Indemnité d’éviction : 1 février 2024 Cour d’appel de Paris RG n° 20/17633

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Indemnité d’éviction : 1 février 2024 Cour d’appel de Paris RG n° 20/17633
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1 février 2024
Cour d’appel de Paris
RG n°
20/17633

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 3

ARRET DU 01 FEVRIER 2024

(n° 33 , 15 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 20/17633 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCYFC

Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 mai 2020 -Tribunal judiciaire de Paris (18ème chambre, 2ème section) RG n° 14/09834

APPELANT

M. [Y] [O]

né le 02 juillet 1949 à [Localité 10] (Algérie)

Immatriculée au R.C.S. de Paris sous le n° 308 510 502

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représenté et assisté de Me Christian COUVRAT, avocat au barreau de Paris, toque : E0462

INTIMES

M. [K] [V]

né le 25 mars 1946 à [Localité 6]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

Madame [I] [V] épouse [S]

née le 28 Juillet 1948 à [Localité 11]

[Adresse 5]

[Localité 9]

Mme [H] [C] veuve [V]

née le 28 juin 1923 à [Localité 7]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentés et assistés de Me Thibault DE PIMODAN de la SELARL BLACKSTONE, avocat au barreau de Paris

INTERVENANTE

S.A. REGIE IMMOBILIERE DE LA VILLE DE PARIS (RIVP) Immatriculée au R.C.S. de Paris sous le n° 552 032 708

Prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 9]

Représentée par Me Pierre-Emmanuel TROUVIN de la SARL CABINET TROUVIN, avocat au barreau de Paris, toque : A354

Assistée de Me Margaux SUSSET, collaboratrice de Me Pierre Emmanuel TROUVIN du Cabinet TROUVIN

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 05 décembre 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Nathalie Recoules, présidente de chambre, et Mme Sandra Leroy, conseillère.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Nathalie Recoules, présidente de chambre

Mme Sandra Leroy, conseillère

Mme Emmanuelle Lebée, magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

Greffier, lors des débats : Mme Sandrine Stassi-Buscqua

ARRET :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Mme Nathalie Recoules, présidente de chambre et par Mme Sandrine Stassi-Buscqua, greffière, présente lors de la mise à disposition.

FAITS ET PROCEDURE

Par acte sous seing privé « fait en quatre exemplaires à [Localité 8] et [Localité 9] le 1er janvier 2004 et à [Localité 9] le 22 février 2006 », Monsieur [T] [V] et son épouse, Mme [H] [C], ont donné à bail, en renouvellement, à Monsieur [Y] [O] un bail à usage commercial portant sur divers locaux dépendant de l’immeuble sis [Adresse 3] pour une durée de 9 ans à effet du 1er janvier 2004 pour se terminer le 31 décembre 2012, moyennant un loyer annuel en principal de 10.338,80 € après réajustement.

Madame [H] [C] veuve [V], d’une part, Monsieur [K] [V] et Madame [I] [S] née [V], d’autre part, sont venus aux droits de [T] [V], en qualité respective d’usufruitière et de nu-propriétaire des locaux loués.

Par acte extrajudiciaire du 26 octobre 2013, Monsieur [Y] [O] a signifié à Madame [H] [V] [C] une demande de renouvellement du bail à effet à la date d’expiration du bail les liant.

Par acte extrajudiciaire du 17 janvier 2014, Monsieur [K] [V], Madame [I] [S] née [V] et Madame [H] [C] veuve [V] ont signifié à Monsieur [Y] [O], en réponse à sa demande de renouvellement, un congé avec refus de renouvellement à effet au 30 septembre 2014 et assorti d’une offre d’indemnité d’éviction.

Par acte des 4, 10 et 26 juin 2014, Monsieur [Y] [O] a assigné Monsieur [K] [V], Madame [I] [S] née [V] et Madame [H] [C] veuve [V] devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins essentielles de voir dire et juger qu’ils n’ont pas répondu dans le délai imparti à l’offre de renouvellement par lui signifiée le 26 octobre 2013, dire et juger nul et de nul effet le congé par eux donné le 17 janvier 2014, en conséquence, ordonner le renouvellement du bail aux mêmes conditions et charges que le précédent pour une période de neuf ans commençant à courir le 1er janvier 2013, à titre subsidiaire, fixer le montant de l’indemnité d’éviction à la somme de 350.000 € et condamner les consorts [V] solidairement entre eux à lui verser cette somme.

Par jugement du 23 juin 2016, le tribunal de grande instance de Paris a :

– débouté les consorts [V] de leur demande tendant à voir dire nulle la demande du 26 octobre 2013 en renouvellement du bail des 1er janvier 2004 et 22 février 2006 ;

– débouté ceux-ci de leur demande tendant à voir dire que le bail renouvelé se poursuivait par tacite reconduction ;

– débouté Monsieur [Y] [O] de ses demandes tendant à voir déclarer nul le congé délivré par les consorts [V] le 17 janvier 2014 et à voir ordonner le renouvellement du bail pour une durée de 9 ans à compter du 1er janvier 2013 ;

– dit que le refus de renouvellement avec offre d’indemnité d’éviction signifié par les consorts [V] le 17 janvier 2014 est valable ;

– dit que le bail des 1er janvier 2004 et 22 février 2006 a pris fin le 31 décembre 2013 ; avant dire droit, sur le montant de l’indemnité d’éviction et de l’indemnité d’occupation, désigné Madame [X] [M] en qualité d’expert avec la mission habituelle en la matière.

L’expert a déposé son rapport le 25 mai 2018 concluant, dans l’hypothèse de la perte du fonds de commerce, à une indemnité d’éviction, toutes causes confondues, de 141.200 €, si le locataire n’a pas fait valoir ses droits à la retraite, et de 141.500 €, toutes causes confondues, dans le cas inverse ; dans l’hypothèse du transfert du fonds, à une indemnité d’éviction, toutes causes confondues, de 141.200 € ; à une indemnité d’occupation de 24.800 € par an et en principal à compter du 1er janvier 2014, après majoration de 2 % pour étalage autorisé sur la voirie et après abattement de précarité de 10 %.

Par jugement du 20 mai 2020, le tribunal judiciaire de Paris a :

– fixé à la somme de 129.500 € le montant de l’indemnité d’éviction, toutes causes confondues, due à Monsieur [Y] [O] par Monsieur [K] [V], Madame [I] [V] épouse [S] et Madame [H] [C] veuve [V] et se décomposant ainsi :

– indemnité d’éviction principale : 128.000 €,

– frais divers : 1.500 €.

– dit que Monsieur [Y] [O] est redevable à l’égard de Monsieur [K] [V], Madame [I] [V] épouse [S] et Madame [H] [C] veuve [V] d’une indemnité d’occupation à compter du 1er janvier 2014 ;

– fixé le montant de cette indemnité d’occupation à la somme annuelle de 20.660 €, outre les taxes et charges ;

– dit que la compensation entre le montant de l’indemnité d’éviction et celui de l’indemnité d’occupation s’opérera de plein droit ;

– condamné Monsieur [K] [V], Madame [I] [V] épouse [S] et Madame [H] [C] veuve [V] à payer à Monsieur [Y] [O] la somme de 8.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné Monsieur [K] [V], Madame [I] [V] épouse [S] et Madame [H] [C] veuve [V] aux entiers dépens, en ce compris les frais d’expertise ;

– débouté les parties du surplus de leurs demandes plus amples ou contraires.

Par déclaration du 04 décembre 2020, Monsieur [Y] [O] a interjeté appel total du jugement.

Par conclusions déposées le 25 mai 2021, Monsieur [K] [V] et Mesdames [I] [V] ép. [S] et [H] [C] ép. [V] ont interjeté appel incident partiel du jugement.

Par conclusions déposées le 28 septembre 2022, la société Régie immobilière de la ville de Paris, qui a acquis le 09 septembre 2022 l’immeuble où se situe les locaux loués, est intervenue volontairement à l’instance et a interjeté appel incident partiel du jugement.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 11 octobre 2023.

MOYENS ET PRÉTENTIONS

Vu les conclusions déposées le 12 juillet 2023, par lesquelles Monsieur [Y] [O], appelant à titre principal et intimé à titre incident, demande à la Cour de :

– infirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance ce Paris en date du 20 mai 2020 et statuant à nouveau.

A titre principal,

– fixer le montant de l’indemnité d’éviction à la somme de 350.000 € ;

– dire et juger que Monsieur [Y] [O] pourra se maintenir dans les lieux aussi longtemps que l’indemnité d’éviction n’aura pas été payée.

À titre subsidiaire,

– fixer le montant de l’indemnité d’éviction à la somme de 141.500 €’;

En conséquence,

– condamner les consorts [V] et la Régie immobilière de la Ville de Paris (RIVP) solidairement entre eux à verser à Monsieur [Y] [O] la somme de 350.000 € ou à défaut 141.500 € outre les intérêts au taux légal avec anatocisme, à compter du congé sans renouvellement ;

– fixer le montant de l’indemnité d’occupation à compter du 1er janvier 2014 à la somme annuelle de 9.116,48 €, ladite indemnité étant indexée conformément au bail ;

– condamner les consorts [V] et La Régie immobilière de la Ville de Paris (RIVP) solidairement entre eux à verser à Monsieur [O] une la somme de 30.000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel outre les sommes allouées en première instance.

– condamner les consorts [V] solidairement aux entiers dépens comprenant les frais d’expertise dont le recouvrement sera effectué en application de l’article 699 du NCPC.

Vu les conclusions déposées le 28 mars 2023, par lesquelles la Régie immobilière de la Ville de Paris, intimée, demande à la Cour de :

– confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Paris en date du 20 mai 2020 en ce qu’il a :

* fixé à la somme de 129.500 € le montant de l’indemnité d’éviction, toutes causes confondues, due à Monsieur [Y] [O] par la la société Régie immobilière de la ville de Paris, venant aux droits de Monsieur [K] [U] [W] [V] , Madame [I] [V] épouse [S] et Madame [H] [C] veuve [V], et se décomposant ainsi :

– indemnité d’éviction principale : 128.000 €,

– frais divers : 1.500 €,

dit que Monsieur [Y] [O] est redevable à l’égard de la Régie immobilière de la Ville de Paris (RIVP) d’une indemnité d’occupation à compter du 1er janvier 2014,

dit que la compensation entre le montant de l’indemnité d’éviction et celui de l’indemnité d’occupation s’opérera de plein droit,

condamné la Régie Immobilière de la Ville de Paris (RIVP) aux entiers dépens, en ce compris les frais d’expertise,

– infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Paris en date du 20 mai 2020 pour le surplus et, statuant à nouveau :

fixer le montant de cette indemnité d’occupation à la somme annuelle de 29.238 €, outre les taxes et charges,

condamner Monsieur [Y] [O] à payer la somme de 10.000 € à la Régie immobilière de la Ville de Paris (RIVP) au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Vu les conclusions déposées le 25 mai 2021, par lesquelles [K] [V], [I] [V] ép. [S] et [H] [C] ép. [V], intimés à titre principal et appelants à titre incident, demandent à la Cour de :

– confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Paris en date du 20 mai 2020 en ce qu’il a :

fixé à la somme de 129.500 € le montant de l’indemnité d’éviction, toutes causes confondues, due à Monsieur [Y] [O] par Monsieur [K] [U] [W] [V], Madame [I] [V] épouse [S] et Madame [H] [C] veuve [V] et se décomposant ainsi :

– Indemnité d’éviction principale : 128.000 €,

– Frais divers : 1.500 €,

dit que Monsieur [Y] [O] est redevable à l’égard de Monsieur [K] [U] [W] [V], Madame [I] [V] épouse [S] et Madame [H] [C] veuve [V] d’une indemnité d’occupation à compter du 1er janvier 2014,

dit que la compensation entre le montant de l’indemnité d’éviction et celui de l’indemnité d’occupation s’opérera de plein droit,

condamné Monsieur [K] [V], Madame [I] [V] épouse [S] et Madame [H] [C] veuve [V] aux entiers dépens, en ce compris les frais d’expertise,

– infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Paris en date du 20 mai 2020 pour le surplus et, statuant à nouveau :

fixer le montant de cette indemnité d’occupation à la somme annuelle de 29.238 €, outre les taxes et charges,

dire que les parties conserverons à leur charge les frais irrépétibles qu’ils ont exposés dans le cadre de la procédure.

SUR CE,

1) Sur l’indemnité d’éviction

Selon l’article L. 145-14, alinéa 2 du code de commerce, l’indemnité d’éviction comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.

1. L’indemnité principale

Il est usuel de mesurer les conséquences de l’éviction sur l’activité exercée afin de déterminer si cette dernière peut être déplacée sans perte importante de clientèle auquel cas l’indemnité d’éviction prend le caractère d’une indemnité de transfert ou si l’éviction entraînera la perte du fonds, ce qui confère alors à l’indemnité d’éviction une valeur de remplacement.

Si le fonds n’est pas transférable, l’indemnité principale correspond à la valeur du fonds ; si la valeur du droit au bail est supérieure à la valeur marchande du fonds, le locataire évincé doit se voir allouer une indemnité égale à la valeur du droit au bail.

Il est admis que l’indemnité d’éviction s’évalue à la date la plus proche de l’éviction et que la valeur du fonds de commerce est au moins égale à celle du droit au bail qui s’y trouve incluse.

Les conséquences de l’éviction s’apprécient in concreto au regard de la possibilité pour le locataire de conserver son fonds de commerce sans perte de clientèle importante, auquel cas l’indemnisation prend la forme d’une indemnité de transfert, ou de la perte du fonds de commerce, auquel cas l’indemnisation prend la forme d’une indemnité de remplacement.

Cette appréciation implique dans un premier temps d’étudier les caractéristiques du bail s’agissant de sa destination, des clauses usuelles ou exorbitantes de droit commun y incluses, et des locaux s’agissant de leur implantation, de leur emplacement, de leur aménagement, et de leur commercialité, ce que le tribunal a opéré par motifs détaillés que la cour adopte et auxquels il est renvoyé.

Aux termes du jugement querellé, le premier juge a fixé une indemnité principale d’éviction au bénéfice de Monsieur [Y] [O] d’un montant de 128.000 €, après avoir considéré que’:

– selon le rapport d’expertise non contesté par les parties sur ces points, les locaux sont situés entre le passage de Ménilmontant et la rue Oberkampf, dans un secteur mixte d’habitation et de commerces en pied d’immeuble favorable au commerce d’alimentation générale, qu’exploite Monsieur [Y] [O], bien desservi par les transports en commun mais d’un stationnement en surface difficile, et dépendent d’une construction élevée sur sous-sol d’un rez-de-chaussée et de 6 étages et présentant un état de ravalement ancien,

– le rez-de-chaussée comprend une boutique accessible depuis la rue, en contre-haut d’une marche, par une porte à simple battant, éclairée par deux vitrines latérales avec un linéaire de façade de 5,90 m, d’une hauteur sous plafond de 3,35 m, avec une trappe d’accès au sous-sol et un rideau métallique, un dégagement utilisé comme réserve, un deuxième dégagement également utilisé comme réserve avec accès à la cour de l’immeuble et aux WC communs, outre une cuisine équipée d’un évier et d’un ballon d’eau chaude,

– le sous-sol comprend une cave accessible par une trappe et une échelle de meunier situées derrière le comptoir de la boutique,

– les locaux du 3ème étage sont composés d’un appartement accessible par les parties communes de l’immeuble comprenant une entrée éclairée en second jour d’une hauteur sous plafond de 2,60 m ; à droite, une salle d’eau équipée d’une douche, d’un lavabo et d’un WC éclairée par une fenêtre sur cour ; en face de l’entrée, une cuisine éclairée par une petite fenêtre sur cour ; une chambre éclairée par une fenêtre sur cour commandant une deuxième chambre éclairée par deux fenêtres sur cour, le sol et les murs de l’appartement étant respectivement recouverts d’un revêtement synthétique et de papiers peints et comportant des faux-plafonds et des fenêtres à double vitrage, le tout sans ascenseur et en état d’usage,

– les parties s’accordent sur le fait que l’éviction de Monsieur [Y] [O] des locaux loués entraîne la perte du fonds de commerce exploité dans ceux-ci, le tribunal retiendra donc également que l’éviction entraînera la perte du fonds dont la valeur est au moins égale à la valeur du droit au bail,

– compte tenu de la bonne situation des locaux dans un environnement favorable à l’exploitation d’un commerce d’alimentation générale, et sans se référer à la situation personnelle du locataire, qui est hors de propos dans l’appréciation d’un coefficient de situation des locaux, le tribunal appliquera le coefficient de 5,5 au différentiel susvisé pour aboutir à une valeur vénale du droit au bail de 127.729,36 € arrondis par opportunité à 128.000 €, soit (23.223,52 € x 5,5),

– l’expert aboutit par ailleurs à une valeur du fonds de commerce de Monsieur [Y] [O] oscillant entre 44.600 € (111.500 x 40 %), selon la méthode des barèmes, et 43.000 € (8.600 x 5), selon la méthode de la rentabilité, et la fixe, en conséquence, à 44.000 €,

– dans ces conditions, la valeur du fonds de commerce étant inférieure à la valeur du droit au bail de 128.000 €, c’est à cette dernière valeur que sera fixée l’indemnité principale.

Monsieur [Y] [O] sollicite l’infirmation du jugement querellé de ce chef et la fixation à son profit d’une indemnité d’éviction de 350.000 € à titre principal et subsidiairement de 141.500 €, en faisant valoir pour l’essentiel que la structure des locaux serait avantageuse, disposant d’un bail avec une activité autorisée «’très large’», dans un quartier particulièrement attractif présentant un fort potentiel de développement de chiffre d’affaires au vu des différentes destinations qu’offre ce fonds de commerce, de sorte que la valeur des fonds de commerce irait au-delà du montant pour les activités de confections mais aussi restaurations, supérettes, chaussures et parfumerie, l’indemnité d’éviction étant évaluée à la somme de 350.000 €, une bonne situation correspondant à un coefficient entre 6 et 6,5 aux termes de références récentes.

A titre subsidiaire, Monsieur [Y] [O] relève, s’agissant de la valorisation retenue par l’expert, qu’il est en cumul emploi-retraite et donc non retiré du monde du travail, de sorte que rien ne l’empêcherait de reprendre un fonds de commerce.

Ainsi, dès lors qu’il a fait valoir ses droits à la retraite, le coefficient 6 devrait s’appliquer soit une évaluation chiffrée par l’expert à 141.500 € et non 128.000 €, Monsieur [Y] [O] soulignant par ailleurs que toute la surface exploitable comme surface pouvant être destinée à la vente devrait donc être considérée comme zone 1 et pondérée à ce titre.

La Régie immobilière de la Ville de Paris (RIVP) sollicite la confirmation du jugement querellé du chef de l’indemnité d’éviction, en arguant en substance de la libre appréciation de la cour pour moduler les termes du rapport d’expertise en ce qu’elle n’est pas liée par ceux-ci conformément à l’article 246 du code de procédure civile.

La Régie immobilière de la Ville de Paris (RIVP) ajoute que l’hypothèse de la perte de fonds devrait être privilégiée dès lors que Monsieur [Y] [O] est âgé de 73 ans, de sorte qu’en faisant la moyenne de l’approche par le chiffre d’affaires et celle par la rentabilité, l’expert a fixé la valeur du fonds de commerce à la somme de 44.000 € ce qu’elle ne conteste pas, l’appréciation de la valeur du fonds de commerce ne pouvant reposer sur de simples offres de cession.

Elle souligne que le loyer est plafonné à la somme de 9.116,48 €, la valeur locative du local commercial s’élevant à la somme 32.340 € ; que s’agissant du coefficient, la distinction réalisée par l’expert ne repose sur aucun fondement juridique, le coefficient retenu en matière de boutique, hors emplacements d’exception, étant généralement compris entre 4 et 6, étant précisé que l’emplacement du commerce se trouve dans un secteur simplement favorable, ce qui justifierait un coefficient de 5,5.

Monsieur [K] [V] et Mesdames [I] [V] ép. [S] et [H] [C] ép. [V], lesquels sollicitent également la confirmation du jugement entrepris du chef de l’indemnité d’éviction, exposent pour l’essentiel que la consistance du local retenue est celle au moment du congé, étant précisé que le preneur ne rapporte pas la preuve d’une modification de la surface.

Ils soulignent que l’hypothèse de la perte du fonds serait pertinente en l’espèce dès lors que le preneur est âgé de 71 ans et que l’Expert fixe la valeur du fonds à la somme de 44.000 € en évaluant par ailleurs la valeur locative du local commercial à la somme annuelle de 400 € par m2 pondéré au regard des références de loyers relevées dans le quartier, considérant par ailleurs que le plafonnement du loyer devait être écarté.

Si les intimés relèvent que le coefficient en matière de boutique, hors emplacements d’exception est usuellement situé entre 4 et 6, ils s’opposent toutefois à cette distinction liée au départ à la retraite ou non de Monsieur [Y] [O] dès lors que celle-ci ne repose sur aucun fondement légal ou jurisprudentiel, de sorte que la valeur de l’indemnité d’éviction devrait être fixée à 128.000 €.

Sur la valeur marchande du fonds de commerce :

Aux termes du jugement querellé, le premier juge a retenu une valeur du fonds de commerce de 44.000 €, après avoir considéré que’:

– par la méthode ‘des barèmes’, qui se réfère aux usages professionnels et fondée sur l’analyse du chiffre d’affaires moyen réalisé au cours des trois derniers exercices connus, et par la méthode de la rentabilité, sur la base de l’excédent brut d’exploitation moyen des trois mêmes exercices, l’expert a abouti ainsi à une moyenne arrondie des chiffres d’affaires hors taxes des exercices 2014, 2015 et 2016 de 111.500 € et à une moyenne arrondie des résultats d’exploitation sur les trois mêmes exercices de 8.600 €, relevant à cet égard, que compte tenu de l’absence de dotations aux amortissements sur ces exercices, l’EBE est identique au résultat d’exploitation, puis appliquant un coefficient de 40 % à la première de ces deux moyennes, sur la base d’un pourcentage oscillant entre 35 et 65 % du chiffre d’affaires moyen habituellement retenu en matière de fonds de commerce d’alimentation générale, et un coefficient de 5 à la seconde de ces moyennes, sur la base d’un coefficient oscillant entre 5 et 8 de l’EBE moyen traditionnellement appliqué aux fonds de commerce d’alimentation générale, l’expert a abouti ainsi à une valeur du fonds de commerce de Monsieur [Y] [O] oscillant entre 44.600 € (111.500 x 40%), selon la méthode des barèmes, et 43.000 € (8.600 x 5), selon la méthode de la rentabilité, et la fixe, en conséquence, à 44.000 €,

– Il est d’usage d’estimer la valeur d’un fonds de commerce d’alimentation générale sur la base de son chiffre d’affaires et/ou de sa rentabilité, les éléments intrinsèques et extrinsèques, comme les éléments de comparaison, qui fondent l’évaluation de Monsieur [Y] [O], étant pris en considération pour évaluer la valeur locative de locaux et, de fait, inopérants à valoriser le fonds de commerce, étant au surplus précisé que Monsieur [Y] [O] ne produit aucune offre de rachat de son propre fonds,

– faute pour Monsieur [Y] [O] de produire des éléments comptables plus récents que ceux des années 2014, 2015 et 2016 soumis à l’expert, le tribunal retiendra les chiffres d’affaires et les résultats d’exploitation de ces trois exercices, dont se dégagent la moyenne de 111.500 € pour le chiffre d’affaires et la moyenne de 8.600 € pour l’EBE égal, en l’occurrence, au résultat d’exploitation, retenues par l’expert et non contestées par les parties,

– les parties ne contestent pas plus les pourcentages et coefficients de 40 % et de 5 appliqués par l’expert au chiffre d’affaires moyen et à l’EBE moyen, que le tribunal reteindra donc également, et fixera donc, à l’instar de l’expert, la valeur du fonds de commerce de Monsieur [Y] [O] à la somme de 44.000 €,

Au cas d’espèce, la cour relève, à l’instar du premier juge, qu’il résulte de l’expertise que le transfert du fonds de commerce est impossible et que l’éviction entraîne la perte du fonds de commerce de Monsieur [Y] [O], ce point n’étant pas discuté par les parties.

Il est tout aussi constant que l’expert a utilisé deux méthodes de valorisation par le chiffre d’affaires, méthodes pas davantage contestées par les parties, Monsieur [Y] [O] se bornant uniquement à solliciter la prise en compte d’éléments tant intrinsèques (situation et configuration du local, étendue des activités autorisées par le bail) qu’extrinsèques (attractivité du quartier) et d’éléments de comparaison tirés de valorisations de fonds de commerce à proximité.

Toutefois, la cour rappelle que la valorisation d’un fonds de commerce se fonde sur des données comptables intrinsèques à l’entreprise, et notamment son chiffre d’affaires et le résultat d’exploitation qu’elle en dégage.

Or, l’estimation par le chiffre d’affaires s’effectue en affectant un coefficient ou un taux à la moyenne des chiffres d’affaires des trois dernières années, ce taux variant en fonction des caractéristiques propres du fonds et notamment de la ou des activités contractuellement admises qui y sont effectivement exercées.

L’expert judiciaire retient que le chiffre d’affaire moyen des exercices de 2014 à 2016 était de 111.500 € HT, et l’EBE s’élevait en moyenne sur ces trois derniers exercices à 8.600 €, soit 7,7 % du chiffre d’affaires.

Néanmoins, il appartient à la cour de statuer en tenant compte des chiffres d’affaires des exercices les plus récents, soit les exercices 2018 à 2021 dont Monsieur [Y] [O] justifie en cause d’appel, à l’exclusion des exercices 2022 et 2023.

Le preneur fournit ses derniers chiffre d’affaires des exercices 2018 à 2021′:

ANNEE

CHIFFRE D’AFFAIRES HT

EBE

2018

65.607 €

3.394 €

2019

77.148 €

6.603 €

2020

80.875 €

3.040 €

2021

67.730 €

2.539 €

desquels il ressort un chiffre d’affaire moyen HT de 72.840 € et un EBE moyen de 3.894 €.

Enfin, s’agissant du coefficient multiplicateur applicable, c’est par des motifs dont la pertinence en cause d’appel n’a pas été altérée et que la cour adopte que le premier juge a retenu un coefficient de 5 à l’EBE, préconisé par l’expert, dès lors que ce coefficient, certes dans la fourchette basse des coefficients pratiqués entre 5 et 8, tient cependant compte des éléments défavorables à l’activité de Monsieur [Y] [O], notamment un chiffre d’affaire très faible, après une baisse significative en 2015, et une stabilisation relative depuis lors, présentant une rentabilité correcte pour l’activité d’alimentation générale mais toutefois sans que le gérant puisse se verser une rémunération.

De même, afin de déterminer la valeur du fonds de commerce par le chiffre d’affaires, il est d’usage selon l’expert de pratiquer un abattement compris entre 35 et 65 % du chiffre d’affaires moyen HT. Si l’expert a retenu un coefficient de 40 %, là encore dans la fourchette basse des coefficients pratiqués usuellement, ce coefficient apparaît toutefois cohérent et adapté à l’activité réelle de Monsieur [Y] [O], qui présente un chiffre d’affaire très faible, après une baisse significative en 2015, et une stabilisation relative depuis lors, engendrant une rentabilité correcte pour l’activité d’alimentation générale sans que toutefois le gérant puisse se verser une rémunération.

Si Monsieur [Y] [O] fait valoir que la faiblesse de son activité et de son chiffre d’affaires serait imputable à la concurrence d’un autre commerce de même nature installé par les intimés dans le même immeuble, force est de relever que l’arrivée de ce concurrent à la même adresse remonte selon les propres écritures de Monsieur [Y] [O] à 2002,et qu’il appartenait à ce dernier, en sa qualité de dirigeant, d’adapter son activité et d’aménager son local en conséquence, ce d’autant qu’il reconnaît lui-même que le bail autorise un large panel d’activités et que son concurrent, [A], a procédé à des travaux en supprimant des cloisons afin d’élargir sa surface de vente, ce que Monsieur [Y] [O] n’a pas fait, alors qu’il bénéficiait pourtant de l’autorisation des bailleurs.

De même, si Monsieur [Y] [O] se prévaut d’offres de cessions à un prix bien supérieur à celui préconisé par l’expert judiciaire, force est de relever que les «’offres de cession’» invoquées sont uniquement des annonces de cessions de fonds de commerce ou de droit au bail dans le secteur, et que si Monsieur [Y] [O] produit deux évaluations de la valeur vénale de son droit au bail entre 245.000 et 250.000 €, ces évaluations ont été réalisées par des agences immobilières, non spécialistes d’éléments comptables, et ne sont en tout état de cause pas accompagnées d’offres de cession concrètes au bénéfice de Monsieur [Y] [O] pour ce prix.

En conséquence, il ne saurait en être tenu compte.

Dès lors, en application des deux méthodes utilisées par l’expert, le fonds de commerce de Monsieur [Y] [O] peut être valorisé à 29.136 € avec la méthode par le chiffre d’affaires et 19.470 € avec la méthode par le résultat d’exploitation, soit une moyenne de 24.303 €.

Sur la valeur du droit au bail

Aux termes du jugement querellé, le premier juge a retenu une valeur du droit au bail de 128.000 €, après avoir considéré que’:

– l’expert non contesté par les parties sur ces points retient une surface pondérée de 56,50 m² pour les locaux commerciaux et une surface de 38,70 m² pour les locaux d’habitation, que le tribunal retiendra donc également,

– après avoir recherché des termes de comparaison en location amiable, nouvelle et renouvelée, et en fixation judiciaire, dans le quartier environnant, en considération également de la situation des locaux dans un quartier populaire, à proximité du cimetière du Père Lachaise et compte tenu de l’activité exercée, l’expert retient une valeur locative unitaire de marché de 400 € le m² pour les locaux commerciaux, avec une majoration de 2 % pour étalage autorisé sur la voirie, soit une valeur locative de marché de 23.052 € [(56,50 m²P x 400 €) + 452 €], que les parties ne contestent pas et que le tribunal retiendra donc également,

– l’expert évalue, toujours sans contestation des parties, le loyer de la partie habitation à la somme annuelle de 9.288 €, sur la base d’une valeur locative unitaire mensuelle de 20 €, soit 38,70 m² x 20 € x 12 mois, aboutissant ainsi à une valeur locative de marché totale de 32.340 € (23.052 + 9288), que le tribunal retiendra également,

– l’expert estime qu’il n’existe pas de motif de déplafonnement au sens de l’article L. 145-34 du code de commerce, entre 2006 et 2014, et qu’en conséquence, si le bail avait été renouvelé, son loyer aurait été plafonné suivant les indices applicables, de sorte qu’il se serait élevé au 1er janvier 2014 à la somme annuelle de 9.116,48 €, hors taxes et hors charges, sur la base d’un loyer initial de 6.693,9618 €, d’un indice du coût de la construction de 1637 au 2ème trimestre 2013 et du même indice au 2ème trimestre 2003 de 1202,

– les parties ne contestant pas l’avis de l’expert sur le plafonnement du loyer renouvelé et sur le montant indiciaire de celui-ci, le tribunal retiendra le montant de 9.116,48 € susvisé,

– dans ces conditions, le différentiel entre la valeur locative de marché et la valeur locative de renouvellement s’élève à la somme de 23.223, 52 €, auquel l’expert applique un coefficient de situation oscillant entre 5,5 et 6, selon que Monsieur [Y] [O] a fait ou non valoir ses droits à la retraite et selon, dès lors, qu’il peut ou non bénéficier de la cession-déspécialisation prévue par l’article L. 145-51 du code de commerce,

– compte tenu de la bonne situation des locaux dans un environnement favorable à l’exploitation d’un commerce d’alimentation générale, et sans se référer à la situation personnelle du locataire, qui est hors de propos dans l’appréciation d’un coefficient de situation des locaux, le tribunal appliquera le coefficient de 5,5 au différentiel susvisé pour aboutir à une valeur vénale du droit au bail de 127.729,36 € arrondis par opportunité à 128.000 €, soit (23.223,52 € x 5,5).

Il est de principe que la valeur du droit au bail se calcule par la différence entre le montant de la valeur locative de marché et le loyer qui aurait été perçu si le bail avait été renouvelé, cette différence étant elle-même affectée d’un coefficient multiplicateur dit de situation.

S’agissant de la pondération des locaux, il est renvoyé aux motifs pertinents du jugement sur ce point, non contestés par les parties en dehors de Monsieur [Y] [O] qui sollicite l’application de la même pondération de la zone 2 que celle de la zone 1, aux motifs qu’il pourrait l’utiliser en surface de vente, cette argumentation ne pouvant toutefois sérieusement prospérer dès lors que Monsieur [Y] [O] lui-même reconnaît ne pas l’avoir aménagée en surface de vente, en dépit d’une autorisation des bailleurs.

Il est par ailleurs constant qu’aucune des parties ne remet en cause tant la valeur locative de marché que la valeur locative de renouvellement retenues par l’expert ainsi que par le premier juge, le litige portant sur le coefficient de situation à y appliquer, Monsieur [Y] [O] sollicitant l’application à son profit d’un coefficient de 6 en l’état de son cumul emploi-retraite, tandis que les intimés sollicitent la confirmation du jugement ayant retenu un coefficient de 5,5, eu égard à l’indifférence de la situation personnelle de Monsieur [Y] [O] et de la situation des locaux, bonne mais non très bonne.

En l’état des coefficients de situation usuellement pratiqués, compris entre 3 à 5 pour des emplacements médiocres à moyens, entre 5 à 7 pour des bons emplacements et au delà de 7 pour les très bons emplacements ou emplacements de prestige, et compte tenu de la situation commerciale du magasin d’alimentation, situé boulevard de Ménilmontant, à proximité du métropolitain dans un quartier populaire fréquenté par une clientèle de quartier, le coefficient de 5,5 retenu par le jugement querellé n’apparaît pas justifié au vu de la bonne situation des locaux eu égard à l’activité exercée, le coefficient de 6, correspondant à la médiane d’un bon emplacement, apparaissant cohérent avec la situation du local, la situation personnelle de Monsieur [Y] [O], en retraite ou non, étant indifférente quant au choix du coefficient à appliquer, lié uniquement à la situation du local.

La valeur du droit au bail est donc de 137.300 €.

Dans ces conditions, la valeur du fonds de commerce étant inférieure à la valeur du droit au bail de 137.300 €, c’est à cette dernière valeur que sera fixée l’indemnité principale d’éviction, le jugement querellé étant infirmé en ce qu’il ne l’a fixée qu’à la somme de 128.000 €.

2. L’indemnité accessoire

La Régie immobilière de la Ville de Paris (RIVP) soutient que les indemnités accessoires doivent être réduites aux seuls frais administratifs, estimés à 1.500 € par l’expert, dès lors que Monsieur [Y] [O] a fait valoir ses droits à la retraite.

Monsieur [K] [V] et Mesdames [I] [V] ép. [S] et [H] [C] ép. [V] font valoir que selon l’expert, les indemnités accessoires ou « annexes » sont réduites en l’espèce aux frais administratifs, chiffrés à 1.500 €, dès lors que Monsieur [Y] [O] a fait valoir ses droits à la retraite.

Monsieur [Y] [O] ne conclut pas expressément sur ce point.

En l’état de la nécessité pour Monsieur [Y] [O] d’engager des frais de radiation et de clôture de son activité, le jugement sera confirmé en ce qu’il a fixé forfaitairement l’indemnité accessoire à ce montant.

2) Sur l’indemnité d’occupation due par Monsieur [Y] [O]

Il résulte de l’article L. 145-28 et R. 145-7 du code de commerce que le locataire évincé qui se maintient dans les lieux est redevable d’une indemnité d’occupation jusqu’au paiement de l’indemnité d’éviction, qui est égale à la valeur locative compte tenu de tous éléments d’appréciation, notamment les prix couramment pratiqués dans le voisinage concernent des locaux équivalents.

En outre il résulte de l’article 1315 du code civil, dans sa rédaction applicable au présent litige, que celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver et que réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.

Par ailleurs, il convient de déduire du montant de la condamnation au paiement de l’indemnité d’occupation judiciairement fixé la somme des loyers effectivement versés par le preneur au titre du loyer.

Aux termes du jugement querellé, le premier juge a fixé l’indemnité d’occupation due par Monsieur [Y] [O] à la somme annuelle de 20.660 € HT/HC, à compter du 1er janvier 2014, après avoir relevé que’:

– après avoir recherché des termes de comparaison en location amiable, nouvelle et renouvelée, et en fixation judiciaire, dans le quartier environnant, l’expert évalue la valeur locative de renouvellement des locaux commerciaux au 1er janvier 2014 à 325 € le m² et la valeur locative annuelle à cette même date à 18.362,50 €, hors taxes et hors charges, sur la base de la surface pondérée de 56,50 m² (325 € x 56,50 m²P), à laquelle il applique une majoration de 2 % pour droit d’étalage sur la voirie pour aboutir à une valeur locative finale de 18.729,75 €,

– l’expert évalue la valeur locative des locaux d’habitation au 1er janvier 2014 au prix unitaire mensuel de 19 € le m², soit à une somme totale de 8.823,60 € (19 € x 38,70 m² x 12 mois),

– l’expert fixe ainsi l’indemnité d’occupation annuelle, hors taxes et hors charges, due par Monsieur [Y] [O] à compter du 1er janvier 2014 à la somme totale de 27.553,35 € (18.729,75 € + 8.823,60 €), à laquelle il applique un abattement de précarité de 10 % pour aboutir à un montant de 24.798,02 € arrondis à 24.800 €,

– au vu des termes de comparaison commerciaux et des références de loyers d’habitation retenus par l’expert et non utilement contredits par les consorts [V], de la bonne situation des locaux commerciaux en termes d’emplacement et de commercialité et de leur large destination, de l’état d’usage de l’appartement dont deux pièces sont commandées et de l’absence d’ascenseur, la valeur locative unitaire de 325 € le m²P pour la partie commerciale et celle de 19 € le m² pour la partie habitation proposées par l’expert apparaissent justifiées et seront retenues par le tribunal, qui pratiquera également la majoration de 2 % appliquée par l’expert, sans contestation de ce chef par Monsieur [Y] [O], au titre du droit d’étalage, dont bénéficie le fonds de commerce, sur la voirie, le tribunal fixant donc à la somme totale de 27.553,35 € la valeur locative au 1er janvier 2014,

– dès lors que la situation locative de Monsieur [Y] [O] est incertaine depuis sa demande de renouvellement du bail en date du 26 octobre 2013 et que cet aléa lui interdit, depuis plusieurs années, de valoriser son fonds de commerce, qu’il est susceptible de perdre, et de le céder, dans le cadre, notamment, de la cession-déspécialisation autorisée par l’article L. 145-51 du code de commerce pour les locataires ayant fait valoir leur droit à la retraite, la précarité ainsi subie depuis plus de six ans justifie l’application d’un abattement excédant celui de 10 % habituel, en lamatière, et qui sera fixé à 25 % de la valeur locative susvisée, de sorte que l’indemnité d’occupation due à compter du 1er janvier 2014 s’élèvera à la somme annuelle de 20.665,01 €, hors taxes et hors charges, soit (27.553,35 € x 0,75), arrondie par opportunité à 20.660 €.

Monsieur [Y] [O] sollicite l’infirmation du jugement de ce chef et la fixation à sa charge d’une indemnité d’occupation de 9.116,48 € par an, en faisant valoir qu’à la fin du bail le montant du loyer annuel s’élevait à ce montant, de sorte que l’indemnité d’occupation sera égale au montant du loyer depuis le 1er janvier 2014 jusqu’à la date de son départ effectif, étant précisé que l’indemnité sera indexée selon les indices de référence du bail, soit la somme de 27.553,35 €.

Il souligne que la précarité ainsi subie depuis plus de six ans suite à sa demande de renouvellement, justifie l’application d’un abattement excédant celui de 10 % habituel, en la matière, soit un abattement fixé à 25 % de la valeur locative susvisée, la modification de l’autre commerce situé dans le même immeuble constituant de surcroît une mise en concurrence forcée, qui a entraîné une chute du chiffre d’affaires, la concurrence dans le quartier ayant été renforcée.

La société Régie immobilière de la ville de Paris sollicite également l’infirmation du jugement querellé de ce chef, et la fixation de l’indemnité d’occupation à la somme annuelle de 29.238 € HT/HC, en arguant que l’indemnité d’occupation ne serait pas soumise à la règle du plafonnement et ne pourrait être fixée au montant du loyer en cours à la fin du bail, l’expert n’ayant pas justifié sa révision à la baisse.

Elle ajoute, s’agissant de l’abattement pour précarité, que la mise en concurrence subie depuis 2002 par Monsieur [Y] [O] serait sans lien avec la fixation de l’indemnité d’occupation, laquelle ne repose que sur les conséquences néfastes de la prochaine éviction.

Elle observe à ce titre que le chiffre d’affaires moyen réalisé durant la période d’éviction démontrerait une augmentation de 6 % et que le bailleur n’aurait jamais fait varier sa position relative au renouvellement du bail, de sorte qu’un abattement pour précarité ne pourrait être appliqué, et subsidiairement limité à 10 % conformément à l’usage.

Monsieur [K] [V] et Mesdames [I] [V] ép. [S] et [H] [C] ép. [V] exposent quant à eux que l’indemnité d’occupation ne devrait pas être inférieure au montant de 350 € le m2B conformément au pré-rapport de l’expert en l’absence d’explication sur la modification du montant dans le rapport définitif, soit la somme de 29.238 €, et qu’un abattement de précarité ne serait pas justifié en l’espèce dès lors que le chiffre d’affaire a connu une augmentation de 6 % durant la période d’éviction.

Au cas d’espèce, c’est par des motifs dont la pertinence en cause d’appel n’a pas été altérée et que la cour adopte que le premier juge a ainsi statué.

En effet, par l’effet du congé, le bail commercial liant les parties a pris fin le 31 décembre 2013.

Si Monsieur [Y] [O] soutient que l’indemnité d’occupation devrait être équivalente au montant de son dernier loyer annuel de 9.116,48 €, plafonné, la cour rappelle toutefois que l’indemnité d’occupation doit être fixée à la valeur locative du bien, par application des articles L. 145-28 et R. 145-7 du code de commerce sus-cités.

Or, l’expert judiciaire estime la valeur locative au sens des textes susvisés à 350 € du m²B pour les locaux commerciaux et 20 € du m² pour l’appartement par an, sans qu’aucun élément objectif ne permette de remettre en cause la valorisation ainsi retenue, qui correspond aux références contemporaines, issues tant de fixations judiciaires que de renouvellements et de nouveaux contrats, mais également à la situation géographique et à l’état du local.

Si Monsieur [Y] [O] excipe également d’une forte situation de concurrence dans le secteur, de l’organisation d’une concurrence forcée par les bailleurs à l’adresse des lieux par l’ouverture d’un autre commerce depuis 2002, et de la mise en péril de son activité avec une indemnité d’un tel montant, la cour rappelle cependant que cette circonstance est indifférente à la fixation de la valeur locative du bien loué.

Enfin, si les intimés contestent l’abattement de 25 % pour précarité ordonné par le premier juge du fait que depuis plus de six ans, le locataire n’a plus de bail, force est cependant de constater que depuis 2014, soit près de neuf ans, Monsieur [Y] [O] se trouve dans l’incertitude quant à sa situation locative, ce qui ne lui a pas permis de valoriser son fonds de commerce durant cette période ou de le céder amiablement, de sorte que l’abattement ainsi retenu et préconisé par l’expert, apparaît conforme aux usages et à la précarité subie par Monsieur [Y] [O] sur cette période.

Il convient donc de confirmer le jugement querellé en ce qu’il a fixé l’indemnité d’occupation annuelle due par Monsieur [Y] [O] à 20.660 € HT/HC à compter du 1er janvier 2014 au profit de Monsieur [K] [V] et Mesdames [I] [V] ép. [S] et [H] [C] ép. [V], la cour ajoutant uniquement que cette indemnité d’occupation sera due à la société Régie immobilière de la ville de Paris à compter du 09 septembre 2022, date à partir de laquelle elle a acquis l’immeuble loué auprès de Monsieur [K] [V] et Mesdames [I] [V] ép. [S] et [H] [C] ép. [V].

3) Sur les intérêts et la capitalisation

Si Monsieur [Y] [O] sollicite que l’indemnité d’éviction principale porte intérêts au taux légal à compter du congé sans renouvellement, cette demande ne saurait sérieusement prospérer dès lors que cette indemnité est fixée par le présent arrêt dans son quantum, de sorte qu’elle ne saurait ouvrir droit à intérêt avant que le présent arrêt ne soit définitif et exécutoire.

Les intérêts n’ayant pas commencé à courir, la capitalisation de ces derniers ne saurait dès lors être caractérisée.

En conséquence, Monsieur [Y] [O] sera débouté de ce chef de demande.

4) Sur la demande de compensation

Il y a lieu d’ordonner la compensation entre l’indemnité d’éviction et celle d’occupation et de confirmer le jugement de ce chef.

5) Sur les demandes accessoires

Il n’apparaît pas inéquitable de condamner Monsieur [K] [V] et Mesdames [I] [V] ép. [S] et [H] [C] ép. [V] et la société Régie immobilière de la ville de Paris aux dépens d’appel. Les dépens de première instance resteront répartis ainsi que décidé par le premier juge.’

En outre, la société Régie immobilière de la ville de Paris sera déboutée de sa demande sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Monsieur [K] [V] et Mesdames [I] [V] ép. [S] et [H] [C] ép. [V] d’une part et la société Régie immobilière de la ville de Paris d’autre part seront par ailleurs condamnés in solidum au paiement d’une indemnité de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, après débats en audience publique, contradictoirement et en dernier ressort,

Infirme le jugement rendu le 20 mai 2020 par le tribunal judiciaire de Paris sous le n° RG 14/9834 sur le montant de l’indemnité d’éviction ;

Confirme pour le surplus la décision en toutes ses dispositions non contraires au présent arrêt ;

Statuant à nouveau

Fixe l’indemnité d’éviction due par Monsieur [K] [V] et Mesdames [I] [V] ép. [S] et [H] [C] ép. [V] à Monsieur [Y] [O] à la somme de 138.800 €, soit’:

– indemnité principale’: 137.300 €

– frais divers’: 1.500 €

Fixe le montant l’indemnité d’occupation due par Monsieur [Y] [O] à Monsieur [K] [V] et Mesdames [I] [V] ép. [S] et [H] [C] ép. [V] à compter du 1er janvier 2014 et jusqu’au 08 septembre 2022’à la somme de 20.660 € par an HT/HC’;

Fixe le montant l’indemnité d’occupation due par Monsieur [Y] [O] à la société Régie immobilière de la ville de Paris à compter du 09 septembre 2022’à la somme de 20.660 € par an HT/HC’;

Y ajoutant

Déboute Monsieur [Y] [O] de sa demande au titre d’intérêts à compter du congé et de capitalisation des intérêts’;

Déboute la société Régie immobilière de la ville de Paris de sa demande sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile’;

Condamne in solidum Monsieur [K] [V] et Mesdames [I] [V] ép. [S] et [H] [C] ép. [V] d’une part et la société Régie immobilière de la ville de Paris d’autre part à verser à Monsieur [Y] [O] la somme de 5.000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile’;

Condamne Monsieur [K] [V] et Mesdames [I] [V] ép. [S] et [H] [C] ép. [V] aux dépens d’appel.

La greffière, La présidente,

 


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