Indemnisation des Victimes d’Actes de Terrorisme : Évaluation des Préjudices et Droits à Réparation

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Indemnisation des Victimes d’Actes de Terrorisme : Évaluation des Préjudices et Droits à Réparation

Madame [K] [Z], présente lors de l’attentat du 14 juillet 2016 à [Localité 1], a subi un choc psychologique important, nécessitant un suivi psychiatrique et un traitement médicamenteux. Elle a déposé une plainte et a sollicité une indemnisation auprès du Fonds de Garantie des Victimes d’Actes de Terrorisme (FGTI). Après plusieurs expertises, des désaccords sur les évaluations des préjudices ont conduit Madame [Z] à saisir le Tribunal judiciaire de Paris. Elle a demandé des indemnités pour divers préjudices, tandis que le FGTI a proposé des montants inférieurs. Le tribunal a reconnu Madame [Z] comme victime d’un acte de terrorisme et a condamné le FGTI à lui verser des indemnités pour le déficit fonctionnel temporaire, les souffrances endurées, le déficit fonctionnel permanent, le préjudice d’agrément et un préjudice exceptionnel spécifique, tout en déboutant ses demandes concernant les pertes de gains professionnels. Le FGTI a également été condamné aux dépens et à verser des frais de justice.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

12 septembre 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG
22/11872
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

PRPC JIVAT

N° RG 22/11872
N° Portalis 352J-W-B7G-CXZEN

N° MINUTE :

Assignation du :
22septembre 2022

JUGEMENT
rendu le 12 Septembre 2024
DEMANDERESSE

Madame [K] [Z]
[Adresse 3]
[Localité 1]

représentée par Me Aurélia DELHAYE, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #G0426, Me Audrey GUILLOTIN, avocat au barreau de NICE, avocat plaidant

DÉFENDEUR

FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D’AUTRES INFRACTIONS
[Adresse 4]
[Localité 5]

représenté par Me Patricia FABBRO, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0082

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Olivier NOËL, Vice-Président
Emmanuelle GENDRE, Vice-Présidente
Maurice RICHARD, Magistrat à titre temporaire

assistés de Véronique BABUT, Greffier

DEBATS

A l’audience du 13 Juin 2024 tenue en audience publique
Après clôture des débats, avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 12 Septembre 2024.

Décision du 12 Septembre 2024
PRPC JIVAT
N° RG 22/11872
N° Portalis 352J-W-B7G-CXZEN

JUGEMENT

– contradictoire,
– En premier ressort,
– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile

EXPOSE DU LITIGE

Madame [K] [Z], née le [Date naissance 2] 1975, se trouvait sur la [Adresse 6] à [Localité 1] lors de l’acte de terrorisme qui a eu lieu le 14 juillet 2016. Madame [K] [Z], accompagnée de son frère, sa femme et leurs trois enfants, était assise face à la mer, à proximité de l’hôtel Negresco, lorsqu’elle apercevait le camion fonçant sur la [Adresse 6] et renversant toutes les personnes se trouvant sur son chemin. Après une quinzaine de minutes, Madame [Z] se dirigeait vers sa voiture, mais n’était pas en mesure de conduire le véhicule jusqu’à son domicile. Sa belle-sœur venait la chercher.

Le 26 juillet 2016, Madame [Z] se rendait chez le docteur [N], psychiatre hospitalier au CHU Pasteur, qui lui prescrivait un traitement psychotrope à base d’hypnotiques et anxiolytiques mineurs.

Le 28 juillet 2016, Madame [Z] déposait une plainte auprès du commissariat de police de [Localité 1].

Le 2 août 2016, le docteur [N] constatait que Madame [Z] « présente un état de stress aigu sévère suite aux attentats du 14 juillet 2016. La détresse péri-traumatique était majeure. Elle a présenté des troubles dissociatifs pendant 24 heures (sidération, dépersonnalisation). Elle a un syndrome de répétition sévère (image de cadavres, perceptions imposées, cauchemars). Elle a des signes d’hyperactivité neurovégétative (trouble du sommeil, une anxiété majeure, hypervigilance), des évitement émotionnels et comportementaux, une tristesse d’humeur, un sentiment d’insécurité. L’incapacité total de travail (ITT) au niveau psychologique est évaluée à supérieur à 8 jours. Le retentissement fonctionnel est majeur dans tous les domaines de la vie quotidienne. Le risque d’évolution vers un état de stress post-traumatique est important. Son état clinique nécessite un suivi psychiatrique régulier ».

Une procédure devant le Fonds de Garantie des Victimes d’Actes de Terrorisme et d’autres Infractions (FGTI) était introduite afin que Madame [Z] puisse obtenir l’indemnisation de ses préjudices.
Le 13 mai 2019, le Docteur [J] [F], désigné par le FGTI, remettait son rapport d’expertise. Le 16 mai 2019, le Fonds faisait une offre d’indemnisation.

En désaccord avec ce rapport d’expertise, Madame [Z] sollicitait une nouvelle expertise de la part du Fonds de Garantie.
Le 24 juin 2021, le FGTI missionnait de nouveau le docteur [F] afin qu’il réalise une seconde expertise sur Madame [Z].
Le rapport d’expertise était déposé le 13 février 2022 et l’expert concluait comme suit :
– Déficit fonctionnel temporaire :
Total : aucun
Partiel : 25% du 14 juillet 2016 au 28 août 2016
10% du 29 août 2016 jusqu’à consolidation
– Arrêt de travail psychiatrique : aucun documenté mais un impact sur son activité professionnelle pourrait être envisagé pour une période de 2 mois, soit jusqu’au 14 septembre 2016
– Consolidation : 17 décembre 2018
– Souffrances endurées : 3/7 (soit « modérées »)
– Angoisse de mort imminente : « importante »
– Déficit Fonctionnel Permanent psychiatrique : 7%
– Incidence professionnelle : aucune
– Préjudice d’agrément : possible lors de ses déplacements dans la foule et les transports en commun
– Frais futurs : prise en charge mensuelle de consultations psychiatriques pendant un an, et traitement psychotrope en rapport.

Le FGTI faisait une nouvelle offre à Madame [Z] le 17 février 2022.

Par acte délivré le 22 septembre 2022 au Fonds de Garantie des victimes d’actes de Terrorisme et d’autres Infractions, Madame [K] [Z] saisissait le Tribunal judiciaire de Paris afin d’obtenir l’indemnisation de ses préjudices.

Par conclusions signifiées le 2 février 2024, auxquelles il est référé expressément conformément à l’article 455 du code de procédure civile, Madame [K] [Z] demande au tribunal de :
A titre principal,
– JUGER que le Fonds de Garantie des victimes d’actes de Terrorisme et d’autres Infractions est responsable de l’indemnisation de Madame [Z],
En conséquence,
– CONDAMNER le Fonds de Garantie à payer à Madame [Z] les sommes suivantes au titre de l’indemnisation de ses préjudices :
– 12.540 euros au titre de la perte de gains professionnels actuels (PGPA)
– 55.055,40 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs (PGPF)
– 20.000 euros au titre de l’incidence professionnelle (IP)
– 8.832,50 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire (DFT)
– 80.000 euros au titre des souffrances endurées (SE)
– 18.000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent (DFP)
– 9.000 euros au titre du préjudice d’agrément (PA)
– 30.000 euros au titre du préjudice exceptionnel spécifique aux victimes de terrorisme
– CONDAMNER le Fonds à payer à Madame [Z] la somme totale de 233 427,9 euros majorés des intérêts de droit à compter de la date de la première contestation de l’offre d’indemnisation formée avec capitalisation des intérêts échus à compter de cette même formalité.
– DÉDUIRE de cette somme la provision de 41 000 euros accordée à Madame [Z] par les courriers du 17 février 2022 et du 12 mai 2022.
– JUGER n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir.
– CONDAMNER le Fonds de Garantie au paiement de la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
– CONDAMNER le Fonds de Garantie aux entiers dépens de l’instance.
A titre infiniment subsidiaire,
– ORDONNER une mesure d’expertise judiciaire aux fins d’évaluer les préjudices de Madame [Z],
– DESIGNER tel Expert spécialisé en psychiatrie qu’il plaira avec une mission spécifique,
– JUGER qu’il serait inéquitable de laisser à la charge de Madame [Z] les frais irrépétibles qu’elle a été contrainte d’exposer en justice aux fins de défendre ses intérêts,
– CONDAMNER le Fonds de Garantie des victimes d’actes de Terrorisme et d’autres Infractions à verser la somme de 2.000 euros à Madame [Z] au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile,
Par dernières écritures récapitulatives régulièrement signifiées le 31 janvier 2024, auxquelles il est référé expressément conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, le FGTI demande au tribunal de :
– Indemniser Madame [K] [Z] en fixant les indemnités suivantes :
– Perte de gains professionnels actuels : REJET
– Perte de gains professionnels futurs : REJET
– Incidence professionnelle : REJET
– Déficit fonctionnel temporaire : 2.390 €
– Souffrances endurées : 8.000 €
– Préjudice d’angoisse : 10.000 €
– Déficit fonctionnel permanent : 12.600 €
– Préjudice d’agrément : 3.000 €
– Constater l’offre du Fonds de Garantie de payer à Madame [K] [Z] : PESVT : 30.000 €,
– Allouer à Madame [K] [Z] la somme de 30.000 € au titre du PESVT.
– Débouter Madame [K] [Z] du surplus de ses demandes, plus amples ou contraires.
– Déduire les provisions versées à Madame [K] [Z] à hauteur de 41.000 €.
– Laisser à la charge du Trésor Public les dépens de l’instance.

Les parties, régulièrement assignées, ont constitué avocat, le présent jugement étant susceptible d’appel, il sera statué par jugement contradictoire.

L’ordonnance de clôture était rendue le 8 février 2024.

L’audience de plaidoiries se tenait le 13 juin 2024 et la décision était mise en délibéré au 12 septembre 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I- SUR LE DROIT A INDEMNISATION

L’article L.126-1 du code des assurances, issu de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice, dispose que « les victimes d’actes de terrorisme commis sur le territoire national, les personnes de nationalité française victimes à l’étranger de ces mêmes actes, y compris tout agent public ou militaire, ainsi que leurs ayants droit, quelle que soit leur nationalité, seront indemnisés dans les conditions définies aux articles L.422-1 à L422-3. »

Selon l’article 421-1 du code pénal, « constituent des actes de terrorisme, lorsqu’elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur, les infractions suivantes et notamment les atteintes volontaires à la vie, les atteintes à l’intégrité de la personne, l’enlèvement et la séquestration ».

En l’espèce, Madame [K] [Z] a été victime de l’acte terroriste commis le 14 juillet 2016 à [Localité 1].

La qualité de victime de Madame [K] [Z] n’est pas contestée par le FGTI.

Dans ces conditions et au vu de ce qui précède, Madame [K] [Z] relève bien d’une indemnisation au titre de la solidarité nationale telle que prévue par les dispositions des articles L.126-1 et L.422-1 et suivants du code des assurances.

Par conséquent, le FGTI sera condamné à verser à Madame [K] [Z] les indemnités ci-après allouées.

II- SUR LA RÉPARATION DES PRÉJUDICES DE MADAME [Z]

Le rapport d’expertise du 13 février 2022 ci-dessus évoqué déposé par le docteur [F] présente un caractère complet, informatif et objectif. Il est corroboré par d’autres pièces médicales, et notamment le premier rapport d’expertise du docteur [F] en date du 13 mai 2019, le compte-rendu de suivi psychologique de l’espace d’information et d’accompagnement des victimes du 15 juillet 2021 et le certificat du docteur [S] du 5 août 2019. Dès lors, ces données apportent un éclairage suffisant pour statuer sur les demandes d’indemnisation.

Au vu de l’ensemble des éléments versés aux débats, le préjudice subi par Madame [K] [Z], née le [Date naissance 2] 1975, âgée par conséquent de 41 ans lors des attentats du 14 juillet 2016, 43 ans à la date de consolidation de son état de santé fixée au 17 décembre 2018, agent de propreté lors des faits, sera réparé ainsi que suit, étant observé qu’en application de l’article 25 de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006, d’application immédiate, le recours subrogatoire des tiers payeurs s’exerce poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu’ils ont pris en charge.

A- Préjudices patrimoniaux

– Perte de gains professionnels actuels

Il s’agit de compenser les répercussions de l’invalidité sur la sphère professionnelle de la victime jusqu’à la consolidation de son état de santé. L’évaluation de ces pertes de gains doit être effectuée in concreto au regard de la preuve d’une perte de revenus établie par la victime jusqu’au jour de sa consolidation, à savoir jusqu’au 17 décembre 2018.

Madame [K] [Z] indique qu’elle cumulait deux emplois avant l’attentat : un emploi d’agent de propreté et un emploi d’aide à domicile des personnes âgées. Au moment de l’attentat, Madame [Z] précise qu’elle venait de terminer sa mission d’aide à domicile des personnes âgées, qu’elle avait démarré le 1er mai 2010. Son salaire brut moyen s’élevait, en 2015, à 341 euros pour un total de 4.101,53 euros par an. Madame [Z] était à la recherche d’une nouvelle mission dans la période qui a précédé l’attentat, mais les faits qu’elle a vécu l’ont empêché de poursuivre ses recherches.
Entre le 14 juillet 2016, jour de l’attentat, et le 6 août 2019, jour qu’elle retient comme sa date de consolidation, 3 ans et 24 jours se sont écoulés. Ainsi, la demanderesse chiffre sa perte de gains comme suit :
– 341 euros x 36 mois = 12.276 euros
– 11 euros journalier x 24 jours = 264 euros
– 12.276 euros + 264 euros = 12.540 euros

Le Fonds sollicite le rejet de ce poste de préjudice au motif que :
– Le revenu 2016 de Madame [Z] est proche de celui de 2015, les pertes de contrat n’étant pas imputables aux faits survenus le 14 juillet 2016 ;
– Les revenus de 2017 et 2018 de Madame [Z] sont largement supérieurs au revenu de 2016, interrogeant dès lors sur la réalité d’une perte de revenu qui de surcroît serait imputable aux conséquences de l’attentat ;
– La CPAM a versé à Madame [Z] du 02/08/2016 au 18/10/2016 des indemnités journalières pour la somme de 914, 16 euros.

En conséquence, il apparaît que les revenus annuels de Madame [Z] ont été constants à compter de la date de l’attentat jusqu’à la date de sa consolidation retenue par l’expert, le 17 décembre 2018. De plus, elle a indiqué que sa mission d’aide à domicile des personnes âgées s’était terminée avant les attentats, et que l’arrêt de ce travail n’était donc pas lié à l’attentat. Ainsi, Madame [Z] ne justifie pas avoir subi de pertes de gains professionnelles et ce même si elle n’occupait plus que son poste d’agent de propreté. Enfin, elle n’a pas démontré au tribunal les raisons pour lesquelles elle n’aurait pas retrouver un emploi d’aide à domicile des personnes âgées suite aux attentats. Ainsi, il ne peut être établi que Madame [Z] aurait subi une baisse de salaire imputable aux faits. Sa demande au titre de sa perte de gains professionnels actuels sera rejetée.

– Perte de gains professionnels futurs

Elle résulte de la perte de l’emploi ou du changement d’emploi.

Ce préjudice est évalué à partir des revenus antérieurs afin de déterminer la perte annuelle, le revenu de référence étant toujours le revenu net annuel imposable avant l’accident ; il convient alors de distinguer deux périodes :
– de la consolidation à la décision : il s’agit des arrérages échus qui seront payés sous forme de capital;
– après la décision : il s’agit d’arrérages à échoir qui peuvent être capitalisés (cf. tables de capitalisation de rentes viagères en annexe) en fonction de l’âge de la victime au jour de la décision : cette capitalisation consiste à multiplier la perte annuelle par un « prix de l’euro de rente » établi en fonction de l’âge et du sexe de la victime.

Madame [K] [Z] sollicite la somme de 55.055,40 euros au titre de sa perte de gains professionnels futurs car elle indique avoir une perte de chance de 80% de retrouver une mission similaire à son emploi d’aide à domicile pour personnes âgées qu’elle exerçait avant les attentats. Elle touchait un salaire moyen de 341 euros brut par mois en 2015. Elle précise qu’elle était âgée de 44 ans à la date de la consolidation le 6 août 2019, son point de capitalisation est donc à 16.818 pour une retraite à 62 ans. Dès lors, la demanderesse calcule le montant de son indemnisation comme suit :
– 341 euros x 12 mois x 16.818 = 68.819,256 euros
– 68.819,256 euros x 80% = 55.055,40 euros

Le Fonds de Garantie demande le rejet de ce poste de préjudice au motif que Madame [Z] ne justifie d’aucun arrêt de travail et d’aucune hospitalisation, et que le docteur [F] a indiqué dans son rapport d’expertise que la demanderesse était capable de reprendre son activité professionnelle antérieure à l’attentat dans les mêmes conditions.

Ainsi, et pour les mêmes motifs que ceux qui ont présidé au débouté de ses demandes au titre de sa perte de gains professionnels actuels, Madame [K] [Z] sera débouté de sa présente demande au titre de sa perte de gains professionnels futurs, eu égard au fait qu’il n’est pas établi qu’il existerait une baisse de revenus en lien avec les attentats, et qu’elle ne produit pas aux débats d’éléments concrets de nature à démontrer que l’attentat aurait créé une perte de chance pour elle de retrouver une mission similaire à son emploi d’aide à domicile pour personnes âgées qu’elle exerçait avant les faits.

– Incidence professionnelle

Ce poste d’indemnisation a pour objet d’indemniser les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle comme le préjudice subi par la victime en raison de sa dévalorisation sur le marché du travail, de sa perte d’une chance professionnelle, ou de l’augmentation de la pénibilité de l’emploi qu’elle occupe imputable au dommage ou encore du préjudice subi qui a trait à sa nécessité de devoir abandonner la profession qu’elle exerçait avant le dommage au profit d’une autre qu’elle a dû choisir en raison de la survenance de son handicap. Ce poste indemnise également la perte de retraite que la victime va devoir supporter en raison de son handicap, c’est-à-dire le déficit de revenus futurs, estimé imputable à l’accident, qui va avoir une incidence sur le montant de la pension auquel pourra prétendre la victime au moment de sa prise de retraite.

Le docteur [F] a indiqué dans son rapport du 13 février 2022 : « Incidence professionnelle : aucune ».

Madame [K] [Z] sollicite la somme de 20.000 euros au titre de son incidence professionnelle, exposant :
– Sa perte de chance de retrouver un emploi, Madame [Z] n’étant plus en mesure, après l’attentat, de reprendre ses recherches professionnelles ;
– Sa pénibilité accrue, son emploi d’agent de propreté s’effectuant en position debout pendant plusieurs heures, et Madame [Z] étant fatiguée physiquement et psychologiquement.

Le Fonds sollicite le rejet de ce poste de préjudice au motif que la demanderesse ne rapporte la preuve ni d’une perte de chance d’obtenir un emploi ou une promotion professionnelle, ni de la pénibilité accrue au travail.

Sur ce,

Au regard du rapport d’expertise ne retenant aucune incidence professionnelle, et du fait que la demanderesse ne verse aucun élément concret aux débats permettant d’appréhender la réalité de sa perte de chance de retrouver un emploi ainsi que sa pénibilité accrue au travail, il conviendra de rejeter la demande de Madame [Z] au titre de son incidence professionnelle.

B- Préjudices extra-patrimoniaux

– Déficit fonctionnel temporaire

Ce poste de préjudice indemnise l’invalidité subie par la victime dans sa sphère personnelle pendant la maladie traumatique. Le déficit fonctionnel temporaire inclut pour la période antérieure à la date de consolidation, l’incapacité fonctionnelle totale ou partielle ainsi que le temps d’hospitalisation et les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique.

L’expert a retenu différentes périodes de déficit fonctionnel temporaire comme suit :
– 25% du 14 juillet 2016 au 28 août 2016
– 10% du 29 août 2016 jusqu’à consolidation

La demanderesse sollicite la somme de 8.832,50 euros en se basant sur un taux journalier de 25 euros, et le Fonds de Garantie propose de l’indemniser à hauteur de 2.390 euros en prenant en compte le taux journalier de 25 euros.

Sur la base d’une indemnisation de 25 euros par jour pour un déficit total, les troubles dans les conditions d’existence subis jusqu’au 17 décembre 2018 justifient l’octroi d’une somme de 2.390 euros ainsi décomposée :

dates
25,00 €
/ jour

début de période
14/07/2016

taux déficit

total
fin de période
28/08/2016
46
jours
25%
287,50 €

fin de période
17/12/2018
841
jours
10%
2.102,50 €
2.390,00 €

– Souffrances endurées

Il s’agit de toutes les souffrances physiques et psychiques, ainsi que des troubles associés, que doit endurer la victime durant la maladie traumatique, c’est-à-dire du jour de l’accident à celui de sa consolidation. A compter de la consolidation, les souffrances endurées vont relever du déficit fonctionnel permanent et seront donc indemnisées à ce titre.

Les souffrances endurées ont été évaluées à 3 sur une échelle de 7 par l’expert, qui a tenu compte des soins entrepris, notables mais uniquement ambulatoires.

En l’espèce, Madame [K] [Z] sollicite la somme de 80.000 euros au titre des souffrances endurées, et le Fonds offre la somme de 8.000 euros.

Ainsi, au regard de l’expertise du docteur [F], les souffrances endurées seront réparées par l’allocation de la somme de 10.000 euros.

– Déficit fonctionnel permanent

Ce poste tend à indemniser la réduction définitive (après consolidation) du potentiel physique, psychosensoriel, ou intellectuel résultant de l’atteinte à l’intégrité anatomo-physiologique, à laquelle s’ajoute les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, et notamment le préjudice moral et les troubles dans les conditions d’existence (personnelles, familiales et sociales).

Il est demandé 18.000 euros et offert la somme de 12.600 euros.

La victime souffre d’un déficit fonctionnel global permanent évalué à 7% par l’expert qui prend en compte la persistance des symptômes importants tels que la conduite d’évitement, l’hyperactivité neurovégétative, les troubles cognitifs et thymiques, le syndrome intrusif et des ruminations anxieuses morbides des faits avec reviviscence (diurne et nocturne avec insomnies).

Madame [K] [Z] sollicite la somme de 18.000 euros en réévaluant le taux de DFP à 10%, et le Fonds offre la somme de 12.600 euros.

Madame [K] [Z] étant âgée de 43 ans lors de la consolidation de son état, il lui sera allouée une indemnité calculée sur la base d’un point d’incapacité de 1.800 euros.

Il lui sera donc allouée la somme de 12.600 euros (1.800×7).

– Préjudice d’agrément

Ce préjudice vise à réparer le préjudice spécifique lié à l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique, sportive ou de loisirs ainsi que les limitations ou difficultés à poursuivre ces activités. Ce préjudice particulier peut être réparé, en sus du déficit fonctionnel permanent, sous réserve de la production de pièces justifiant de la pratique antérieure de sports ou d’activités de loisirs particuliers.

Madame [K] [Z] sollicite la somme de 9.000 euros car elle indique que si elle aimait sortir, aller au restaurant et en discothèque avant les attentats, elle est depuis ces évènements renfermée, craint la foule et les transports en commun.

Le Fonds de Garantie propose une indemnisation à hauteur de 3.000 euros en raison du préjudice d’agrément de la demanderesse lors de ses déplacements dans la foule et les transports en commun.

Le docteur [F] a indiqué : « possible préjudice d’agrément lors de ses déplacements dans la foule et les transports en commun ».

Ainsi, au regard du rapport d’expertise et de l’offre faite par le Fonds, il sera alloué la somme de 3.000 euros à Madame [Z] au titre de son préjudice d’agrément.

– Préjudice exceptionnel spécifique des victimes d’actes de terrorisme

Ce poste de préjudice exceptionnel est destiné à prendre en compte la spécificité de la situation des victimes d’un acte de terrorisme et notamment l’état de stress post traumatique et les troubles liés au caractère de cet événement, en raison des circonstances particulières de commission des faits et de leur résonance.

Ce poste de préjudice a été retenu par le Fonds de Garantie à la suite d’une délibération de son conseil d’administration du 19 mai 2014 et est destiné à prendre en compte la spécificité de la situation des victimes directes ou indirectes d’un acte de terrorisme et notamment de l’état de stress post traumatique et des troubles liés au caractère particulier de cet événement.

Madame [K] [Z] sollicite la somme de 30.000 euros et le Fonds de Garantie acquiesce à la demande.

Ainsi, il sera entériné l’accord des parties sur la somme de 30.000 euros.

III- SUR LES AUTRES DEMANDES

Les sommes allouées produiront intérêts à compter du présent jugement conformément aux dispositions de l’article 1231-7 du code civil.

Le FGTI prendra à sa charge les dépens de l’instance.

En outre, le FGTI sera condamné à payer à la demanderesse la somme de 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Rien ne justifie d’écarter l’exécution provisoire dont la présente décision bénéficie de plein droit, conformément aux dispositions des articles 514 et 514-1 du code de procédure civile, s’agissant en effet d’une instance introduite après le 1er janvier 2020.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, statuant publiquement, par jugement mis à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort,

DIT que Madame [K] [Z] a été victime d’un acte de terrorisme le 14 juillet 2016 à [Localité 1] (06) et qu’il relève des dispositions des articles L126-1 et L422-1 et suivants du code des assurances ;

CONDAMNE le Fonds de Garantie des victimes d’actes de Terrorismes et d’autres Infractions à payer à Madame [K] [Z], en réparation de son préjudice corporel, en deniers ou quittances, provisions non-déduites, avec intérêts au taux légal à compter de ce jour, les sommes suivantes :
– Déficit fonctionnel temporaire : 2.390 euros
– Souffrances endurées : 10.000 euros
– Déficit fonctionnel permanent : 12.600 euros
– Préjudice d’agrément : 3.000 euros
– Préjudice exceptionnel spécifique des victimes d’actes de terrorisme : 30.000 euros

DÉBOUTE Madame [K] [Z] de ses demandes au titre de sa perte de gains professionnels actuels, de sa perte de gains professionnels futurs et de son incidence professionnelle ;

CONDAMNE le FGTI aux dépens de l’instance ;

CONDAMNE le FGTI à payer à Madame [K] [Z] la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

RAPPELLE que la présente décision bénéficie de l’exécution provisoire de droit ;

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Fait et jugé à Paris le 12 Septembre 2024

Le Greffier Le Président


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