10 février 2023
Cour d’appel de Pau
RG n°
22/00838
MM/ND
Numéro 23/546
COUR D’APPEL DE PAU
2ème CH – Section 1
ARRET DU 10/02/2023
Dossier : N° RG 22/00838 – N° Portalis DBVV-V-B7G-IE7F
Nature affaire :
Demande d’exécution de travaux à la charge du bailleur, ou demande en garantie contre le bailleur
Affaire :
S.A.S. SOCIETE D’EXPLOITATION DE L’HOTEL DES BASSES PYREN EES
C/
S.C.I. PASSEMILLON
Grosse délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R E T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 10 février 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l’audience publique tenue le 29 Novembre 2022, devant :
Monsieur Marc MAGNON, magistrat chargé du rapport,
assisté de Madame SAYOUS, Greffière présente à l’appel des causes,
Marc MAGNON, en application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d’opposition a tenu l’audience pour entendre les plaidoiries, en présence de Jeanne PELLEFIGUES et en a rendu compte à la Cour composée de :
Madame Jeanne PELLEFIGUES, Présidente
Monsieur Marc MAGNON, Conseiller
Madame Joëlle GUIROY, Conseiller
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l’affaire opposant :
APPELANTE :
S.A.S. SOCIETE D’EXPLOITATION DE L’HOTEL DES BASSES PYRENEES
immatriculée au RCS de Bayonne sous le n° 791 101 983, représentée par Madame [P] [O], agissant en sa qualité de Président
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Olivia MARIOL de la SCP LONGIN/MARIOL, avocat au barreau de PAU
Assistée de Me François HOURCADE, avocat au barreau de BAYONNE
INTIMEE :
S.C. PASSEMILLON
immatriculée au RCS de Dax sous le n° 480 173 152, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentée par Me Davy LABARTHETTE de la SELARL PICOT VIELLE & ASSOCIÉS, avocat au barreau de BAYONNE
sur appel de la décision
en date du 15 MARS 2022
rendue par le PRESIDENT DU TJ DE BAYONNE
FAITS ET PROCEDURE :
La société civile immobilière (SCl) Passemillon est propriétaire d’un immeuble sis [Adresse 1] (64) abritant des locaux commerciaux à usage de café, bar brasserie, restaurant pizzeria.
L’immeuble a fait l’objet de travaux de rénovation en 2007-2008.
Par acte en date du 30 mai 2013, la SARL Le Pourkoi Pas, nouvel exploitant est venue aux droits de la SARL Spo Fid Back, précédent preneur, en vertu d’un bail commercial signé le 1er juillet 2008.
Par ordonnance de référé du 14 novembre 2017 et à la demande de la société Le Pourkoi Pas, le président du tribunal de grande instance de Bayonne a ordonné une expertise sur les désordres affectant les locaux commerciaux, à la suite du constat d’infiltrations d’eaux usées par refoulement notamment au moment des fêtes de Bayonne.
M [V] [G], expert, a déposé un rapport analysant la cause des désordres et préconisant les travaux à entreprendre.
La société Pourkoi Pas a été placée en liquidation judiciaire par jugement du 3 juin 2019 et, par acte du 14 février 2020, Maître [Z], agissant en qualité de liquidateur de la SARL Le Pourkoi Pas a cédé à la société SAS société d’exploitation de l’hôtel des Basses Pyrénées le fonds de commerce de la société en liquidation pour la somme de 30 000,00 euros comprenant les éléments corporels (5000,00 euros), les éléments incorporels (5000,00 euros ) et la licence IV (20 000,00 euros).
La société SAS société d’exploitation de l’Hôtel des Basses Pyrénées a sollicité par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 20 avril 2020 le renouvellement du bail qui lui a été refusé par la SCI Passemillon le 17 juillet 2020, laquelle lui a proposé en retour une indemnité d’éviction.
Par courrier avec accusé de réception en date du 24 octobre 2021, le preneur a demandé à la SCI Passemillon d’engager des travaux de remise en état des lieux pour qu’ils puissent être exploités, sans qu’aucune réponse ne lui soit apportée.
Par acte d’huissier en date du 27 décembre 2021, la SAS Société d’Exploitation de l’Hôtel des Basses Pyrénées a fait assigner son bailleur devant le Président du Tribunal Judiciaire de Bayonne statuant en référé, au visa de l’article 834 du code de procédure civile, et des articles 1719 et 1720 du code civil.
Elle a demandé au juge des référés de :
‘ débouter la SCI Passemillon de l’ensemble de ses demandes, ‘ns et moyens et conclusions.
‘ condamner la SCI Passemillon à effectuer les travaux tels que préconisés par l’expert judiciaire dans le cadre de son rapport du 22 novembre 2021.
‘ ordonner que la mise en place de ces travaux donne lieu à une astreinte de 1.000€ par jour de retard à compter du mois qui suivra la signi’cation de l’ordonnance à intervenir, pour une durée de 3 mois avec possibilité pour le juge des référés d’augmenter ce montant si les travaux n’étaient pas engagés ou-réalises dans le délai de trois mois qui suivra l’expiration du délai d’un mois suivant la noti’cation de la décision à intervenir
‘ condamner la SCI PasseMillon à lui payer la somme de 5.000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Le tout en raison de l’existence d’un trouble manifestement illicite et de l’impossibilité d’exploiter le local.
En réponse, la SCI PasseMillon a demandé au juge des référés de :
‘ se déclarer incompétent au profit de la Juridiction du fond.
‘ débouter la SAS Société d’Exploitation de l’Hôtel des Basses Pyrénées de l’ensemble de ses demandes, moyens, fins st prétentions.
‘ condamner la SAS Société d’Exploitation de l’Hôtel des Basses Pyrénées à lui verser la somme de 5.000 € sur te fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
‘ condamner la SAS Société d’Exploitation de l’Hôtel des Basses Pyrénées aux entiers dépens.
Le bailleur a notamment fait valoir que le nouveau preneur a fait l’acquisition d’un droit au bail pour un local qu’il savait inexploitable pour une longue période et pour lequel une expertise judiciaire était en cours, alors que le financement de l’exécution des travaux dépend de l’issue de la procédure judiciaire en cours au fond, le preneur n’ayant jamais exploité le local et ne le pourra pas à l’avenir compte-tenu du refus du renouvellement du bail.
Par ordonnance du 15 mars 2022, le juge des référés a :
Débouté la S.A.S. Société d’Exploitation de l’Hôtel des Basses Pyrénées de l’intégralité de ses demandes.
Condamné la.S.A.S. Société d’Exploitation de L’ Hôtel des Basses Pyrénées à verser à la SCI PasseMillon la somme de 1.500€ en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Condamné la S.A.S. Société d’Exploitation de l’Hôtel des Basses Pyrénées aux entiers dépens.
Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Par déclaration en date du du 23 mars 2022, la société d’exploitation de l’hôtel des Basses Pyrénées a relevé appel de cette ordonnance.
L’affaire a été fixée à bref délai. L’ordonnance de clôture est du 12 octobre 2022 pour l’audience du 29 novembre 2022.
Au-delà de ce qui sera repris pour les besoins de la discussion et faisant application en l’espèce des dispositions de l’article 455 du Code de procédure civile, la cour entend se référer pour l’exposé plus ample des moyens et prétentions des parties aux dernières de leurs écritures visées ci-dessous.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
Vu les conclusions du 10 octobre 2022 de la société d’exploitation de l’hôtel des Basses Pyrénées, qui demande de :
Vu l’article 834 du code de procédure civile,
Vu l’article 835 du code de procédure civile,
Vu les articles 1719 et 1720 du code civil,
Vu le rapport d’expertise de Monsieur [G] en date du 22 novembre 2021,
Vu l’urgence, l’absence de contestation sérieuse,
Vu le trouble manifestement illicite,
Confirmer le rejet de l’exception d’incompétence soutenue par la société civile immobilière Passemillon verbalement à l’audience de référé du 1er mars 2022,
Infirmer l’ordonnance en ce qu’elle n’a pas fait droit à la demande de la société Hôtel des Basses Pyrénées,
Infirmer l’ordonnance en ce qu’elle a condamné la société d’exploitation de l’hôtel des Basses Pyrénées à la société Passemillon la somme de 1500,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens,
En conséquence :
Condamner la société Civile Immobilière Passemillon à effectuer les travaux de remise en état permettant l’exploitation du fonds tels que préconisés par Monsieur l’expert judiciaire dans le cadre de son rapport du 22 novembre 2021 déposé au greffe du tribunal judiciaire de Bayonne,
Ordonner que la mise en place des travaux donne lieu à une astreinte de 1000,00 euros par jour de retard à compter du mois qui suivra la signification de l’ordonnance à intervenir,
Dire que cette astreinte journalière sera prononcée pour une durée de 3 mois avec possibilité pour le juge des référés d’augmenter ce montant si les travaux n’étaient pas engagés et ou réalisés dans le délai de 3 mois qui suivra l’expiration du délai d’un mois suivant la notification de la décision à intervenir.
Condamner la société Civile Immobilière Passemillon à payer à la société d’exploitation de l’Hôtel des Basses Pyrénées la somme de 5000,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
*
Vu les conclusions du 11 octobre 2022 de la société PasseMillon qui demande de :
Vu les articles 834 et 835 du Code de procédure civile,
Vu les articles 1719 et suivants du Code civil,
Vu les articles L 145-28 et suivants du Code de commerce,
Vu la jurisprudence constante et l’ensemble des pièces versées aux débats,
Rejetant toutes conclusions contraires comme injustes et en tout cas mal fondées,
Confirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance rendue par le Juge des Référés le 15 mars 2022.
En conséquence :
Débouter la SAS société d’exploitation de l’hôtel Des Basses Pyrénées de l’ensemble de ses demandes, moyens, fins et prétentions.
Condamner la SAS société d’exploitation de l’hôtel des Basses Pyrénées à verser à la SCI Passemillon la somme complémentaire de 5.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile en cause d’appel.
Condamner la SAS Société d’Exploitation de l’hôtel des Basses Pyrénées aux entiers dépens de première instance et d’appel.
MOTIVATION :
En droit, par l’effet dévolutif de l’appel concernant l’ordonnance de référé attaquée, la cour statue avec les pouvoirs du juge des référés.
En application de l’article 834 du code de procédure civile, « Dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal judiciaire peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend ».
Aux termes de 1’article 835 du même code, il peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Dans les cas où l’existence de l’ob1igation n’est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’ob1igation même s’il s’agit d’une obligation de faire.
Sur la confirmation de l’ordonnance sur le rejet de l’exception d’incompétence soulevée en première instance par la SCI Passemillon :
Lors de l’audience devant le juge des référés, la SCI Passemillon a soulevé l’incompétence du juge des référés au profit du juge du fond, motifs pris qu’il n’y avait pas d’urgence à statuer et qu’il existait une contestation sérieuse.
Or, le moyen tiré de l’existence d’une contestation sérieuse ou celui tiré de l’absence d’ urgence justifiant la saisine du juge des référés ne constitue pas une exception d’incompétence mais un moyen de nature à faire obstacle aux pouvoirs du juge des référés. C’est donc à juste titre que le juge des référés, après avoir constaté que l’instance au fond en cours n’opposait pas les mêmes parties, a rejeté l’exception d’incompétence soulevée.
Sur l’infirmation de l’ordonnance quant au rejet de la demande d’exécution des travaux sous astreinte :
La société d’exploitation de l’hôtel des Basses Pyrénées soutient, à l’appui de sa demande d’infirmation de la décision entreprise, que :
‘ le bailleur, en application de l’article 1719 du code civil, est tenu à une obligation de délivrance de lieux exploitables conformément à leur destination contractuelle, lors de la remise des lieux mais également pendant toute la durée du bail ;
‘ le trouble manifestement illicite ne peut être exclu, au motif que le cessionnaire connaissait l’état des locaux avant de se porter acquéreur du fonds de commerce et l’impossibilité de les exploiter, compte tenu de l’expertise et du litige en cours sur les non conformités et désordres affectant le réseau d’évacuation des eaux usées et des eaux vannes de l’immeuble ;
‘ cette obligation perdure pendant la période de maintien dans les lieux après un refus de renouvellement avec offre de paiement d’une indemnité d’éviction, tel que c’est le cas en l’espèce, de sorte que le bailleur est tenu, jusqu’au paiement de l’indemnité d’éviction convenue ou judiciairement fixée, de faire exécuter les travaux qui lui incombent, pour permettre l’exploitation des locaux conformément à leur destination contractuelle, et ce au-delà de la date d’effet du congé avec refus de renouvellement, ce qui s’infère des dispositions de l’article L. 145-28 du code de commerce ;
‘ le propriétaire ne peut s’exonérer, même par une clause expresse du bail, de procéder aux travaux rendus nécessaires par les vices affectant la structure de l’immeuble ;
‘ le bailleur avait connaissance, dès 2011, de la réalité des désordres et causes de ceux-ci dont il s’est abstenu de mettre en place les mesures réparatoires qui auraient permis au précédent exploitant et au concluant, à sa suite, de bénéficier d’un local exploitable ;
‘ au visa des articles 834 et 835 du code civil, il existe ainsi une urgence liée à la mise en place des travaux permettant l’exploitation du fonds jusqu’au paiement de l’indemnité d’éviction, à un trouble manifestement illicite, aux mesures conservatoires et de remise en état qui s’imposaient pour faire cesser ce trouble.
La SCI Passemillon réfute l’existence d’une situation d’urgence et d’un trouble manifestement illicite, aux motifs que :
‘ la société appelante a fait l’acquisition d’un droit au bail pour un local qu’elle savait inexploitable pour une longue période, indéterminée de surcroît puisque l’expertise se poursuivait alors que la procédure en indemnisation permettant la réalisation des travaux en était au stade du sursis à statuer et se trouve toujours en cours ;
‘ elle n’a jamais exploité ce local et ne le pourra jamais compte tenu du refus de renouvellement du bail ;
‘ à la date de l’assignation en référé, elle n’avait plus la qualité de preneuse pour solliciter la réalisation de travaux sous astreinte, compte tenu du congé avec refus de renouvellement signifié antérieurement ;
‘ les articles 1719 et suivants du code civil ne sont pas applicables après l’expiration du bail résultant du congé avec refus de renouvellement ;
‘ ayant acquis en connaissance de cause le droit au bail d’un local inexploitable dans l’attente de travaux eux même dépendant de l’issue d’une instance au fond engagée par la SCI Passemillon, la société d’exploitation de l’hôtel des basses Pyrénées ne peut se prévaloir d’une situation d’urgence ni d’un trouble manifestement illicite ;
‘ le dépôt du rapport d’expertise ne signifie pas qu’il n’existe plus aucun doute sur les causes des désordres et les moyens à mettre en ‘uvre pour y remédier, de sorte que la SCI Passemillon ne saurait être condamnée à exécuter, sous astreinte, des travaux dont la nature même et l’efficacité sont encore en débat.
Sur ce :
L’article 1719 du code civil énonce que le bailleur est tenu d’assurer l’obligation de délivrance (alinéa 1er), l’obligation d’entretien de la chose louée en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée (alinéa 2) et l’obligation d’assurer au preneur une jouissance paisible de la chose louée pendant la durée du bail (alinéa 3).
L’article 1720 du même code définit la notion de délivrance en précisant qu’elle se caractérise par la mise à disposition de la chose louée ‘en bon état de réparation de toute espèce’ (alinéa 1er ) et définit l’obligation d’entretien en posant le principe selon lequel le bailleur doit faire dans les locaux loués ‘ pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que les locatives’.
L’article 1754 du même code opère une répartition entre les grosses réparations qui sont supportées par le bailleur et les réparations locatives et de menu entretien laissées à la charge du preneur.
L’article 606 du même code précise que les grosses réparations ‘ sont celles des gros murs et des voûtes, le rétablissement des poutres et des couvertures entières. Celui des digues et des murs de soutènement et de clôture aussi en entier. Toutes autres réparations sont d’entretien’.
L’article 1755 du même code limite la répartition des travaux puisqu’aucune des réparations réputées locatives n’est à la charge du preneur quand elles ne sont occasionnées que par la vétusté ou force majeure.
Ces règles de répartition présentent un caractère supplétif et peuvent en principe être écartées par des clauses contraires. Ces clauses doivent être précises et prévues expressément dans le bail. Ces clauses sont d’interprétation stricte (Civ. 3 ème , 29 septembre 2010, n° 09-69.337) et ne peuvent exonérer le bailleur de toute obligation de délivrance (3e Civ., 5 juin 2002, Bull. civ. I, n° 123). La seule obligation du bailleur à laquelle les parties ne peuvent déroger est en effet celle de délivrance conforme, qui s’analyse en la mise à disposition du locataire afin que ce dernier puisse jouir de la chose selon la destination convenue au bail (cassation 3ème Civ., 19 décembre 2012, pourvoi n° 11-28.170).
Ainsi, en ce qui concerne les vices affectant la structure de l’immeuble, ‘ si le bailleur peut mettre à la charge du preneur, par une clause expresse du bail, les travaux rendus nécessaires par la vétusté, il ne peut, en raison de l’obligation de délivrance à laquelle il est tenu, s’exonérer de l’obligation de procéder aux réparations rendues nécessaires par les vices affectant la structure de l’immeuble’ (3e Civ., 9 juillet 2008, Bull n°121 ; 3e Civ., 2 juillet 2013, n°11-28.496).
Il ressort par ailleurs de l’article L. 145-28 du code de commerce qu’aucun locataire pouvant prétendre à une indemnité d’éviction ne peut être obligé de quitter les lieux avant de l’avoir reçue. Jusqu’au paiement de cette indemnité, il a le droit au maintien dans les lieux, aux conditions et clauses du contrat de bail expiré.
Il a été jugé, au visa de ces dispositions , que durant la période de maintien dans les lieux, le bailleur est tenu de faire effectuer non seulement les réparations d’entretien, mais également les grosses réparations (cassation civile 3ème 24 mars 1993 pourvoi n° 91-16 507).
La SAS Société d’Exploitation de l’Hôtel des Basses Pyrénées, en tant que cessionnaire du droit au bail, nouveau locataire, a ainsi qualité pour demander l’exécution par le bailleur des travaux qui lui incombent, nécessaires au maintien ou au rétablissement des locaux loués en l’état d’être exploités conformément à leur destination, y compris après le congé avec refus de renouvellement délivré, tant que l’indemnité d’éviction n’a pas été payée.
Or, l’indemnité offerte par le bailleur a été refusée par le locataire qui a saisi le tribunal judiciaire d’une action en paiement de l’indemnité d’éviction.
Au demeurant, la cour n’est saisie d’aucune fin de non-recevoir formulée par la SCI Passemillon, dans le dispositif de ses conclusions, conformément aux dispositions de l’article 954 du code de procédure civile.
En l’espèce, la société appelante invoque une situation d’urgence, alors que dans le même temps elle fait état d’un trouble manifestement illicite, lequel, en application de l’article 835 précité, n’exige pas de constater l’urgence.
Les locaux étant inexploités depuis plusieurs années et la société cessionnaire du droit au bail ne les ayant jamais exploités, après avoir acquis le fonds de commerce de la société Le Pourkoi Pas, la situation d’urgence n’est pas caractérisée du seul fait de l’impossibilité d’exploiter les lieux loués, alors que le paiement du loyer est suspendu.
L’urgence ne résulte pas non plus du dépôt de son rapport par l’expert judiciaire alors que la cause des désordres et la nature des travaux préconisés pour y remédier sont l’objet d’avis divergents de la part des consultants mandatés par les parties aux opérations d’expertise et qu’aucune décision n’a été rendue par le juge du fond saisi de l’action contre les constructeurs, de nature à valider les conclusions de l’expert.
Sur l’existence d’un trouble manifestement illicite, il n’est pas contesté que le locataire subit un trouble puisqu’il ne peut exploiter les locaux sur lesquels porte le droit au bail dont il a fait l’acquisition avec le fonds cédé . Ce trouble résulte de la non conformité et des désordres affectant le réseau d’évacuation des eaux usées et eaux vannes de l’immeuble, réalisé lors de la rénovation de 2007-2008 et repris en 2016.
Selon le rapport de l’expert judiciaire [G], qui n’est pas contesté sur ce point, ces désordres rendent les locaux impropres à leur destination et affectent la solidité d’un équipement indissociable du corps de l’ouvrage.
Ainsi, les travaux préconisés par l’expert pour y remédier, de par leur objet et leur ampleur, sont des grosses réparations incombant au bailleur, dans ses rapports avec le preneur.
Cependant, l’acquisition du fonds de commerce s’est faite sous les réserves suivantes, figurant en page 3 de l’acte passé le 14 février 2020 :
« le cessionnaire reconnaît avoir pris connaissance de l’ensemble des documents ci-après annexés liés à l’impossibilité d’exploiter le fonds de commerce cédé, et notamment avoir pris connaissance des dommages subis par l’immeuble, des procédures judiciaires en cours, des notes expertales rendues dans le cadre de celles-ci, ainsi que des procès-verbaux de constat d’huissier établis.
Ainsi le cessionnaire se déclare parfaitement informé et déclare faire son affaire personnelle de la remise en état de l’immeuble afin de permettre une exploitation du fonds de commerce . »
Or, interrogé le 27 janvier 2020, par le mandataire liquidateur de la société le Pourkoi Pas sur la position du bailleur relativement à l’agrément préalable de l’acquéreur du fonds de commerce de la société en liquidation, la SCI Passemillon avait indiqué ne pouvoir agréer la société d’exploitation de l’Hôtel des Basses Pyrénées, avant d’avoir reçu confirmation expresse, de sa part comme du mandataire liquidateur, de ce qu’elle acquiert ce fonds de commerce en ayant pleine et entière conscience « de la situation actuelle », ajoutant :
« il est effectivement hors de question que le bailleur ait un jour à engager sa responsabilité à l’égard de l’acquéreur du fonds, au prétexte d’une absence d’information ».
La SCI Passemillon demandait en conséquence au liquidateur judiciaire « de bien vouloir lui confirmer expressément, et l’acquéreur du fonds également, de ce qu’il procède à l’acquisition en sachant parfaitement :
– que les locaux, et donc le fonds de commerce ; ne sont actuellement pas exploitables,
– que compte-tenu des opérations d’expertise en cours, il n’existe aucune certitude quant à la date à laquelle le rapport d’expertise sera finalement déposé et les travaux, finalement exécutés compte tenu du contentieux indemnitaire qui suivra logiquement la phase d’expertise, à l’encontre des entrepreneurs et autres responsables des désordres structurels découverts par l’expert judiciaire,
– que compte tenu de la nature des désordres structurels découverts par l’expert judiciaire , des interrogations existent toujours s’agissant des solutions réparatoires et de la destination même du local loué,
– que pour de plus amples détails, ils peuvent se rapprocher de leur avocat qui dispose de l’intégralité des notes expertales diffusées jusqu’ici ainsi que de la totalité des dires à expert diffusés, avec l’ensemble des pièces à l’appui ».
Le bailleur ajoutait, « à défaut de retour exprès de votre part comme de celle des acquéreurs, confirmant leur pleine et entière conscience de cette situation, je ne pourrai que refuser d’agréer la société d’exploitation de l’hôtel des basses Pyrénées en qualité d’acquéreur. »
La société cessionnaire a bien eu connaissance des conditions posées par le bailleur et lui a répondu, par courrier du 11 février 2020, que dans le projet d’acte de cession du fonds de commerce figurait une clause rappelant expressément la procédure judiciaire en cours, « la lecture d’une note expertale nous ayant d’ailleurs renseignés à ce sujet ainsi que dans les procès verbaux de constat d’huissier ‘ »
Au regard des réserves notifiée par le bailleur, sur la date à laquelle les travaux de reprise des désordres structurels découverts par l’expert judiciaire seraient exécutés, compte tenu des actions indemnitaires prévisibles contre les entrepreneurs et autres responsables, réserves qui conditionnaient l’agrément du cessionnaire, il apparaît que le trouble invoqué par la Société d’Exploitation de l’Hôtel des Basses Pyrénées, résultant de l’inexécution par le bailleur des travaux préconisés par l’expert judiciaire, indépendamment de ses recours en garantie contre les constructeurs, n’est pas manifestement illicite.
L’ordonnance de référé est ainsi confirmée en ce qu’elle a débouté la SAS Société d’ Exploitation de l’ Hôtel des Basses Pyrénées de ses demandes, également sur les dépens de première instance et l’application de l’article 700 du code de procédure civile.
La SAS Société d’Exploitation de l’Hôtel des Basses Pyrénées qui succombe supportera la charge des dépens d’appel.
Au regard des circonstances de la cause et de la position des parties, l’équité justifie de condamner la même à payer à la société SCI Passemillon une somme de 1500,00 euros au titre des frais non compris dans les dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS :
la cour, statuant par arrêt mis à disposition au greffe contradictoirement et en dernier ressort,
Confirme l’ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal judiciaire de Bayonne le 15 mars 2022,
Y ajoutant,
Condamne la SAS Société d’Exploitation de l’Hôtel des Basses Pyrénées aux dépens d’appel,
Vu l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SAS Société d’ Exploitation de l’Hôtel des Basses Pyrénées à payer à la SCI Passemillon une somme de 1500,00 euros au titre des frais non compris dans les dépens d’appel.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Marc MAGNON conseiller, suite à l’empêchement de Madame Jeanne PELLEFIGUES, Présidente, et par Madame Nathalène DENIS, greffière suivant les dispositions de l’article 456 du Code de Procédure Civile.
La Greffière Le Président