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11 janvier 2024
Cour d’appel d’Amiens
RG n°
22/02406
ARRET
N°
[V]
[U] ÉPOUSE [V]
C/
[N]
[N]
[N]
[N]
CD/AV/SGS
COUR D’APPEL D’AMIENS
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU ONZE JANVIER
DEUX MILLE VINGT QUATRE
Numéro d’inscription de l’affaire au répertoire général de la cour : N° RG 22/02406 – N° Portalis DBV4-V-B7G-IOI2
Décision déférée à la cour : ORDONNANCE DU PRESIDENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE SAINT-QUENTIN DU VINGT HUIT AVRIL DEUX MILLE VINGT DEUX
PARTIES EN CAUSE :
Monsieur [Z] [V]
né le 06 Novembre 1971 à [Localité 18]
de nationalité Française
[Adresse 5]
[Localité 1]
Madame [C] [U] ÉPOUSE [V]
née le 01 Avril 1969 à [Localité 16]
de nationalité Française
[Adresse 5]
[Localité 1]
Représentés par Me Stéphanie CACHEUX de la SCP PINCHON-CACHEUX-BERTHELOT, avocat au barreau de SAINT-QUENTIN
Ayant pour avocat plaidant la SCP DROUOT-LACHAUD-MANDEVILLE,
avocats au barreau de PARIS
APPELANTS
ET
Monsieur [L] [N]
né le 29 Octobre 1955 à [Localité 15]
de nationalité Française
[Adresse 6]
[Localité 8]
Monsieur [I] [N]
né le 10 Décembre 1956 à [Localité 17]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 10]
Monsieur [P] [N]
né le 18 Janvier 1958 à [Localité 17]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 9]
Monsieur [E] [N]
né le 21 Janvier 1959 à [Localité 14]
de nationalité Française
[Adresse 11]
[Localité 4]
Représentés par Me Audrey BOUDOUX D’HAUTEFEUILLE, avocat au barreau d’AMIENS
Ayant pour avocat plaidant la SCP BEJIN-CAMUS, avocat au barreau de SAINT QUENTIN,
INTIMES
DEBATS :
A l’audience publique du 09 novembre 2023, l’affaire est venue devant M. Douglas BERTHE, Président de chambre et Mme Clémence JACQUELINE, conseillère, magistrats rapporteurs siégeant sans opposition des avocats en vertu de l’article 805 du Code de procédure civile. Le Président a avisé les parties à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 11 janvier 2024.
La Cour était assistée lors des débats de Mme Audrey VANHUSE, greffière.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Les magistrats rapporteurs en ont rendu compte à la Cour composée de M. Douglas BERTHE, Président de chambre, Président, Mme Christina DIAS DA SILVA, Présidente de chambre et Mme Clémence JACQUELINE, Conseillère, qui en ont délibéré conformément à la Loi.
PRONONCE DE L’ARRET :
Le 11 janvier 2024, l’arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et la minute a été signée par M. Douglas BERTHE, Président de chambre et Mme Sylvie GOMBAUD-SAINTONGE, greffière.
*
* *
DECISION :
[J] [F] veuve [N] était propriétaire d’une parcelle de terre cadastrée section ZH n°[Cadastre 7] au lieudit [Adresse 13] sur la commune d'[Localité 12] d’une contenance de 4 ha 64 a et 89 ca. Cette parcelle était louée aux époux [V].
Le 28 décembre 2007 la bailleresse a délivré congé aux preneurs qui l’ont contesté.
Par jugement du 11 décembre 2013 le tribunal paritaire des baux ruraux a, d’une part, condamné [J] [N] à payer aux époux [V] la somme de 50 729,75 euros à titre d’indemnité d’éviction et, d’autre part, dit que les époux [V] devaient libérer les lieux avant l’expiration de l’année culturale en cours lors du paiement de l’indemnité, ordonnant, faute de libération volontaire, leur expulsion.
Suivant exploit délivré le 1er décembre 2021, [J] [N] et M. [T] [K] ont fait assigner M. [Z] [V] et son épouse Mme [C] [A] devant le juge des référés aux fins de voir ordonner leur expulsion de la parcelle ZH [Cadastre 7].
[J] [N] est décédée le 30 décembre 2021.
Par ordonnance du 28 avril 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Saint Quentin a :
– constaté l’intervention volontaire à la procédure de MM. [L] [N], [I] [N], [P] [N] et [E] [N] en qualité d’héritiers de [J] [N],
– constaté que MM. [L] [N], [I] [N], [P] [N] et [E] [N] et M. [T] [K] se trouvent pourvus de la qualité à agir concernant la parcelle cadastrée section ZH n°[Cadastre 7] au lieudit [Adresse 13] sur la commune d'[Localité 12] d’une contenance de 4 ha 64 a et 89 ca,
– rejeté la demande de voir constater l’incompétence du juge des référés,
– dit que les époux [V] devront libérer la parcelle ZH n°[Cadastre 7] dans un délai de 2 mois à compter de la signification de l’ordonnance sous astreinte de 100 euros par jour de retard dans la limite de 12 mois,
– condamné solidairement les époux [V] à payer aux consorts [N] [K] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens,
– rejeté toute autre demande plus ample ou contraire.
Par déclaration du 16 mai 2022, les époux [V] ont interjeté appel de cette décision.
Par ordonnance du 7 décembre 2022, la déclaration d’appel formée par les époux [V] a été déclarée caduque mais uniquement en ce que les appelants ont intimé M. [K].
Aux termes de leurs conclusions communiquées par voie électronique le 5 juillet 2022, les époux [V] demandent à la cour de :
– infirmer l’ordonnance sauf en ce qu’elle constate l’intervention volontaire et la qualité à agir des consorts [N],
– statuant à nouveau,
– déclarer recevable l’exception d’incompétence soulevée par les époux [V],
– en conséquence dire et juger que le litige ne relève pas de la compétence du juge des référés,
– déclarer irrecevables M. [K] et les consorts [N] et mal fondés en leurs demandes,
– se déclarer incompétent et renvoyer les demandeurs à mieux se pourvoir au fond,
– pour le cas où l’exception d’incompétence ne serait pas retenue,
– débouter les consorts [N] [K] de l’intégralité de leurs demandes,
– en tout état de cause,
– condamner solidairement les consorts [N] [K] à leur payer la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Ils font valoir qu’ils ont conclu un bail rural avec [J] [N] le 20 février 2004 de sorte que le juge des référés aurait dû se déclarer incompétent pour trancher le litige entre les parties au profit du tribunal paritaire des baux ruraux.
Ils soutiennent que le juge des référés a considéré à tort que la consignation de l’indemnité d’éviction intervenue en 2021 était de nature à emporter la fin du bail rural puisque dans son jugement du 11 décembre 2013 le tribunal paritaire des baux ruraux a subordonné la résiliation du bail au versement de l’indemnité d’éviction laquelle devait intervenir avant l’expiration de l’année culturale en cours soit au 30 septembre 2014.
Ils expliquent que le paiement n’est intervenu qu’en janvier 2021 de sorte que le bail rural ne saurait avoir pris fin et que ce paiement n’est pas libératoire faute d’avoir été réalisé par le débiteur qu’était [J] [N].
Pour eux il n’y a aucun trouble manifestement illicite à se maintenir dans les lieux ; que faute d’avoir procédé au règlement de l’indemnité d’éviction [J] [N] a renoncé aux effets du jugement et donc à la résiliation du bail rural et qu’en conséquence ce bail s’est poursuivi.
Aux termes de leurs conclusions communiquées par voie électronique le 2 août 2022, les consorts [N] demandent à la cour de :
– déclarer irrecevable et en tous cas mal fond l’appel interjeté par les époux [V],
– confirmer l’ordonnance entreprise,
– vu les dispositions de l’article L 491-1 du code rural,
– vu l’absence de tout titre locatif liant ou susceptible de lier [J] [N] puis les consorts [N] aux époux [V],
– juger que la juridiction de droit commun devra retenir sa compétence et ce avec toutes suites et conséquences de droit
– vu les dispositions de l’article 835 du code de procédure civile,
– juger que la présence et l’intrusion des époux [V] sur les lieux propriété de [J] [N] et loués selon convention d’occupation précaire en date du 22 octobre 2020 à M. [K] constituent un trouble manifestement illicite,
– juger que le juge des référés était compétent pour statuer et confirmer l’ordonnance dont appel,
– débouter les époux [V] de leurs demandes et les condamner solidairement au paiement d’une indemnité complémentaire de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens, sous le bénéfice de la distraction, qui comprendront le coût de la sommation valant mise en demeure du 17 septembre 2021.
Ils font valoir que le jugement du 11 décembre 2013 rendu par le tribunal paritaire des baux ruraux est devenu définitif ; que les époux [V] ont été avisés le 4 janvier 2021 par le notaire que [J] [N] était en mesure de payer l’indemnité d’éviction outre les intérêts moratoires mais que ce courrier et la mise en demeure sont restés sans suite alors que les fonds étaient consignés.
Ils ajoutent que les parties ne sont plus liées par un bail rural et le tribunal paritaire n’est pas compétent pour statuer sur le présent litige ; qu’ils subissent un trouble manifestement illicite lié à l’occupation sans droit ni titre de la parcelle litigieuse. Ils précisent que le tribunal paritaire des baux ruraux n’a imposé aucun délai à [J] [N] pour payer l’indemnité d’éviction et le jugement a été exécuté dans les 10 ans de sa date conformément à l’article L 111-4 du code des procédures civiles d’exécution.
En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 9 novembre 2023 et l’affaire a été renvoyée pour être plaidée à l’audience du même jour.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Au vu de l’ordonnance du 7 décembre 2022 qui a prononcé la caducité de la déclaration d’appel en ce qu’elle a intimé M. [K], la cour n’est saisie que du litige entre les consorts [N] et les époux [V] et l’ordonnance entreprise est définitive s’agissant de ses dispositions relatives à M. [K].
Par ailleurs les parties ne remettent pas en cause l’ordonnance querellée en ce qu’elle a constaté l’intervention volontaire et la qualité à agir des consorts [N].
L’article 835 du code de procédure civile dispose que le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection, dans les limites de sa compétence, peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Dans tous les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.
Le dommage imminent s’entend du ‘dommage qui n’est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer’ et le trouble manifestement illicite résulte de ‘toute perturbation résultant d’un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit’.
Il s’ensuit que pour que la mesure sollicitée soit prononcée, il doit nécessairement être constaté, à la date à laquelle la cour statue et avec l’évidence qui s’impose à la juridiction des référés, l’imminence d’un dommage, d’un préjudice ou la méconnaissance d’un droit, sur le point de se réaliser et dont la survenance et la réalité sont certaines. Un dommage purement éventuel ne saurait être retenu pour fonder l’intervention du juge des référés. La constatation de l’imminence du dommage suffit à caractériser l’urgence afin d’en éviter les effets.
En l’espèce les consorts [N] ont saisi le juge des référés sur le fondement de l’article 835 du code de procédure civile en invoquant l’existence d’un trouble manifestement illicite aux fins de voir ordonner l’expulsion des époux [V] de la parcelle qu’ils occupent.
Les époux [V] soulèvent l’incompétence matérielle du juge des référés et soutiennent qu’en application de l’article L211-13 du code de l’organisation judiciaire le juge saisi ne peut statuer sur une demande qui relève de la seule compétence du tribunal paritaire des baux ruraux.
La question de l’étendue des pouvoirs du juge des référés est distincte de la compétence matérielle tendant à déterminer la juridiction qui doit être saisie à raison des matières qui lui sont attribuées. Le moyen soulevé par les époux [V], qui s’analyse comme portant sur l’étendue des pouvoirs du juge des référés, doit être examiné au regard de l’article 835 du code de procédure civile invoqué par les consorts [N] au soutien de leurs demandes.
Le jugement rendu le 16 août 2012 par le tribunal paritaire des baux ruraux de Saint Quentin, saisi par les époux [V] de la contestation du congé du bail rural les liant à [J] [N] relativement à la parcelle litigieuse, a validé le congé et constaté la résiliation du bail rural sur le fondement de l’article L411-32 du code rural, ordonnant une expertise aux fins d’évaluer l’indemnité due aux preneurs évincés. Cette décision a également dit que les époux [V] devront libérer la parcelle avant l’expiration de l’année culturale en cours lors du paiement de l’indemnité d’éviction et a ordonné, faute de départ volontaire des lieux, leur expulsion ainsi que celle de tous occupants et biens de leur chefs avec l’assistance de la force publique au besoin. Ce jugement est définitif ainsi que le reconnaissent d’ailleurs les appelants dans leurs conclusions en page 3.
Il en résulte que les parties ne sont manifestement plus liées par un bail rural.
Par jugement du 11 décembre 2013 ledit tribunal paritaire des baux ruraux a, après le dépôt du rapport d’expertise, condamné [J] [N] à payer aux époux [V] une indemnité de 50 729,75 euros et dit que ces derniers devaient libérer la parcelle litigieuse avant l’expiration de l’année culturale en cours lors du paiement de cette indemnité. Cette décision, également définitive, qui a condamné [J] [N] à payer aux époux [V] une indemnité d’éviction, a seulement autorisé ces derniers à se maintenir dans les lieux précédemment loués jusqu’à la fin de l’année culturale suivant le paiement de ladite indemnité.
Les pièces de la procédure versées aux débats tant en première instance qu’en appel prouvent que par courrier du 4 janvier 2021 le notaire des consorts [W] a proposé aux époux [V] de régler l’indemnité due par son intermédiaire afin que ce versement soit juridiquement constaté mais que le paiement de cette indemnité n’a pas pu intervenir en raison du refus opposé par les époux [V] de le recevoir.
Il s’en déduit qu’à l’évidence les époux [V] ne peuvent valablement se prévaloir d’un défaut de paiement de l’indemnité d’éviction pour se maintenir dans les lieux.
Vainement ceux-ci soutiennent que le règlement de l’indemnité aurait dû intervenir au plus tard le 30 septembre 2014 puisque le jugement du tribunal paritaire des baux ruraux daté du 11 décembre 2013 n’a fixé aucun terme pour le paiement de l’indemnité due aux preneurs évincés, subordonnant simplement la libération de la parcelle audit paiement.
Les époux [V] ne peuvent pas non plus valablement soutenir que le paiement proposé par le notaire ne serait pas libératoire dès lors que Me [R], notaire, a indiqué dans son courrier du 4 janvier 2021 que [J] [N] était en mesure de leur régler l’indemnité.
Ils ne sont pas plus fondés à invoquer le non respect des dispositions prévues par l’article L411-32 du code rural dès lors que le tribunal paritaire des baux ruraux a jugé, dans un jugement définitif, que le bail liant les parties était résilié et qu’aucune caducité du jugement ordonnant la libération des lieux n’est encourue.
Les époux [V] ne produisent par ailleurs aucun élément permettant de prouver que [J] [N] avait renoncé aux effets du jugement rendu par le tribunal paritaire des baux ruraux.
Il s’ensuit que le bail étant résilié, les époux [V] sont occupants sans droit ni titre de la parcelle cadastrée section ZH n°[Cadastre 7] au lieudit [Adresse 13] sur la commune d'[Localité 12] d’une contenance de 4 ha 64 a et 89 ca appartenant aux consorts [N]. Ces derniers subissent donc un trouble manifestement illicite qu’ils sont en droit de faire cesser.
C’est dès lors à bon droit que le premier juge a fait droit à leur demande d’expulsion. L’astreinte prononcée est nécessaire et n’apparaît nullement disproportionnée dans la mesure où les époux [V] ont bénéficié d’un délai de deux mois à compter de la signification de la décision pour faire cesser le trouble manifestement illicite qu’ils causent aux propriétaires de la parcelle illégalement occupée depuis plus d’un an au moment où le juge des référés a statué. L’ordonnance entreprise doit donc être confirmée en toutes ses dispositions.
Les époux [V] qui succombent doivent être condamnés solidairement aux dépens d’appel recouvrés selon les modalités prévues par l’article 699 du code de procédure civile et à verser aux consorts [N] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code précité, leur demande faite à ce titre étant nécessairement mal fondée.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort, dans les limites de l’appel,
Confirme l’ordonnance entreprise en ses dispositions soumises à la cour ;
Y ajoutant ;
Condamne solidairement les époux [V] à payer à MM. [L], [I] [N], [P] [N] et [E] [N] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne solidairement les époux [V] aux dépens d’appel recouvrés selon les modalités prévues par l’article 699 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE LE PRESIDENT