Indemnité d’éviction : 1 juin 2023 Cour d’appel de Grenoble RG n° 19/03942

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Indemnité d’éviction : 1 juin 2023 Cour d’appel de Grenoble RG n° 19/03942
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1 juin 2023
Cour d’appel de Grenoble
RG n°
19/03942

N° RG 19/03942 – N° Portalis DBVM-V-B7D-KFS5

C1

Minute N°

Copie exécutoire

délivrée le :

la SCP LACHAT MOURONVALLE

Me Nathalie MOREL

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE COMMERCIALE

ARRÊT DU JEUDI 01 JUIN 2023

Appel d’un jugement (N° RG 14/03163)

rendu par le Tribunal de Grande Instance de GRENOBLE

en date du 08 avril 2019

suivant déclaration d’appel du 01 octobre 2019

APPELANTE :

SAS [Z] [T] prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège.

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée et plaidant par Me MOURONVALLE de la SCP LACHAT MOURONVALLE, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIMÉE :

Commune [Localité 2] prise en la personne de son Maire en exercice domicilié à [Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentée par Me Nathalie MOREL, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant et plaidant par Me MERGUY, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Madame Marie-Pierre FIGUET, Présidente,

Mme Marie-Pascale BLANCHARD, Conseillère,

M. Lionel BRUNO, Conseiller,

Assistés lors des débats de Alice RICHET, Greffière,

DÉBATS :

A l’audience publique du 25 janvier 2023, Mme BLANCHARD, conseillère, a été entendue en son rapport,

Les avocats ont été entendus en leurs conclusions et plaidoiries,

Puis l’affaire a été mise en délibéré pour que l’arrêt soit rendu ce jour, après prorogation du délibéré.

EXPOSE DU LITIGE :

La Sas [Z] [T] (société [T]) est propriétaire d’un fonds de commerce de vente et réparation d’automobile qu’elle exploite dans des locaux situés [Adresse 1] [Localité 2], dont elle est devenue locataire par bail commercial du 9 décembre 1994.

Le 15 décembre 2010, la commune de [Localité 2] est devenue propriétaire de ce tènement immobilier.

Par acte d’huissier du 27 juin 2012, elle a fait signifier à sa locataire un congé avec refus de renouvellement et offre d’indemnité d’éviction, à effet du 31 décembre suivant.

Sur l’assignation de la société [Z] [T] et par jugement du 5 septembre 2016, le tribunal de grande instance de Grenoble a ordonné une expertise aux fins d’évaluation de l’indemnité d’éviction.

Le rapport a été déposé le 14 décembre 2017.

Par jugement du 8 avril 2019, le tribunal de grande instance de Grenoble a :

– rappelé que l’indemnité d’occupation, due à compter du 1er janvier 2013 jusqu’à la libération effective des lieux par le locataire, est fixée à la somme annuelle en principal de 33.600 euros hors charges,

– rappelé que par l’effet du congé comportant refus de renouvellement signifié le 27 juin 2012, le bail a pris fin le 31 décembre 2012,

– dit que l’éviction entraîne la perte du fonds exploité par la société [Z] [T] dans les locaux appartenant à la commune de [Localité 2] situés [Adresse 1],

– fixé à la somme de 136.920 euros le montant de l’indemnité d’éviction toutes causes confondues due par la commune de [Localité 2] à la société [Z] [T],

– rejeté la demande de la société [Z] [T] au titre de :

. l’indemnité de carrière de M. [T],

. les frais de réinstallation,

. le trouble commercial,

. la perte de chiffre d’affaire «garantie véhicules d’occasion»,

. les travaux non amortis,

– dit la demande au titre de la restitution du dépôt de garantie prématurée,

– débouté la société [Z] [T] de sa demande tendant à faire courir les intérêts légaux sur l’indemnité d’éviction à compter de la date d’assignation,

– condamné la commune de [Localité 2] à payer à la société [Z] [T] la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Suivant déclaration au greffe du 1er octobre 2019, la société [Z] [T] a relevé appel de cette décision, qui lui a été signifiée le 2 septembre 2019, en toutes ses dispositions, ainsi qu’elle les a énumérées dans son acte d’appel.

Prétentions et moyens de la société [Z] [T]:

Au terme de ses dernières écritures notifiées le 19 mai 2020, la société [Z] [T] demande à la cour de :

– réformer le jugement rendu le 8 avril 2019,

– fixer le montant de l’indemnité d’éviction due à la SAS Garage [T] Jean Marc à la somme de 619.492 euros comprenant l’indemnité d’éviction et les frais accessoires en réparation du préjudice,

– dire que le montant des frais accessoires sera indexé sur l’indice BTO1 du bâtiment jusqu’à la date du règlement,

– condamner la commune de [Localité 2] au paiement desdites sommes,

– dire et juger que l’indemnité allouée produira intérêt au taux légal à compter de la date de l’assignation,

– ordonner la capitalisation,

– subsidiairement,

– évaluer la valeur du fonds de commerce à la date de l’arrêt à intervenir,

– dire et juger que le préjudice doit être déterminé à la date la plus proche de l’éviction,

– avant-dire droit, ordonner la désignation de tel expert judiciaire qui lui plaira avec pour mission de déterminer la valeur marchande suivant les usages de la profession augmentée des frais normaux de déménagement et de réinstallation, des frais de droit de mutation, de la réparation du trouble commercial et ce à une date la plus proche possible de l’éviction,

– en tout état de cause,

– confirmer le jugement en ce qu’il a rappelé le jugement du 11 avril 2016 sur le montant de l’indemnité d’occupation à compter du 14 février 2013 de 33.600 euros annuels hors charges et non assujettis à la TVA,

– ordonner la restitution des trop-perçus par la commune,

– condamner la commune [Localité 2] au paiement d’une somme de 6.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance, dont distraction au profit de la SCP Lachat – Mouronvalle sur son affirmation de droit.

La société [Z] [T] fait valoir que l’expert a constaté l’absence de local équivalent à louer permettant le transfert de son fonds de commerce, que son implantation géographique très favorable ne pourra être retrouvée, que son contrat de réparateur agréé par la marque Citroën, qui en constitue un élément essentiel, ne lui permet pas de modifier sans autorisation son lieu d’implantation, qu’en conséquence, l’éviction entraîne la perte de son fonds de commerce.

Elle soutient que son indemnité doit être évaluée à la date la plus proche de son départ c’est à dire à la date à laquelle le juge statue, qu’il y a lieu de tenir compte d’une valeur de 60% de la moyenne de ses trois derniers chiffres d’affaire sur les exercices 2017 à 2019 et qu’à défaut, il y a lieu de demander à l’expert une actualisation de son rapport.

Elle conteste les références et méthodes de calcul utilisées par l’expert aux motifs que :

– la méthode par comparaison ne tient pas compte de son activité de gardiennage de véhicules sous scellés judiciaires alors qu’il s’agit d’une activité constante et en augmentation,

– la méthode de l’EBE suppose de réimputer les salaires de M et Mme [T],

– son activité située dans l’agglomération grenobloise ne peut être comparée à celles exercées en nord Isère ou en limite de la Savoie et hors agglomération,

– il est tenu compte de cessions du fond de commerce dont l’exploitation ne correspond pas à la typologie de ses activités.

Contrairement à la position de la commune, elle considère que son activité de gardiennage est accessoire à son activité principale de vente-réparation et non autonome.

Concernant les indemnités accessoires, la société [T] revendique :

– une indemnité de déménagement sur la base des devis qu’elle fournit,

– une indemnité de réinstallation au motif qu’elle devra reprendre une nouvelle activité et engager des frais d’acquisition et de réinstallation,

– une indemnité de remploi ou de frais de mutation de 10% de la valeur du fonds au titre des frais d’acquisition de nouveaux locaux et de l’intervention d’un conseil pour la rédaction d’un nouveau bail,

– une indemnité pour trouble commercial correspondant à trois mois de l’excédent brut d’exploitation du dernier exercice, en compensation de la perte de gains pendant le temps nécessaire à sa réinstallation,

– des indemnités de licenciement du personnel et de préjudice de carrière pour M.[T],

– une indemnité couvrant la perte du dépôt de garantie et le coût des travaux réalisés en pure perte dans les locaux ,

– une indemnisation de la perte de son chiffre d’affaires sur la ” garantie véhicules occasion un an ” qu’elle ne pourra plus vendre durant l’année précédent son déménagement.

Prétentions et moyens de la commune de [Localité 2]:

Selon ses dernières conclusions notifiées le 19 février 2020, la commune de [Localité 2] entend voir :

– réformer le jugement rendu le 8 avril 2019,

– à titre principal :

– débouter la société [T] de l’ensemble de ses demandes,

– rappeler le jugement du 11 avril 2016 aux termes duquel l’indemnité d’occupation, due à compter du 16 janvier 2013 jusqu’à la libération effective des lieux par le locataire, est fixée à la somme annuelle en principal de 33.600 euros hors charges,

– exonérer la commune de [Localité 2] du paiement de l’indemnité d’éviction,

– à titre subsidiaire :

– fixer le montant de l’indemnité d’éviction du fonds de commerce toutes causes confondues à la somme de 120.000 euros,

– rejeter l’ensemble des demandes au titre des indemnités accessoires,

– à titre infiniment subsidiaire :

– confirmer les termes du jugement entrepris en ce qu’il a fixé le montant de l’indemnité d’éviction du fonds de commerce toutes causes confondues due par la commune de [Localité 2] à la société [T] à la somme de 136.920 euros,

– rejeter la demande de la société [T] au titre de :

. l’indemnité de carrière de M. [T],

. les frais de réinstallation,

. le trouble commercial,

. la perte de chiffre d’affaires «garantie véhicule d’occasion»,

. les travaux non amortis,

– dit la demande au titre de la restitution du dépôt de garantie prématurée,

– débouter la société [T] tendant à faire courir les intérêts légaux sur l’indemnité d’éviction à compter de la date d’assignation,

– en tout état de cause,

– condamner la société [T] à verser la somme de 6000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens, en ce compris ceux afférents à la première instance.

La commune conteste le caractère non tranférable du fonds de commerce exploité par la société [T] aux motifs que son activité de garagiste est transférable par nature, qu’elle avait elle-même un projet de réinstallation sur la commune de [Localité 4], et qu’il n’est pas établi que le contrat de réparateur agréé la liant à la marque Citroën s’y oppose, cette dernière envisageant son bassin de clientèle à l’échelle du canton de [Localité 4] et l’implantation sur la commune de [Localité 2] n’apparaissant dès lors pas déterminante.

Subsidiairement, elle soutient que l’indemnité principale doit être calculée sur la base des derniers chiffres d’affaires ht précédant l’éviction effective, que l’activité autonome de gardiennage de véhicules sous scellés judiciaires n’entre pas dans le champ des activités autorisées et constitue une violation du bail, motif grave et légitime l’exonérant de toute indemnité, qu’en toute hypothèse, il n’y a pas lieu de la distinguer, les chiffres d’affaires pris en compte l’incluant.

Elle conteste le coefficient de 60 % du CA allégué par la locataire au motif qu’il ne correspond pas aux usages de la profession qui retiennent des coefficients de 30 à 50 % pour l’activité de réparation et de 10 à 35 % pour celle de vente.

Elle fait valoir que :

– les demandes d’indemnités accessoires font double emploi avec l’indemnité couvrant la perte du fonds,

– les frais de déménagement ne peuvent être alloués sans un devis détaillé et au titre d’un stock dont la valeur ne serait pas prise en compte dans celle du fonds,

– les indemnités dites de réinstallation, de remploi de trouble commercial ne sauraient être dues en cas de perte du fonds sans possibilité de réinstallation, tel que soutenu par l’appelante, et en l’absence de tout élément chiffré,

– la fin de carrière de l’exploitant du fonds ne constitue pas une conséquence directe du refus de renouvellement et ne peut donner lieu à indemnisation,

– les agencements réalisés par la locataire sont intégrés dans l’évaluation du fonds de commerce et la clause d’accession du bail les transfère au bailleur sans indemnité.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 12 janvier 2023.

MOTIFS DE LA DECISION :

L’article L.145-14 du code de commerce dispose que l’indemnité d’éviction comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.

S’agissant d’une indemnité destinée à réparer le préjudice subi par le locataire du fait de son éviction, il est de principe que son évaluation doit s’effectuer à la date la plus proche possible de la survenance du dommage, soit celle de restitution des lieux ou celle de la décision judiciaire si le locataire s’y est maintenu.

1°) sur l’indemnité principale :

– sur la perte du fonds de commerce:

Selon le bail, les locaux loués étaient à destination d’achat, vente de véhicules neufs ou d’occasion, réparations, location, dépannage, carrosserie, peinture et électricité automobile.

Il ressort des opérations d’expertise que l’activité exercée par la société [T] dans les locaux loués concerne le dépannage, la réparation, la carrosserie, la vente de véhicules neufs et d’occasion, ainsi que le gardiennage.

Il est établi que le 8 avril 2011, la société [T] a conclu avec la société Citroën, un contrat de réparateur agréé pour une durée indéterminée à compter du 1er juin 2011.

Selon les termes de l’article II, 1° de ce contrat, le réparateur agréé s’oblige à ne pas modifier le lieu d’implantation de son installation sans en informer le concédant au moins trois mois à l’avance et en lui fournissant tous les éléments de nature à lui assurer le respect des critères et conditions qui ont présidé à sa sélection.

L’annexe 1 du contrat énonce les critères de sélection du réparateur, notamment matériels, et précise que le site désigné par la convention doit d’une part être implanté dans un lieu approuvé par le concédant ; d’autre part, répondre à différentes caractéristiques en termes de visibilité, d’accessibilité, de zone de chalandise, d’équipements et d’aménagements.

Le bénéfice d’un tel agrément constitue un avantage concurrentiel pour l’activité exercée par la société [T] et une plus value pour son fonds de commerce.

La société Citroën SADA, concessionnaire, a attesté le 30 novembre 2012 que la société [T] représentait la marque Citroën sur le canton de [Localité 4] et que son implantation géographique était indispensable sur la commune de [Localité 2] pour couvrir une zone géographique stratégique pour la marque et répondre aux besoins de la clientèle locale.

Dans son rapport, l’expert [V] a relevé que la bailleresse n’avait pas proposé de local de remplacement à la société [T] et a indiqué que ses propres recherches d’un local équivalent disponible sur la commune de [Localité 2] de manière à répondre aux objectifs de la marque Citroën et à éviter une zone déjà couverte par un autre réparateur agréé, s’étaient soldées par un échec.

S’il apparaît que la société [T] a pu envisager la construction de locaux sur un terrain situé sur la commune de [Localité 4] afin d’y transférer son fonds, la commune de [Localité 2] qui supporte la charge de la preuve de la transférabilité du fonds, ne justifie pas de la faisabilité de ce projet, notamment au regard de l’accord de la société Citroën.

C’est donc avec raison que les premiers juges ont considéré que le fonds de commerce de la société [T] n’était pas transférable et que l’éviction du preneur entraînait la perte de son fonds.

– sur la valeur du fonds :

Suivant les usages, la valorisation du fonds est habituellement déterminée à partir du chiffre d’affaires moyen réalisé au cours des derniers exercices, auquel est appliqué un pourcentage variable selon la situation du fonds et la nature de ses activités.

Elle peut également être recherchée au travers de la rentabilité du fonds, sur le fondement de son excédent brut d’exploitation (EBE).

L’indemnité devant être évaluée à la date la plus proche de la survenance du dommage, son calcul doit s’effectuer sur la base du chiffre d’affaires et de l’EBE les plus récents et c’est de manière justifiée que le tribunal a écarté la référence au chiffre d’affaires des exercices 2009 à 2011, retenue par M. [P] au terme de son expertise non contradictoire.

C’est également à juste titre que Mme [V], dans sa mission d’expertise judiciaire a d’une part utilisé les résultats comptables de la société [T] au cours des exercices 2014, 2015 et 2016, d’autre part procédé à deux évaluations croisées selon les deux méthodes rappelées.

Si l’activité de gardiennage ne figure pas dans la destination autorisée par le bail, elle doit être considérée comme une activité complémentaire à celles de dépannage et réparation, qui incluent notamment la garde et la conservation du véhicule pour leur exécution.

Le développement de cette activité doit en conséquence être prise en considération dans l’évaluation du fonds de commerce ainsi que l’a fait l’expert [V], en se basant sur le chiffre d’affaires global.

Si la société [T] revendique l’application d’un pourcentage de 60 % sur la moyenne de son chiffre d’affaires, les barèmes professionnels usuels auxquels s’est référé l’expert ne retiennent qu’un maximum de 50 % du chiffre d’affaires

et pour la seule activité de garage-atelier, hors vente de véhicules, ce qui ne correspond pas à l’activité exploitée par la société [T].

Outre les barèmes professionnels, l’expert a examiné les ventes intervenues sur les derniers exercices (2015 à 2017), sur le département de l’Isère. Si toutes les situations ne peuvent être strictement comparées à celle du garage [T], ces termes de comparaison fournissent une indication de la valorisation réelle de fonds de commerce similaires.

Au demeurant, la société [T] ne produit aucune autre référence susceptible d’invalider les constatations de l’expert qui a parfaitement mis en ‘uvre les usages de la profession en affinant les données globales tirées de barèmes par la réalité du marché local.

Concernant la détermination de l’EBE, Mme [V] a argumenté, dans sa réponse aux dires, l’absence de réintégration de la rémunération des époux [T] par le fait qu’il ne s’agit pas d’économies réalisables en cas de cession du fonds puisque ces rémunérations devraient être remplacés par des salaires, lesquels viennent en déduction (au titre des charges d’exploitation) pour le calcul de l’excédent.

La position de l’expert est techniquement justifiée et c’est avec raison que le tribunal l’a approuvée.

Aucune des critiques développées sur le travail de l’expert n’étant pertinente, le jugement sera confirmé en ce qu’il a retenu l’évaluation de l’indemnité principale proposée par Mme [V] à hauteur de 120.000 euros, sur la base des résultats concordants des deux méthodes.

– sur la cause d’exonération de l’indemnité :

L’activité de gardiennage étant complémentaire à celles autorisées par le bail, son adjonction ne constitue pas une violation des conditions du bail, ni un motif grave et légitime exonérant le bailleur du paiement de l’indemnité d’éviction.

2°) sur les indemnités accessoires :

Outre le remplacement du fonds perdu par l’effet de son éviction, la société [T] est en droit, en vertu du principe de réparation intégrale du préjudice, de prétendre à la réparation de ses préjudices accessoires.

-sur les frais de déménagement :

Le fonds de commerce de la société [T] n’étant pas transférable et sa valorisation incluant celle des matériels d’exploitation comptabilisés au bilan, c’est donc avec raison que l’expert a considéré que seul le stock demeurant la propriété du locataire pouvait donner lieu à des frais de déménagement.

Si la locataire produit un devis à hauteur de 9840 euros pour un volume de 137 m³, ce document ne comporte aucun descriptif précis de la nature du chargement autre que : «bureaux et matériels professionnels» incluant donc des éléments corporels du fonds et ne permet de retenir une indemnisation qu’à concurrence de 4920 euros comme le propose l’expert.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

– sur les frais de remploi :

Ils sont destinés à couvrir les débours que le locataire devra supporter pour le rachat d’un fonds de commerce équivalent et il est d’usage de les évaluer à 10 % de la valeur du fonds de commerce.

Si la commune [Localité 2] conteste la volonté de réinstallation de la société [T], il lui appartient d’en rapporter la preuve ce qu’elle ne fait pas, se contentant d’évoquer un départ à la retraite des époux [T] dont l’activité,

pour importante qu’elle soit au sein de la société [T], ne la résume pas et qui ne sont ni propriétaires du fonds de commerce, ni preneurs à bail.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a fixé à 12.000 euros l’indemnité à ce titre.

– sur le trouble commercial :

Le fonds de commerce étant perdu, la société [T] ne peut se prévaloir d’aucun trouble commercial dans la poursuite de son exploitation puisqu’elle devra entreprendre l’exploitation d’un nouveau fonds.

Le jugement qui l’a débouté de ce chef de demande sera confirmé.

– sur les frais de réinstallation :

Si l’éviction de la société [T] entraîne la perte de son fonds de commerce et si l’indemnité principale qui lui est allouée est destinée à couvrir le coût de rachat d’un fonds équivalent, elle devra supporter des frais liés à sa réinstallation dans d’autres locaux (aménagements spécifiques, travaux).

Pour autant, en l’absence de justificatifs et de perspectives actuelles de rachat, il s’agit d’un préjudice éventuel qui ne peut donner lieu à réparation.

C’est donc à juste titre que le tribunal n’a pas fait droit à ce chef de demande.

– sur les frais de licenciement :

En raison de la perte de son fonds de commerce, la société [T] se trouve contrainte de licencier son personnel et il est justifié des indemnités de licenciements à hauteur de 24.098, 73 euros.

La société [T] étant toujours dans les locaux et n’ayant pas cessé son activité, il n’est pas démontré qu’elle sera dans l’impossibilité de faire exécuter par ses salariés le délai de préavis. Les sommes dues à ce titre ne peuvent donner lieu à réparation.

Concernant M. [T], ainsi que l’ont parfaitement relevé les premiers juges, il n’a pas la qualité de salarié et ne peut prétendre au versement d’une indemnité que la société n’est pas tenue de lui verser.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a retenu ce poste de préjudice pour la somme de 24.098, 73 euros.

– sur le préjudice de carrière de M et Mme [T] :

Le préjudice de carrière invoqué par les époux [T] leur est purement personnel alors que l’indemnité d’éviction a pour fonction de réparer le seul préjudice subi par le preneur, en l’occurrence la société [T].

Ce poste de préjudice ne peut être retenu.

– sur la perte de chiffre d’affaires :

La société [T] n’apporte aucun justificatif de la perte invoquée et le jugement qui a rejeté ce chef de demande sera confirmé.

– sur les travaux :

Le bail contient une clause prévoyant qu’au terme du bail, les travaux d’aménagement réalisés par le preneur resteront la propriété du bailleur, sans indemnité.

Cette clause d’accession fait obstacle à la revendication indemnitaire de la société [T].

La décision des premiers juge sera confirmée sur ce point.

3°) sur les intérêts et l’indexation des frais accessoires :

C’est par des motifs pertinents se référant au droit de repentir du bailleur, que la cour adopte que le tribunal a considéré que l’instance ne pouvait aboutir qu’à la fixation de l’indemnité d’éviction, sans condamnation à son paiement et a rejeté la demande de la société [T] tendant à faire courir les intérêts de retard à compter de l’assignation.

S’agissant de préjudices purement financiers, il n’y a pas lieu d’indexer l’indemnisation des frais accessoires sur la variation de l’indice BT01 du bâtiment.

4°) sur la restitution du dépôt de garantie :

C’est avec justesse que le tribunal a relevé que la société [T] s’est maintenue dans les locaux, que nonobstant le congé délivré par la commune de [Localité 2], cette dernière disposait d’une faculté de repentir, que la demande de restitution se révélait dès lors prématurée et qu’il ne pouvait y être fait droit.

Cette décision sera approuvée.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

CONFIRME le jugement du tribunal de grande instance de Grenoble en date du 8 avril 2019 en tous ses chefs de dispositif soumis à la cour,

y ajoutant,

REJETTE la demande d’indexation des indemnités sur la variation de l’indice BT01 du bâtiment,

CONDAMNE la SAS [Z] [T] à verser à la commune de [Localité 2] la somme de 3000 euros en cause d’appel en application de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la SAS [Z] [T] aux dépens de l’instance d’appel.

SIGNÉ par Mme FIGUET, Présidente et par Mme RICHET, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente

 


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