12 avril 2023
Cour d’appel de Rennes
RG n°
22/04577
5ème Chambre
ARRÊT N°-146
N° RG 22/04577 – N° Portalis DBVL-V-B7G-S6ZC
M. [Y] [O]
C/
Mme [L] [X]
Mme [T] [H]
M. [I] [H]
Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l’égard de toutes les parties au recours
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 12 AVRIL 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Pascale LE CHAMPION, Présidente,
Assesseur : Madame Virginie PARENT, Présidente,
Assesseur : Madame Virginie HAUET, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Catherine VILLENEUVE, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 15 Février 2023
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 12 Avril 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
****
APPELANT :
Monsieur [Y] [O]
né le 27 Avril 1968
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représenté par Me Noémie CHANSON de la SELARL NOEMIE CHANSON, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NANTES
INTIMÉS :
Madame [L] [X]
née le 04 Janvier 1961 à [Localité 7]
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Bruno DENIS de la SCP CADORET-TOUSSAINT, DENIS & ASSOCIES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-NAZAIRE
Madame [T] [H]
née le 17 Novembre 1987 à [Localité 8] ([Localité 8])
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentée par Me Bruno DENIS de la SCP CADORET-TOUSSAINT, DENIS & ASSOCIES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-NAZAIRE
Monsieur [I] [H]
né le 10 Octobre 2000 à [Localité 8] ([Localité 8])
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représenté par Me Bruno DENIS de la SCP CADORET-TOUSSAINT, DENIS & ASSOCIES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-NAZAIRE
*********
Par acte du 17 juillet 2003, Mme [L] [X], en son nom personnel et en qualité d’administratrice légale sous contrôle judiciaire de ses enfants mineurs Mme [T] [H] et M. [I] [H], ont donné à bail commercial à M. [Y] [O] des locaux situés [Adresse 2] à [Localité 5], pour une durée de 9 années à compter du 1er août 2003, soit jusqu’au 1er août 2012, le bail s’étant poursuivi par tacite prolongation.
Par exploit du 24 mars 2021, les bailleurs ont entendu mettre fin au bail et donner congé sans renouvellement du bail et sans indemnité d’éviction à M. [Y] [O] pour le 30 septembre 2021.
M. [Y] [O], ébéniste d’art, a invoqué des difficultés financières pour le déménagement des objets précieux stockés dans les locaux occupés depuis 18 ans, ainsi que pour l’obtention d’un nouveau local pour la continuité de son activité.
Par acte d’huissier du 5 janvier 2022, Mme [L] [X], Mme [T] [H] et M. [I] [H] ont fait assigner M. [Y] [O] devant la juridiction des référés du tribunal judiciaire de Saint-Nazaire aux fins notamment de voir confirmer l’absence de contestation sur les termes du congé sans offre de renouvellement et sans indemnité d’éviction, constater le terme du bail commercial et ordonner l’expulsion de M. [O].
Par ordonnance en date du 26 avril 2022, le juge a :
– ordonné, à défaut de restitution volontaire des lieux dans les quinze jours
de la signification de la présente ordonnance, l’expulsion de M. [Y] [O] et de tous occupants et biens de son chef des lieux situés au [Adresse 2] à [Localité 5], avec le concours, en tant que de besoin, de la force publique et d’un serrurier,
– dit, en cas de besoin, que les meubles se trouvant sur les lieux seront remis aux frais de la personne expulsée dans un lieu désigné par elle et qu’à défaut, ils seront laissés sur place ou entreposés en un autre lieu approprié et décrit avec précision par l’huissier chargé de l’exécution, avec sommation à la personne expulsée d’avoir à les retirer dans un délai de quatre semaines à l’expiration duquel il sera procédé à leur mise en vente aux enchères publiques, sur autorisation du juge de l’exécution, ce conformément à ce que prévoient les dispositions du code des procédures civiles d’exécution sur ce point,
– condamné par provision M. [Y] [O] à payer à Mme [L] [X], Mme [T] [H] et M. [I] [H], à compter du 1er octobre 2021 et jusqu’à la libération effective des lieux par la remise des clés, la somme de 594,06 euros par mois au titre de l’indemnité d’occupation,
– condamné M. [Y] [O] aux entiers dépens, en ce non compris les frais d’huissier pour la signification du congé,
– condamné M. [Y] [O] à payer à Mme [L] [X], Mme [T] [H] et M. [I] [H] la somme de 1 000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– rejeté toutes les autres demandes des parties,
– rappelé que la présente décision est exécutoire à titre provisoire.
Le 19 juillet 2022, M. [Y] [O] a interjeté appel de cette décision et aux termes de ses dernières écritures notifiées le 13 octobre 2022, il demande à la cour de :
– infirmer dans toutes ses dispositions l’ordonnance du tribunal judiciaire de Saint-Nazaire rendue le 26 avril 2022,
– déclarer Mme [L] [X], Mme [T] [H] et M. [I] [H] irrecevables en leur action devant le tribunal judiciaire de Saint-Nazaire statuant en matière de référé, en raison de l’existence d’une contestation sérieuse ne relevant pas de la compétence de la formation de référé,
– débouter Mme [L] [X], Mme [T] [H] et M. [I] [H] de l’ensemble de ses demandes et les renvoyer à mieux se pourvoir au fond,
– condamner Mme [L] [X], Mme [T] [H] et M. [I] [H] à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de la procédure de référé et de la présente procédure d’appel.
Par dernières conclusions notifiées le 28 octobre 2022, Mme [L] [X], Mme [T] [H] et M. [I] [H] demandent à la cour de :
– confirmer le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a refusé d’assortir l’expulsion de M. [Y] [O] d’une astreinte et a fixé les frais de procédure de première instance à la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau sur ces chefs de demandes,
– condamner M. [Y] [O] à leur verser la somme de 2 000 euros au titre des frais de procédure de première instance en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner M. [Y] [O] à libérer les locaux situés [Adresse 2], à [Localité 5], sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la signification de l’arrêt à intervenir,
– condamner M. [Y] [O] à leur verser la somme de 4 500 euros, en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais d’appel,
– condamner M. [Y] [O] en tous les dépens d’appel.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 12 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
– sur l’expulsion de M. [O] et demandes annexes
Au visa de l’article 834 du code de procédure civile, M. [O] conclut à l’incompétence du juge des référés en présence d’une contestation sérieuse.
Il rappelle les dispositions d’ordre public de l’article L 145-15 du code de commerce, selon lesquelles le principe est le droit au renouvellement du bail commercial, que le bail en l’espèce, s’agissant de sa durée, mentionne expressément les dispositions du décret de 1953, mais pas celles des articles 504,595 et 1718 du code civil qui privent le preneur à l’encontre du mineur devenu majeur ou émancipé de tout droit au renouvellement et de son droit au maintien dans les lieux. Il indique n’avoir, à aucun moment, été informé que la signature d’un bail avec le représentant légal d’un mineur le privait de tels droits et de toute indemnité d’éviction, de sorte qu’il pouvait légitiment croire que n’existait pas d’autre motif que ceux résultant du décret de 1953 pouvant s’opposer au renouvellement du bail, et que dans le cas contraire, il n’aurait pas contracté.
Il ajoute que les dispositions spécifiques relatives à la protection des mineurs contreviennent aux dispositions d’ordre public du statut des baux commerciaux. Il souligne ne pas être juriste et n’avoir pas été assisté lors de la signature du bail et considère que Mme [X] et l’agence immobilière mandatée par elle à cette occasion ont manqué à leur devoir d’information à son égard, de sorte que leur responsabilité est engagée sur le fondement des articles 1104 et 1112-1 du code civil.
Il précise que par l’effet de ce congé, il se voit contraint de quitter un local occupé depuis 18 ans, dans lequel il a entreposé une grande quantité d’objets divers et de matières premières, de sorte que l’éventuel transfert de son activité emporte un coût de déménagement évalué à 179 616 euros par devis de la société Bovis, ce qui causerait sa faillite.
Selon lui, encore, le congé délivré serait nul, car l’immeuble fait partie d’une indivision, dont l’un des indivisaires, Mme [X], était majeure, ayant signé le bail tant en son nom propre qu’au nom de ses enfants mineurs, qu’elle-même, demanderesse au congé, ne peut se prévaloir des dispositions protectrices des mineurs pour s’opposer au renouvellement du bail. Il fait valoir que la nullité du congé lui permet alors de solliciter soit une indemnité d’éviction en se maintenant dans les lieux jusqu’à son paiement, soit la poursuite du bail.
Il demande à la cour de constater que ces questions relèvent incontestablement du juge du fond.
Mme [X], Mme [H] et M. [H] estiment pour leur part que ces contestations ne sont pas sérieuses et concluent, invoquant l’article 835 du code de procédure civile, à la confirmation de l’ordonnance, sauf à y ajouter que l’expulsion sera assortie d’une astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la signification de l’arrêt à intervenir.
Ils rappellent que l’article 504 du code civil qui reprend les dispositions de l’article 456, dispose que les baux consentis par le tuteur ne confèrent au preneur à l’encontre de la personne protégée devenue capable, aucun droit au renouvellement quand bien même il existerait des dispositions légales contraires.
Ils soutiennent que Mme [X] n’avait aucune obligation d’information particulière et relèvent en tout état de cause que le bail mentionne qu’elle agit en vertu des pouvoirs conférés par l’article 456 du code civil.
S’agissant du moyen tiré de la nullité du congé, ils considèrent qu’il ne constitue pas une contestation sérieuse, l’intervention de Mme [X] dans le congé était totalement justifiée, en qualité d’indivisaire.
Il ressort de l’article 834 du code de procédure civile que ‘dans les cas d’urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend’.
Une contestation sérieuse est caractérisée lorsque l’un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n’apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite.
En application des dispositions de l’article 835 alinéa 1 du code de procédure civile le juge des référés du tribunal judiciaire peut même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire les mesures nécessaires pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le dommage imminent s’entend du dommage qui n’est pas encore réalisé mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer. Le trouble manifestement illicite résulte, quant à lui, de toute perturbation résultant d’un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit.
* sur le moyen tiré de l’ignorance par M. [O] des dispositions de l’article 504 du code civil
Le congé sans offre de renouvellement et sans offre d’indemnité d’éviction du 24 mars 2021 donné à M. [O] par Mme [L] [X], Mme [T] [H], et M. [I] [H], pour le 30 septembre 2021 est délivré en application des articles 504, 595 et 1718 du code civil.
Le bail mentionne expressément que Mme [X] agit en son nom personnel et aux noms de ses deux enfants mineurs, en qualité d’administratrice légale sous contrôle judiciaire, ayant tous les pouvoirs à l’effet des présentes en vertu de l’article 456 du code civil.
L’article 456 alinéa 3 du code civil alors en vigueur dispose :
Les baux consentis par le tuteur ne confèrent au preneur, à l’encontre du mineur devenu majeur ou émancipé, aucun droit de renouvellement et aucun droit à se maintenir dans les lieux à l’expiration du bail, nonobstant toutes dispositions légales contraires. Ces dispositions ne sont toutefois pas applicables aux baux consentis avant l’ouverture de la tutelle et renouvelés par le tuteur.
M. [O], ne peut sérieusement prétendre à une absence d’information des conditions particulières dans lesquelles le bail a été conclu (emportant absence de droit au renouvellement et de maintien dans les lieux en présence de bailleurs mineurs), lesquelles résultent du rappel de l’article 456 du code civil, dans la mention afférente à la personne du bailleur. Ce moyen est écarté.
– sur le moyen tiré de la nullité du congé
Aux termes de l’article 456, alinéa 3, du code civil, devenu article 504, les baux consentis par le tuteur ne confèrent au preneur, à l’encontre du mineur devenu majeur ou émancipé, aucun droit de renouvellement et aucun droit à se maintenir dans les lieux à l’expiration du bail.
Le bien donné à bail est en indivision et lors de la conclusion du bail deux indivisaires étaient mineurs. Le congé a été donné par l’ensemble des indivisaires.
L’indivisaire mineur peut, sans attendre le résultat du partage, se prévaloir de ces dispositions.
Le moyen tiré de la nullité du congé, au motif qu’il a également été donné par Mme [X], qui ne peut elle-même se prévaloir de ses dispositions protectrices des mineurs, doit donc être écarté.
À défaut de toute contestation sérieuse la cour confirme l’ordonnance en ce qu’elle ordonne l’expulsion de M. [Y] [O] de tous occupants de son chef et le condamne au paiement d’une indemnité d’occupation, dont le montant n’apparaît pas discuté.
Le maintien dans les lieux de M. [O] depuis le 30 septembre 2021, caractérise un trouble manifestement illicite s’agissant d’une violation évidente de la règle de droit.
Une astreinte provisoire apparaît nécessaire pour mettre fin à ce trouble et sera décidée à raison de 50 euros par jour de retard, courant durant trois mois, à compter d’un délai de 10 jours passé la signification du présent arrêt.
Le juge compétent pour statuer sur une demande de liquidation d’astreinte étant le juge de l’exécution, en application de l’article L 131-3 du code des procédures d’exécution, il n’y pas lieu de prévoir que la cour se réserve la liquidation de cette astreinte.
La cour infirme le rejet de cette demande.
– sur les frais irrépétibles et les dépens
La cour confirme les dispositions de première instance de ce chef.
L’équité commande de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au profit des intimés à l’encontre de M. [O] qui succombe entièrement en son appel. La cour condamne ce dernier à leur payer une somme de 1 500 euros de ce chef.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et par mise à disposition au greffe :
Confirme l’ordonnance déférée en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Assortit l’expulsion de M. [Y] [O] d’une astreinte provisoire de 50 jours par jour de retard, courant durant trois mois, à compter d’un délai de 10 jours passé la signification du présent arrêt ;
Dit que le contentieux portant sur la liquidation de cette astreinte n’est pas réservé à la cour ;
Condamne M. [Y] [O] à payer à Mme [L] [X], Mme [T] [H] et M. [I] [H] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboute M. [Y] [O] de sa demande à ce titre ;
Condamne M. [Y] [O] aux dépens d’appel.
Le Greffier La Présidente