainsi que deux bureaux et un espace de travail, étant relevé la présence de deux salariés, tel qu’il en ressort du constat d’huissier établi à la demande de la locataire le 28 octobre 2016 ainsi que du descriptif et des photographies du rapport de M. [O].

S’agissant du loyer de renouvellement, la société Agence Mercure avait soutenu en première instance que le loyer aurait été déplafonné si le bail avait été renouvelé, les locaux étant à usage exclusif de locaux.

Il convient de rappeler que le montant du loyer des baux renouvelés des locaux à usage exclusif de bureaux échappe aux règles du plafonnement. Pour rechercher si les locaux sont à usage exclusif de bureaux, il convient de se référer à l’usage prévu par le bail, c’est-à-dire à leur destination.

La destination contractuelle est celle de  » conseil en communication et publicité, achat et vente de supports publicitaires, création littéraire, graphique, audiovisuelle production, publication et édition d’oeuvres de l’esprit, ainsi que de toutes activités de services, à l’exclusion de tout autre commerce et industrie « . Il ne s’agit pas, par conséquent, d’une destination contractuelle à usage exclusif de bureaux puisqu’il est prévu l’achat et la vente de supports publicitaires ; que la société Agence Mercure reçoit la clientèle dans ses locaux où elle entrepose ses marchandises et réalise une partie de ses ventes, ce qui est conforme à la destination contractuelle. Par conséquent si le bail avait été renouvelé, le loyer n’aurait pas été déplafonné mais fixé à son montant indiciaire.

S’agissant de la valeur locative de marché, M. [O] a relevé des prix, entre 2011 et 2014, pour s’établissant entre 344 euros/m² et 450 euros/m² pour des locaux en état d’usage et entre 380 euros/m² et 390 euros/m² pour des locaux rénovés, pour des bureaux ou appartements commerciaux.

Au regard des caractéristiques des locaux situés dans un bel ensemble immobilier, de leur bon état d’entretien, mais situés au 1er étage du bâtiment au fond sur cour, dépourvus de climatisation, desservis uniquement par un escalier, de l’absence de double vitrage et de climatisation ; tenant compte d’un bon emplacement compte tenu de l’activité exercée ; d’un bail ne comportant pas de clause exorbitante de droit commun et des références locatives précitées, il convient de retenir une valeur locative de marché de 380 euros, la valeur proposée par M. [O] apparaissant quelque peu élevée (400 euros/m²) par rapport aux éléments suvisés.

La valeur locative s’établit donc à 59 857,60 euros (157,52 m²x380 euros). Le loyer s’il avait été renouvelé est, selon les indices applicables, de 44 351,07 euros. Le différentiel de loyer est de 15 506,53 euros (59 857,60 euros – 44 351,07 euros).

M. [O] a proposé un coefficient multiplicateur de 5 qui est justifié compte tenu de l’emplacement bien adapté à l’activité.

Il s’ensuit que la valeur du droit au bail est de 77 532,65 euros (15 506,53 euros x 5).

Par conséquent l’indemnité principale est de 77 532,65 euros.

C’est donc de manière erronée que le jugement entrepris a considéré que la société Agence Mercure n’était pas fondée à solliciter une indemnité destinée à compenser la perte du droit au bail.

Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu’il a fixé l’indemnité d’éviction « toutes causes confondues » à la seule somme de 33 425 euros laquelle correspond uniquement au montant des indemnités accessoires.

Il n’a pas été formé appel du montant alloué à hauteur de 33 425 euros correspondant aux indemnités accessoires. Par conséquent, il sera fixé en sus de cette somme, une indemnité principale d’éviction de 77 532,65 euros.

S’agissant du dispositif dont il est demandé l’annulation par l’appelante, il convient de relever que la société Agence Mercure a soulevé, au vu de la motivation du jugement entrepris, le moyen tiré de ce que les locaux seraient à usage exclusif de bureau ; que ce moyen n’a pas été examiné par le jugement entrepris puisqu’il a écarté toute valeur du droit au bail sur un autre motif ‘ qu’il a indiqué par erreur que cela rendait sans objet la « demande de la SI La Topaze tendant à voir juger que les locaux sont à usage exclusif de bureau » alors que dans le dispositif de ses écritures tel que repris par le jugement, la SI La Topaze a sollicité de « dire et juger que les locaux à elle loués n’étaient pas à usage exclusif de bureaux ». Toutefois cette erreur n’est pas cause d’annulation du jugement et la cour, n’ayant pas suivi le raisonnement du jugement entrepris, a retenu que les locaux n’étaient pas à usage exclusifs de bureaux. Le jugement sera donc infirmé en ce qu’il a dit que la demande était sans objet et il sera dit que les locaux dont la société Agence Mercure a été évincée ne sont pas à usage exclusif de bureaux, conformément à sa demande.

Sur les demandes accessoires

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a condamné la SCI la Topaze à payer à la société Agence Mercure la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et en ce qu’il l’a condamnée aux dépens, l’expertise et l’instance ayant eu pour cause la délivrance du congé.

En cause d’appel l’équité commande de ne pas prononcer de condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La SCI La Topaze succombant, elle sera condamnée aux dépens d’appel dont distraction au profit de l’avocat postulant en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Infirme le jugement entrepris en ce qu’il a dit que l’indemnité d’éviction est de 33 425 euros « toutes causes de préjudice confondues » et en ce qu’il a dit sans objet la demande tendant à voir dire que les locaux sont à usage exclusif de bureaux ;

Statuant à nouveau et y ajoutant

Dit que les locaux dont la société Agence Mercure a été évincée ne sont pas à usage exclusifs de bureaux ;

Fixe, en sus de la somme de 33 425 euros allouée par le jugement entrepris, l’indemnité principale d’éviction à la somme de 77 532,65 euros ;

Dit n’y avoir lieu à condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SCI La Topaze aux dépens d’appel dont distraction au profit de l’avocat postulant en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;

Rejette toute demande plus ample ou contraire.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT

 


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