Indemnité d’éviction : 12 mai 2022 Cour d’appel de Lyon RG n° 19/07849

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Indemnité d’éviction : 12 mai 2022 Cour d’appel de Lyon RG n° 19/07849

12 mai 2022
Cour d’appel de Lyon
RG
19/07849

N° RG 19/07849

N° Portalis DBVX – V – B7D – MWGO

Décision du Tribunal de Grande Instance de LYON

Au fond du 25 septembre 2019

RG : 16/06225

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE LYON

1ère chambre civile A

ARRET DU 12 Mai 2022

APPELANTS :

M. [Y] [W]

né le [Date naissance 6] 1974 à [Localité 16] (COTE D’OR)

[Adresse 7]

[Localité 9]

M. [G] [W]

né le [Date naissance 3] 1977 à [Localité 16] (COTE D’OR)

[Adresse 13]

[Localité 8]

Mme [T] [E] veuve [I]

née le [Date naissance 2] 1935 à [Localité 15] (ITALIE)

[Adresse 14]

[Localité 9]

M. [A] [W]

né le [Date naissance 12] 1948 à [Localité 18] (ALLEMAGNE)

[Adresse 14]

[Localité 9]

M. [K] [W]

né le [Date naissance 1] 1983 à [Localité 17] (COTE D’OR)

[Adresse 20]

[Localité 8]

représentés par Maître Patrick LEVY, avocat au barreau de LYON, toque : 713

INTIMEE :

SCP JEAN MICHEL BROCHERIEUX-SYLVAINE GUERRIN MAINGON

(kbis de 18/04/2019)

[Adresse 5]

[Localité 16]

représentée par Maître Jean-Christophe BESSY, avocat au barreau de LYON, toque : 1575

******

Date de clôture de l’instruction : 03 Novembre 2020

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 17 Février 2022

Date de mise à disposition : 12 Mai 2022

Audience tenue par Anne WYON, président, et Françoise CLEMENT, conseiller, qui ont siégé en rapporteurs sans opposition des avocats dûment avisés et ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré,

assistés pendant les débats de Séverine POLANO, greffier

A l’audience, Françoise CLEMENT a fait le rapport, conformément à l’article 804 du code de procédure civile.

Composition de la Cour lors du délibéré :

– Anne WYON, président

– Françoise CLEMENT, conseiller

– Dominique DEFRASNE, conseiller

Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Anne WYON, président, et par Séverine POLANO, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

****

EXPOSE DU LITIGE

Suivant acte sous-seing privé du 19 mai 1959, M. [Z] [H] a donné à bail à M. [F] [R] une maison sise à [Adresse 10], comprenant un fonds de commerce de café-restaurant-débit de tabac avec un logement attenant.

Ce fonds de commerce a fait l’objet, par la suite, de deux cessions, en dernier lieu, le 25 février 1966, à M. [O] [I].

M. [O] [I] est décédé le [Date décès 11] 1971 en laissant pour lui succéder son épouse, Mme [T] [E] et sa fille unique Mme [J] [I] épouse [W].

Par acte extrajudiciaire du 28 octobre 2005, Mme [T] [I] et Mme [J] [I] épouse [W] ont formé auprès des consorts [H], bailleurs, une demande de renouvellement du bail commercial.

Par acte du 27 janvier 2006, les bailleurs ont refusé le renouvellement du bail sans offrir d’indemnité d’éviction, au motif que Mme [J] [I] n’était pas immatriculée au registre du commerce.

Par acte du 16 juillet 2007, Mme [T] [I] a fait donation à sa fille [J] de l’ensemble de ses droits indivis sur le fonds de commerce.

Par acte d’huissier des 23 et 24 janvier 2008 Mme [J] [I] a fait assigner les consorts [H] devant le tribunal de grande instance de Dijon pour voir déclarer nul le refus de renouvellement du bail commercial notifié par les bailleurs et pour voir dire que ce bail s’était renouvelé pour une nouvelle période de 9 ans à compter du 1er janvier 2006, en confiant la défense de ses intérêts à la SCP Brochieux-Guerrin-Maingon, avocats au barreau de Dijon.

L’avocat a enrôlé l’assignation au greffe du tribunal de grande instance, le 12 février 2008, soit plus de deux ans après le refus de renouvellement du bail commercial par les bailleurs.

Mme [J] [I], épouse [W], est décédée le [Date décès 4] 2008.

Par acte d’huissier du 30 mars 2009, les consorts [H] ont appelé dans la cause aux fins de reprise d’instance, ses ayants droits : MM [A] [W], [G] [W], [Y] [W] et [K] [W], (les consorts [W]), pour voir juger que l’action en vue de la fixation d’une indemnité d’éviction était irrecevable en raison de la forclusion, pour voir ordonner leur expulsion et pour les voir condamner au paiement d’une indemnité d’occupation, en demandant le sursis à statuer sur ce dernier chef dans l’attente d’une évaluation de l’indemnité à dire d’expert.

Par jugement du 24 janvier 2011, le tribunal de grande instance de Dijon a constaté la forclusion de l’action des consorts [W], ordonné leur expulsion de la maison sise à [Adresse 19], dit qu’ils étaient tenus de verser aux consorts [I] une indemnité d’occupation depuis le 27 janvier 2006 et a ordonné, avant-dire droit, une expertise aux fins d’évaluation de cette indemnité d’occupation.

Ce jugement été confirmé par arrêt de la cour d’appel de Dijon du 15 décembre 2011.

Par jugement définitif du 6 juillet 2015, le tribunal de grande instance de Dijon a condamné les consorts [W] à payer aux consorts [H] la somme de 24’670 € au titre de l’indemnité d’occupation due par eux sur la période du 27 janvier 2006 au 30 mars 2012, date de leur départ, après déduction des sommes versées pendant cette même période.

Par acte d’huissier du 23 mars 2016, Mme [T] [I], née [E], M. [A] [W], M. [G] [W], M. [Y] [W] et M. [K] [W] ont fait assigner la SCP Brochieux-Guerrin-Maingon devant le tribunal de grande instance de Lyon, en responsabilité professionnelle, sur le fondement de l’article 1147 du code civil et en réparation de leur préjudice, en lui reprochant essentiellement son retard dans la mise au rôle de l’assignation des 23 et 24 janvier 2008.

Par jugement du 25 septembre 2019, le tribunal de grande instance de Lyon a :

– condamné la SCP Brochieux-Guerrin-Maingon à payer à M. [A] [W], M. [G] [W], M. [Y] [W], M. [K] [W] , venant aux droits de Mme [J] [I] épouse [W] et à Mme [T] [I] la somme de 22’000 € en réparation de leur préjudice de perte de chance d’obtenir l’annulation du refus de renouvellement du bail,

– ordonné l’exécution provisoire,

– condamné la SCP Brochieux-Guerrin-Maingon à payer à M. [A] [W], M. [G] [W], M. [Y] [W], M. [K] [W] , venant aux droits de Mme [J] [I] épouse [W] et à Mme [T] [I] la somme de 1 500 € en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires,

– condamné la SCP Brochieux-Guerrin-Maingon aux dépens de l’instance.

Par déclaration du 15 novembre 2019, Mme [T] [I], née [E], M. [A] [W], M. [G] [W], M. [Y] [W] et M. [K] [W] ont interjeté appel de cette décision.

Dans leurs dernières conclusions, notifiées le 4 juin 2020 et les appelants demandent la cour :

– de confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a décidé que la SCP Brochieux-Guerrin-Maingon a commis une faute en n’effectuant par la mise au rôle de l’assignation délivrée les 23 et 24 janvier 2008 avant le délai de forclusion et qu’ils sont fondés à recevoir indemnisation de la perte de chance d’obtenir l’annulation du refus de renouvellement du bail commercial ,

– de réformer le jugement s’agissant du quantum de l’indemnisation,

– de réparer leur préjudice au titre de la perte de chance d’obtenir le versement de l’indemnité d’éviction à laquelle ils avaient droit,

– de condamner, en conséquence, la SCP Brochieux-Guerrin-Maingon à leur verser les sommes suivantes :

* 37’210 € correspondant à la valeur du fonds de commerce, valeur figurant sur la donation intervenue, en date du 16 juillet 2007

* 7 000 € au titre de la licence qui n’a pu être vendue

* 3 000 € au titre des frais de déménagement

* 24’670 € au titre du surplus d’indemnité d’occupation due aux bailleurs, outre

1 500 € correspondant à l’article 700 et aux frais d’expertise et dépens, soit 4 167 €, soit une somme globale à ce titre de 30’337 €

* 3 500 € à titre de dommages-intérêts, aucune indemnisation n’ayant été possible

* 3 500 € en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– de rejeter tous moyens et conclusions contraires,

– de condamner la SCP Brochieux-Guerrin-Maingon aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions, notifiées le 10 mars 2020, la SCP Brochieux Guerrin-Maingon demande, de son côté à la cour :

– de réformer le jugement querellé,

– de juger que les consorts [W] ne justifient pas d’un préjudice en lien direct avec les manquements allégués,

– de débouter en conséquence des consorts [W] de l’ensemble de leurs prétentions,

– de condamner les consorts [W] au paiement de 3 500 € en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– de condamner les consorts [W] aux entiers dépens.

Sur les moyens de droit et de fait développés par les parties, il sera renvoyé à ces écritures en application de l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 3 novembre 2020.

MOTIFS DE LA DECISION

1) Sur la faute de la SCP Brochieux-Guerrin-Maingon

L’avocat est tenu d’accomplir, dans le respect des règles déontologiques, toutes les diligences utiles à la défense des intérêts de son client.

Il est constant, en l’espèce que l’assignation délivrée les 23 et 24 janvier 2008 par Mme [J] [I] à l’encontre des consorts [H], bailleurs, en nullité du refus de renouvellement du bail commercial, notifié par ces derniers le 27 janvier 2006, a été enrôlée au greffe du tribunal de grande instance de Dijon le 12 février 2008, soit postérieurement à l’expiration du délai de deux ans, prévu, à peine de forclusion, par l’article L 145-10 du code de commerce et qui avait commencé à courir le 27 janvier 2006.

Il s’ensuit qu’en omettant de remettre au greffe du tribunal la copie et le placet de cette assignation dans les délais légaux, la SCP Brochieux-Guerrin-Maingon qui était mandatée à cet effet par Mme [J] [I], a méconnu, par manque de diligence, une règle élémentaire de procédure civile et commis, de ce fait, une faute de nature à engager sa responsabilité civile, sur le fondement de l’article 1147 ancien du code civil, ainsi que l’ont justement relevé les premiers juges.

2) Sur le préjudice et le lien de causalité avec la faute

Le préjudice indemnisable, en raison de la faute de l’avocat, s’analyse en une perte de chance de réussite de l’action en justice.

L’appréciation de ce préjudice et de son lien de causalité avec la faute impose de reconstituer fictivement la discussion qui aurait pu s’instaurer devant le juge afin d’évaluer les chances de succès de l’action en cause.

La SCP Brochieux-Guerrin-Maingon soutient, en l’espèce, qu’il n’existe pas de lien causal entre la faute reprochée et le préjudice revendiqué, au motif que le jugement du tribunal de grande instance de Dijon, du 6 juillet 2015 fixant le montant de l’indemnité d’occupation n’a fait l’objet d’aucun recours.

Cet argument ne saurait prospérer dès lors que le caractère irrecevable les demandes formulées par les consorts [W] ainsi que leur obligation au paiement d’une indemnité d’occupation qui font suite à la négligence de l’avocat étaient acquis en vertu du jugement définitif du 24 janvier 2011 et que le jugement subséquent du 6 juillet 2015 n’a fait que calculer le montant de cette indemnité.

La SCP Brochieux-Guerrin-Maingon soutient, par ailleurs, que le défaut d’inscription de Mme [J] [I] au registre du commerce et des sociétés à la date de la demande de renouvellement du bail commercial, le 28 octobre 2005 privait cette dernière ainsi que sa mère, Mme [T] [I], du droit à ce renouvellement.

En réalité, avant même l’entrée en vigueur de la loi du 4 août 2008 qui prévoit qu’en cas de pluralité de preneurs ou indivisaires, l’exploitant du fonds bénéficie des dispositions légales même en l’absence d’immatriculation au registre du commerce de ses co-preneurs ou indivisaires non exploitants, la qualité de commerçant immatriculé n’était requise qu’en la personne de celui des membres de l’indivision successorale qui exploite le fonds pour le compte et dans l’intérêt commun des indivisaires et qu’il est constant, en l’espèce, qu’à la date de la demande de renouvellement du bail, Mme [T] [I] était inscrite au registre du commerce et des sociétés et exploitait le fonds au nom et pour le compte d’une même indivision successorale, en nue-propriété, avec sa fille [J] [I], par suite du décès de M. [O] [I].

Il est également constant que Mme [J] [I] a été elle-même inscrite au registre du commerce et des sociétés, en qualité de commerçante, le 8 octobre 2007, ce qui lui conférait le droit d’agir en nullité du refus de renouvellement du bail, les 23 et 24 janvier 2008, puis qu’après son décès, M. [A] [W] a été immatriculé au RCS le 17 juillet 2009.

Cette contestation de l’intimée ne peut davantage prospérer.

Au vu de l’ensemble des éléments de la cause, il existait bien des chances sérieuses de réussite de l’action en nullité du refus de renouvellement du bail commercial que la SCP Brochieux-Guerrin-Maingon avait été chargée d’engager devant le tribunal de grande instance de Dijon, de sorte que Mme [T] [I], ainsi que les consorts [W] sont en droit d’obtenir l’indemnisation par leur avocat négligent de la chance qu’il leur a fait perdre d’obtenir cette annulation du refus de renouvellement.

Les appelants font valoir plusieurs éléments de leur préjudice.

Il y a lieu d’abord de constater, à l’examen des prétentions et des moyens soulevés dans l’assignation en nullité du refus de renouvellement du bail, en date des 23 et 24 janvier 2008 et dans les conclusions déposées, tant devant le tribunal de grande instance que devant la cour d’appel de Dijon, que Mme [J] [I] et les consorts [W] n’ont pas formulé de demande en paiement d’une indemnité d’occupation, de sorte que ces derniers n’établissent aucune perte de chance d’obtenir le paiement de ladite indemnité.

S’agissant de la valeur du fonds de commerce de 37’210 €, celle-ci a été fixée par les parties elles-mêmes dans la donation intervenue le 16 juillet 2007.

Il n’est pas démontré que le non renouvellement du bail entraînait une impossibilité d’exploiter le fonds de commerce en un autre lieu et il convient, par ailleurs, de relever que le restaurant n’était exploité que de manière partielle par suite du décès de Mme [J] [I].

Il ne résulte donc pas de ces éléments une perte de la valeur du fonds de commerce, consécutive à la perte de l’action justice.

S’agissant de la licence 4, attachée au fonds de commerce, les explications fournies dans le courrier produit de la société [Localité 16] Prenois, société intéressée par l’achat de cette licence, révèle que le défaut d’acquisition par cette société trouve son origine dans l’interdiction qui lui était faite d’exploiter en France un débit de boissons et non pas dans la situation créée par la négligence de l’avocat.

En revanche, la perte de chance d’obtenir l’annulation du refus de renouvellement du bail à généré celle de ne pas être expulsé et de ne pas avoir à payer d’indemnisation d’occupation jusqu’au départ des lieux loués.

L’indemnité d’occupation a été fixée par le jugement du 11 mai 2015, sur la base d’un rapport d’expertise, à la somme de 24’670 €, sur la période du 27 janvier 2006 au 30 mars 2012, date de libération des lieux et les frais de déménagement, nécessairement engagés par les preneurs à l’occasion de leur départ, sont valablement estimés par ces derniers à 3 000 €.

En considération de ces éléments, les premiers juges ont justement évalué à la somme de 22’000 € le préjudice subi par Mme [T] [I] et les consorts [W] au titre de la perte de chance d’obtenir l’annulation du refus de renouvellement du bail commercial et le jugement querellé sera donc confirmé de ce chef.

Il convient également de confirmer le jugement sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance.

La SCP Brochieux-Guerrin-Maingon supportera les dépens d’appel et devra régler, en cause d’appel aux appelants la somme de 2 500 € en application de l’article 700 du code de procédure civile, tandis qu’elle sera déboutée de sa propre demande sur ce fondement.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Confirme le jugement dont appel en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la SCP Brochieux-Guerrin-Maingon aux dépens d’appel qui seront recouvrés, conformément à l’article 699 du code de procédure civile, par ceux des mandataires des parties qui en ont fait la demande,

Condamne la SCP Brochieux-Guerrin-Maingon à payer à Mme [T] [I], née [E], M. [A] [W], M. [G] [W], M. [Y] [W] et M. [K] [W] la somme de 2 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute la SCP Brochieux-Guerrin-Maingon de sa demande sur ce même fondement.

LE GREFFIERLE PRESIDENT

 


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