Votre panier est actuellement vide !
Le délit de diffamation raciale et de provocation à la haine peut se cumuler, y compris sur les réseaux sociaux.
Le procureur de la République a obtenu la condamnation d’un internaute en raison de la publication, sur le réseau Twitter, des messages suivants : « Les juifs sont les premiers responsables dans le massacre de trente millions de chrétiens en URSS entre 1917 et 1947 » (diffamation) ; « Pas compliqué : tant que vous n’accuserez pas les juifs de leurs innombrables crimes, ce sont eux qui vous accuseront des leurs » (provocation à la discrimination, la haine ou la violence).
Le premier message constitue bien une diffamation raciale en ce qu’il impute aux Juifs, ainsi visés dans leur ensemble, d’être responsables de massacres en un lieu et à une période déterminés, ce qui constitue un fait précis susceptible de preuve et attentatoire à l’honneur ou à la considération, puisque moralement et pénalement répréhensible. Le propos qui, loin de consister en une simple thèse historique, impute des crimes à l’ensemble des personnes de religion juive.
Le second propos exhortait le public, à tout le moins implicitement, à la discrimination envers un groupe de personnes visées en raison de leur appartenance religieuse.
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Cour de cassation
Chambre criminelle
15 octobre 2019
N° de pourvoi: 18-85368
Non publié au bulletinRejet
Soulard (président), président
Me Laurent Goldman, SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat(s)
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par M. V… G…, contre l’arrêt n° 251 de la cour d’appel de PARIS, chambre 2-7, en date du 4 juillet 2018, qui, pour diffamation publique, et provocation à la discrimination, la haine ou la violence, ces deux infractions envers un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, l’a condamné à deux mois d’emprisonnement et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 3 septembre 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Bonnal, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Lavaud ;
Sur le rapport de M. le conseiller Bonnal, les observations de Me Laurent GOLDMAN et de la société civile professionnelle RICARD, BENDEL-VASSEUR, GHNASSIA, avocats en la Cour et les conclusions de Mme l’avocat général référendaire CABY ;
Vu le mémoire personnel et les mémoires en défense produits ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure que le procureur de la République a fait citer devant le tribunal correctionnel M. G…, d’une part, des deux chefs précités, en raison d’un message mis en ligne sur le réseau Twitter, ainsi rédigé : “Les juifs sont les premiers responsables dans le massacre de trente millions de chrétiens en URSS entre 1917 et 1947”, d’autre part, du seul chef de provocation à la discrimination, la haine ou la violence, en raison du message suivant, mis en ligne sur le même réseau : “Pas compliqué : tant que vous n’accuserez pas les juifs de leurs innombrables crimes, ce sont eux qui vous accuseront des leurs” ; que les premiers juges ont déclaré le prévenu coupable dans les termes de la prévention ; que M. G…, et le ministère public à titre incident, ont relevé appel de ce jugement ;
En cet état :
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;
Attendu que, pour écarter l’exception de nullité de la citation tirée de ce qu’un même propos était poursuivi sous une double qualification, l’arrêt énonce que le délit de diffamation aggravée vise à protéger l’honneur et la considération d’une personne ou d’un groupe de personnes, tandis que le délit de provocation à la haine, à la discrimination et à la violence a pour objet de préserver une valeur sociale et la paix civile, de sorte que les deux délits, qui ne sont pas incompatibles entre eux, visent la protection d’intérêts distincts ;
Attendu qu’en prononçant ainsi, et dès lors que, ces deux infractions visées à la prévention ne comportant pas d’éléments constitutifs inconciliables entre eux, il n’a pu résulter de cette qualification cumulative aucune incertitude dans l’esprit du prévenu quant à l’étendue de la poursuite, la cour d’appel a fait une exacte application du texte visé au moyen, lequel n’est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et 29, alinéa 1er, et 32, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;
Attendu que, pour confirmer le jugement du chef de diffamation raciale en raison du premier propos, l’arrêt énonce que ledit message impute aux Juifs, ainsi visés dans leur ensemble, d’être responsables de massacres en un lieu et à une période déterminés, ce qui constitue un fait précis susceptible de preuve et attentatoire à l’honneur ou à la considération, puisque moralement et pénalement répréhensible ;
Attendu qu’en prononçant ainsi, la cour d’appel a exactement apprécié le sens et la portée d’un propos qui, loin de consister en une simple thèse historique, impute des crimes à l’ensemble des personnes de religion juive ;
D’où il suit que le moyen, partiellement irrecevable en ce qu’il soutient, en sa première branche, que le propos s’inscrirait dans un débat d’intérêt général et reposerait sur une base factuelle suffisante, alors que le prévenu n’a pas sollicité le bénéfice de la bonne foi devant la cour d’appel, doit être écarté ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6,§ 1, et 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, 24, alinéa 7, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que, pour confirmer le jugement du chef de provocation à la haine raciale, en raison du premier message précité, l’arrêt énonce que ce délit suppose, pour être constitué, un appel ou une exhortation à la discrimination, la haine ou la violence, qui peuvent être implicites, exhortation implicite que renferme ce propos, en ce qu’il incite instamment le lecteur à accuser les Juifs de leurs crimes afin d’éviter d’en être accusés par eux, les Juifs étant ainsi visés sans distinction ;
Attendu qu’en statuant ainsi, et dès lors que ce propos exhortait le public, à tout le moins implicitement, à la discrimination envers un groupe de personnes visées en raison de leur appartenance religieuse, la cour d’appel a fait l’exacte application des textes visés au moyen, lequel n’est pas fondé ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 500 euros la somme que M. V… G… devra payer à la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme au titre de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;
FIXE à 2 500 euros la somme globale que M. V… G… devra payer à l’Union des étudiants juifs de France, l’association J’accuse ! Action internationale pour la justice et l’association SOS Racisme-Touche pas à mon pote au titre de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le quinze octobre deux mille dix-neuf ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.