10 mai 2023
Cour d’appel de Bordeaux
RG n°
21/01357
COUR D’APPEL DE BORDEAUX
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 10 Mai 2023
N° RG 21/01357 – N° Portalis DBVJ-V-B7F-L7JR
Madame [M] [U]
c/
LA COMMUNE DE [Localité 7]
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 26 septembre 2019 (R.G. 15/00412) par le Tribunal de Grande Instance de LIBOURNE suivant déclaration d’appel du 05 mars 2021
APPELANTE :
Madame [M] [U], née le 10 Janvier 1975 à [Localité 6]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 2] / FRANCE
représentée par Maître Daniel RUMEAU de la SCP RUMEAU, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉ :
LA COMMUNE DE [Localité 7], représentée par son Maire en exercice et domicilié en cette qualité au siège sis, [Adresse 4]
représentée par Maître Pierre FONROUGE de la SELARL LEXAVOUE BORDEAUX, avocat au barreau de BORDEAUX et assistée par Maître Damien SIMON, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 8 mars 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Sophie MASSON, Conseiller chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,
Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller,
Madame Sophie MASSON, Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
EXPOSE DU LITIGE :
Par contrat locatif en la forme administrative en date du 18 mars 2011, la commune de [Localité 7] (Gironde) a loué à Madame [M] [U] des locaux commerciaux pour une durée d’un an à compter du 1er avril 2011, renouvelable par tacite reconduction, au prix mensuel de 100 euros, ce pour l’exploitation d’un commerce multiple rural.
Par courrier du 22 novembre 2011, Mme [U] a sollicité de sa bailleresse la transformation de ce contrat en bail commercial.
Le conseil municipal de [Localité 7] a, au cours de la séance tenue le 20 décembre 2011, souhaité « après seulement 9 mois d’activité, un délai supplémentaire pour examiner en détail les modalités de ce nouveau contrat ».
Par délibération du 13 janvier 2015, le conseil municipal a décidé de mettre fin à l’autorisation d’occupation du domaine public accordée à Mme [U], ce à effet au 1er avril 2015.
Par acte délivré le 19 mars 2015, Mme [U] a fait assigner la commune de [Localité 7] devant le tribunal de grande instance de Libourne aux fins d’obtenir la requalification du contrat locatif en la forme administrative en bail commercial et sa condamnation à paiement d’une indemnité d’éviction à hauteur de 132.000 euros.
Par décision du 2 novembre 2015, le juge de la mise en état a ordonné la transmission au tribunal administratif de Bordeaux d’une question préjudicielle relative à la qualification du domaine sur lequel est implanté le local litigieux.
Le tribunal administratif a, le 3 avril 2017, décidé que le local cadastré [Cadastre 3] et [Cadastre 1] ‘[Localité 5]’ appartenait au domaine privé de la commune de [Localité 7].
Par jugement prononcé le 26 septembre 2019, le tribunal de grande instance de Libourne a statué ainsi qu’il suit :
– déclare Madame [M] [U] irrecevable en sa demande de requalification du contrat locatif en la forme administrative du 18 mars 2011 en un bail commercial ;
– déboute Madame [M] [U] de sa demande tendant à constater l’existence d’un accord intervenu entre les parties pour l’établissement d’un bail commercial à effet du 1er septembre 2013 ;
– déboute Madame [M] [U] de sa demande relative au paiement d’une indemnité d’un montant de 132.000 euros ;
– condamne Madame [M] [U] à verser à la commune de [Localité 7] la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
– condamne Madame [M] [U] aux dépens de l’instance selon les modalités prévues à l’article 699 du code de procédure civile.
Mme [U] a relevé appel de cette décision par déclaration au greffe du 5 mars 2021.
***
Par dernières conclusions communiquées le 3 juin 2021 par voie électronique, Madame [M] [U] demande à la cour de :
– réformer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions,
A titre principal,
– juger que Mme [U] s’est trouvée dans l’impossibilité d’agir en vue de solliciter judiciairement la requalification du bail dans les délais légaux ;
– écarter le moyen de la prescription sur les fondements des articles 2234 et 2240 du code civil ;
– procéder à la requalification du contrat locatif en la forme administrative du 18 mars 2011 en un bail commercial ;
A titre subsidiaire,
– juger qu’un accord est intervenu entre les parties pour l’établissement d’un bail commercial à effet du 1er septembre 2013 ;
En toute hypothèse,
– juger que Mme [U] doit bénéficier du statut des baux commerciaux et que la commune de [Localité 7] n’était pas en droit de mettre fin à ce bail, sans versement de l’indemnité d’éviction ;
– condamner la commune de [Localité 7] à payer à Mme [U] une somme de 132.000 euros à titre d’indemnité d’éviction par application de l’article L. 145-14 du code de commerce ;
– la condamner en outre à une indemnité de 6.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
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Par dernières écritures communiquées le 3 septembre 2021 par voie électronique, la commune de [Localité 7] demande à la cour de :
Vu le code de commerce et notamment son article L. 145-60,
– déclarer Mme [U] mal fondée en son appel ;
– débouter Mme [U] de toutes ses demandes :
– déclarer Mme [U] prescrite et irrecevable en sa demande de requalification du contrat locatif en la forme administrative du 18 mars 2011 en un bail commercial ; à titre infiniment subsidiaire débouter Mme [U] de sa demande de requalification,
– débouter Mme [U] de sa demande consistant à constater l’existence d’un accord intervenu entre les parties pour l’établissement d’un bail commercial à effet du 1er septembre 2013,
– débouter Mme [U] de sa demande relative au paiement d’une indemnité d’un montant de 132.000 euros ;
En conséquence,
– confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 26 septembre 2019 par le tribunal de grande instance de Libourne ;
– condamner Mme [U] à verser la somme de 6.000 euros à la commune de [Localité 7] au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 22 février 2023.
Pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est, par application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
1. Sur la demande principale en requalification du contrat
1. L’article 2234 du code civil dispose :« La prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure.»
Selon l’article 2240 du même code, la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription.
2. Au visa de ces textes, Mme [U] fait grief au jugement déféré de l’avoir déclarée irrecevable en sa demande de requalification du contrat de location litigieux.
L’appelante fait valoir que la prescription n’a pas couru puisque la commune n’a cessé de lui assurer, pendant plusieurs années, qu’elle bénéficierait d’un bail commercial, de sorte qu’il n’y avait pas lieu de saisir le tribunal à cet effet.
Mme [U] ajoute que la prescription a été interrompue à plusieurs reprises par la reconnaissance expresse par la commune du droit de sa locataire à bénéficier d’un bail commercial ; elle précise que, au demeurant, la prescription commence à courir non à la conclusion du contrat mais au terme du contrat, date à compter de laquelle la locataire pouvait faire valoir ses droits.
L’intimée lui oppose les dispositions de l’article L.145-60 du code de commerce en vertu desquelles toutes les actions exercées en application du chapitre V (relatif au bail commercial) du titre IV du livre 1er du code de commerce se prescrivent par deux ans.
3. La cour observe que le ‘contrat locatif en la forme administrative’ objet du litige a été conclu le 18 mars 2011 et que ce bail a été consenti pour une durée d’un an renouvelable par tacite reconduction.
Or il est constant en droit que le point de départ de la prescription biennale applicable à la demande tendant à la requalification d’une convention en bail commercial court à compter de la date de la conclusion du contrat, peu important que celui-ci ait été renouvelé par tacite reconduction.
4. La cour observe également que Mme [U], qui en a la charge, ne rapporte pas la preuve de ce qu’elle était dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi ou de la convention, aucun élément tiré du contrat du 18 mars 2011 n’ayant contraint la locataire à retarder toute action judiciaire en requalification.
Mme [U] excipe du fait que la convention litigieuse comporte un article 9 qui stipule : « L’évolution de ce contrat locatif en la forme administrative pourrait être envisagée, dans un souci de pérenniser l’activité, vers un bail commercial avec un loyer réévalué et après que le conseil municipal en a délibéré favorablement.»
Toutefois, aucun terme de cet article 9 n’entraîne impossibilité d’agir en justice au sens de l’article 2234 du code civil.
5. La cour observe enfin que Mme [U] ne met pas en évidence d’élément d’extériorité, d’imprévisibilité et d’irrésistibilité susceptible de caractériser la force majeure ayant constitué un empêchement la plaçant dans l’impossibilité d’agir en requalification de son contrat.
L’appelante évoque à ce titre les promesses, qui lui auraient été régulièrement renouvelées, de transformer très prochainement le contrat litigieux en bail commercial ; elle explique qu’il était donc inenvisageable qu’elle saisisse le tribunal et entre ainsi en voie contentieuse alors que les négociations étaient en cours.
Néanmoins, d’éventuelles discussions avec la commune de [Localité 7] ne peuvent être qualifiées de circonstances extérieures, imprévisibles et irrésistibles interdisant à Mme [U] de faire consacrer en justice le droit, dont elle s’estimait bénéficiaire, au statut de locataire commercial.
La cour, retenant que le contrat litigieux a été conclu le 18 mars 2011 et que la locataire a fait assigner la bailleresse le 19 mars 2015 devant le tribunal de grande instance de Libourne, confirmera donc le jugement déféré en ce qu’il a fait droit à la fin de non recevoir opposée à Mme [U] par la commune de [Localité 7], l’action en requalification étant prescrite.
2. Sur la demande subsidiaire en reconnaissance d’un accord à effet au 1er septembre 2013
6. En ce qui concerne la demande subsidiaire de Mme [U], tendant à la consécration d’un accord intervenu entre les parties pour l’établissement d’un bail commercial à effet au 1er septembre 2013, c’est par des motifs pertinents, qui ne sont pas remis en cause par les débats en appel et que la cour adopte, que le premier juge, après avoir rappelé que l’article L.2121-29 du code général des collectivités territoriales attribuait au conseil municipal la charge des décisions (la cour rappelant de son côté qu’il appartient au maire de les exécuter en application de l’article L.2122-21 du même code), a retenu qu’il n’était pas rapporté la preuve de l’existence d’une délibération du conseil municipal autorisant le maire de [Localité 7] à signer un bail commercial et que le conseil municipal avait seulement confié au maire la mission de poursuivre les négociations avec Mme [U], ainsi qu’il résulte des extraits des délibérations du conseil municipal.
La cour ajoute qu’il est produit aux débats un projet de bail commercial qui n’est signé par aucune partie et qui a fait l’objet d’une modification puisqu’un deuxième projet est versé par l’appelante, lequel comporte des inscriptions en marge et n’est pas davantage signé.
Au demeurant, il faut insister sur le fait que le cadre juridique contraignant qui délimite les pouvoirs de la collectivité territoriale cocontractante de Mme [U] ne permettait pas la conclusion de l’accord dont se prévaut l’appelante.
7. Le jugement déféré sera dès lors confirmé de ce chef, ainsi qu’en ce qu’il a, par voie de conséquence, rejeté la demande en paiement d’une indemnité d’éviction, puisque Mme [U] n’était pas titulaire d’un bail commercial.
Le jugement du 26 septembre 2019 sera également confirmé en ses chefs dispositifs relatifs aux frais irrépétibles des parties et à la charge des dépens.
Y ajoutant, la cour condamnera Mme [U] à payer les dépens de l’appel et à verser à la commune de [Localité 7] la somme de 2.500 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Confirme le jugement prononcé le 26 septembre 2019 par le tribunal de grande instance de Libourne.
Y ajoutant,
Condamne Madame [M] [U] à payer à la commune de [Localité 7] la somme de 2.500 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Condamne Madame [M] [U] à payer les dépens de l’appel.
Le présent arrêt a été signé par M. Franco, président, et par M. Goudot, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.