Indemnisation des Victimes Indirectes d’Actes Terroristes : Évaluation des Préjudices et Reconnaissance des Droits

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Indemnisation des Victimes Indirectes d’Actes Terroristes : Évaluation des Préjudices et Reconnaissance des Droits

Le 10 octobre 2024, le tribunal a rendu un jugement concernant M. [G] [Y], qui a perdu sa nièce, [N] [Y], lors de l’attentat terroriste du 14 juillet 2016 à Nice. M. [G] [Y], en tant que victime indirecte, avait vu sa demande d’indemnisation rejetée par le fonds de garantie en 2017, mais la JIVAT a reconnu sa qualité de victime indirecte en janvier 2021. Un rapport d’expertise a établi divers préjudices, dont des souffrances endurées et un déficit fonctionnel. Dans ses conclusions, M. [G] [Y] a demandé une indemnisation totale de 123.039,70 €, tandis que le FGTI proposait une évaluation inférieure. Le tribunal a finalement condamné le FGTI à verser à M. [G] [Y] des sommes spécifiques pour divers préjudices, tout en déboutant certaines de ses demandes. Le jugement a été déclaré contradictoire et exécutoire.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

10 octobre 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG
19/12835
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

PRPC JIVAT

N° RG 19/12835
N° Portalis 352J-W-B7D-CRBMC

N° MINUTE :

Assignation des :
10 Octobre 2019
15 Octobre 2019

JUGEMENT
rendu le 10 Octobre 2024
DEMANDEUR

Monsieur [G] [Y]
[Adresse 4]
[Localité 2]

représenté par Me Aurélie COVIAUX, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire L.71 et Me Olivia CHALUS, avocat au barreau de NICE, avocat plaidant

DÉFENDEURS

FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D’AUTRES INFRACTIONS
[Adresse 7]
[Localité 8]

représenté par Me Noémie TORDJMAN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0124

SECURITE SOCIALE DES INDEPENDANTS COTE D’AZUR
[Adresse 6]
[Localité 1]

défaillante

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Sabine BOYER, Vice-Présidente
Olivier NOËL, Vice-Président
Maurice RICHARD, Magistrat à titre temporaire

assistés de Véronique BABUT, Greffier

Décision du 10 Octobre 2024
PRPC JIVAT
N° RG 19/12835
N° Portalis 352J-W-B7D-CRBMC

DEBATS

A l’audience du 29 Août 2024 tenue en audience publique
Après clôture des débats, avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 10 Octobre 2024.

JUGEMENT

– Réputé contradictoire,
– En premier ressort,
– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile

[N] [Y], née le [Date naissance 3] 2004, est décédée des suites des blessures lui ayant été causées par l’acte terroriste commis le 14 juillet 2016 sur le [Adresse 10] à [Localité 1].

Par courrier en date du 12 juin 2017 le fonds de garantie a rejeté la demande d’indemnisation que lui a présenté M. [G] [Y], en qualité de victime indirecte de l’acte terroriste ayant causé le décès d’[N] [Y], au motif qu’il n’était pas un des ayants droits de la victime. Il est en effet le frère du père de [N], M. [C] [Y], et donc son oncle, mais également son parrain.

Par jugement en date du 21 janvier 2021 la JIVAT a reconnu sa qualité de victime indirecte de l’acte terroriste, ainsi que celle de M. [K] [D] qui était à l’époque marié avec M. [Y]. Le docteur [X], psychiatre a été désigné pour l’examiner et une provision de 5.000 € lui a été allouée. Le docteur [X] a été remplacé par le docteur [J]. Dans sa décision le tribunal a constaté que le requérant entretenait des relations régulières et privilégiées avec [N] et qu’il présentait par conséquent la qualité de victime indirecte de l’attentat terroriste de Nice du 14 juillet 2016.

Ce dernier a conclu comme suit le 13 octobre 2021:
– arrêt total d’activité professionnelle: du 10 août au 14 décembre 2016
– DFTP: à 33% pendant six mois
– consolidation des lésions: 14 janvier 2018
– déficit fonctionnel permanent: 2% en raison d’un état de deuil permanent qui n’existait pas avant les faits mais qui était caractérisé par des troubles de l’attention et de la concentration (diagnostic d’hyper activité) qui était prise en charge
– souffrances endurées: 5/7
– les autres postes ne nécessitent pas de cotation spécifique dans le cas de M. [G] [Y]

Par conclusions récapitulatives signifiées le 22 septembre 2023 auxquelles il est expressément référé conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, M. [Y] demande au tribunal de :

Vu le jugement de la JIVAT du 21 janvier 2021,

Vu les dispositions de l’article L217–6 du Code de l’organisation judiciaire attribuant compétence exclusive au Tribunal Judiciaire de Paris pour connaître des demandes de victimes d’attentats contre le FGTI,
Vu les dispositions de l’article 9 de la Loi n°86-1020 du 9 septembre 1986, des articles L.126-1 et L.422-1 à L.422-3 du Code des assurances;
Au contradictoire de la Sécurité Sociale des Indépendants devenue CPAM,
Vu le rapport d’expertise du Docteur [J],

CONDAMNER le FGTI à verser à Monsieur [G] [Y] la somme de :
Dépenses de santé : 0 €
Frais divers :2.400 €
Perte de gains prof actuels : 16.529,16 €
Incidence professionnelle : 7.886,95 €
Déficit fonctionnel temporaire : 1.821,6 €
Souffrances endurées : 50.000 €
Préjudice d’affection : 25.000 €
Déficit fonctionnel permanent : 3.402 €
PESVT : 16.000 €
TOTAUX : 123.039,70 €

DIRE que la provision de 5.000 € allouée par le jugement du 21 janvier 2021 viendra en déduction,

CONDAMNER le FGTI à verser à Monsieur [G] [Y] la somme de 3.500 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi que les entiers dépens,

ORDONNER en tant que de besoin l’exécution provisoire de la décision à intervenir.

Par conclusions signifiées le 10 janvier 2024 auxquelles il est expressément référé conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (ci-après le FGTI) demande au tribunal de:

EVALUER l’indemnisation des préjudices de Monsieur [G] [Y] de la manière suivante :
– Frais divers : sursis à statuer ;
– Préjudice d’affection : 15.000 € ;
– Déficit fonctionnel temporaire partiel : 1.485 € ;
– Déficit fonctionnel permanent : 2.880 € ;

– CONSTATER l’offre du FONDS DE GARANTIE de payer à Monsieur [G] [Y] au titre du Préjudice exceptionnel spécifique des victimes d’actes de terrorisme la somme de 6.000 € et le FIXER à ce montant ;

– DÉBOUTER Monsieur [G] [Y] de toute demande plus ample ou contraire et des demandes formulées au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et des entiers dépens ;

– LIMITER l’exécution provisoire aux offres formulées par le FONDS DE GARANTIE ;

Régulièrement assignée la [Adresse 11] n’a pas constitué avocat. Le présent jugement sera réputé contradictoire à l’égard de toutes les parties.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 11 janvier 2024

MOTIFS DE LA DÉCISION

SUR LES DEMANDES DE LA VICTIME DIRECTE

A- SUR LE DROIT À INDEMNISATION DE M. [G] [Y]

Il a été reconnu par le jugement rendu le 21 janvier 2021 par ce tribunal.

B- SUR L’ÉVALUATION DU PRÉJUDICE

Au vu de l’ensemble des éléments versés aux débats, le préjudice subi par M. [Y] né le [Date naissance 5] 1975 et âgé par conséquent de 41 ans lors de l’attentat, de 42 ans à la date de consolidation de son état de santé lors des faits, sera réparé ainsi que suit, étant observé qu’en application de l’article 25 de la loi n°2006-1640 du 21 décembre 2006, d’application immédiate, le recours subrogatoire des tiers payeurs s’exerce poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu’ils ont pris en charge.

I- Préjudices patrimoniaux

– Dépenses de santé avant consolidation

La Sécurité social des Indépendants de la Côte d’Azur n’a pas produit de créance à ce titre.

M. [Y] indique qu’il ne forme aucune demande à ce titre.

– Frais divers

L’assistance de la victime lors des opérations d’expertise par un, ou des, médecin conseil en fonction de la complexité du dossier, en ce qu’elle permet l’égalité des armes entre les parties à un moment crucial du processus d’indemnisation, doit être prise en charge dans sa totalité. De même, ces données peuvent justifier d’indemniser les réunions et entretiens préparatoires. Les frais d’expertise font partie des dépens.

M. [Y] sollicite la somme de 2.400 € au titre des honoraires médecin conseil réglés au docteur [Z]. Et en justifie.

Le poste frais divers sera donc fixé au montant de 2.400 €.

– Perte de gains professionnels avant consolidation

Ce poste indemnise la victime de la perte ou de la diminution de ses revenus consécutive à l’incapacité permanente à laquelle elle est confrontée du fait du dommage dans la sphère professionnelle après la consolidation de son état de santé.

En l’espèce, M. [Y] explique qu’il travaillait avec M. [D] au sein d’une société HARMONICE, spécialisée dans l’esthétique, immatriculée à [Localité 1] et que ce dernier lui a fait donation de ses 378 parts suivant acte notarié en date du 25 septembre 2019. Il estime sa perte de gains à la somme de 8.264,58 € en divisant par deux sa propre perte, l’autre moitié revenant à M. [D], après déduction des indemnités journalières servies par le RSI du 10 août au 14 décembre 2016, soit 2.539 €. Le fonds de garantie constate que pour les années 2015 à 2019 le requérant n’a jamais déclaré de revenus , seul M. [D] ayant fait une déclaration. Il rappelle d’autre part que l’expert relevait un état antérieur psychiatrique avec prise de traitements anxiolytiques à des dosages relativement importants et il note aussi qu’après l’attentat il a déclaré à l’expert “2-3 mois après j’étais à [Localité 9] et il y a eu un attentat à [Localité 9]”. Il conclut au rejet de la demande.

Il est produit les déclarations de revenus de 2015 à 2019, date à laquelle M. [D] a cédé ses parts au requérant, et ces déclarations sont adressées à « M [Y] [G] ou M. [D] [K] [Adresse 4] ». Par ailleurs, M. [D] a bien cédé ses parts à M. [Y] le 25 septembre 2019 et il est donc établi qu’il a bien exercé une activité professionnelle. Pour calculer ses pertes M. [Y] compare les revenus de l’entreprise de 2015 à 2017 en les réévaluant , puis déduit les IJ nettes versées par le RSI.

“perte de revenus établie par la victime » (Dintilhac). 2015 :15.021 – D2 Indice de réévaluation du Revenu. La réévaluation du revenu est pratiquée en judiciaire de manière courante. Elle est recommandée dans le référentiel MORNET. (Cass. 2e Civ., 12 mai 2010, pourvoi n°09-14.569 et Cass Crim. 28 mai 2019 N°18-81035) :1,01
Revenu réévalué année 2016 : 15.173,16
Revenu Après accident année 2016 : 4.652,00
Revenu réévalué année 2017 : 15.326,87
Revenu Après accident année 2017 : 6.950,00
Perte de revenu année 1 : 10.521,16
Perte de revenu année 2 : 8.376,87
Total victime : 18.898,03
IJ réglées par la Caisse : 2.539 – D15
Déduction CSG CRDS soit créance de la caisse -6,7% : 170,13
Total : 16.529,16
Total général 1/2 chacun : 8.264,58″.

M. [Y] ne peut procéder à un tel calcul puisqu’il n’a été en arrêt de travail que du 10 août au 14 décembre 2016 et il faut donc comparer les revenus de l’entreprise entre 2015 et 2016, rapportés à 4 mois d’arrêt d’activité pour fixer le préjudice, soit:
– revenus 2015 : 15.021 € réévalué à 15.173,16 €
– revenus 2016 : 4.652 € réévalué à 6.950 €
soit une perte de 8.223,16 €, mais de 5.482,10 € rapportée sur une durée d’activité de 8 mois et de 2.943,10 € après des déductions des IJ perçues à hauteur de 2.539 €.

– Incidence professionnelle

Ce poste d’indemnisation a pour objet d’indemniser les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle comme le préjudice subi par la victime en raison de sa dévalorisation sur le marché du travail, de sa perte d’une chance professionnelle, ou de l’augmentation de la pénibilité de l’emploi qu’elle occupe imputable au dommage ou encore du préjudice subi qui a trait à sa nécessité de devoir abandonner la profession qu’elle exerçait avant le dommage au profit d’une autre qu’elle a du choisir en raison de la survenance de son handicap. Ce poste indemnise également la perte de retraite que la victime va devoir supporter en raison de son handicap, c’est-à-dire le déficit de revenus futurs, estimé imputable à l’accident, qui va avoir une incidence sur le montant de la pension auquel pourra prétendre la victime au moment de sa prise de retraite.

M. [Y] explique qu’il a repris seul l’activité de la SARL HARMONICE et que la raison en est sa séparation avec M. [D], cette séparation du couple ayant entraîné la séparation professionnelle, cette séparation du couple étant liée à l’attentat. Il évalue alors son préjudice à la somme de 7.886,95 €. Il fait valoir que ses revenus sont passés de 15.173,16 € en 2016 à 3.500 € en 2020 et il produit le tableau suivant qu’il est difficile d’interpréter :

“Coefficient d’incidence professionnelle ((revenu de référence indexé/2) – revenu à la conso)x30% : 214,03 €
Arrérages de la consolidation 14/1/18 à la liquidation 14 avril 2023 1196 jours : 701,31 €
Capitalisation gp 2020 homme 47 ans à la liquidation viager pour comprendre la perte des droits à la retraite 33,573 : 7.185,63 €
TOTAL ARRÉRAGES+CAPITALISATION : 7.886,95 €”.

Le FGTI fait observer que l’expert judiciaire n’a pas retenu d’incidence professionnelle et que par ailleurs la séparation du couple ne peut en aucun cas être considérée comme une conséquence directe de l’attentat. Il rappelle que l’expert judiciaire, dans une réponse à un dire, a précisé que M. [Y] présentait un état antérieur particulièrement fragile :
“En ce qui concerne l’état antérieur de Monsieur [G] [Y].
Les dires du conseil de Monsieur [G] [Y] indiquent qu’il présentait : «un état antérieur connu sans incapacité», il demeure que la pathologie antérieure présentée par Monsieur [G] [Y] n’était pas muette, et que les faits dommageables n’ont PAS été l’élément déclenchant d’une pathologie antérieure latente ou asymptomatique.
Ceci, dans la mesure où préalablement au fait dommageable, Monsieur [G] [Y] a présenté des troubles depuis son adolescence qui ont entraîné qu’il soit pris en charge par un pédopsychiatre, qu’il soit hospitalisé dans un service de Psychiatrie à l’âge de 21 ans, et qu’il bénéficie de soins spécialisés réguliers avec prescription de différents traitements psychotropes jusqu’en 2001/2002 et de 2011/2012 jusqu’à quelques semaines avant la date des faits dommageables (durant cette dernière période a été posé un diagnostic d’hyperactivité de l’adulte)”.

En l’espèce, il convient de noter que M. [Y] et M. [D] se sont séparés en 2019 et que rien ne permet d’établir, si ne n’est la déclaration de M. [Y], un lien direct et certain entre cette séparation et l’activité de la SARL HARMONICE ; par ailleurs M. [Y] exploite désormais seul cette société et il résulte de ses avis d’imposition les gains suivants:
– 2019: 3.500 €
– 2020: 9.000 €
– 2021: non produits
– 2022: 24.055 €,
soit des gains qui sont en hausse.

Dans ces conditions M. [Y] ne démontre pas qu’il subirait une incidence professionnelle qui serait imputable au décès de [N] et sa demande sera rejetée.

II- Préjudices extra-patrimoniaux

– Déficit fonctionnel temporaire

Ce poste de préjudice indemnise l’invalidité subie par la victime dans sa sphère personnelle pendant la maladie traumatique. Le déficit fonctionnel temporaire inclut pour la période antérieure à la date de consolidation, l’incapacité fonctionnelle totale ou partielle ainsi que le temps d’hospitalisation et les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique.

En l’espèce, il ressort du rapport d’expertise ce qui suit s’agissant du déficit fonctionnel temporaire : DFTP: à 33% pendant six mois (du 15 juillet 2016 au 15 janvier 2017).

Sur la base d’une indemnisation de 28 € par jour pour un déficit total, adaptée à la situation décrite, il sera alloué la somme suivante :
184 jours x 28 € x 33% = 1.700,16 €.

– Souffrances endurées

Il s’agit de toutes les souffrances physiques et psychiques, ainsi que des troubles associés, que doit endurer la victime durant la maladie traumatique, c’est-à-dire du jour de l’accident à celui de sa consolidation. A compter de la consolidation, les souffrances endurées vont relever du déficit fonctionnel permanent et seront donc indemnisées à ce titre.

En l’espèce, elles sont caractérisées par le traumatisme initial, les traitements subis, et le retentissement psychique des faits. Elles ont été cotées à 5/7 par l’expert.

Le FGTI s’appuie sur les conclusions de ce dernier pour contester la demande et prétendre qu’il n’y a pas lieu à indemniser ce poste , mais uniquement le préjudice d’affection. Le docteur [J] écrit dans ses conclusions :
Décision du 10 Octobre 2024
PRPC JIVAT
N° RG 19/12835
N° Portalis 352J-W-B7D-CRBMC

«En ce qui concerne l’évaluation des souffrances psychiques ou morales de Monsieur [G] [Y].
Dans le corps de l’expertise, j’ai écrit que le tableau clinique présenté par Monsieur [G] [Y] rentrait dans le cadre d’un deuil prolongé : L’ensemble de ses symptômes rentre dans le cadre diagnostique d’un deuil prolongé (dit pathologique, non pas du fait de son intensité ou de symptômes particuliers mais parce que, selon les classifications internationales, il dure depuis plus de 12 mois.
Pour être plus précis, Monsieur [G] [Y] présente un état de deuil prolongé qui, selon la littérature sur ce sujet, est caractérisé par la perturbation du travail de deuil qui ne s’engage pas, ou qui ne parvient pas à son terme (deuil prolongé dans le cas du sujet expertisé.
Cet état de deuil prolongé est considéré comme différent d’un deuil dit pathologique, qui lui est caractérisé par la survenue de troubles psychiatriques durant la période du deuil.
En ce qui concerne Monsieur [G] [Y], ses dires indiquent qu’il répond aux critères proposés par [S] pour le diagnostic d’un deuil dit prolongé ou inachevé (qui don est distinct d’un deuil pathologique) : «le sujet continue à éprouver plus d’un an après le décès d’intenses pensées intrusives, de violents assauts émotionnels, d’ardents et pénibles désirs (en relation avec le défunt), un sentiment de solitude et de vide excessif, un évitement disproportionné des activités rappelant le souvenir du décédé, des troubles du sommeil inhabituels, une importante perte d’intérêt pour les activités personnelles etc…».
Les souffrances morales présentées par Monsieur [G] [Y] ne relèvent donc pas d’une pathologie du deuil, et, en conséquence, mes conclusions restent inchangées : «Les souffrances morales sont importantes dans l’absolu (5 sur une échelle de 7) mais elles sont l’expression d’un deuil douloureux (perte d’un être cher) et, en conséquence, elles ne sont PAS EN RAPPORT avec une pathologie qui ouvrirait droit à ce titre à une compensation». En revanche, les souffrances endurées, même en l’absence de réaction pathologique, ouvrent droit à la reconnaissance d’un préjudice d’affection».

II apparaît en réalité que l’expert a parfaitement décrit les souffrances ressenties par le requérant mais qu’il en fait une analyse juridique qui ne lui appartient pas de faire, cette appréciation étant de la seule compétence du tribunal. En l’espèce les souffrances endurées se caractérisent par les troubles physiques ou psychiques ressenties par la victime jusqu’à sa consolidation et il n’est pas nécessaires qu’ils présentent un caractère pathologique. Par ailleurs de telles souffrances ne se confondent pas avec le préjudice d’affection, qui est autonome et qui correspond au préjudice permanent causée comme dans le cas d’espèce par la perte d’un être cher.

En conséquence il convient d’indemniser le requérant à hauteur de 8.000€, le tribunal estimant que le préjudice d’affection doit principalement être indemnisé au vu des conclusions du docteur [J].

– Préjudice d’affection

Il indemnise le préjudice moral permanent tiré de la douleur que cause la souffrance d’un proche en raison de ses blessures ou de son handicap, ou sa disparition. M. [Y] produit 10 attestations régulières de proches de la victime qui confirment toutes sa grande proximité et complicité avec [N]. Le père de cette dernière, M. [C] [Y] indique « qu’il a entretenu sans interruption un lien privilégié avec sa filleule et nièce, depuis sa naissance jusqu’à son décès ». Il décrit une vie de famille heureuse par exemple quand le requérant vivait au domicile de ses parents et qu’il s’occupait d’elle quotidiennement. Plusieurs photographies de famille sont par ailleurs produites. M. [Y] fait également état de sa souffrance après l’autopsie de [N] et du fait que ses organes n’ont toujours pas été restitués et que lorsqu’ils le seront sa douleur n’en sera qu’accentuée.

En réparation de ce préjudice il sollicite la somme de 25.000 € tandis que le FGTI offre celle de 15.000 €, somme importante mais qui tient compte des circonstances du décès.

Au vu de ces éléments, il sera allouée la somme de 15.000 €.

– Déficit fonctionnel permanent

Ce préjudice a pour composante les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime, les douleurs qui persistent depuis la consolidation, la perte de la qualité de la vie et les troubles définitifs apportés à ces conditions d’existence.

En l’espèce, l’expert a retenu un taux de déficit fonctionnel permanent de 2% en le motivant ainsi: “ainsi, depuis le 14 juillet 2016, M. [Y] présente un mal être, une souffrance personnelle et des difficultés qui sont liées à la perte d’un être cher, et à ses traits pathologiques antérieurs”. M. [Y] étant âgé de 42 ans lors de la consolidation de son état, il lui sera alloué une indemnité de 3.400 € (valeur du point fixée à 1700€).

– Préjudice exceptionnel spécifique des victimes d’actes de terrorisme
 
Ce poste de préjudice a été retenu par le Fonds de Garantie à la suite d’une délibération de son conseil d’administration du 19 mai 2014 et est destiné à prendre en compte la spécificité de la situation des victimes directes ou indirectes d’un acte de terrorisme et notamment de l’état de stress post traumatique et des troubles liés au caractère particulier de cet événement. Le fonds de garantie soutient que ce préjudice, tel qu’il l’a évalué, échappe au contrôle du juge, ce que conteste le requérant, lequel réclame une somme de 16.000 €, tandis que le fonds de garantie offre celle de 6.000 €.

En l’espèce, l’acte de terrorisme du 14 juillet 2016 a été commis dans des circonstances particulières de volonté affirmée et revendiquée par les terroristes d’intimidation et de terreur d’une Nation entière afin de porter atteinte à l’État français et à ses citoyens dans leur ensemble. Ces faits dramatiques ont, en outre, eu une résonance importante dans l’opinion publique et dans les médias de façon durable.
 
Il sera ainsi alloué à M. [Y], en sa qualité de victime indirecte, une somme de 6.000 € en réparation de ce chef de préjudice, somme offerte par le FGTI, M. [Y] ne justifiant pas d’un préjudice qui n’aurait pas été pris en compte au titre des autres postes.
Décision du 10 Octobre 2024
PRPC JIVAT
N° RG 19/12835
N° Portalis 352J-W-B7D-CRBMC

SUR LES AUTRES DEMANDES

Les intérêts des sommes allouées courront à compter du jugement en vertu de l’article 1231-7 du code civil.

Le FGTI prendra à sa charge les dépens de l’instance.

En outre, il sera condamné à payer à M. [Y] une somme de 2.000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

La nature de l’affaire justifie que soit ordonnée l’exécution provisoire de la présente décision

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement mis à disposition au greffe, réputé contradictoire et en premier ressort,

Condamne le Fonds de Garantie des victimes d’actes de Terrorismes et d’autres Infractions à payer à M. [G] [Y] les sommes suivantes en réparation de son préjudice corporel, en deniers ou quittances, provisions non-déduites :
– frais divers : 2.400 €
– pertes de gains professionnels actuels: 2.943,10 €
– déficit fonctionnel temporaire: 1.700,16 €
– souffrances endurées: 8.000 €
– préjudice d’affection: 15.000 €
– déficit fonctionnel permanent: 3.400 €
– PESVT: 6.000 €

Ces sommes avec intérêts au taux légal à compter de ce jour ;

Déboute M. [G] [Y] de ses demandes plus amples ou contraires ;

Déclare le présent jugement commun à la sécurité sociale des Indépendants de [Localité 1] ;

Condamne le FGTI aux dépens de l’instance ;

Condamne le FGTI à payer à M. [G] [Y] la somme de 2.000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Ordonne l’exécution provisoire du présent jugement à concurrence

Rappelle que la présente décision bénéficie de l’exécution provisoire de droit ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Fait et jugé à Paris le 10 Octobre 2024

Le Greffier La Présidente


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