Indemnisation des Victimes d’Actes de Terrorisme

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Indemnisation des Victimes d’Actes de Terrorisme

Le 13 novembre 2015, Madame [M] et Monsieur [F] étaient présents au Bataclan lors de l’attaque terroriste. Ils se sont cachés au sol jusqu’à une accalmie, puis ont réussi à s’échapper et se sont réfugiés dans un appartement voisin. Ils ont appris plus tard que leurs amis, restés à l’intérieur, avaient perdu la vie. À cette époque, Madame [M] était en formation d’architecte et Monsieur [F] venait de commencer un emploi. Après l’attaque, ils sont rentrés chez leurs familles pour une dizaine de jours.

Un rapport d’expertise a été établi, indiquant divers taux de déficit fonctionnel temporaire et des préjudices subis par Madame [M], notamment des souffrances, des pertes de gains professionnels futurs, et des difficultés scolaires. Le Fonds de Garantie a reconnu son droit à indemnisation, lui versant initialement 20.000 €.

Suite à des discussions amiables infructueuses, Madame [M] a assigné le Fonds de Garantie et la CPAM pour obtenir une indemnisation complète. Dans ses conclusions, elle a demandé des sommes précises pour divers préjudices.

Le tribunal a rendu sa décision le 12 septembre 2024, condamnant le Fonds de Garantie à verser des indemnités pour les préjudices subis par Madame [M], tout en déboutant certaines de ses demandes. Le jugement a également prévu l’exécution provisoire et a condamné le Fonds de Garantie aux dépens de l’instance.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

12 septembre 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG
22/12339
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

PRPC JIVAT

N° RG 22/12339
N° Portalis 352J-W-B7G-CX5CI

N° MINUTE :

Assignations du :
23 septembre 2022
3 octobre 2022

JUGEMENT
rendu le 12 Septembre 2024

DEMANDERESSE

Madame [Y] [M]
[Adresse 3]
[Localité 4]

représentée par Me Pamela ROBERTIERE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0531

DÉFENDEURS

FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES D’ACTES DE TERRORISME ET D’AUTRES INFRACTIONS
[Adresse 5]
[Localité 7]

représenté par Me Patricia FABBRO, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0082

CPAM DU BAS-RHIN
[Adresse 2]
[Localité 6]

défaillante

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Olivier NOËL, Vice-Président
Emmanuelle GENDRE, Vice-Présidente
Monsieur RICHARD, Magistrat à titre temporaire

assistés de Véronique BABUT, Greffier

Décision du 12 Septembre 2024
PRPC JIVAT
N° RG 22/12339
N° Portalis 352J-W-B7G-CX5CI

DEBATS

A l’audience du 13 Juin 2024 tenue en audience publique
Après clôture des débats, avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 12 Septembre 2024.

JUGEMENT

– Réputé contradictoire,
– En premier ressort,
– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile

EXPOSE DU LITIGE

Le 13 novembre 2015, Madame [M], née le [Date naissance 1] 1990, et Monsieur [F] étaient au Bataclan, accompagnés d’un couple d’amis.
Lorsque l’attaque a commencé, Madame [M] et Monsieur [F] se trouvaient dans la fosse. Ils se sont couchés au sol où ils sont restés jusqu’à la première accalmie. Puis, ils réussissaient à s’échapper par le [Adresse 10]. Ils se sont réfugiés dans un appartement proche de la salle de concert. Ils tentaient de joindre leurs amis restés dans l’enceinte du Bataclan, mais en vain. Ils apprenaient plus tard qu’ils étaient décédés tous les deux.
Madame [M] et Monsieur [F] venaient d’arriver sur [Localité 9] : Madame [M] avait commencé une nouvelle année d’étude en septembre (année de spécialisation après ses études d’architecte) et Monsieur [F] avait commencé son premier emploi sur [Localité 9] début novembre. Ils devaient aménager dans leur appartement le 14 novembre. Suite aux attentats, ils sont rentrés dans leur famille à [Localité 8] dès le samedi et y sont restés une dizaine de jours.

Après avoir reçu les parties le 19 décembre 2017, l’expert déposait son rapport définitif le 20 novembre 2019 dans lequel il concluait :
Déficit Fonctionnel Temporaire Partiel :
• 75% du 13 novembre 2015 au 26 novembre 2015 ;
• 50% du 27 novembre 2015 au 20 mars 2016 ;
• 75% du 21 mars 2016 au 20 avril 2016 ;
• 40% du 21 avril 2016 au 13 juillet 2016 ;
• 75% du 14 juillet 2016 au 14 août 2016 ;
• 40% du 15 août 2016 au 9 janvier 2017 ;
• 30% du 10 janvier 2017 au 30 octobre 2017 ;
• 20% du 31 octobre 2017 11 décembre 2018 ;
• 40% du 12 décembre 2018 au 31 décembre 2018 ;
• 20% du 1er septembre au 25 mars 2019.
Pertes de gains professionnels actuels : elle ne travaillait pas au moment des faits. Elle était en formation. Elle évoque 10 jours d’arrêt de formation sans arrêt de travail. Par la suite elle adapte son planning. Elle évoque la pénibilité, la fatigabilité, les troubles cognitifs.
Aide humaine temporaire :

• 2h par jour quand le DFTP est de 75% ;
• 2h par jour 5 jours sur 7, sur les autres périodes, jusqu’au 30 juin 2016 Souffrances endurées : 5,5/7 ;
PAMI : majeur ;
Consolidation : 25 mars 2019 ;
Déficit Fonctionnel Permanent : 14% ;
Préjudice d’agrément : nette diminution des activités de loisirs, arrêt des concerts, des festivals et des expositions. Stratégies pour aller au cinéma ;
Préjudice scolaire, universitaire ou de formation : difficultés en rapport avec la fatigue et les troubles de la concentration ;
Pertes de gains professionnels futurs et incidence professionnelle : perte de chance d’avoir un poste qui correspond à sa formation. De plus, nous rappellerons la gêne occasionnée par les troubles cognitifs ;
Soins médicaux après consolidation : 10 séances d’EMDR.

Le 22 février 2016, le Fonds de Garantie a reconnu le droit à indemnisation de Madame [Y] [M], lui octroyant une provision de 10.000 €. Le 15 mars 2017, le Fonds de Garantie procédait au règlement d’une provision complémentaire de 10.000 €, portant à 20.000 € le montant des provisions versées.
Le Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et d’autres infractions, ci-après FGTI ne conteste pas le droit à indemnisation de Madame [M] qui est entier.

Suite à l’échec des discussions amiables, Madame [M] a fait assigner le Fonds de Garantie des Victimes d’Actes de Terrorisme et d’autres Infractions (FGTI) et la CPAM du BAS-RHIN devant ce Tribunal aux fins de voir reconnaître son droit à indemnisation et de voir liquider ses préjudices.

Dans ses conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 13 septembre 2023, auxquelles il est référé expressément conformément aux dispositions de l’article 455 du Code de procédure civile, Madame [M] demande au Tribunal de :

➢ CONDAMNER le FGTI à indemniser l’entier préjudice de Madame [M].
➢ CONDAMNER le FGTI à verser à Madame [M], après déduction des créances des organismes sociaux :
o Dépenses de santé actuelles : ………………………………… 123,80 € ;
o Frais divers : …………………………………………………………. 696,26 € ;
o Tierce personne temporaire : ……………………………….. 8.320,00 € ;
o Préjudice scolaire : ……………………………………………… 5.000,00 € ;
o PGPA : ……………………………………………………………. 11.930,77 € ;
o PGPF : ………………………………………………………….. 252.759,91 € ;
o Incidence professionnelle : …………………………………. 58.409,50 € ;
o Dépenses de santé futures : ………………………………… 1.050,00 € ;
o Déficit Fonctionnel Temporaire : …………………………. 12.073,50 € ;
o Souffrances endurées : ……………………………………… 60.000,00 € ;
o PAMI : …………………………………………………………….. 80.000,00 € ;
o Déficit Fonctionnel Permanent : ……………………….. . 175.745,31 € ;
o Préjudice d’agrément : ………………………………………. 20.000,00 € ;
o Préjudice spécifique des victimes de terrorisme : …… 45 000,00 €.

Décision du 12 Septembre 2024
PRPC JIVAT
N° RG 22/12339
N° Portalis 352J-W-B7G-CX5CI

➢ CONDAMNER le FGTI à verser des dommages et intérêts à Madame [M] au regard de l’offre manifestement insuffisante correspondant à 15% de l’indemnité allouée ;
➢ CONDAMNER le FGTI à verser à Madame [M] la somme de 7.500,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
➢ CONDAMNER le FGTI aux intérêts de droit avec anatocisme à compter de l’assignation ;
➢ CONDAMNER le FGTI aux entiers dépens au profit de Maître ROBERTIERE.
➢ ORDONNER l’exécution provision du présent jugement.
➢ DECLARER le présent jugement commun à la CPAM du BAS-RHIN.

Aux termes de ses conclusions signifiées par voie électronique le 6 novembre 2023, auxquelles il est référé expressément conformément aux dispositions de l’article 455 du Code de procédure civile, le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions demande au Tribunal de :
Indemniser Madame [Y] [M] en fixant les indemnités suivantes :
Dépenses de santé actuelles : 105 €
Frais divers : 600 €
Présence humaine : 6.240 €
Préjudice de formation : 2.000 €
Perte de gains professionnels actuels : REJET
Perte de gains professionnels futurs : REJET
Incidence professionnelle : 10.000 €
Dépenses de santé futures : RESERVES
Déficit fonctionnel temporaire : 10.078,75 €
Souffrances endurées : 30.000 €
Préjudice d’angoisse : 10.000 €
Déficit fonctionnel permanent : 32.480 €
Préjudice d’agrément : 3.000 €
Allouer à Madame [Y] [M] la somme de 30.000 € au titre du PESVT.
Débouter Madame [Y] [M] du surplus de ses demandes, plus amples ou contraires. Déduire les provisions versées à Madame [Y] [M] à hauteur de 85.000 €.
Laisser à la charge du Trésor Public les dépens de l’instance.

La Caisse primaire d’assurance maladie du BAS-RHIN, quoique régulièrement assignée, n’a pas constitué avocat ; susceptible d’appel, la présente décision sera donc réputée contradictoire à l’égard de tous.

La clôture de la présente procédure a été prononcée le 25 janvier 2024, l’affaire a été évoquée à l’audience du 13 juin 2024 et mise en délibéré au 12 septembre 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I- SUR LES DEMANDES DE LA VICTIME DIRECTE

A. Sur le droit à indemnisation

Aux termes de l’article L 126-1 du code des assurances, les victimes d’actes de terrorisme commis sur le territoire national, les personnes de nationalité française victimes à l’étranger de ces mêmes actes, y compris tout agent public ou tout militaire, ainsi que leurs ayants droit, quelle que soit leur nationalité, sont indemnisés dans les conditions définies aux articles L 422-1 à L 422-3.

Selon l’article 421-1 du code pénal, « constituent des actes de terrorisme, lorsqu’elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur, les infractions suivantes et notamment les atteintes volontaires à la vie, les atteintes à l’intégrité de la personne, l’enlèvement et la séquestration ».
 
Il n’est pas contesté et il résulte en tout état de cause de l’analyse de la procédure que Madame [Y] [M], née le [Date naissance 1] 1990, a été victime de l’attentat survenu à [Localité 9] le 13 novembre 2015 au Bataclan.
 
Par conséquent, le FGTI sera condamné à indemniser Madame [M] des conséquences dommageables de l’attentat.

B. Sur l’évaluation du préjudice

Le rapport d’expertise, ci-dessus évoqué, présente un caractère complet, informatif et objectif. Il est corroboré par les pièces fournies par les parties.

Au vu de l’ensemble des éléments versés aux débats, le préjudice subi par Madame [M], née le [Date naissance 1] 1990 et âgée par conséquent de 25 ans lors de l’attentat et 28 ans à la date de consolidation de son état de santé et sans profession lors des faits, sera réparé ainsi que suit, étant observé qu’en application de l’article 25 de la loi n°2006-1640 du 21 décembre 2006, d’application immédiate, le recours subrogatoire des tiers payeurs s’exerce poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu’ils ont pris en charge.

Madame [M] estime qu’une actualisation des sommes devant lui revenir lui serait due au motif qu’il s’est écoulé un certain délai entre le fait générateur du préjudice et le moment de la réparation. Ce faisant, Madame [M] ne prend pas en compte que la durée de l’instance est relativement courte (assignation en 2022 et jugement en 2024), que la durée est liée aux choix tactiques des deux parties, et, surtout, ne tient pas compte des sommes qui lui ont été versées à titre de provision et qui ont ainsi, mathématiquement, réduit le poids financier allégué et que l’actualisation aurait vocation à réparer.
Ainsi cette demande d’actualisation sera écartée.

I- Préjudices patrimoniaux

– Dépenses de santé avant consolidation

Les dépenses de santé sont constituées de l’ensemble des frais hospitaliers, de médecins, d’infirmiers, de professionnels de santé, de pharmacie et d’appareillage en lien avec l’accident.

Madame [M] présente une facture (pièce 2.7) de 105 € dont elle sollicite réparation et dont le montant, avant actualisation, est de 105 €.

Cette somme sera donc retenue comme constituant une juste indemnisation.

– Frais divers

L’assistance de la victime lors des opérations d’expertise par un, ou des, médecin conseil en fonction de la complexité du dossier, en ce qu’elle permet l’égalité des armes entre les parties à un moment crucial du processus d’indemnisation, doit être prise en charge dans sa totalité. De même, ces données peuvent justifier d’indemniser les réunions et entretiens préparatoires. Les frais d’expertise font partie des dépens.

Madame [M] sollicite la somme de 600 € au titre des honoraires médecin conseil, somme qu’elle actualise à 696,26 €.

Il a été indiqué ci-dessus, de façon globale, que le principe de l’actualisation ne peut être retenu et c’est la somme de 600 €, acceptée par le Fonds, qui sera retenu à titre d’indemnisation de ce chef de préjudice.

– Assistance tierce personne provisoire

Il convient d’indemniser les dépenses destinées à compenser les activités non professionnelles particulières qui ne peuvent être assumées par la victime directe durant sa maladie traumatique, comme l’assistance temporaire d’une tierce personne pour les besoins de la vie courante, étant rappelé que l’indemnisation s’entend en fonction des besoins et non en fonction de la dépense justifiée. Le montant de l’indemnité allouée au titre de l’assistance d’une tierce personne ne saurait être subordonné à la production de justificatifs des dépenses effectives.

En l’espèce, il ressort du rapport d’expertise ce qui suit s’agissant de l’assistance tierce-personne provisoire qui a été utile à raison de 2h par jour quand le DFTP est de 75% et de 2h par jour 5 jours sur 7, sur les autres périodes, jusqu’au 30 juin 2016. Les parties ont calculé qu’ainsi 416 heures ont été utiles à la demanderesse.

Sur la base d’un taux horaire de18 euros, adapté à la situation de la victime à ce stade, il convient d’allouer la somme suivante : 416 h x 18€ = 7.488 €.

Cette somme sera donc retenue à titre d’indemnisation de ce chef de préjudice.

– Préjudice scolaire ou de formation

Madame [M] indique qu’elle a eu un préjudice scolaire qu’il convient de réparer à hauteur de 5.000 €.
Le Fonds offre de ce chef de prétention la somme de 2.000 €.

Il sera noté que Madame [M] ne paraît pas avoir perdu d’année scolaire, qu’elle a uniquement évoqué devant l’expert, qui a retenu ces éléments, une fatigabilité et une perte de concentration ayant rendu ses apprentissages plus difficiles.

Dès lors, il convient de tenir compte de ces éléments et d’accorder à ce titre une réparation qui sera fixée à 3.500 €.

– Perte de gains professionnels avant consolidation

Il s’agit de compenser les répercussions de l’invalidité sur la sphère professionnelle de la victime jusqu’à la consolidation de son état de santé. L’évaluation de ces pertes de gains doit être effectuée in concreto au regard de la preuve d’une perte de revenus établie par la victime jusqu’au jour de sa consolidation.

Madame [M] s’estime fondée à former une demande de ce chef en faisant valoir que sans les attentats elle aurait poursuivi sa vie professionnelle à [Localité 9], que les salaires pratiqués à [Localité 9] sont supérieurs à ceux obtenus à [Localité 11], où, tout compte fait, elle a trouvé du travail dans son secteur d’activité (architecture et urbanisme).
C’est ainsi qu’elle estime subir une perte qu’elle estime à 11.930,77 €, somme dont elle demande réparation.

Le Fonds s’oppose à cette demande.

Il apparaît en fait que Madame [M] a soutenu qu’elle avait fait l’objet d’offres d’embauche sur [Localité 9], mais qu’elle ne produit aucune pièce en ce sens, l’affirmation selon laquelle elle souhaitait poursuivre sa carrière en région parisienne est uniquement déclarative.
Les avis d’imposition produits (pièces 7.23 et suivantes) démontrent qu’elle a connu une évolution de revenus normale au regard de ses diplômes et de son entrée récente dans le monde du travail : 21.632 € en 2017, 26.920 € en 2018 et 34.178 € en 2019. Il sera noté que le Fonds démontre par ses pièces que si le salaire peut paraître très légèrement inférieur selon que le travailleur vit à [Localité 9] ou à [Localité 11], en raison du coût des loyers moins important en province que dans la capitale, le pouvoir d’achat de Madame [M] est supérieur à [Localité 11] de ce qu’il serait si elle vivait à [Localité 9].

Dès lors, cette demande sera rejetée.

– Dépenses de santé futures

Il est sollicité à ce titre une somme de 1.050 € correspondant au coût de 10 séances d’EMDR dont Madame [M] souhaite profiter et qui apparaissent utiles à l’expert.

Le Fonds demande que cette prétention soit réservée.

Il apparaît que ces soins sont utiles, et, en conséquence, il sera intégralement fait droit à cette demande.

– Perte de gains professionnels futurs

Ce poste indemnise la victime de la perte ou de la diminution de ses revenus consécutive à l’incapacité permanente à laquelle elle est confrontée du fait du dommage dans la sphère professionnelle après la consolidation de son état de santé.

En l’espèce, Madame [M] soutient qu’elle a dû connaître un revenu moindre à compter de la date de consolidation et que cette situation serait vouée à se poursuivre tout au long de sa vie professionnelle.

Le Fonds s’oppose à cette demande.

Pour fonder sa demande, Madame [M] évoque la situation de deux camarades d’études, Mesdames [V] et [J], l’une gagnant 9% de plus que Madame [M] et l’autre 14,26%.

Il est immédiatement noté que ces deux personnes, dont les diplômes, les situations personnelles et notamment d’implantation géographique et les parcours professionnels ne sont pas précisés, n’ont pas le même salaire, et que rien ne permet d’estimer que l’un des salaires serait le «salaire le plus juste» auquel tous ceux ayant le même profil aurait droit.

Il appartient à Madame [M] de renégocier son salaire soit au cours de sa vie professionnelle auprès du même employeur soit en recherchant un nouvel emploi, éventuellement dans une région moins attrayante, comme cela se pratique régulièrement.

En l’état, une telle demande ne peut qu’être rejetée.

– Incidence professionnelle

Ce poste d’indemnisation a pour objet d’indemniser les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle comme le préjudice subi par la victime en raison de sa dévalorisation sur le marché du travail, de sa perte d’une chance professionnelle, ou de l’augmentation de la pénibilité de l’emploi qu’elle occupe imputable au dommage ou encore du préjudice subi qui a trait à sa nécessité de devoir abandonner la profession qu’elle exerçait avant le dommage au profit d’une autre qu’elle a dû choisir en raison de la survenance de son handicap. Ce poste indemnise également la perte de retraite que la victime va devoir supporter en raison de son handicap, c’est-à-dire le déficit de revenus futurs, estimé imputable à l’accident, qui va avoir une incidence sur le montant de la pension auquel pourra prétendre la victime au moment de sa prise de retraite.

Il est formé une demande de ce chef à hauteur de 58.409,50 € et offert 10.000 €.

En l’espèce, il convient de noter que l’expert a indiqué que Madame [M] connaissait des troubles cognitifs rendant plus difficile à cette personne l’accès à des postes correspondants à son niveau de qualification, en conséquence, il convient d’indemniser ce chef de préjudice qui est certain et important en accordant à titre indemnitaire de ce chef une somme de 35.000 €.

II- Préjudices extra-patrimoniaux

– Déficit fonctionnel temporaire

Ce poste de préjudice indemnise l’invalidité subie par la victime dans sa sphère personnelle pendant la maladie traumatique.

Le déficit fonctionnel temporaire inclut pour la période antérieure à la date de consolidation, l’incapacité fonctionnelle totale ou partielle ainsi que le temps d’hospitalisation et les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique.

En l’espèce, il ressort du rapport d’expertise ce qui suit s’agissant du déficit fonctionnel temporaire a été partiel d’intensité variable selon les périodes et ce comme suit :

• 75% du 13 novembre 2015 au 26 novembre 2015 ;
• 50% du 27 novembre 2015 au 20 mars 2016 ;
• 75% du 21 mars 2016 au 20 avril 2016 ;
• 40% du 21 avril 2016 au 13 juillet 2016 ;
• 75% du 14 juillet 2016 au 14 août 2016 ;
• 40% du 15 août 2016 au 9 janvier 2017 ;
• 30% du 10 janvier 2017 au 30 octobre 2017 ;
• 20% du 31 octobre 2017 11 décembre 2018 ;
• 40% du 12 décembre 2018 au 31 décembre 2018 ;
• 20% du 1er septembre au 25 mars 2019.

Sur la base d’une indemnisation de 28 € par jour pour un déficit total, adaptée à la situation décrite, il sera alloué la somme suivante : 11.268,60 €.

– Souffrances endurées

Il s’agit de toutes les souffrances physiques et psychiques, ainsi que des troubles associés, que doit endurer la victime durant la maladie traumatique, c’est-à-dire du jour de l’accident à celui de sa consolidation. A compter de la consolidation, les souffrances endurées vont relever du déficit fonctionnel permanent et seront donc indemnisées à ce titre.

En l’espèce, elles sont caractérisées par le traumatisme initial, les traitements subis, et le retentissement psychique des faits s’agissant notamment à raison du décès du couple d’amis avec lequel Madame [M] et son époux étaient venus au spectacle.
Elles ont été cotées à 5,5/7 par l’expert.

Dans ces conditions, il convient d’allouer la somme de 40.000 € à ce titre.

– Préjudice d’angoisse de mort imminente

L’angoisse liée à une situation ou à des circonstances exceptionnelles résultant de la commission d’un acte de terrorisme soudain et brutal provoquant chez la victime, pendant le cours de l’événement, une très grande détresse et une angoisse dues à la conscience d’être confrontée à la mort caractérise une souffrance psychique spécifique. Cette souffrance est, par ailleurs, spécifique du fait du contexte collectif de l’infraction subie qui a amplifié ce sentiment d’angoisse, notamment du fait du nombre de personnes impliquées, de leurs réactions, ainsi qu’en raison de l’importante couverture médiatique en temps réel de cet acte de terrorisme.

En l’espèce, Madame [M] s’est retrouvée dans une véritable scène de guerre, il lui a été difficile de comprendre la réalité même des faits auxquels elle assistait tant elle était sidérée par la violence des événements.

L’expert a qualifié ce préjudice de majeur.

Si le temps d’exposition aux tirs de Madame [M] et de son compagnon a été, relativement, court, puisqu’ils sont sortis à la première accalmie, il faut bien considérer que cette jeune femme a été particulièrement choquée par le fait qu’elle ne parvenait pas à saisir la réalité de la menace, alors même que Monsieur [F] lui disait de se coucher sur le sol, et cette sidération a été une épreuve difficile pour cette jeune femme alors même que la réalité du danger était très importante et qu’elle était exceptionnellement exposée.

Dans ces conditions, la gravité de ce traumatisme sera réparée à hauteur de 35.000 €.

– Déficit fonctionnel permanent

Ce préjudice a pour composante les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime, les douleurs qui persistent depuis la consolidation, la perte de la qualité de la vie et les troubles définitifs apportés à ces conditions d’existence.

En l’espèce, l’expert a retenu un taux de déficit fonctionnel permanent de 14%.

La méthodologie dont il est demandé l’application, basée sur une indemnisation journalière en fonction du taux de déficit retenu et de l’espérance de vie de la victime, comme pour le déficit fonctionnel temporaire, ne tient pas compte du fait que ce poste est un poste permanent qui est distinct des autres préjudices permanents comme le préjudice d’agrément et le préjudice sexuel, qui font l’objet d’un examen autonome, ce qui n’est pas le cas du poste de déficit fonctionnel temporaire qui englobe ces préjudices temporaires.

Dès lors, il convient d’écarter la méthodologie appliquée par le demandeur et d’apprécier ce préjudice en fonction de l’âge de la victime au jour de la consolidation, des séquelles décrites et du taux de déficit retenu.

La victime souffrant d’un déficit fonctionnel permanent évalué à 14% par l’expert compte-tenu des séquelles relevées, et étant âgée de 28 ans lors de la consolidation de son état, il lui sera alloué une indemnité, calculée sur une valeur du point de 2.550 €, soit la somme de 35.700 €.

– Préjudice d’agrément

Ce préjudice vise à réparer le préjudice spécifique lié à l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique, sportive ou de loisirs ainsi que les limitations ou difficultés à poursuivre ces activités. Ce préjudice particulier peut être réparé, en sus du déficit fonctionnel permanent, sous réserve de la production de pièces justifiant de la pratique antérieure de sports ou d’activités de loisirs particuliers.

En l’espèce, il convient de noter que Madame [M], qui a justifié de 5 sorties culturelles sur une année (septembre 2014 à septembre 2015) -pièces 8.1 et suivantes- a indiqué à l’expert qu’elle redoutait de se rendre aux concerts ainsi que dans des festivals et des expositions.
Dans ces conditions, il convient de lui allouer une somme de 5.000 € à ce titre.

– Préjudice exceptionnel spécifique des victimes d’actes de terrorisme
 
Ce poste de préjudice exceptionnel est destiné à prendre en compte la spécificité de la situation des victimes d’un acte de terrorisme et notamment l’état de stress post traumatique et les troubles liés au caractère de cet événement, en raison des circonstances particulières de commission des faits et de leur résonance.
  
En l’espèce, l’acte de terrorisme du 15 novembre 2015 a été commis dans des circonstances particulières de volonté affirmée et revendiquée par les terroristes d’intimidation et de terreur d’une Nation entière afin de porter atteinte à l’État français et à ses citoyens dans leur ensemble. Ces faits dramatiques ont, en outre, eu une résonance importante dans l’opinion publique et dans les médias de façon durable.
 
Ces faits à la dimension nationale et même internationale causent à la victime de manière permanente un préjudice moral exceptionnel lié au caractère collectif de l’acte subi, aux motivations de ses auteurs, à la médiatisation des faits et ont eu une résonance particulière pour elle du fait de sa présence sur les lieux de l’attentat.

Il sera ainsi alloué à Madame [M] une somme de 30.000 € en réparation de ce chef de préjudice, somme offerte par le FGTI.

II- SUR LA DEMANDE DE DOMMAGES-INTERETS POUR OFFRE INSUFFISANTE

Madame [M] considère que, faute de visa de l’article 211-16 du Code des assurances, l’offre ne serait pas régulière et que cela équivaudrait à une absence d’offre potentiellement sanctionnée par les articles L211-15 et suivants du même code. Elle ajoute que certains postes n’ont pas fait l’objet de propositions et que certaines propositions seraient manifestement insuffisantes.

Cette lecture des textes et de la présente procédure n’est pas partagée par le Fonds.

Il doit être considéré que Madame [M], qui a toujours bénéficié d’un conseil qui connaît parfaitement le présent contentieux, a reçu des offres claires du Fonds et, surtout, des provisions pour un montant conséquent : 85.000 €.
Il apparaît en outre que les chefs de préjudice pour lesquels aucune offre n’a été faite (PGPA et PGPF) n’ont pas été retenu par le Tribunal qui a estimé ces demandes mal fondées. Pour finir, au regard des sommes allouées par la présente décision, les offres faites par le Fonds n’apparaissent aucunement dérisoires.

En conséquence, la faculté pour la juridiction d’infliger des dommages et intérêts pour offre insuffisante n’apparaît aucunement justifiée et sera donc rejetée.

III- SUR LES AUTRES DEMANDES

Les intérêts des sommes allouées courront à compter du jugement en vertu de l’article 1231-7 du Code civil.

Le FGTI prendra à sa charge les dépens de l’instance.

En outre, il sera condamné, en équité, à payer à Madame [Y] [M] une somme de 2.500 € en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.

Rien ne justifie d’écarter l’exécution provisoire dont la présente décision bénéficie de droit, conformément aux dispositions des articles 514 et 514-1 du Code de procédure civile, s’agissant en effet d’une instance introduite après le 1er janvier 2020.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, Statuant publiquement, par jugement mis à disposition au greffe, réputé contradictoire et en premier ressort,

Dit que Madame [Y] [M] épouse [F] a été victime d’un acte de terrorisme le 13 novembre 2015 à [Localité 9] et qu’il relève des dispositions des articles L126-1 et L422-1 et suivants du Code des assurances ;

Condamne le Fonds de Garantie des victimes d’actes de Terrorismes et d’autres Infractions à payer à Madame [Y] [M] les sommes suivantes en réparation de son préjudice corporel, en deniers ou quittances, provisions non déduites :

o Dépenses de santé actuelles : …………………………………… 105 €
o Frais divers : ………………………………………………………….. 600 €
o Tierce personne temporaire : …………………………………. 7.488 €
o Préjudice scolaire ou de formation : ……………………….. 3.500 €
o Incidence professionnelle : ………………………………….. 35.000 €
o Dépenses de santé futures : …………………………………… 1.050 €
o Déficit Fonctionnel Temporaire : …………………………. 11.268,60 €
o Souffrances endurées : ………………………………………….40.000 €
o PAMI : ………………………………………………………………..35.000 €
o Déficit Fonctionnel Permanent : ……………………………..35.700 €
o Préjudice d’agrément : …………………………………………….5.000 €
o Préjudice spécifique des victimes de terrorisme : ………30.000 €,
Ces sommes avec intérêts au taux légal à compter de ce jour ;

Déboute Madame [Y] [M] épouse [F] de ses demandes au titre des Pertes de gains professionnels actuelles, des Pertes de gains professionnels futures et de dommages et intérêts pour offre insuffisante ;

Déclare le présent jugement commun à la Caisse primaire d’assurance maladie du BAS-RHIN ;

Condamne le FGTI aux dépens de l’instance ;

Condamne le FGTI à payer à Madame [Y] [M] la somme de 2.500 € en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;

Rappelle que la présente décision bénéficie de l’exécution provisoire de droit ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Fait et jugé à Paris le 12 Septembre 2024

Le Greffier Le Président


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