Monsieur [D] [N] demande réparation pour sa détention provisoire du 3 au 16 avril 2021, sollicitant 32 500 euros pour préjudice moral, 9 253,56 euros pour préjudice matériel (dont 7 774,99 euros de frais de dépense pénale), et 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure pénale. L’agent judiciaire de l’État propose une indemnisation de 3 780 euros pour le préjudice moral, arguant que l’absence d’incarcération antérieure et les conditions de détention ne justifient pas une majoration. Pour le préjudice matériel, il suggère 811,28 euros pour perte de revenus et 3 453,53 euros pour les frais d’avocat, tout en demandant une réduction de la somme pour l’article 700. Le procureur général soutient la recevabilité de la requête et propose une indemnisation de 1 478,57 euros pour perte de revenus et 2 500 euros pour les frais d’avocat liés à la détention, tout en sollicitant 1 500 euros pour l’article 700. La décision finale accorde 6 000 euros pour le préjudice moral, 5 000 euros pour le préjudice matériel, et 3 000 euros pour l’article 700, laissant les dépens à la charge de l’agent judiciaire de l’État.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
DE VERSAILLES
Chambre civile 1-7
Code nac : 96E
N°
N° RG 23/06815 – N° Portalis DBV3-V-B7H-WDP7
(Décret n° 2000-1204 du 12 décembre 2000 relatif à l’indemnisation à raison d’une détention provisoire)
Copies délivrées le :
à :
M. [N]
Me STASI
AJE
Me DANCKAERT
Min. Public
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT CINQ SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE
a été rendue, par mise à disposition au greffe, l’ordonnance dont la teneur suit après débats et audition des parties à l’audience publique du 12 JUIN 2024 où nous étions Jean-François BEYNEL, premier président de la cour d’appel de Versailles, assisté par Rosanna VALETTE, Greffière, le prononcé de la décision a été renvoyée à ce jour ;
ENTRE :
Monsieur [D] [N]
né le [Date naissance 1] 1963 à [Localité 7]
[Adresse 2]
[Localité 4]
noncomparant, représenté par Me Mario-Pierre STASI de la SELARL OBADIA – STASI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1986, substitué par Me Joachim BOKOBSA, avocat au barreau de PARIS
DEMANDEUR
ET :
AGENT JUDICIAIRE DE L’ETAT DIRECTION DES AFFAIRES JURIDIQUES
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 3]
représenté par Me Marie-Hélène DANCKAERT, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 520
DEFENDEUR
Le ministère public pris en la personne de Mme Sophie GULPHE BERBAIN, avocat général
Nous, Jean-François BEYNEL, premier président de la cour d’appel de Versailles, assisté de Rosanna VALETTE, Greffière,
Vu l’ordonnance de non-lieu du tribunal judiciaire de Pontoise du 4 août 2023, devenue définitive par un certificat de non-appel du 14 septembre 2023.
Vu la requête de monsieur [D] [N], né le [Date naissance 1] 1963, reçue au greffe de la cour d’appel de Versailles le 29 septembre 2023 ;
Vu les pièces jointes à cette requête, le dossier de la procédure ;
Vu les conclusions de l’agent judiciaire de l’Etat, reçues au greffe de la cour d’appel de Versailles le 13 février 2024 ;
Vu les conclusions du procureur général, reçues au greffe de la cour d’appel de Versailles le 3 avril 2024 ;
Vu les lettres recommandées en date du 10 avril 2024 notifiant aux parties la date de l’audience du 12 juin 2024 ;
Vu les articles 149 et suivants et R26 du code de procédure pénale ;
Monsieur [D] [N] sollicite la réparation de sa détention provisoire du 3 avril 2021 au 16 avril 2021.
Il sollicite dans sa requête les sommes suivantes :
32 500 euros en réparation de son préjudice moral ;
9 253,56 euros en réparation de son préjudice matériel dont 7 774,99 euros de frais de dépense pénale ;
3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure pénale.
Dans ses conclusions reçues le 13 février 2024, l’agent judiciaire de l’Etat sollicite une réparation du préjudice moral à hauteur de 3 780 euros. Il fait valoir que l’absence d’incarcération précédente rend le préjudice moral incontestable, constituant une base d’indemnisation. Il relève que l’atteinte à la réputation du requérant auprès de son entourage professionnel malgré la médiatisation locale des faits ne permet pas de caractériser une majoration du préjudice moral. S’agissant des conditions de détention, il soutient que le requérant ne démontre pas de conditions personnelles difficiles de détention. Le requérant a bénéficié d’une hospitalisation antérieurement à sa détention ainsi qu’un suivi avec un psychologue et un médecin pendant celle-ci. Enfin, il soutient que le requérant ne démontre pas que la gravité de la peine encourue, en l’espèce, 30 ans de réclusion criminelle, a eu pour effet d’aggraver les conditions de détention. Au titre du préjudice matériel, l’agent judiciaire de l’Etat conclut à l’indemnisation du préjudice au titre de la perte de revenus à hauteur de 811,28 euros. Il retient également une indemnisation à hauteur de 3 453,53 euros au titre du remboursement des frais d’avocat, en soutenant que certains frais mentionnés ne sont pas exclusivement en lien avec la détention. Enfin, il sollicite de réduire à de plus justes proportions la somme demandée au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions reçues le 3 avril 2024, le procureur général conclut à la recevabilité de la requête et s’en rapporte à l’appréciation du premier président s’agissant du montant de la réparation du préjudice moral subi. Il fait valoir que l’absence d’incarcération antérieure et la situation familiale du requérant rendent le choc carcéral incontestable et aggravent le préjudice moral. Il admet comme facteur d’aggravation du préjudice moral l’importance du quantum de la peine encourue. Il conclut au rejet de l’atteinte à la réputation comme facteur d’aggravation du préjudice moral en relevant que la médiatisation auprès de l’entourage professionnel du requérant est sans lien avec la détention provisoire. Au titre du préjudice matériel, le procureur général conclut à l’indemnisation du préjudice au titre de la perte de revenus à hauteur de 1 478,57 euros, en soulignant que les 13 jours d’absence causés par la détention ont été convertis en congés payés correspondant à 1 478,57 euros brut. S’agissant des frais d’avocat, il conclut à l’indemnisation des frais exclusivement en lien avec la détention provisoire, soit 2 500 euros, à l’exclusion de l’audience devant le juge d’instruction, la rédaction du mémoire et l’audience. Enfin, il sollicite la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Sur la recevabilité de la requête :
Aux termes des articles 149, 149-1, 149-2 et R26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l’objet d’une détention provisoire au cours d’une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.
La requête en indemnisation doit contenir l’exposé des faits, le montant de la réparation demandée, et toutes indications utiles prévues à l’article R26. Elle doit être présentée au premier président de la cour d’appel dans un délai de six mois à compter du jour où la décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement acquiert un caractère définitif.
La requête, respectant en tous points les conditions posées par ces articles, est recevable pour une période de détention du 3 avril 2021 au 16 avril 2021, soit 13 jours de détention.
Sur le préjudice moral :
Monsieur [D] [N] a été incarcéré 13 jours, alors qu’il était âgé de 57 ans.
Le choc carcéral subi par le requérant sera retenu comme critère d’aggravation du préjudice moral, du fait de sa première incarcération. L’indemnisation du préjudice moral doit tenir compte de l’âge du requérant lors de son incarcération, de sa situation familiale et de l’importance du quantum de la peine encourue.
Le requérant sera donc indemnisé sur ce chef.
S’agissant des conditions de détention, il appartient au requérant de justifier des conditions difficiles qu’il allègue.
En l’espèce, le requérant relate avoir des séquelles psychologiques consécutives aux conditions de détention, sans fournir de preuve médicale. Toutefois, le requérant fournit un rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté en date du 5 au 16 novembre 2018 constatant les conditions indignes de détention ainsi que la surpopulation carcérale dans la maison d’arrêt de [Localité 6].
Le requérant sera donc indemnisé de ce chef.
L’atteinte à la réputation du requérant auprès de son entourage professionnel résulte de la nature des faits pour lequel le requérant a été incarcéré mais n’a pas de lien direct et exclusif avec la détention provisoire. L’employeur du requérant a été informé de la détention provisoire du requérant lors de la restitution de son véhicule de fonction avec lequel il s’était déplacé avant son incarcération.
Le requérant sera donc débouté de ce chef.
La somme de 6 000 euros paraît proportionnée eu égard à la période de détention injustifiée et à la prise en compte de deux facteurs d’aggravation du préjudice. Il convient donc d’allouer à monsieur [D] [N] la somme de 6 000 euros en réparation de son préjudice moral.
Sur le préjudice matériel :
Sur la perte de salaires
Le requérant a droit à l’indemnisation de l’ensemble des salaires non perçus pendant la période de détention. Il doit néanmoins apporter la preuve qu’il exerçait un travail et percevait des salaires avant son placement en détention.
En l’espèce, le requérant justifie qu’il exerçait un travail et percevait des salaires avant son placement en détention provisoire. Il fournit un bulletin de salaire du mois d’avril 2021 indiquant un revenu net mensuel de 1 622,98 euros. Il ressort également que les 13 jours d’absence exclusivement imputables à la détention, entre le 3 avril 2021 et le 16 avril 2021 ont été intégralement convertis en congés payés correspondant à 1 478,57 euros brut.
Le requérant sera donc indemnisé sur ce chef.
Ainsi, le requérant se verra allouer la somme de 1 478,57 euros au titre de la perte de salaires.
Sur le remboursement des frais de défense pénale
Seules sont indemnisées les prestations directement liées à la privation de liberté dès lors qu’elles sont à la charge du requérant et à la condition qu’il fournisse une facture d’honoraires énumérant de façon détaillée les prestations effectuées pour obtenir sa libération ainsi que leur coût, notamment les visites à l’établissement pénitentiaire, les diligences effectuées pour faire cesser la détention par des demandes de mise en liberté.
En l’espèce, le requérant produit une facture forfaitaire d’un montant global de 10 687,50 euros et plusieurs prestations effectuées par son conseil en lien avec la détention provisoire dont deux audiences, trois déplacements du 3, 9 et 16 avril 2021, un parloir du 9 avril 2021 ainsi qu’un mémoire. En revanche, le suivi du dossier et les entretiens clients relèvent de la procédure au fond, et sont sans lien exclusif avec la détention provisoire.
Le requérant se verra allouer la somme de 3 453,53 euros en remboursement des frais d’avocat.
Ainsi, le requérant se verra allouer la somme de 5 000 euros au titre de la réparation du préjudice matériel.
Sur les frais irrépétibles :
Il serait inéquitable de laisser à la charge du requérant les sommes qu’il a dû engager dans le cadre de la présente procédure. Il convient donc de lui allouer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Statuant par ordonnance contradictoire,
DÉCLARONS recevable la requête de Monsieur [D] [N] ;
ALLOUONS à Monsieur [D] [N] :
La somme de SIX MILLE EUROS (6 000 euros) en réparation de son préjudice moral ;
La somme de CINQ MILLE EUROS (5 000 euros) en réparation de son préjudice matériel ;
La somme de TROIS MILLE EURO (3 000 euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
LAISSONS les dépens de la présente procédure à la charge de l’agent judiciaire de l’Etat.
Prononcé par mise à disposition de notre ordonnance au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées selon les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
ET ONT SIGNÉ LA PRÉSENTE ORDONNANCE
Jean-François BEYNEL, premier président de la cour d’appel de Versailles
Rosanna VALETTE, greffier
LE GREFFIER LE PREMIER PRÉSIDENT