Indemnisation des préjudices liés à une erreur d’identité lors d’une arrestation

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Indemnisation des préjudices liés à une erreur d’identité lors d’une arrestation

Le 18 octobre 2017, une opération de police a été menée par des gendarmes pour interpeller deux individus, mais ils se sont trompés d’adresse et ont interpellé Monsieur F.T. et sa famille. Monsieur F.T. a été plaqué au sol, tandis que sa femme et sa fille ont été mises en joue. Après cette intervention, Monsieur F.T. a saisi le tribunal administratif pour obtenir réparation des préjudices subis. Sa demande a été rejetée, et il a ensuite assigné l’État devant le tribunal judiciaire de Paris. Une expertise a été réalisée, et la famille a demandé des indemnités pour divers préjudices matériels et moraux. L’État a contesté la gravité des préjudices et a demandé le débouté des demandes. Le tribunal a finalement condamné l’agent judiciaire de l’État à verser des indemnités à la famille pour les préjudices subis, tout en déboutant les parties de leurs demandes supplémentaires.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

11 septembre 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG
22/11953
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

1/1/1 resp profess du drt

N° RG 22/11953
N° Portalis 352J-W-B7G-CXXMX

N° MINUTE :

Assignation du :
26 Août 2022

JUGEMENT
rendu le 11 Septembre 2024
DEMANDEURS

Monsieur [F] [T]
[Adresse 1]
[Localité 3]

Madame [G] [T]
[Adresse 1]
[Localité 3]

Madame [C] [T]
[Adresse 1]
[Localité 3]

représentés par Maître Hervé CASSEL, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #K0049

DÉFENDEUR

AGENT JUDICIAIRE DE L’ETAT
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 4]

représentée par Maître Bernard GRELON, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0445

Décision du 11 Septembre 2024
1/1/1 resp profess du drt
N° RG 22/11953 – N° Portalis 352J-W-B7G-CXXMX

MINISTÈRE PUBLIC

Monsieur [D] [N] [E]
Premier Vice-Procureur

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Monsieur Benoît CHAMOUARD, Premier vice-président adjoint,
Président de formation

Monsieur Éric MADRE, Juge
Madame Lucie LETOMBE, Juge
Assesseurs,

assistés de Samir NESRI, Greffier lors des débats, et de Gilles ARCAS, Greffier lors du prononcé

DEBATS

A l’audience du 19 Juin 2024, tenue en audience publique

JUGEMENT

– Contradictoire
– En premier ressort
– Prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile
– Signé par Monsieur Benoît CHAMOUARD, Président, et par Monsieur Gilles ARCAS, Greffier lors du prononcé, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire

EXPOSE DU LITIGE

Le 18 octobre 2017, vers 6 heures 50, une opération de police judiciaire menée par des militaires du peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie d'[Localité 6] a eu lieu aux fins d’interpeller Monsieur [I] [B] et Monsieur [O] [K], respectivement domiciliés au [Adresse 2], à [Localité 3] (Loiret),

Les gendarmes se sont rendus par erreur au domicile de Monsieur [F] [T], de son épouse Madame [G] [T] et de leur fille, Mademoiselle [C] [T], sis [Adresse 1], à [Localité 3], ont frappé à la porte d’entrée, décliné leurs qualités et fait les injonctions d’usage.

Monsieur [F] [T] a ouvert la porte d’entrée, s’est positionné au sol sur demande des gendarmes puis a été maintenu au sol par un  » moyen de contrôle « . Il lui a été demandé où se trouvait Monsieur [O] [K] pendant que les autres militaires investissaient les pièces de l’habitation aux fins de sécurisation. Monsieur [F] [T] a expliqué que la personne recherchée n’habitait pas à cette adresse, mais un peu plus loin derrière.

Les gendarmes ont alors quitté le domicile de la famille [T].

Par la suite, Monsieur [F] [T] a saisi le tribunal administratif d’Orléans d’une requête en référé expertise afin que puissent être déterminés l’ensemble des préjudices découlant de l’erreur commise par la gendarmerie nationale.

Par ordonnance du 9 août 2018, le juge des référés de la cour administrative d’appel de Nantes a rejeté la requête du demandeur au motif que la mesure d’expertise sollicitée portait sur un litige relevant de la compétence des tribunaux de l’ordre judiciaire.

Monsieur [F] [T] a en conséquence assigné l’Etat devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris.

Une expertise judiciaire a été ordonnée et diligentée par le docteur [J], qui a déposé son rapport le 2 février 2021.

Par acte d’huissier de justice du 26 août 2022, Monsieur [F] [T], Madame [G] [T] et Madame [C] [T] ont fait assigner l’agent judiciaire de l’Etat devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins de voir engager la responsabilité sans faute de l’Etat.

Aux termes de leurs conclusions récapitulatives notifiées le 15 mai 2023, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé de leurs moyens et prétentions, Monsieur [F] [T], Madame [G] [T] et Madame [C] [T] demandent au tribunal, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, de condamner l’Etat, représenté par l’agent judiciaire de l’Etat, au paiement de :

– la somme de 5 885,28 € au titre des préjudices subis par Monsieur [F] [T] ;

– la somme de 2 000,00 € au titre des préjudices subis par Madame [G] [T] ;

– la somme de 2 600,00 € au titre des préjudices subis par Madame [C] [T] ;

– la somme de 1 200,00 € au titre du remboursement des frais d’expertise judiciaire ;

– la somme de 2 000,00 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

et à supporter les dépens de l’instance.

Sur la responsabilité de l’Etat, ils rappellent être tiers à l’opération de police – n’étant pas concernés par la mesure d’interpellation – de sorte que le régime de la responsabilité sans faute de l’Etat trouve à s’appliquer.

Ils contestent la position de l’Etat consistant à considérer que leurs préjudices ne dépassent pas, par leur gravité, les charges qui doivent être normalement supportées par les particuliers en contrepartie des avantages du service, alors que :

– l’erreur grossière d’adresse et de cible par le peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie ne relève pas des risques inhérents par nature aux opérations de police judiciaire ; en toute hypothèse, il est manifeste que les gendarmes ont commis une faute lourde en interpelant violemment Monsieur [F] [T] par erreur, très tôt dans la journée, sous les yeux de sa femme et de sa fille ;

– le 18 octobre 2017 à 6h50, Monsieur [F] [T] ayant ainsi entendu des coups violents portés à la porte de son domicile, s’est immédiatement retrouvé violemment plaqué au sol par les forces de gendarmerie, les bras bloqués en arrière, afin d’être menotté ; sa femme et sa fille, alors âgée de 16 ans, ont été agenouillées et mises en joue pendant que les gendarmes fouillaient la maison à la recherche d’un second homme à interpeler ;

– la perquisition a été menée par le peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie, particulièrement armé et équipé ;

– contrairement à ce qui est indiqué dans le procès-verbal établit par les forces de l’ordre, aucune excuse n’a été présentée à la famille.

Sur les préjudices patrimoniaux, ils exposent que le choc provoqué par l’interpellation brutale des forces de l’ordre a contraint Monsieur [F] [T] à consulter un psychothérapeute et un magnétiseur dont le coût s’élève à 55,00 € la séance ; que l’intervention des gendarmes a nécessité le nettoyage de la maison effectué par un membre de la famille des demandeurs, pour un montant évalué à 50,00 € ; que l’arrêt de travail provoqué par l’intervention des gendarmes a entraîné une retenue sur salaire de 30,28 € ; qu’enfin Monsieur [F] [T] n’a pas pu se rendre dans son club de course, alors même qu’il avait payé sa licence pour l’année 2017-2018 subissant une perte de 25 €.

S’agissant des préjudices extra-patrimoniaux, Monsieur [F] [T] indique s’être soumis à une expertise judiciaire réalisée par le docteur [J] le 15 octobre 2020 à l’issue de laquelle l’existence des préjudices corporels suivants a été constatée :

– DFTP de 20 % du 18 octobre 2017 au 18 janvier 2018, devant être indemnisé à hauteur de 150,00€ ;

– DTFP de 10 % du 19 janvier 2018 au 18 avril 2018, devant être indemnisé à hauteur de 75,00€ ;

– DFP global de 1 %, devant être indemnisé à hauteur de 1 500,00 € ;

– souffrances endurées : 1,5/7, devant être indemnisées à hauteur de 2 000,00 €.

Les demandeurs ajoutent que l’expert a également relevé l’existence d’un préjudice d’agrément subi par Monsieur [F] [T] et constitué par une gêne dans la pratique la natation, dont ils sollicitent indemnisation à hauteur de 1 000,00€. Ils ajoutent que Monsieur [F] [T] a subi un important préjudice moral du fait du choc provoqué par l’intrusion violente des services de police dans son domicile, de la mise en joue sous ses yeux de son épouse et de sa fille, et de l’absence totale d’excuse, pour lequel une réparation est sollicitée à hauteur de 1 000,00 €.

Les demandeurs poursuivent, s’agissant des préjudices subis par Madame [G] [T] et Madame [C] [T], expliquant que ces dernières ont été examinées dans le cadre d’expertises amiables à l’issue desquelles les souffrances endurées ont été estimées à 1,5/7 pour Madame [G] [T] et 2/7 pour Madame [C] [T].

Ils précisent que ces dernières ont été contraintes de suivre des séances de psychothérapie après le choc causé par l’intervention brutale des forces de l’ordre.

Dans ses conclusions récapitulatives notifiées le 7 février 2023, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions, l’Etat, représenté par l’agent judiciaire de l’Etat, demande au tribunal de :

– à titre principal : débouter Monsieur [F] [T] et Mesdames [G] et [C] [T] de toutes leurs demandes ;

– à titre subsidiaire : réduire les demandes indemnitaires de ces derniers à une plus justes proportions ;

– en tout état de cause : les débouter de leur demande formée au titre des frais irrépétibles.

Il ne conteste pas la qualité de tiers à la procédure d’enquête de police des consorts [T], et explique en conséquence que ces derniers peuvent solliciter l’application du régime de la responsabilité sans faute de l’Etat, à charge pour eux de démontrer cependant que leur dommage excède par sa gravité les charges devant normalement être supportées par les particuliers, en contrepartie des avantages résultant de l’intervention de la police.

A cet égard, il estime que le préjudice allégué par la famille [T] ne dépasse pas, par sa gravité, ces charges, au motif qu’il ressort du procès-verbal d’interpellation que les gendarmes n’ont pas forcé la porte des requérants ; que Monsieur [F] [T] s’est mis volontairement au sol suite à la demande des enquêteurs ; et que les préjudices invoqués ne sont que quasi-exclusivement de nature psychologique, découlant du fait d’avoir vu des gendarmes armés pratiquer une intervention à leur domicile et présentent une faible gravité. Le défendeur soutient que l’existence du préjudice corporel physique au niveau de l’épaule de Monsieur [F] [T] n’est pas établie et que ce dernier n’a communiqué aucun document médical à l’expert, lequel a par ailleurs pu noter qu’il n’avait fait l’objet d’aucun soin depuis trois ans. L’agent judiciaire de l’Etat estime que le seul préjudice psychologique invoqué – outre le fait qu’il ne dépasse pas par sa gravité les charges devant normalement être supportées – est contrebalancé par la contrepartie d’avoir pu voir Monsieur [O] [K] arrêté par les gendarmes.

S’agissant des préjudices invoqués dont il sollicite le débouté, et notamment des préjudices patrimoniaux des demandeurs, l’Etat, représenté par l’agent judiciaire de l’Etat, soutient :

– que Monsieur [F] [T] ne produit aucun document justifiant de consultations auprès d’un psychothérapeute, et que la facture du magnétiseur-guérisseur versée aux débats est datée du 24 août 2020, soit près de trois ans après les faits, de sorte qu’aucun lien de causalité ne peut être établi entre l’intervention des gendarmes et le préjudice allégué ;
Décision du 11 Septembre 2024
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– que la demande visant le remboursement de la licence de sport de Monsieur [F] [T] n’est pas justifiée dès lors qu’il n’est pas rapporté que ce dernier ait été dans l’impossibilité de pratiquer la course à pied ; que l’expert judiciaire a justement pu noter qu’il n’avait subi aucun préjudice d’agrément relatif à cette activité ;

– qu’aucun élément ne justifie du montant du préjudice de nettoyage de la maison, effectué par la famille [T].

S’agissant des préjudices extra-patrimonaux invoqués par Monsieur [F] [T], l’Etat, représenté par l’agent judiciaire de l’Etat, explique :

– que le docteur [J] ne s’est fondé, pour réaliser son rapport, que sur la base de son expertise réalisée le 15 octobre 2020, de l’arrêt maladie en date du 18 décembre 2017 et de l’attestation du magnétiseur guérisseur en date du 24 août 2020 ;

– que son préjudice corporel – à savoir une luxation de l’épaule – n’est pas établi par l’expert judiciaire, ni corroborée par aucun bilan radiographique, et que l’attestation du magnétiseur-guérisseur ne peut être considérée comme un document médical ; que de tels symptômes n’ont d’ailleurs pas été constatés par les urgentistes du centre hospitalier d'[Localité 6], ni par le docteur [V] [A], ayant délivré un arrêt maladie pour une simple omalgie ; qu’ainsi, l’existence d’un lien de causalité entre les douleurs dont Monsieur [F] [T] a fait part à l’expert en 2020 et l’incident qui s’est produit en 2017 n’est pas démontrée ; qu’en conclusion, la preuve du préjudice corporel se limite à la constatation d’une douleur éphémère à l’épaule gauche par le docteur [A] le jour de l’intervention des gendarmes, laquelle ne constitue pas un préjudice excédant par sa gravité les charges qui doivent normalement être supportées par les particuliers, en contrepartie des avantages résultant du service ;

– que son préjudice moral n’est corroboré par aucune attestation ni facture d’un psychologue ; que Monsieur [F] [T] ne peut alléguer que les gendarmes n’auraient pas présenté leurs excuses pour justifier l’existence d’un sentiment de frustration dès lors que le rappel des faits rédigé par l’expert sur le fondement des déclarations du demandeur fait justement mention d’un gendarme en civil ayant présenté ses excuses à la suite de l’intervention du PSIG et que le procès-verbal de l’opération fait également mention d’un gendarme en civil venu  » s’intéresser de l’intégrité physique et psychologique des membres de la famille  » ; qu’en tout état de cause les gendarmes ne pouvaient se permettre de passer plus de temps au domicile des demandeurs, au risque de ne pas parvenir à interpeller les individus recherchés ; qu’en outre, les attestations produites par Monsieur [F] [T] pour justifier son état de choc sont faites par des individus n’ayant pas assisté à l’intervention du PSIG, et n’ayant connaissance des faits qu’à travers les déclarations de Monsieur [F] [T] et de Madame [C] [T] ; qu’en outre l’expert note que l’entretien ne permet de déceler aucune séquelle neuropsychologique ; qu’enfin la seule blessure narcissique caractérisée ne peut être retenue au titre des préjudices réparables.

S’agissant des préjudices extra-patrimonaux invoqués par Madame [G] [T], l’Etat, représenté par l’agent judiciaire de l’Etat, soutient que le docteur [U] [Y] l’ayant examinée le 12 janvier 2018 a relevé une atteinte à l’intégrité physique et psychique nulle, expliquant que l’incident avait provoqué chez elle  » une grande frayeur avec des manifestations anxieuses  » ayant néanmoins  » rapidement régressé  » ; que le caractère surprenant d’une intervention du PSIG est inhérent à la mise en œuvre et à la réussite des missions des gendarmes ; que Madame [G] [T] ne produit aucun document permettant de justifier des trois séances de psychothérapie qu’elle indique avoir suivies ; qu’ainsi la preuve du préjudice n’est pas rapportée.

S’agissant enfin des préjudices extra-patrimonaux invoqués par Madame [C] [T], l’Etat, représenté par l’agent judiciaire de l’Etat, soutient que l’expert qui l’a examinée a révélé que l’incident avait provoqué chez elle une grande frayeur -caractérisée par une symptomatologie anxieuse, des troubles du sommeil et des cauchemars- et qu’un traitement de psychothérapie a été entrepris avant que les symptômes ne disparaissent et que cette dernière reprenne toutes ses activités sans qu’un suivi médical ne soit nécessaire ; que selon l’expert, l’atteinte à l’intégrité physique et psychique est nulle, tandis que les souffrances endurées sont de 1,5 sur 7 ; qu’en tout état de cause aucune pièce ne permet d’établir la preuve de ce suivi psychothérapeutique, de sorte que le préjudice n’est pas caractérisé.

Par avis du 12 mai 2023, le Ministère Public estime que les demandes de réparation sont fondées et indique s’en rapporter à l’appréciation du tribunal pour l’évaluation des préjudices.

Il rappelle que les demandeurs étant tiers à la procédure pénale, il y a lieu d’appliquer le régime de responsabilité sans faute de l’Etat. Il expose que ces faits d’intrusion par erreur de nombreux hommes armés au sein du domicile des demandeurs, avec un maintien au sol contraint, même de courte durée et sans dégradation, constituent un dommage excédant par leur gravité et leurs circonstances les charges qui doivent normalement être supportées par les particuliers en contrepartie des avantages résultant des missions de la police judiciaire.

L’ordonnance de clôture a été rendue par le juge de la mise en état le 11 septembre 2023.

A l’issue de l’audience du 19 juin 2024, l’affaire a été mise en délibéré au 11 septembre 2024.

MOTIFS :

Sur les demandes principales :

Si la responsabilité de l’Etat pour faute est seule susceptible d’être recherchée par les personnes concernées par une perquisition, la responsabilité de l’Etat à l’égard des tiers est engagée sans faute, sur le fondement de l’égalité des citoyens devant les charges publiques, en cas de dommages directement causés par une perquisition. Doivent être regardés comme des tiers par rapport à la perquisition les personnes autres que la personne dont le comportement a justifié la perquisition ou que les personnes qui lui sont liées et qui étaient présentes dans le lieu visé par l’ordre de perquisition ou ont un rapport avec ce lieu.

Doivent notamment être regardés comme des tiers les occupants ou propriétaires d’un local distinct de celui visé par l’ordre de perquisition, mais perquisitionné par erreur ainsi que le propriétaire du lieu visé par l’ordre de perquisition, dans le cas où ce propriétaire n’a pas d’autre lien avec la personne dont le comportement a justifié la perquisition que le bail concernant le lieu perquisitionné.

Par ailleurs, il résulte du principe de la réparation intégrale du préjudice que les dommages-intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi, sans qu’il en résulte pour elle ni perte, ni profit.

En l’espèce, il est constant que Monsieur [F] [T], Madame [G] [T] et Mademoiselle [C] [T], dont le domicile était distinct du logement de la personne dont le comportement a justifié l’intervention litigieuse, doivent être regardés comme des tiers par rapport à cette opération.

La responsabilité de l’Etat à leur égard est ainsi engagée sans faute, sur le fondement de l’égalité des citoyens devant les charges publiques, en cas de dommages directement causés par l’opération excédant par leur gravité les charges devant normalement être supportées par les particuliers, en contrepartie des avantages résultant de l’intervention de la police.

A cet égard, Monsieur [F] [T] invoque tout d’abord des préjudices patrimoniaux.

Sont justifiés la consultation d’un thérapeute le jour des faits, pour un coût de 55,00 €, ainsi qu’une retenue sur salaire pratiquée à hauteur de 30,28 €.

En revanche, la seule attestation d’inscription à une association sportive est insuffisante pour établir que son coût a été supporté en pure perte à la suite de l’intervention de la gendarmerie. De même, aucune pièce ne démontre la nécessité de nettoyage de la maison par une tierce personne. Les demandes formées à ce titre sont donc rejetées.

Au titre des préjudices extra-patrimoniaux, il ressort du rapport expertise judiciaire du docteur [J] les préjudices corporels suivants consécutifs à l’intervention litigieuse : un déficit fonctionnel temporaire partiel de 20 % du 18 octobre 2017 au 18 janvier 2018, justifiant une indemnisation à hauteur de 150,00€ ; et des souffrances endurées évaluées à 1,5/7, justifiant une indemnisation à hauteur de 2 000,00 €.

En revanche, l’expert judiciaire n’a nullement caractérisé dans son rapport d’élément justifiant de retenir un déficit fonctionnel temporaire partiel du 19 janvier 2018 au 18 avril 2018, de sorte que la demande formée à ce titre est rejetée. De même, les conclusions du rapport d’expertise quant à la persistance trois ans après les faits d’  » allégations de douleurs de l’omoplate gauche à l’effort sportif ou aux efforts professionnels en fin de journée sans nécessité de prise d’un antalgique » et à la  » légère blessure narcissique  » liée au  » sentiment de frustration de n’avoir pas reçu des excuses telles que l’intéressé les estimait adaptées et telles qu’il les souhaitait  » ne permettent pas de retenir d’indemnisation au titre d’un déficit fonctionnel permanent.

Par ailleurs, si l’expert judiciaire mentionne  » une gêne douloureuse  » à la pratique prolongée de la natation et si la simple limitation d’une pratique sportive ou de loisirs antérieure constitue un préjudice d’agrément indemnisable (2ème Civ., 29 mars 2018, pourvoi n° 17-14.499, Bull. 2018, II, n° 65), Monsieur [F] [T] ne justifie par aucune pièce d’une quelconque pratique de la natation, de sorte que la demande formée au titre d’un préjudice d’agrément est rejetée.

Enfin, ainsi que cela ressort d’une attestation de Madame [Z] [P] en date du 23 août 2020, le fait d’avoir subi une intrusion violente des services de gendarmerie dans son domicile, d’avoir été mis en joue et maintenu au sol sous ses yeux de son épouse et de sa fille a causé un préjudice moral distinct à Monsieur [F] [T], qu’il convient d’indemniser par l’octroi de dommages et intérêts à hauteur de 500,00 €.

Au titre de son préjudice, Madame [G] [T] verse aux débats un rapport d’expertise amiable du docteur [U] [Y] en date du 12 janvier 2018 faisant état de manifestations anxieuses pendant une dizaine de jours après la grande frayeur ressentie lors de l’intervention et de souffrances endurées évaluées à 1,5/7 ainsi que les justificatifs de trois entretiens avec un psychologue. Compte tenu de ces éléments, son préjudice est évalué à la somme de 2 000,00 €.

S’agissant de Madame [C] [T], sont produits aux débats un rapport d’expertise amiable du docteur [U] [Y] en date du 12 janvier 2018 faisant état d’insomnie et de manifestations anxieuses pendant quelques semaines après l’intervention et de souffrances endurées évaluées à 2/7 ainsi que les justificatifs de trois entretiens avec un psychologue. Compte tenu de ces éléments, son préjudice est évalué à la somme de 2 600,00 €.

En application de l’article 1231-7 du code civil, les condamnations porteront intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent jugement.

Sur les demandes accessoires :

L’agent judiciaire de l’État, partie perdante, est condamné aux dépens, conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile, en ce compris notamment le coût de l’expertise judiciaire ordonnée par ordonnance de référé du président du tribunal judiciaire de Paris en date du 16 mars 2020 et les dépens de la procédure de référé devant le président du tribunal judiciaire de Paris enrôlée sous le numéro RG 20/51544 ayant donné lieu à ladite ordonnance (3ème Civ., 17 mars 2004, pourvoi n° 00-22.522, Bull. 2004, III, n° 56), étant constaté que les dépens d’appel ont déjà été mis à la charge de l’agent judiciaire de l’État.

Enfin, compte tenu des situations économiques respectives des parties, de la durée de l’instance et des démarches judiciaires qu’ont dû accomplir les parties demanderesses, l’agent judiciaire de l’État est condamné à verser à Monsieur [F] [T], Madame [G] [T] et Madame [C] [T] la somme de 2 000,00 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de l’article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit sont exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement.

En l’espèce, aucune circonstance ne justifie d’écarter l’exécution provisoire de droit.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe à la date indiquée à l’issue des débats en audience publique en application de l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile, contradictoirement et en premier ressort,

Condamne l’agent judiciaire de l’État à payer à Monsieur [F] [T]:

– la somme de 85,28 €, à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel ;

– la somme de 150,00 €, à titre de dommages et intérêts au titre du déficit fonctionnel temporaire partiel ;

– la somme de 2 000,00 €, à titre de dommages et intérêts au titre des souffrances endurées ;

– la somme de 500,00 €, à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral ;

avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent jugement;

Condamne l’agent judiciaire de l’État à payer à Madame [G] [T] la somme de 2 000,00 €, à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent jugement ;

Condamne l’agent judiciaire de l’État à payer à Madame [C] [T] la somme totale de 2 600,00 €, à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent jugement ;

Condamne l’agent judiciaire de l’État à payer à Monsieur [F] [T], Madame [G] [T] et Madame [C] [T] la somme totale de 2 000,00 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent jugement ;

Condamne l’agent judiciaire de l’État aux dépens, en ce compris notamment le coût de l’expertise ordonnée par ordonnance de référé du président du tribunal judiciaire de Paris en date du 16 mars 2020 et les dépens de la procédure de référé devant le président du tribunal judiciaire de Paris enrôlée sous le numéro RG 20/51544 ;

Rappelle que la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Fait et jugé à Paris le 11 Septembre 2024

Le Greffier Le Président

G. ARCAS B. CHAMOUARD


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